La Muse en Circuit fait peau neuve

La Muse en Circuit fait peau neuve

 inauguratin museLe Centre National de Création Musicale inaugure aujourd’hui des locaux agrandis, rénovés, dotés de trois studios d’enregistrement. Créée en 1982 sous l’impulsion de Luc Ferrari (1929-2005), La Muse en Circuit fut d’abord un studio privé de composition électroacoustique. Sa courbe de notoriété suivit celle de son fondateur et, en 1992, elle s’installa dans les locaux actuels. En 1999, au terme d’une collaboration de près d’un quart de siècle avec Luc Ferrari, David Jisse, auteur, compositeur et producteur à Radio-France prit le relais et dirigea cette structure. Un tournant, avec une ouverture aux musiques autres que celles dites «sur support» : musiques instrumentales, électroniques, et organisation de concerts. Le désormais Centre National de Création Musicale est dirigé depuis 2013 par Wilfried Wendling. Ce compositeur mais aussi metteur en scène et vidéaste, oriente davantage encore La Muse en Circuit vers des formes musicales transdisciplinaires et la participation à des spectacles : cirque, théâtre, performance, danse… Alors qu’un bon demi-siècle après l’émergence du «théâtre musical», l’association Théâtre et musique donne naissance à de nouvelles formes: des créations d’Heiner Goebbels, Christoph Marthaler, Matthieu Bauer ou David Lescot (voir Le Théâtre du Blog). Ce concept de «théâtre musical» s’inscrit moins comme genre que comme rupture avec la tradition et l’institution et développe un caractère expérimental. Danse et musique dialoguent depuis toujours mais cette symbiose se met aussi progressivement en place dans les autres arts de la scène, et naissent ainsi de nouvelles dramaturgies. La revue Théâtre Public a  publié récemment un numéro consacré à Théâtre/Musique Variations contemporaines

 Situé au cœur d’Alfortville, à deux pas du Studio-Théâtre de Christian Benedetti et non loin de l’Ecole du Théâtre du Corps créée en 2018 par Marie-Pierre Pietragalla et Julien Derouault, La Muse en Circuit trouve avec eux des passerelles naturelles mais rayonne bien au-delà. Wilfried Wendling précise que, sous le label :«centre de création musicale», se classent  » toutes les pratiques musicales non homologuées, entre musiques actuelles et celles dites savantes.» Un vaste champ à investir quand on dispose d’un plateau de plus de cent dix mètres carrés pour accueillir le travail d’équipes artistiques franciliennes, nationales et internationales. Pour l’heure, le dispositif se traduit en chiffres: cent-soixante concerts, six cent cinquante heures d’actions de formation par an, cent artistes en résidence et coproduction de quarante spectacles…

 Concert inaugural en hommage à Luc Ferrari

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@Christophe Raynaud deLage

 A la recherche du rythme perdu oppose dans un premier temps deux modes de musique: fluidité et limpidité de la harpe, silences et résonances contre battements sourds des morceaux remixés sur une console électronique. Dans cette lutte entre instruments si différents, la harpe devient de plus en plus offensive. La musicienne arrive à trouver une puissance de percussion inattendue, en battant les cordes, en les pinçant et les raclant, loin de l’image sage et anachronique de la harpe. Les artistes s’accordent enfin pour se déchaîner dans une coda chorale très jazz. «Dans A la Recherche du rythme perdu, disait Luc Ferrari, je voudrais m’adresser à des musiciens venus du jazz. Cela veut dire que les notes qui sont pour les musiciens classiques un code de jeu, sont ici des indications d’ambiance plus que des signes à reproduire instrumentalement.» Une liberté qui leur est donnée : «J’ai parfois l’impression que le respect de l’écriture (c’est-à-dire de la loi) a occulté l’intuition musicale, a censuré le sens du rythme et a, peu à peu, grignoté l’imagination des interprètes. »

 Archives sauvées des eaux

Eclats de voix, soupirs, rires… eRikm remixe des sons épars sur sa console, jouant entre aigus et basses et Hélène Beschand lui emboîte le pas : avec la voix ou la harpe, elle se fraye une chemin dans cette partition complexe. Sur les platines, on entend des percussions et des grillons, tandis qu’en réponse, la harpe émet d’étranges notes… Un concert polyphonique harmonisant des éléments éclatés. Luc Ferrari créa cette pièce en 2000: «L’idée d’utiliser mes archives est née d’une nécessité d’actualiser le support même de ces mémoires. J’ai en effet des bandes analogiques dans mon atelier représentant tous les enregistrements que j’ai faits depuis 1960, et dont je me suis, ou non, servi. En les copiant sur CD, j’ai eu envie de transformer ce travail fastidieux en travail créatif. Et, au lieu de copier, je me suis mis à composer. »

 Comme Hélène Beschand l’explique, Luc Ferrari demandait à ses interprètes d’être créatifs et d’inventer,  à partir du potentiel de l’instrument, les effets qu’il demandait d’une écriture serrée, incluse dans la partition. C’est, dit-elle, ce qui lui a donné le goût de composer elle-même. Cette mise en scène de la musique sur la page avec didascalies, semble avoir inspiré ces solistes… 

 Mireille Davidovici

Le 27 mai, La Muse en Circuit, 18 rue Marcelin Berthelot, Alfortville (Val-de-Marne). T :  01 43 78 80 80  www.lamuse.com
Partitions disponibles à La Muse en circuit.

Archive pour mai, 2019

Hors la loi, texte et mise en scène de Pauline Bureau

 © Brigitte Enguérand, coll.CF


© Brigitte Enguérand, coll.CF


Hors la loi,  texte et mise en scène de Pauline Bureau

Tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en 1972, c’est à dire hier, pour certains d’entre nous et un temps déjà historique pour la plupart des spectateurs. L’avocate Gisèle Halimi défendait avec grand talent mais aussi courage et ténacité, Marie-Claire Chevallier, une jeune fille de seize ans, qui, violée l’année précédente par un garçon de son lycée, avait subi un avortement clandestin à l’époque car strictement interdit par la loi de 1921! Aucun autre choix possible! En France, quelques médecins ou gynécologues pratiquaient l’I.V.G. dans le plus grand secret et à des tarifs élevés… Ou quand on avait beaucoup d’argent, ce qui n’était pas souvent le cas, il fallait aller faire un petit tour aux Pays-Bas, en Suisse ou en Angleterre. Ou se procurer via l’étranger un médicament abortif, ou dans les campagnes, il y avait la solution bien connue de toutes les femmes dans les campagnes, boire de l’infusion de rue censée provoquer des contractions pour expulser le fœtus. Bien entendu, la pilule- interdite en France jusqu’en 67, était cinq ans plus tard prescrite comme médicament et non à titre contraceptif. Donc réservée à celles qui avaient le bonheur d’avoir des relations à l’étranger. Quatre solutions impossibles quand on était pauvre, habitant en banlieue et sans relations. Avec donc, à la clé, des milliers de mortes par an, victimes d’hémorragie et/ou de septicémie, la société y compris des femmes et surtout les évèques de l’Eglise catholique à l’époque encore toute puissante, refusant de voir cet état de fait. Non, ce n’était pas au Moyen-Age (enfin si !) mais il y a à peine cinquante ans dans notre douce France…

