Sainte Jeanne des Abattoirs de Bertolt Brecht, mise en scène Bernard Sobel

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Sainte Jeanne des Abattoirs de Bertolt Brecht, mise en scène Bernard Sobel

 

On ne devrait peut-être pas dire mise en scène, mais mise en jeu et ces représentations de cette Sainte Jeanne sont très importantes. D’abord pour les élèves de troisième du collège Jean-Baptiste Lebas et pour les lycéens de terminale du lycée Charles Baudelaire à Roubaix. Qu’est-ce que le théâtre pour ces comédiens de quelques soirs ? D’abord trouver sa place, et sa voix. Oser être là, ne pas s’arrêter si on a un trou de texte, oser articuler la pièce de Brecht, même avec ce qu’on appelle un accent, tenir les rythmes, entrer et sortir au bon moment, en solidarité les uns avec les autres.

Ils l’ont fait, dans les locaux impressionnants et on ne peut mieux appropriés : Les Archives Nationales du monde du travail dans l’ancienne filature Motte-Bossut. Un château fort de l’industrie textile à son apogée, une cathédrale du travail. Il a fallu ajuster les voix à la hauteur de ses immenses verrières et des coursives superposées où claquait le bruit des métiers et des bobines. Et à la proximité avec public : il s’agit de parler, pour ces élèves pour tout le monde mais aussi aux spectateurs très proches, face à face dans un dispositif bi-frontal. Pas de cachette, aucune dérobade possible, la scénographie  est d’une clarté à propos.

Ce n’est pas la première fois que Bernard Sobel travaill sur Sainte Jeanne des Abattoirs. Pour lui, cette fulgurante analyse du fonctionnement capitaliste, écrite en 1930, en pleine crise mondiale,  en pleine montée du nazisme, est le “laboratoire“ idéal. La fable : Jeanne Dark, une fervente croyante «chapeau noir» (on reconnaît ici l’Armée du salut) veut sauver les pauvres par la charité et la foi. Mais… Le chômage, la faim, l’humiliation ont raison des résistances, et le patron s’y entend pour briser les solidarités : c’est sa pratique quotidienne avec ses rivaux et fournisseurs. Pierpont Mauler, roi des abattoirs de Chicago et de la viande en conserve, casse ses adversaires comme des allumettes  et se paie même le luxe de bons sentiments à l’égard de Jeanne. Il est bien le seul à pouvoir le faire. Aucune condamnation morale de la part de Brecht : chaque scène est faite pour décortiquer en action, un fonctionnement de domination et de soumission. Les chœurs rappellent que la solution n’est pas à chercher sur scène, sous forme de “happy end“,  mais après, dans la Cité.

On voit rarement un théâtre aussi peu consolateur et aussi réjouissant. Cette joie-là vient ici de la justesse. Tout est à propos : un lieu emblématique et de jeunes acteurs qui ne cherchent pas à incarner des personnages mais une parole, dans cette pièce qui analyse magistralement la puissance stérile d’un capitalisme spéculateur. C’est beaucoup pour des imaginations, des intelligences de quinze ans ? Non,  le minimum : aller droit à l’essentiel. Ni le metteur en scène ni les jeunes garçons et filles n’ont de temps à perdre. À Roubaix, la ville la plus pauvre de France, avec la collaboration de Sylvain Martin et de Laure Abramovici, Bernard Sobel a trouvé la pointe de son théâtre : un maximum de sens avec un minimum d’effets. À l’âge d’être leur grand-père, il a dépaysé collégiens et lycéens et les a emmenés vers la force d’un poète. Et ils y sont allés parfois en trébuchant mais ils y sont allés… Pas de virtuosité, mais un engagement sérieux et beau. Il en restera quelque chose, c’est sûr. Voilà un beau théâtre d’urgence, réalisé tranquillement.

Christine Friedel

Dernière représentation : vendredi 26 avril à 17 h, aux Archives Nationales du monde du travail, 78 boulevard du Général Leclerc, à Roubaix (Nord). Entrée libre.

 


Archive pour 25 avril, 2019

Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, d’Édouard Baer

Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, de et avec Édouard Baer.

edouard-baer-1-43669Sortir du cadre, nous emporter dans le passé des écrivains et des comédiens qui ont marqué sa vie : Edouard Baer surgi du fond de la salle, comme par hasard, monte sur le plateau et nous explique qu’il est en train de répéter une pièce : Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, juste en face, de l’autre côté du boulevard. Il cherche le ton juste pour interpréter le discours d’André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.

