Septième Panorama des chantiers de la Fai-ar (suite)

Septième Panorama des chantiers de la Fai-ar  (suite)

 

Panorama des chantiers 2019 - FAIAR.A la Fai-ar  -formation avancée et itinérante des arts de la rue- comme ailleurs les apprentis ne cessent,   de se poser des questions sur la pression ultra-sécuritaire et la restriction des libertés dans l’espace public. Et nombre de propositions nous enferme -guère étonnant- dans des sortes de bunkers, boîtes noires aussi intimistes qu’isolées du réel. Tentation du repli ? Piège de l’espace mental où chacun rumine son histoire et son point de vue? Comment lutter contre les contraintes administratives, la prudence, la censure insidieuse ? Dehors, cela devient si difficile de s’exprimer. …

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Nyctalope maquette de Maëva Longvert

Cette apprentie traite de l’angoisse urbaine nocturne mais dans le parking aseptisé de l’hôtel Toyoko INN à Marseille Saint-Charles. Ses cocons lumineux convulsifs et borborygmes emmaillotés évoquent métaphoriquement le viol, la volonté de s’extraire du traumatisme. Sous nos pieds : délimitations, rails. Et autour de nous , des murs. On se cogne à l’aveuglette dans nos congénères. Un texte à la King Kong théorie de Virginie Despentes nous enjoint de sortir, de regagner la lumière. Intelligent et fascinant. Le public tâtonne mais décrypte : on fait lui confiance (sauf le personnel de l’hôtel en embuscade…).

Numeta, architecture de la chute, maquette de Lidia Cangiano

Ici, on aborde l’hôpital comme un milieu carcéral : décrépitude de l’architecture et des gens, lamentable déshumanisation des services publics, gestuelle robotique dans une salle mitée par des fosses, comme autant de risques d’effondrement.  Lumière et mots glaçants. Jauge minuscule de visiteurs parqués.

DéPAYSé (point 0), maquette de Sophia La Roja

Dans la salle du rez-de-chaussée, cette artiste évoque l’exil dans un récit anxiogène aux images extatiques. Le public aux abois, est traqué par des projecteurs semblables à ceux de miradors. Folle présence de son comédien taurin.

La Mondiale de la terreur, maquette de César Roynette

Sur le parvis de l’église de Cucuron, enfin à l’air libre, nous voilà encerclés par des rubans de sécurité. César Roynette nous « ghettoïse », tout en prétendant nous mettre en lieu sûr. Les monstres, c’est nous, notre manque d’ouverture à l’autre, nos chambres fortes intérieures. Sa proposition pêchue, bourrée d’humour noir, invite à pulvériser les éléments de langage et les imageries officielles qui nous aliènent. Il pointe un état d’urgence où la rencontre semble, soit impossible soit très balisée et il établit un rapport tonique avec le public!Après toutes ces errances, bouquet final et allégresse dans le village de Cucuron (Vaucluse) près de Marseille,  le 17 avril au soir ! Sans barrière Vauban. Nous ne boudons pas le plaisir enfantin de céder à l’invitation  d’un voyage amoureux…

Crédit photo : Augustin Le Gall / Fai-ar

Crédit photo : Augustin Le Gall / Fai-ar

Pour l’instant, pour toujours, maquette de Johnny Seyx

A Port-Saint-Louis (Bouches-du Rhône), d’autres propositions  nous  attendent. Le long de voies de chemin de fer et de hangars désaffectés,  on se paument dans des terrains vagues, et des friches où fleurissent épaves de bagnoles et de bateaux. Dans presque toutes les maquettes des apprentis, du rouge urgence, un temps à couper au couteau, entrecoupé de frénésies, des lignes à ne pas franchir. Et puis aussi des créations sonores chuintantes, à base de souffle, de battements de cœur, de grincements. Des sonorités de maison hantée, de chaînes et de palpitations, souvent interprétées en direct, extraites du réel comme un suc saumâtre. Avec son pseudo kitch, Jonathan Durieux ouvre à la serpe une voie populaire et sensuelle. Pas né de la dernière pluie – de rubis biodégradables -, il s’est déjà fait connaître avec la compagnie Superfluu dans des solos  où il lisait  des « textes absurdes, un peu drôles mais pas que. »  En digne héritier de Michel Crespin, saltimbanque à l’origine de la Fai-ar, il porte un C.V. hétéroclite en bandoulière : sciences politiques à Genève, charpentier et théâtre de rue en autodidacte. Son ambition est démesurée, sincère et candide : « Faire un spectacle pour que les gens tombent amoureux », assure-t-il.

La chose se passe à un carrefour du village. D’abord, il prononce un petit discours sur les contraintes sécuritaires et leur coût faramineux. Sa proposition n’a pas pu se jouer à Marseille. Rage ! Mais, à y regarder de plus près, nous nous sentons plutôt mieux, ici, dans un écrin campagnard, au milieu d’un vrai public familial et bon enfant où s’enjaillent les professionnels. Un couple de punks au premier rang, bière à la main, prend aussitôt la parole sur le thème de notre besoin d’amour, d’empathie et de lien social. Mais le jeu un brin hystérique de l’actrice  haranguant les autres spectateurs la trahit. Et pourtant, miracle ! Les villageois, responsables de Cnarep,  représentants des tutelles publiques, artistes compagnons, ses camarades de la Fai-ar d’hier et d’aujourd’hui, tous se prennent par la main. Quelques instants plus tard, l’assemblée a les yeux fermés !

 Comme une bonne fête entre potes, le rituel ainsi instauré est indescriptible. Le dieu de l’amour débarque, nimbé de fumigène rose sur un skate peint de  petits cœurs. En empathie totale avec son troupeau d’agneaux, il distribue des «mon amour » à la cantonade et ironise : « Je sais ce que tu te dis, fais chier ces projets participatifs. » Il nous emballe. Un précieux souvenir dans cet écrin magique. Il nous apprend à regarder nos voisins et voisines d’un œil lavé. La ronde mériterait d’être un peu plus mouvante, l’apparition plus grandiloquente. Mais l’aspect artisanal et improvisé a aussi ses mérites. Comment nommer cette forme ? Un peu de biodanza, cette danse-contact qui fonctionne comme un laboratoire de rencontres, un peu de chimie corporelle, une pincée de théâtre immersif, une grosse louche de «création expérientielle» comme dit l’universitaire Pascal Lebrun-Cordier… Surtout, le symptôme d’un besoin de communion. Il en ressort une jouissance d’être impliqué, concerné, vivant, au présent. Un pléonasme de vie, quoi !

 Comme le titre du spectacle l’indique gnangnan et mignon à souhait, cette ronde mixe le « moment présent » prôné par le philosophe Eckhart Tolle avec des mots fleur bleue de gamins. Même le maire du village se laisse aller à une anecdote grivoise. C’est la magie de Seyx ! Ce cupidon kitch, véritable allégorie de notre soif de légèreté et d’émotion, nous reconnecte avec simplicité. Ouf ! Et même youpi ! On adhère à cette secte beaucoup plus maligne qu’il n’y paraît (avec des allusions à l’ésotérisme indien, à Roland Barthes et Louise Michel) et on applaudit à cette proposition foutraque et savoureusement régressive… Vite un rassemblement grand format !

 Stéphanie Ruffier

Maquettes vues les 17 et 18 avril à Marseille et dans les environs.

 

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