Marie-Claire et sa petite sœur Martine vivent dans un petit appartement avec leur mère employée à la R.A.T.P.  qui les élève seule. Dans l’insouciance de ses quinze ans, elle a des copains et un jour, un certain Daniel l’entraîne dans sa chambre, histoire de lui faire écouter un disque et la force à avoir une relation sexuelle avec lui. Un mois plus tard, verdict sans appel du médecin: Marie-Claire est enceinte mais ne veut pas d’enfant aussi jeune. La chaîne de solidarité féminine fonctionne et sa mère obtient assez vite d’une collègue, une «adresse», comme on disait alors. Un certaine Madame Bambuck arrive donc un jour dans l’appartement avec ses outils et pratiquera cet avortement en posant une sonde. Veuve et malade, elle a grand besoin d’argent, comme elle le dira plus tard au procès. L’affaire aurait peut-être pu s’arrêter là, mais deux mois plus tard, le Daniel en question apprenti dans un garage qui a maille à partir avec les flics pour une autre affaire, a peur d’aller en prison et, en échange de la destruction du P.V. , dénonce Marie-Claire et sa mère qui seront menottées et placées en garde à vue comme leurs amies. La jeune sœur est confiée à une voisine… Vous avez dit sordide ? Fin de cette première partie…

Ensuite et heureusement, une jeune avocate Gisèle Halimi prend les choses en main, alors que vient de paraître dans Le Nouvel Observateur, le manifeste des 343. Celui d’avocates comme elle, mais aussi d’écrivaines, enseignantes, actrices, journalistes… dont Ariane Mnouchkine, Delphine Seyrig, Simone de Beauvoir… qui déclarent avoir subi un avortement et/ou en avoir été complices. Elles réclament aussi le libre accès à la contraception et à la liberté d’avorter. Du jamais vu et qui n’est pas du goût de Jean Royer, alors Ministre de la Justice du gouvernement Chaban-Delmas, qui ne comptait pas une seule femme, juste une secrétaire d’Etat, Marie-Madeleine Dienesch….au  Ministère de la Santé publique et de la Sécurité sociale.

Gisèle Halimi (91 ans) qui a reçu il y a quelques années la Grand Croix de la Légion d’honneur, avait fondé en 1971 un mouvement féministe avec Simone de Beauvoir et Jean Rostand. Cette jeune avocate passionnée met alors au point, avec intelligence et sensibilité, une remarquable stratégie face aux quatre hommes de ce Tribunal correctionnel: ne pas pleurnicher, ne pas chercher à émouvoir mais passer à l’attaque et transformer ce procès en tribune contre une loi injuste qui tue autant de femmes: «Pardonnez-moi, Messieurs, mais j’ai décidé de tout dire ce soir. Regardez-vous et regardez-nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes… Et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses, et d’avortements ! Croyez-vous que l’injustice fondamentale et intolérable n’est pas déjà là ? Ces quatre femmes devant ces quatre hommes.» Bien vu! Gisèle Halimi pointait le doigt avec habileté là où cela faisait vraiment mal: sur une réalité quotidienne que la classe politique et judiciaire, composée presque seulement d’hommes, ne voulait pas voir.  Un ami médecin hospitalier pleurait en nous racontant avoir vu dans les années 70 arriver des femmes avortées dans des conditions épouvantables et atteintes d’un tel degré de septicémie que l’on ne pouvait plus rien faire pour elles… 

Au tribunal, on fait défiler à la barre les accusées mais l’avocate a aussi fait appel à des témoins comme Delphine Seyrig, Simone de Beauvoir : «  »On exalte la maternité, parce que la maternité c’est la façon de garder la femme au foyer et de lui faire faire le ménage », un homme politique des plus clairvoyants, Michel Rocard,  le chercheur et professeur Jacques Monod, le professeur Paul Milliez,, médecin et catholique, disant « qu’il n’y avait pas d’autre issue honnête». «Je ne vois pas pourquoi, nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français.»  Ils  sont tous venus témoigner en faveur de Marie-Claire et des accusées en montrant que cette loi injuste était aussi ingérable: toute femme qui ne veut pas avoir d’enfant se fait avorter, même au péril de sa vie.  Mission accomplie et haut la main. Le procès a un retentissement considérable avec de grandes manifestations de rue à Paris… Gisèle Halimi obtient la relaxe pour Marie-Claire, le sursis pour sa mère et la relaxe aussi pour les deux amies complices. Simone Veil, deux ans plus tard, fera promulguer par l’Assemblée Nationale, malgré des torrents d’injures personnelles de certains députés hommes, le droit à l’interruption volontaire de grossesse… Voilà ce que raconte ce spectacle très ancré sur la réalité… Gisèle Halimi défendra aussi en 78, Anne Tonglet et Araceli Castellano, victimes d’un viol collectif: grâce à elle encore une fois, deux ans plus tard, le viol et les attentats à la pudeur n’étaient plus considérés comme des délits mais bien comme des crimes. Ce qui aurait dû être fait depuis longtemps et dont le gent masculine a allègrement profité…

Pauline Bureau s’est appuyée pour écrire ce texte sur une sources des plus sûres: le témoignage de Marie-Claire Chevalier et sur de nombreux livres, documents d’archives et minutes du procès de Bobigny. «Hors la loi, dit-elle, mélange les faits réels tels qu’on les lui a racontés ou tels qu’elle a  lus, ce qu’elle a ressenti de cette histoire sans que cela ne soit jamais clairement dit et ce qu’elle extrapole, laissant libre cours à ses obsessions et son histoire personnelle.» Le procès de Bobigny avait donné lieu à un téléfilm en 2006 avec Anouk Grinberg et Sandrine Bonnaire mais, à notre connaissance, n’avait jamais été porté à la scène. Et cela donne quoi, quand Pauline Bureau s’y met et dirige des acteurs du Français? Une incontestable réussite. On sent que le thème lui a tenu à cœur et qu’elle a mis toutes les chances de son côté en choisissant bien ses collaborations.
D’abord, avec une scénographie exemplaire signée Emmanuelle Roy qui déjà travaillé avec elle à plusieurs reprises. Cela se passe d’abord dans une cuisine triste d’un HLM avec une grande fenêtre sur une cour minable, et on entrevoit deux chambres, puis celle de Daniel. Puis transformation complète avec une rare fluidité pour situer un commissariat, ou plus tard le Tribunal correctionnel. C’est très efficace et là-haut sur son nuage, Guy-Claude François, le scénographe d’Ariane Mnouchkine et qui l’a formée à l’Ecole nationale des Arts Déco peut être fier d’elle. Même choses pour les costumes d’Alice Touvet tout à fait exemplaires : on sent le  tissu de qualité médiocre, la mauvaise coupe, les chaussures bon marché qui font mal aux pieds et le mal-être qui s’en dégage.
 
Côté dramaturgie, le spectacle a un peu de mal à prendre son envol, sans doute à cause de dialogues un peu plats mais la metteuse en scène- et c’était indispensable- situe les choses avec une grande précision. Cela commence avec le récit d’un dame d’une soixantaine d’années (Martine Chevallier) celle qui a été autrefois la jeune Marie-Claire Chevalier, et avec des moments de la vie quotidienne de cette mère (Coraly Zahonero) qui élève seule Marie-Claire et Martine (Claire de la Rüe du Can et  Sarah Brannens),  puis la scène du viol, la relation affectueuse entre la mère accablée et la fille en proie à des vomissements, l’amitié et la complicité absolue de la voisine madame Duboucheix (Danièle Lebrun) qui l’aidera financièrement, l’arrivée puis l’intervention de Madame Bambuck, (de nouveau Martine Chevallier), une faiseuse d’anges assez inquiétante sous un aspect bienveillant. Dont on sent bien que sa présence est à la fois souhaitée et redoutée. Puis la convocation au commissariat de Daniel (Bertrand de Roffignac), interrogé par des flics aussi cyniques que brutaux (Alexandre Pavloff et Laurent Natrella) et leur irruption dans l’appartement en menaçant la jeune fille et sa mère… La réunion d’un comité féministe dans un petit bureau sous les toits où Gisèle Halimi reçoit des paquets avec un petit cercueil noir: ici  tout est dit et sonne juste sans  hyperréalisme et les interprètes (qui jouent souvent plusieurs rôles) dès qu’ils arrivent sur le plateau, sont tous remarquables et absolument crédibles. Grâce à un jeu sobre -aucune criaillerie-  d’une parfaite unité et à une direction d’acteurs exemplaire.