L’acteur, en fuite de sa propre vie, va prêter sa voix à d’autres acteurs ou écrivains disparus.  Le Théâtre Antoine a accueilli autrefois les pièces de Jean-Paul Sartre, Albert Camus et des metteurs en scène comme Louis Jouvet ou Peter Brook, (heureusement lui encore vivant). Avec la complicité du  Régisseur du théâtre, joué par Christophe Meynet, ou d’autres interprètes de sa bande,  qui interviendront, selon les dates en artistes invités, Édouard Baer fait revivre des fantômes. Par exemple, Charles Bukowski. Pour incarner l’écrivain américain, il tape sur une vieille machine à écrire, entre deux bouffées de cigarette, un verre de whisky à portée de main

 Il répond à un téléphone factice : « Mais pourquoi quelqu’un m’appelle sur un faux téléphone ? » « Je suis fan, dit-il, des pièces qui commencent par Allo” ! » Ill fait ainsi revivre son ami Jean Rochefort, en diffusant sa voix quand il jouait dans le film d’Yves Robert  Courage fuyons (1979). Édouard Baer aime les gens qui doutent et donne la parole  au personnage de l’avocat dans La Chute d’Albert Camus. Et Il nous bouleverse avec  un poème de Boris Vian dit par Pierre Brasseur, Philippe Noiret, Jean-Louis Trintignant et enfin par lui-même. Le théâtre est le seul endroit au monde qui peut faire renaître ces « âmes mortes » avec bienveillance.

Le spectacle a été construit à partir d’improvisations filmées, sous la direction d’Isabelle Nanty, son ancienne professeure au cours Florent. La pièce va évoluer avec le temps, entre un tournage de film et une émission en direct sur France-Inter. Ce voyageur sans bagage, en constant déséquilibre, aime à se surprendre lui-même, et nous faire partager son goût pour les mots et la langue française. Pour finir, il évoque avec douceur l’écrivain Romain Gary  (1914-1980) avec un extrait de son roman, Une Nuit sera calme (1974). Courez partager ces émotions sincères.

Jean Couturier

Jusqu’au 15 juin, Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg, Paris Xème.  T. 01 42 08 77 71,

 

Septième Panorama des chantiers de la Fai-ar (suite)

Septième Panorama des chantiers de la Fai-ar  (suite)

 

Panorama des chantiers 2019 - FAIAR.A la Fai-ar  -formation avancée et itinérante des arts de la rue- comme ailleurs les apprentis ne cessent,   de se poser des questions sur la pression ultra-sécuritaire et la restriction des libertés dans l’espace public. Et nombre de propositions nous enferme -guère étonnant- dans des sortes de bunkers, boîtes noires aussi intimistes qu’isolées du réel. Tentation du repli ? Piège de l’espace mental où chacun rumine son histoire et son point de vue? Comment lutter contre les contraintes administratives, la prudence, la censure insidieuse ? Dehors, cela devient si difficile de s’exprimer. …

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Nyctalope maquette de Maëva Longvert

Cette apprentie traite de l’angoisse urbaine nocturne mais dans le parking aseptisé de l’hôtel Toyoko INN à Marseille Saint-Charles. Ses cocons lumineux convulsifs et borborygmes emmaillotés évoquent métaphoriquement le viol, la volonté de s’extraire du traumatisme. Sous nos pieds : délimitations, rails. Et autour de nous , des murs. On se cogne à l’aveuglette dans nos congénères. Un texte à la King Kong théorie de Virginie Despentes nous enjoint de sortir, de regagner la lumière. Intelligent et fascinant. Le public tâtonne mais décrypte : on fait lui confiance (sauf le personnel de l’hôtel en embuscade…).

Numeta, architecture de la chute, maquette de Lidia Cangiano

Ici, on aborde l’hôpital comme un milieu carcéral : décrépitude de l’architecture et des gens, lamentable déshumanisation des services publics, gestuelle robotique dans une salle mitée par des fosses, comme autant de risques d’effondrement.  Lumière et mots glaçants. Jauge minuscule de visiteurs parqués.

DéPAYSé (point 0), maquette de Sophia La Roja

Dans la salle du rez-de-chaussée, cette artiste évoque l’exil dans un récit anxiogène aux images extatiques. Le public aux abois, est traqué par des projecteurs semblables à ceux de miradors. Folle présence de son comédien taurin.