Mais nous avons trouvé la suite encore beaucoup plus forte: elle reproduit en effet l’essentiel de cette lamentable affaire qui n’a pas grandi l’image de la Justice française. Décor de boiserie classique des tribunaux de l’époque la plupart construits au XIX ème siècle.  Juste une barre et un banc pour les prévenus: l’adolescente, sa mère, ses collègues de la RATP et la  femme qui avait pratiqué l’avortement. Avec leur accord, l’avocate transformera vite la défense en  tribune et dénoncera l’injustice de la loi de 1920 interdisant l’avortement. Marie-Claire fut relaxée. Ce procès eut un retentissement considérable. Grâce à Gisèle Halimi et à plusieurs personnalités comme entre autres Michel Rocard, le prix Nobel de médecine Jacques Monod, grâce aussi au Manifeste des 343 dont la grande comédienne Delphine Seyrig… la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse fut adoptée trois ans plus tard…

Dans Mon Cœur (voir Le Théâtre du Blog) autour du scandale du Mediator, Pauline Bureau avait aussi mis en scène  (voir Le Théâtre du Blog), l’histoire exemplaire d’une autre femme, Irène Frachon, ce médecin, lanceuse d’alerte qui avait dévoilé cette sinistre affaire dont avaient profité financièrement pas mal de gens. Ici, le personnage de Gisèle Halimi est incarné avec un jeu exceptionnel par Françoise Gillard. Quelle plaidoirie efficace où chaque mot est pesé. Pas de Président présent mais juste la voix de Laurent Natrella, un peu comme venue d’outre-tombe auquel l’avocate répond parfois avec une belle insolence. Belle idée de mise en scène qui laisse la part belle aux prévenus et aux témoins mais qui renforce aussi la puissance même invisible de la Justice. On voit ainsi à la barre Delphine Seyrig, Simone de Beauvoir apporter leurs témoignages et revendiquer comme Gisèle Halimi, être des hors-la-loi. Là aussi quels textes ! Et Michel Rocard, avec juste ce qu’il faut de caricature de sa fameuse diction, vient défendre admirablement la cause des femmes. Dont cinq mille mortes chaque année dans notre pays! des suites d’un avortement sans véritable stérilisation. Il y a enfin comme le professeur Monod ( Alexandre Pavloff) qui explique en détail sa position quant à la conscience du fœtus. Tout cela  avec une grande dimension politique, alors que le Président et le Procureur posent des questions banales, voire déplacées…

 On sent assez vite aussi que le Président va être dépassé par les événements et que la loi qu’il défend à tout prix, n’en a plus pour très longtemps à faire des ravages humains. Et pour une fois, les images vidéo de Nathalie Cabrol, celles des manifs de l’époque pour le droit à l’IVG sont d’une rare efficacité, comme l’envahissement des murs par les 343 noms projetés sur les murs des 343 femmes qui avaient signé le fameux manifeste…

Les procès historiques ont souvent été mis en scène au théâtre, notamment ceux de la Révolution de 1789. Mais aussi ceux qui ont trait aux grandes causes de la vie en société et aux rapports de dominant à dominé, à partir d’une histoire authentique qui a fait date dans l’Histoire. Ici, on a droit à une sorte d’avant Me Too… il y a encore en France des réactionnaires qui sont contre le droit à l’avortement, comme François-Xavier Bellamy, très à l’aise contre le droit à l’I.V.G : «  »Une conviction personnelle que j’assume ». Sans commentaires… Et en Pologne, pays encore dominé par l’Eglise catholique, ce n’est pas mal non plus : le nombre d’avortements légaux est passé d’environ 130. 000 dans les années 1980, à moins de 2. 000 dans les années 2010 : les Polonaises ont en effet recours à des avortements par pilule importées ou par opération clandestine, ou  encore vont à l’étranger… L’histoire bégaie. Et l’Alabama a adopté le 15 mai dernier un texte très restrictif sur l’avortement, même s’il a de fortes chances de ne jamais pouvoir être appliqué. Et d’autres Etats américains comme le Missouri ont déjà voté pour une limitation des  I.V.G.

Hors la loi est sans aucun doute un des meilleurs spectacles de la Comédie-Française depuis longtemps et le meilleur aussi créé cette saison et même s’il est un peu long (plus de deux heures), on ne s’ennuie jamais et il a été chaleureusement applaudi, toutes générations confondues. Et il peut agir comme une piqûre de rappel : aucun droit, nous le savons, n’est définitivement acquis, même en France, le pays des Droits de l’homme et donc de la Femme… Mais la salle est petite et Hors la loi ne se joue pas longtemps, mais on peut espérer que cette pièce fera l’objet d’une reprise et pourra aussi être vue en direct dans des cinémas comme d’autres de la Comédie-Française. Elle le mérite amplement.

Philippe du Vignal

Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier (Paris VI ème). T. : 01 44 58 15 15

 Le texte de la pièce paraîtra aux éditions Actes Sud-Papiers.

 

Odyssée, d’après Homère, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle

 

Odyssée, d’après Homère, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle

© Blandine Soulage

© Blandine Soulage

Avec la création d’ Iliade  et Odyssée,  (voir Le Théâtre du blog),  Pauline Bayle, a remporté l’an dernier le prix de la Révélation théâtrale  du syndicat de la critique. Iliade avait été invité en tournée et a connu un vif succès;  le directeur de la MC2 de Grenoble, Jean-Paul Angot lui proposa alors d’en réaliser la suite. Et il y a trois ans, la jeune actrice et metteuse en scène créa donc Odyssée, en adaptant ce récit composé en douze mille cent neuf vers et divisé comme L’Iliade en vingt-quatre chants. Cette épopée raconte le retour à Ithaque, contrarié pendant dix ans par des aventures extraordinaires, d’Ulysse héros prestigieux et fascinant de L’Odyssée : « Le héros aux mille expédients qui tant erra…, qui visita les villes et connut les moeurs de tant d’hommes ».   

On peut voir ici les deux spectacles à la suite et on retrouve avec plaisir dans chaque mise en scène, cet esprit singulier et contemporain caractérisé par la même esthétique  épurée et intemporelle… Aucune référence à l’Histoire sur le plateau et rien non plus de réaliste. Mais une belle utilisation métaphorique des objets : seaux, corde, sang, feu … pour mettre en vie les situations tragiques vécues par Ulysse, qu’elles soient violentes comme la guerre, ou plus poétiques, comme le retour à Ithaque, sa petite île : «Voir ne fût-ce que la fumée s’élevant de sa la terre… tant il est vrai que rien n’est plus doux que la patrie et les parents.» et son amour pour Pénélope…. A noter entre autres,  dans cette adaptation, l’emploi fort subtil du mot: étranger à la place de hôte.

Et les cinq jeunes comédiens profèrent le texte avec vitalité, malice et émotion, en changeant sans cesse de personnage féminin ou masculin. Et cela fonctionne! Ici, le texte est concentré avec finesse sur des  extraits surprenants d’actualité: toujours et encore les guerres dévastatrices, les complots politiques, l’exil, l’identité, la peur… jaillissent sans détour, laissant le public émerveillé et ému par ce récit des temps lointains mais soudain si proche de nous.

Pauline Bayle réussit là une adaptation exemplaire, en laissant briller cette épopée sans aucune musique, artifice, vidéo, costumes « d’époque » (tous les acteurs sont en jeans et T-shirt). Seule s’impose dans toute sa clarté et sa pérennité, L’Odyssée,cette épopée grecque composée, semble-t-il, après L’Iliade, vers la fin du VIII ème siècle av. J. C…

Elisabeth Naud

Iliade + Odyssée, (les deux parties peuvent être vues ensemble ou séparément), La Scala 13 boulevard de Strasbourg Paris (Xème). T. : 01 40 03 44 30, jusqu’au 2 juin.

For Four Walls et Jour de colère par le Ballet de Lorraine

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© Laurent Philippe

Petter Jacobsson exerce, depuis 2011, la direction du Centre Chorégraphique National à la suite de Didier Deschamps. Après avoir été directeur artistique du Ballet Royal de Suède à Stockholm, il hérite, en binôme avec Thomas Caley, d’une structure issue d’une longue histoire.  Ce fut, sous le nom de  Ballet Théâtre Contemporain, la première compagnie permanente décentralisée dédiée à la création. Installée d’abord à Amiens puis à Angers, et rebaptisée Ballet de Lorraine, la troupe s’est fixée à Nancy il y a cinquante ans et a été labellisée Centre Chorégraphique National en 1998.

Petter Jacobsson a dansé du classique pendant des années, avant de travailler aux États-Unis avec Twyla Tharp et Merce Cunningham. Par sa connaissance intime de cet art, qu’il a abordé sous tous les aspects, il a pu, depuis huit ans, fédérer le public autour des différentes approches de la danse. Il clôture sa saison avec des créations : l’une confiée à Olivia Granville, l’autre dont il assure la chorégraphie avec son complice  Thomas Caley depuis vingt-cinq ans  et qui fut premier danseur de 1994 à 2000  à la Merce Cunningham Dance Company. Ces pièces ont en commun  la redécouverte de partitions oubliées, jouées en « live »au milieu des vingt-quatre danseurs de la troupe.

 

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© Laurent Philippe

For Four Walls Chorégraphie de Petter Jackobsson et Thomas Caley

Cette création, dédiée au centenaire de Merce Cunningham, trouve sa source dans une partition de John Cage, la première de sa longue collaboration avec le chorégraphe américain, racontent Petter Jacobsen et Thomas Caley :  «  La pièce originale, Four Walls, était une création dramatico-chorégraphique sur un texte et une chorégraphie de Merce Cunningham, et une musique pour piano et voix. Après une unique performance en 1944, elle a été perdue et oubliée. » Pour le compositeur, qui ne s’est pas reconnu en la réécoutant des années plus tard, l’œuvre préfigurait Philip Glass et Steve Reich : « C’est plein de passages répétés, tout est écrit pour les notes blanches du piano, c’est en sol majeur et la musique ne s’arrête jamais », dit-il.

Au piano, Vanessa Wagner, «Révélation» aux Victoires de la musique 1999, règne gracieusement sur un plateau vide. Deux miroirs placés en diagonale depuis cour et jardin, se rejoignent à angle droit, au centre du fond de scène, de manière à réfléchir le corps de la soliste en quatre exemplaires. Illusion d’optique qui persistera jusqu’au vertige, quand les vingt-trois danseurs investiront le plateau et se démultiplieront ainsi. En parfaite symétrie, les artistes se placent en une diagonale qui va bientôt s’atomiser dans l’espace. Selon la partition, on n’utilise que les touches blanches du piano et tout repose sur des contrastes : fort et doux, haut et bas, auxquels s’accordent  les costumes, alternant noirs, blancs et gris, et les lumières d’Eric Wurtz projetant au sol des découpes d’intensité variée.

La chorégraphie dialogue avec la musique : du vide où les interprètes dansent seuls avec leur reflet, au plein, où le plateau accueille un essaim vibrionnant, à l’infini de ce miroir magique. A d’autres moments, les danseurs sortent de scène mais leur image persiste sur les miroirs… Ou ils passent de l’autre côté, avalés par le noir des lointains. En trente-cinq minutes, l’espace en perpétuelle transformation selon les éclairages et la position des glaces, mute d’un monde incertain et illimité, à la banalité d’un studio de danse… Les artistes sont partout et nulle part, seuls ou ensemble. Insaisissables.

«C’est une pièce de jeunesse, pleine d’émotions contraires et très intimes», estiment les artistes qui signent aussi la scénographie. La musique comme le peu que nous savons de la danse, apparaissent vraiment comme des prémices du duo Merce Cunningham/John Cage. » Quant au duo  Petter Jacobsson / Thomas Caley, il nous livre une pièce vertigineuse, une rêverie autour de la musique dont toutes les nuances exprimées par la pianiste se retrouvent dans les apparitions et disparitions des danseurs.  Leurs mouvements sont tantôt lents et comme suspendus, tantôt effervescents comme un chœur fluctuant qui se ressaisira pour une ultime intervention vocale, après plusieurs fausses fins. Un hommage en toute liberté :  « Nous n’envisageons pas For Four Walls comme une recréation de la pièce originale perdue mais comme une réfraction en lien avec son histoire et notre histoire avec Merce.»  

©laurent Philippe

©laurent Philippe

Jour de colère, chorégraphie d’Olivia Granville, musique de Julius Eastman

Olivia Granville varie les plaisirs, toujours surprenante et articule ses pièces autour du langage et du phrasé, qu’il soit musical, verbal ou dansé. Nous avions vu et aimé son Cabaret discrépant sur des textes d’Isidore Isou, et Combat de carnaval et Carême, d’après Peter Brueghel l’Ancien (voir Le Théâtre du Blog).
Elle nous emmène, cette fois, dans l’univers sonore de Julius Eastman (1940-1990), compositeur afro-américain mort du sida dans la misère et injustement oublié.  Sa musique minimaliste, chargée d’une énergie rock, accompagnait son combat d’artiste noir et gay. Avec Evil Nigger (Mauvais Nègre), interprété par Melaine Dalbert (piano) et Manuel Adnot (guitare), on entend la voix du compositeur enregistrée en prélude à l’un de ses concerts. La feuille de salle nous en donne la traduction : « Contrairement à la musique romantique ou classique,ces morceaux sont une tentative de faire qu’ici chaque mouvement contienne toutes les informations du précédent. »

La chorégraphie traduit ce mouvement permanent et collectif mais chaque danseur s’individualise avec des comportements propres et récurrents et les costumes ont une forme et des couleurs différentes. Nous y retrouvons l’énergie combative de la partition et les gestes du labeur et de la révolte : « J’emploie le mot « nigger“ car il possède pour moi un caractère basique. C’est sur les premiers nègres, ceux qui travaillaient dans les plantations que s’est construite notre grande, notre exceptionnelle économie américaine», poursuit la voix.  Par petits groupes ou seuls, les vingt-et-un danseurs investissent le grand plateau. Ils traversent les diagonales délimitées par des rideaux à lanières et des découpes de lumière au sol.  Mouvements nerveux et précis, poings levés, bonds secs et répétitifs. Après une dispersion du groupe, deux hommes s’attardent pour un baiser furtif. Rappelant ainsi que, dans “guérilla“, il y a “gay“, et que les luttes s’additionnent : «J’utiliseble titre Gay Guerrilla dans l’espoir que cela arrive un jour et de l’incarner», entendons-nous.
Olivia Granville impulse à la compagnie un élan vital, soutenu par un dialogue tendu entre les instrumentistes, placés à distance l’un de l’autre, dans la pénombre des rideaux.
 