La Mondiale de la terreur, maquette de César Roynette

Sur le parvis de l’église de Cucuron, enfin à l’air libre, nous voilà encerclés par des rubans de sécurité. César Roynette nous « ghettoïse », tout en prétendant nous mettre en lieu sûr. Les monstres, c’est nous, notre manque d’ouverture à l’autre, nos chambres fortes intérieures. Sa proposition pêchue, bourrée d’humour noir, invite à pulvériser les éléments de langage et les imageries officielles qui nous aliènent. Il pointe un état d’urgence où la rencontre semble, soit impossible soit très balisée et il établit un rapport tonique avec le public!Après toutes ces errances, bouquet final et allégresse dans le village de Cucuron (Vaucluse) près de Marseille,  le 17 avril au soir ! Sans barrière Vauban. Nous ne boudons pas le plaisir enfantin de céder à l’invitation  d’un voyage amoureux…

Crédit photo : Augustin Le Gall / Fai-ar

Crédit photo : Augustin Le Gall / Fai-ar

Pour l’instant, pour toujours, maquette de Johnny Seyx

A Port-Saint-Louis (Bouches-du Rhône), d’autres propositions  nous  attendent. Le long de voies de chemin de fer et de hangars désaffectés,  on se paument dans des terrains vagues, et des friches où fleurissent épaves de bagnoles et de bateaux. Dans presque toutes les maquettes des apprentis, du rouge urgence, un temps à couper au couteau, entrecoupé de frénésies, des lignes à ne pas franchir. Et puis aussi des créations sonores chuintantes, à base de souffle, de battements de cœur, de grincements. Des sonorités de maison hantée, de chaînes et de palpitations, souvent interprétées en direct, extraites du réel comme un suc saumâtre. Avec son pseudo kitch, Jonathan Durieux ouvre à la serpe une voie populaire et sensuelle. Pas né de la dernière pluie – de rubis biodégradables -, il s’est déjà fait connaître avec la compagnie Superfluu dans des solos  où il lisait  des « textes absurdes, un peu drôles mais pas que. »  En digne héritier de Michel Crespin, saltimbanque à l’origine de la Fai-ar, il porte un C.V. hétéroclite en bandoulière : sciences politiques à Genève, charpentier et théâtre de rue en autodidacte. Son ambition est démesurée, sincère et candide : « Faire un spectacle pour que les gens tombent amoureux », assure-t-il.

La chose se passe à un carrefour du village. D’abord, il prononce un petit discours sur les contraintes sécuritaires et leur coût faramineux. Sa proposition n’a pas pu se jouer à Marseille. Rage ! Mais, à y regarder de plus près, nous nous sentons plutôt mieux, ici, dans un écrin campagnard, au milieu d’un vrai public familial et bon enfant où s’enjaillent les professionnels. Un couple de punks au premier rang, bière à la main, prend aussitôt la parole sur le thème de notre besoin d’amour, d’empathie et de lien social. Mais le jeu un brin hystérique de l’actrice  haranguant les autres spectateurs la trahit. Et pourtant, miracle ! Les villageois, responsables de Cnarep,  représentants des tutelles publiques, artistes compagnons, ses camarades de la Fai-ar d’hier et d’aujourd’hui, tous se prennent par la main. Quelques instants plus tard, l’assemblée a les yeux fermés !

 Comme une bonne fête entre potes, le rituel ainsi instauré est indescriptible. Le dieu de l’amour débarque, nimbé de fumigène rose sur un skate peint de  petits cœurs. En empathie totale avec son troupeau d’agneaux, il distribue des «mon amour » à la cantonade et ironise : « Je sais ce que tu te dis, fais chier ces projets participatifs. » Il nous emballe. Un précieux souvenir dans cet écrin magique. Il nous apprend à regarder nos voisins et voisines d’un œil lavé. La ronde mériterait d’être un peu plus mouvante, l’apparition plus grandiloquente. Mais l’aspect artisanal et improvisé a aussi ses mérites. Comment nommer cette forme ? Un peu de biodanza, cette danse-contact qui fonctionne comme un laboratoire de rencontres, un peu de chimie corporelle, une pincée de théâtre immersif, une grosse louche de «création expérientielle» comme dit l’universitaire Pascal Lebrun-Cordier… Surtout, le symptôme d’un besoin de communion. Il en ressort une jouissance d’être impliqué, concerné, vivant, au présent. Un pléonasme de vie, quoi !

 Comme le titre du spectacle l’indique gnangnan et mignon à souhait, cette ronde mixe le « moment présent » prôné par le philosophe Eckhart Tolle avec des mots fleur bleue de gamins. Même le maire du village se laisse aller à une anecdote grivoise. C’est la magie de Seyx ! Ce cupidon kitch, véritable allégorie de notre soif de légèreté et d’émotion, nous reconnecte avec simplicité. Ouf ! Et même youpi ! On adhère à cette secte beaucoup plus maligne qu’il n’y paraît (avec des allusions à l’ésotérisme indien, à Roland Barthes et Louise Michel) et on applaudit à cette proposition foutraque et savoureusement régressive… Vite un rassemblement grand format !

 Stéphanie Ruffier

Maquettes vues les 17 et 18 avril à Marseille et dans les environs.

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