Mireille Davidovici

Spectacle vu le 26 mai à  l’Opéra National de Lorraine, Nancy (Meurthe-et-Moselle).

For Four Walls
: le 4 octobre, Teatro Grande, Brescia (Italie) ; le  6 octobre, Cankarjev dom, Ljubljana (Slovénie) ; les 12, 13, 15 et 16 octobre, Théâtre national de Chaillot/Festival d’Automne à Paris; les 24, 25 et 26 octobre, Royal Opera House, Londres (Grande-Bretagne).

Les  3 et 4 décembre, Théâtre du Beauvais.
Le 30 janvier, L’Arsenal, Metz.
Le 25 février Le Lieu Unique-Cité des Congrès, Nantes ( Loire-Atlantique).


Jour de Colère

Le 30 janvier,  L’Arsenal , Metz ; le 25 février,  Le Lieu Unique-Cité des Congrès, Nantes.

Le 15 juin, en clôture du Festival June Events à Paris, le C.C.N.-Ballet de Lorraine présentera Transparent Monster de Saburo Teshigawara et Flot de Thomas Hauert.

La Fiancée du Vent de Rafaël Toriel, mise en scène de Sophie Bélissent

 

La Fiancée du Vent  de Rafaël Toriel, mise en scène de Sophie Bélissent

C’est l’histoire des amours tumultueuses de Leonora Carrington (1897-2001), jeune peintre et écrivaine anglaise et de Max Ernst (1891-1958), grand peintre allemand surréaliste… Trois années de passion, de création et de séparation de 1938 à 1940. On voit d’abord le peintre (Rémi Pous) devant son chevalet. Leonora ( Julie Manautines) s’approche : »Pourquoi m’as tu abandonnée ?  Tu m’as laissée dormir seule ! ». Il lui répond, « Fais-moi plaisir, retournes au lit. » Mais il finit par l’étreindre: « L’alcool n’a pas le même effet sur toi que sur moi ! Que pourrais-je peindre d’autre que toi, quoi que tu dises, ça va se retourner contre moi… ».

Ils  dansent un petit ballet à deux, il la porte à bout de bras. « Un juif nazi, il n’y en a pas, c’est antinomique, je ne suis pas là, je suis toujours en train ! » Ils sont à présent séparés par un rideau lamé. « J’ai réussi à laver le monde du mal (…) « J’ai un don, celui de pouvoir quitter cette prison dès que je le veux ! » Elle le provoque, il la rejette. « Tu es Max, je suis Josée… » « La danse contemporaine, dit Sophie Bélissent, est pour moi l’art de la ponctuation corporelle. En effet, un texte est habité par la ponctuation, l’acteur l’utilise pour dessiner son travail d’interprète :les respirations, les enjeux, les astuces et les solutions à nos questionnements. La danse contemporaine, elle, vient s’asseoir à côté de chacun de nous comme une respiration indispensable à une lecture universelle. Le Théâtre amène une émotion forte par le texte et le jeu de l’acteur, la danse va faire glisser l’émotion dans le corps et ne jamais la traduire autrement.Il s’agit d’amener une lecture multiple pour que le spectateur voyage au-delà de l’établi. De quelque chose de douloureux (la guerre,la séparation, l’absence, lafolie) vers la réalisation du grand (Ecrire  l’histoire et Vivre)

Il lui fait une piqûre qui la calme.Après ces trois ans de passion tumultueuse, Max Ernst, antinazi et pacifiste, sera incarcéré et libéré à deux reprises. Mais Leonora ne supportera pas la deuxième séparation en mai 1940 et sombrera dans la folie… Puis quittera la France pour le Mexique où elle se mariera et aura deux enfants.
Un spectacle à voir surtout pour le jeu des comédiens qui savent mettre en valeur cette histoire d’amour cassée par la guerre entre deux pays voisins. Une excellente piqûre de rappel pour les jeunes gens qui ont le même âge que les protagonistes… Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais il n’y a même pas un siècle…

Edith Rappoport

Théâtre de l’Epée de Bois,  Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. :  01 48 08 39 74

La nouvelle saison au Théâtre national de la danse de Chaillot

La nouvelle saison au  Théâtre national de la danse de Chaillot

  La salle Gémier entièrement refaite, des accès plus faciles à la fois pour le public et les techniciens: Chaillot a connu une profonde mutation il y a deux ans. Cette saison, comme les précédentes est surtout orientée sur la danse…  «Un désir profond, pressant, d’autre chose, non encore formulé, traverse toute la société dit Didier Deschamps, son directeur. De nouvelles voies sont à inventer sans peur de l’inconnu mais en restant vigilant quant au principe démocratique, aux libertés et à la pluralité des expressions. Ce besoin vital de réenchanter nos vies, de dessiner de nouvelles utopies, de construire des modalités inédites du vivre-ensemble sont intrinsèquement à l’œuvre dans la démarche et la création des artistes. Ceux-ci, à leur manière, sont toujours les témoins du monde et nous alertent sur les grands enjeux qui nous font face. »

©olivier Houeix

©olivier Houeix

Il y aura d’abord Philippe Decouflé un habitué des lieux qui, avec plus de quarante danseurs, acrobates et comédiens, retracera dans Tout doit disparaître les séquences les plus mémorables de ses spectacles, et cela d’un espace à l’autre de Chaillot, y compris escaliers, Paris, etc. . Et événement exceptionnel ; Chaillot avec le Festival d’automne à Paris et le Théâtre de la Ville, célèbrera le centième anniversaire de la naissance de Merce Cunningham avec le Ballet de Lorraine (voir Le Théâtre du Blog), le Ballet de l’Opéra national de Paris, le Royal Ballet de Londres et l’Opera Ballet Vlaanderen. Et quatrième édition de la Biennale d’art flamenco En avril et mai,  nouvelle pièce de José Montalvo . A notre aussi un rendez-vous avec la Trisha Brown company. La chorégraphe disparue il y a trois ans a laissé des pièces-culte dans l’histoire de la danse contemporaine et aura influencé de nombreux artistes. On retrouvera Set and reset créé en 1983 avec les images de Robert Rauschenberg et la musique de Laurie Anderson, et Forey Forêt avec la musique au choix d’une fanfare locale et Groove and Countermove sur une partition de jazz de Dave Douglas.
Et la Saison Africa 2020, initiée par l’Institut français, avec deux séquences ; la première en juin fera dialoguer danse et littérature. Le chorégraphe burkinabé Salia Sanou avec Nancy Huston, et la franco-sénégalaise Germaine Acogny (voir Multiples in Le Théâtre du Blog), puis la chorégraphe et comédienne Daniella Sanou adaptera le roman de Maryse Condé Moi Tituba sorcière, récit de la vie de cette fille d’esclave née à la Barbade, devenue domestique aux Etats-Unis qui sera jetée en prison pour sorcellerie…

©magda Hueckel

©magda Hueckel

Côté théâtre, après sa magistrale évocation d’A la Recherche du temps perdu, Krzystof Warlikowski, mettra en scène On s’en va du dramaturge israélien Hanoch Levin dont il avait déjà monté Kroum l’ectoplasme. Un texte des plus virulents qui fait écho à la situation politique actuelle de la Pologne…
Passée cette nouvelle saison, Chaillot, si tout va bien, devrait connaître une nouvelle et importante phase de travaux, avec le remplacement des gradins de la salle Jean Vilar dont la mobilité a en fait très peu servi pour recréer une immense scène/salle… Notamment avec le fameux Lapin-Chasseur de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps  et pour La Trilogie des dragons de Robert Lepage… La reconstruction en béton de ces gradins permettrait de créer au-dessous un bel espace de répétitions pour les spectacles, en danse comme en théâtre, ce qui manque cruellement dans cet immense bâtiment.

Philippe du Vignal

Chaillot-Théâtre national de la Danse, 1 Place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T. : 01 53 65 30 00.

 

La Cour aux Ados : festival national des écritures dramatiques pour adolescents

La Cour aux Ados : festival national des écritures dramatiques pour adolescents

b1r0gBMxLa Maison du Geste et de l’Image, lieu de rencontre entre enseignants et artistes met en lien des jeunes avec la pratique artistique, sous l’égide de la Ville de Paris. Depuis septembre 2018, Marie Stutz en a pris la tête à la suite d’Evelyne Panato. Elle est aujourd’hui partenaire d’un nouveau festival, La Cour aux Ados, piloté depuis Clermont-Ferrand par le Théâtre du Pélican. Sont aussi parties prenantes de l’aventure : La Minoterie (Dijon), le Théâtre des Ilets (Montluçon), La Maison-Théâtre (Strasbourg), le festival NovAdo (Rodez), L’Espace 600 (Grenoble), La Coloc’ de la culture (Cournon-d’Auvergne) et le Conservatoire de Clermont-Ferrand.

Cet ambitieux  projet a été lancé par Jean-Claude Gal, directeur artistique du Théâtre du Pélican, Centre de création et d’éducation artistique pour l’adolescence et la jeunesse. L’objectif de ce passionné de théâtre a toujours été de  «donner la parole à la jeunesse à travers les écritures d’aujourd’hui ».  Depuis 2004, il a invité une trentaine d’auteurs en résidence, en Auvergne et chez ses partenaires, pour écrire sur des grands thèmes comme l’amour, les origines (d’où venons-nous ? Où allons nous ?), l’engagement des jeunes… Dernièrement, neuf  écrivains dont Marine Auriol, Claire Rengade, Dominique Paquet, Ronan Mancec, Jean-Pierre Cannet et Claudine Galea, ont planché sur les nouvelles mythologies (quels sont les héros d’aujourd’hui ?) Les textes ont été mis en scène et ont paru, rassemblés, aux éditions Théâtrales sous le titre : Nouvelles Mythologies de la jeunesse.

 Jean-Claude Gal publie lui Un Théâtre des adolescents, un épais recueil de ses expériences au Théâtre du Pélican de 2004 à 2018. Abondamment illustré, l’ouvrage témoigne de l’alchimie créatrice entre les écrivains « éveilleurs sur les territoires de l’esprit » et les jeunes « ces passeurs de monde ».  L’auteur explique comment, au fil du temps, s’est constitué un répertoire théâtral écrit avec et pour eux qu’ils ont aussi porté à la scène. Un répertoire à l’usage également des générations futures, l’adolescent n’étant qu’un oiseau de passage dont l’imaginaire exalté s’ouvre à toutes les utopies comme à toutes les dérives…  Ce livre constitue en tout cas un puissant plaidoyer en faveur de l’éducation artistique et ouvre de nombreuses pistes de travail  aux éducateurs et professionnels des arts … Celui qui «se bat au quotidien pour qu’il y ait des jeunes qui viennent au théâtre» veut « laisser une trace de ce sillon tracé pour véhiculer la force et l’engagement de la jeunesse » , souvent malmenée et consommatrice mais capable aussi de penser sa relation au monde à travers ses troubles, désirs et interrogations.

La Cour aux Ados 2020

hJwlX8SNJeunesse et Philosophie en sera le thème avec neuf auteurs qui seront reçus chez les différents partenaires de ce festival. Catherine Benhamou, en souvenir de l’état amoureux de son adolescence, se demande si:  «être, c’est être aimé ». Fascinée par la « furiosité » des jeunes gens, Solenn Denis aborde la question du bonheur  et avec Lève ta garde, Gilles Granouillet philosophe par le biais de la boxe.  A quoi, à qui, et comment croire ? Tels sera le propos de Sébastien Joanniez, entre mensonge et vérité.
 Pour Sylvain Levey, l’ordre, c’est le conservatisme et désobéir ouvre parfois la voie de la liberté.  Ronan Mancec met en scène des géographes amenés à dessiner une nouvelle carte du monde et à résister face aux pouvoirs établis : dans cet optique, peut-on échapper à la figure du héros ? Selon Nadège Prugnard, le : « Je suis » devrait devenir : « Je suis toi et moi », en écrivant un «je »  pluriel pour explorer et exploser nos identités face aux problématiques migratoires . La Beauté sous toutes ses facettes est au cœur du texte de Gwendoline Soublin.

Enfin, Dominique Paquet, en ambassadrice des écrivain(e)s embarqué(e)s dans cette aventure, présente son projet. Sa longue pratique d’auteure en direction de la jeunesse et d’animatrice d’ateliers-philo lui fait dire qu’elle «philosophe, à auteur d’enfant ».  Elle cite Gaston Bachelard : « Si on veut connaître la pomme, il faut entrer dans la pomme » et  résume: «Je cherche à entrer dans un corps d’enfant fictif, à retrouver ses sensations et ses questions. Son étonnement  quand, à trois ans et demi, l’enfant demande : “Où j’étais avant de naître, et où je serai après ? »

Elle a pu voir, lors de rencontres avec des classes-relais et des enfants peu scolarisés, combien chez certains, les chaînes de causalité faisaient défaut et à quel point pour eux, l’Autre n’existait pas ; ils chosifiaient le monde dans un rapport utilitaire à autrui. Or, on devient humain par la reconnaissance de l’altérité à travers les conflits. Comment faire société, si la décence commune s’effrite ? Sur les pas de Wilhelm-Friedrich Hegel, Friedrich Nietzsche et Emmanuel Lévinas, Dominique Paquet va tenter par la langue, de réveiller la pensée. Sémantique et étymologie seront ses outils, face à la cacophonie contemporaine et au manque de mots pour dire …

 On pourra voir et entendre ces «manifestes  de la jeunesse»  au printemps prochain en Auvergne, joués par des jeunes venus de plusieurs régions.  La Cour aux Ados 2020 veut donner un coup de projecteur sur les initiatives, souvent peu visibles, de  tous ceux qui sont engagés dans l’éducation artistique en y associant aussi metteurs en scène, écrivains, éducateurs et éditeurs. 

 Mireille Davidovici

Le 16 mai, Maison du Geste et de l’Image,  42 rue Saint-Denis Paris (Ier). T. : 01 42 36 33 52

La Cour aux Ados, du 31 mars au 5 avril, Théâtre du Pélican, 12 rue Agrippa d’Aubigné, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) T. : 04 73 91 50 60.

Un Théâtre des adolescents (tome II) de Jean-Claude Gal est publié aux Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand.

 

Héloïse ou la rage du réel, conception et texte de Pauline Laidet et Myriam Boudenia, mise en scène de Pauline Laidet

Théâtre en mai, trentième édition, Théâtre Dijon-Bourgogne/Centre Dramatique National.

 Héloïse ou la rage du réel, conception et texte de Pauline Laidet et Myriam Boudenia,  mise en scène de Pauline Laidet.

Crédit Photo : Vincent Arbelet

Crédit Photo : Vincent Arbelet

1970: enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse américaine, William Randolph Hearst. Un fait-divers qui inspira Citizen Kane à Orson Welles et  quarante-huit ans plus tard, Pauline Laidet et  Myriam Boudenia… A la stupéfaction générale, les ravisseurs de l’Armée de Libération Symbionnaise, des activistes d’extrême-gauche, conduisent  la victime à se rallier à la cause de ses bourreaux (le fameux syndrome de Stockholm).  Jusqu’au procès où elle plaidera  qu’elle a subi un lavage de cerveau…

Ici, l’auteure et la metteuse en scène transposent l’histoire en France de nos jours, éludant le théâtre documentaire et ralliant la fiction contemporaine. Elles étudient les questionnements de la jeunesse, son engagement politique dans la Cité ou sa volonté de s’en exclure. Que signifierait aujourd’hui la prise en otage de la fille d’un riche industriel? Qu’en seraient les répercussions dans notre monde morcelé où règne l’information en continu ?

Troubles et peurs, cris et chuchotements : l’angoisse de l’otage, avec ici, un enlèvement brutal à la vue du public, par un groupuscule de jeunes illuminés aux masques de loup, est partagée par  un public choqué et comme giflé par cette soumission. Cette violence sociale et intime provoque un effet de sidération que la mise en scène met en lumière avec efficacité et précision.  Exaltation des ravisseurs, pleurs et souffrance de la jeune femme : le cauchemar est vécu, ici et maintenant, le temps même de la représentation. Héloïse ou la rage du réel interroge de manière subtile, les notions de domination, soumission et servitude volontaire mais aussi celles d’héroïsme et de courage, à travers l’absurdité d’un monde où seraient autorisées, comme incontournables, les exactions des puissants contre les faibles.

Comment décide-t-on de passer à l’acte? Peu à peu, près de leur otage, l’image des bourreaux se nuance, même si ces insurgés sont «des animaux égarés dans un monde qui leur est étranger et incompréhensible», telle une «allégorie de l’imprévisible tapi dans l’ombre de notre masque social …»  Un rappel du Loup des steppes (1927) d’Herman Hesse. Et la Steppe, comme se nomme justement ce groupe activiste, ne revendique rien, sinon, face au monde, un nouveau regard, une réflexion raisonnée et sensible. Voici et contre toute attente, Héloïse radicalisée et adoptant le prénom d’Angela, symbole de revendication et de rébellion liées à la figure politique d’Angela Davis.

 Cette conversion de l’héritière modifie les rapports de force tandis qu’à l’extérieur, sévit un emballement populaire médiatique pour l’égérie. La communauté des ravisseurs veut   mettre fin à la puissance socio-politique mais reproduit malgré elle, un système hiérarchique de pouvoir. Avec trois étapes : l’enfermement, la cavale et la plaidoirie. Mais ces autonomes ont des convictions trop fragiles face à l’omnipotence des dominants et les faits sont réinterprétés et récupérés par la force politico-médiatique du néolibéralisme.

Sept beaux comédiens donnent corps à la révolte : Anthony Breurec, Logan de Carvalho, Margaux Desailly, Antoine Descanvelle, Etienne Diallo, Tiphaine Rabaud-Fournier, Hélène Rocheteau, accompagnés par la pianiste et chanteuse Jeanne Garraud. Ils incarnent une volonté d’agir et de s’engager, une rage d’en découdre, jouant ainsi de leur singularité et se glissant dans un mouvement plus collectif. Celui d’une chorégraphie dont l’énergie créative se renouvelle : ils courent sur le plateau, s’accordant des pauses puis actifs et unis, se jetant sans remords dans des batailles physiques et verbales..

 Ce chœur porte en étendard une violence désignée comme arme ultime et présage finalement de la bonne santé de la jeunesse face à l’art du théâtre qui se doit de faire l’éloge de ses vertus, à la fois politiques et poétiques. La vivacité d’Héloïse ou la rage du réel rappelle au spectateur l’état d’un monde à améliorer d’urgence, déstabilisé par les convictions et les valeurs de quelques-uns.

 Véronique Hotte

Théâtre en mai du 23 mai au 2 juin.

Héloïse ou la Rage du réel, a été joué du 25 au 27 mai au Théâtre Dijon-Bourgogne.
Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, du 13 au 16 novembre.

Théâtre de Vanves, le 17 janvier.

 

 

 

Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

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Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

Créé il y a deux ans, le spectacle déjà joué un peu partout, est parfaitement rodé.  La metteuse en scène, par ailleurs réalisatrice de films documentaires, travaille à partir d’entretiens. «Mon désir de théâtre a toujours été lié, dit-elle,  à celui de l’enquête, au croisement de la grande et de la petite histoire. Dans Où vas-tu Pedro?, j’ai interrogé, avec l’auteur Manon Moreau, des petits-enfants de Républicains espagnols et j’ai travaillé sur la guerre d’Espagne; dans Babel, j’ai interrogé des jeunes gens issus d’une double culture et sur la question du plurilinguisme. Dans Nous ne sommes pas seuls au monde, j’ai interrogé une jeune femme française d’origine sénégalaise et j’ai travaillé sur l’amour et la langue maternelle. »

  »Ici, des entretiens que j’ai faits avec une amie très chère, aujourd’hui âgée de quatre-vingt treize  ans, prennent la forme de conversations souvent lors d’un repas, pendant lequel je laisse tourner le magnétophone. Elle me décrit les arbres généalogiques, montre de vieilles photos. Elle me donne à lire des articles de journaux et des textes qu’elle a écrits. » Bref,  il y a là une riche matériau de presque un siècle de vie à la fois intime et national dont il a fallu faire un montage. 

 Sur le plateau, dans le fond une petite cuisine en longueur fermée de grandes vitres, avec des chaises et une table en stratifié rouge des années soixante, un petit frigo et un four.. Deux jeunes femmes dégustent des carottes râpées. Et devant cette cuisine, une surface juste éclairée à chaque bout par deux tubes fluo blanc. Avec de grandes photos en noir et blanc, elles vont composer une sorte de mémoire de l’art occidental: des détails d’une sculpture de Michel-Ange, des peintures de Giotto, des photos d’anthropologie ou de famille… Une sorte d’espace saturé, comme peut l’être la mémoire reconstituée d’une très vieille dame qui a encore toute sa tête comme on dit, et qu’on entendra aussi, très émouvante en voix off par moments… Mais cet espace fait-il sens comme le voudrait Elise Chatauret?  Pas sûr du tout : cet « atlas composé  transforme l’espace, le sature de signes et offre un point de vue complexe et non sur la situation de départ et récit donné à entendre.» Mais l’assemblage, assez réussi sur le plan plastique,  prend du temps et ralentit donc la mise en place du spectacle à base de collages qui se veut non linéaire. Il a donc un peu de mal à débuter et cet «espace duel», revendiqué comme tel, ne fonctionne pas très bien. Sans doute victime d’une accumulation de signes…  
Mais bon, on fera avec, et l’essentiel est que nous ayons accès aux paroles souvent fabuleuses, celle de l’histoire toute simple d’une vieille dame exceptionnelle, une ancienne professeure,  aux  analyses d’une rare virulence : «Tu vois: être bourgeois, c’est avoir le sentiment que l’argent donne des droits, je ne ferai jamais partie de ces gens-là. Moi, j’ai la chance de n’être rien, de ne même pas savoir d’où je viens et je trouve ça formidable. Tu sais, je m’aperçois que je suis formée et déformée par le sentiment de la lutte des classes. Souvent quand j’parle de la lutte des classes, on me dit que d’la bêtise, que ça n’existe pas. » 

Elle est aussi magnifique quand elle parle la guerre atroce et des bouleversements qui détruit tout : les hommes, villes, maisons, civilisations et quand elle parle de l’amour physique. Elle raconte son amour pour Hervé son mari, ses trois enfants et toujours en filigrane, apparaît la figure de se mère qui la confia, elle et sa sœur nées d’un d’amour avec un homme marié, à sa grand-mère qui les éleva. Cette mère qu’elle arriva ensuite- elle avait déjà soixante ans- à retrouver mais la rencontre ne fut pas un succès. Elle se souvient et  parle sans amertume de la vieillesse, de la dégradation de son corps avec des mots parfois crus, de la perte douce mais inexorable de sa mémoire, de la peur d’oublier le nom des gens, des rues,  des images qu’elle a dans la tête et essaye de se souvenir de telle équation. Elle accepte, mais comment faire autrement, d’être un peu physiquement handicapée. Mais, malgré tout avec sagesse. Et elle a cette belle phrase : «Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de ce qui est là, maintenant en train de se produire. » Je ne suis déjà plus de votre monde. (…)Vous marchez trop vite, vous êtes plein de soucis. Vous êtes pressés, fatigués, occupés. Je m’accroche mais je suis larguée. «J’ai vécu comme une teigne, je mourrai comme une teigne, bien accrochée. »

Et quand, s’appuyant sur ses cannes, elle arrive sur la scène, aidée par les jeunes actrices,  du premier rang  de la salle, l’émotion envahit le public. En fait, comme une projection de texte le précisera ensuite, c’est une des personnes âgées qui l’incarnent en alternance chaque soir. Le spectacle a des défauts de rythme et on reste un peu sur sa faim mais qu’importe, Justine Bachelet et Solenne Keravis, parfois accompagnées par l’altiste Julia Robert, sont impeccables. Nous nous laissons emmener dans cette promenade historique de cette vieille dame qui a tellement de souvenirs à partager, à la fois intimes mais aussi collectifs.Rien, écrivait déjà Plutarque, n’est plus capable que la mémoire, de féconder et nourrir l’esprit.

Philippe du Vignal

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National  du Val-de-Marne, 1 Place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine, jusqu’au 28 mai. T. : 01 43 90 11 11

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Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 Un rendez-vous annuel attendu avec, pendant plus d’un mois, un éventail de spectacles,  écho de la vitalité de la danse actuelle et de ses multiples formes. Héritières du Concours de danse de Bagnolet, ces Rencontres dirigées depuis 2002 par Anita Mathieu, sont nomades par essence et accueillent cette année vingt-trois compagnies dans une quinzaine de théâtres du département : de  Montreuil à  Pantin, de Romainville à Saint-Ouen ou Bobigny… Au menu : des solos, des ballets (le Ballet suédois Cullberg), une chorégraphie de François Chaigneau pour les Norvégiens de Carte Blanche, des performances … Des artistes venus d’Iran, du Brésil, de Belgique ou de Suisse… Professionnels et publics  viennent nombreux découvrir cette programmation.

La Dynamo de Banlieue Bleues proposait cette semaine une série de petites formes en accord avec son audacieux festival, voué depuis trente-six ans  aux musiques actuelles, à la pointe du jazz et des groove du monde entier et qui met à l’honneur la jeune création.

 aCORdo, chorégraphie d’Alice Rippol (Brésil)

69C59009-7ED0-4246-A9DB-4BD09413C5F3 A l’occasion d’une exposition sur les traces laissées à Rio de Janeiro par la Coupe du monde de football,  Alice Rippol a choisi de montrer les habitants repoussés aux marges de la ville : «Notre organisation sociale permet d’ignorer l’existence de certains d’entre nous : celui qui vient réparer votre chauffage, faire le ménage dans  le bureau… aCORdo expose leur invisibilité… », dit la chorégraphe qui travaille depuis 2007 avec de jeunes danseurs issus d’une favela carioca. Le collectif qu’elle dirige a composé plusieurs pièces qui circulent dans le monde, dont aCORdo et Circa programmé plus tard dans le festival*.

Les quatre danseurs, affalés sur le sol, corps contre corps, commencent  une longue et lente avancée : s’entassant les uns sur les autres, ils grognent et aboient comme des chiots. Puis se lèvent pour amorcer quelques pas chacun dans son style, par jeu. Bientôt, ils se tournent vers le public, lui confiant leurs corps, puis se livrant sur lui à de menus larcins. Sacs, écharpes, montres et bijoux disparaissent gentiment dans leurs poches. D’abord déstabilisés, les spectateurs jouent le jeu et vont récupérer leurs biens…Un peu gênés quand même.

Rugueuse et tendre, cette chorégraphie sans musique ni paroles veut changer notre regard sur les gens qui sont à la rue : pauvres,  SDF, migrants… Ici, ils deviennent des personnes. Le titre de la pièce est sans doute plus parlant au Brésil  où, « acordo » fait allusion à « l’accord » supposé entre la Cour Suprême, l’armée et les politiciens, pour faire tomber la présidente du Parti des Travailleurs, Dilma Rousseff. Mais Alice Ripoll a pour objectif principal de montrer des gens devenus anonymes dans l’espace public. Un spectacle doublement engagé, en résistance contre la redoutable politique brésilienne actuelle : Jair Bolsonaro n’aime pas les pauvres et, conformément à ses  promesses électorales, il vient d’autoriser le port d’armes à feu…

 Damnoosh de et par Sina Saber (Iran)

Photo Mireille Davidovici

Photo Mireille Davidovici

 Avec ce solo de cinquante minutes, l’artiste iranien nous invite à nous asseoir en rond par terre autour d’un plateau garni d’une théière et de coupes emplies d’ingrédients colorés. Sa performance s’inspire d’une forme ancienne de représentation persane, mêlant poésie, musique et gestuelle. Il prépare devant nous le damnoosh, une tisane bienfaisante aux sept herbes, selon un rituel enseigné par sa grand-mère.  Il commente dans un anglais châtié : la rose rouge de Kashan, oasis en plein désert, enferme plus d’un mystère en ses pétales… Il ajoute de la fleur d’oranger de Chiraz, contrée des poètes, ville natale de Hafez qui, dit-il, sous couvert de désirer Dieu, adressait ses vers à un homme aimé. Quelques pincées de coriandre, du coing séché provenant des bords de la mer Caspienne où vécut Zarathoustra, et enfin du safran mûri au Pays du soleil, complètent cette infusion ancestrale que nous dégustons sous les cerisiers dans la cour de La Dynamo… Sina Saber, à travers ce cérémonial, nous transmet les réminiscences de la Perse pré-islamique. La délicatesse et la musicalité de ses mots nous emportent aux quatre coins de son pays où, depuis quelques années, il tente avec le collectif Kahkeshan, de réinventer une danse contemporaine, empreinte de tradition. Mais dans Damnoosh, peu de danse et beaucoup de mots : ceux qui aiment la danse et ne parlent pas anglais restent doublement sur leur faim.

Softcore ©Pierre Tournay

© Pierre Tournay

Softcore-a hardcore encounter de Lisa Vereertbrugghen (Belgique)

 Pour les non-anglophones, ce titre nécessite une explication : fondé sur un jeu de mots opposant soft et hard (mou et dur), il résume la posture de Lisa Vereertbrugghen qui, pendant quarante-cinq minutes, danse et commente ses gestes. «  Je suis une danseuse hardcore … Mon corps est « soft », le son le met en mouvement et nous interagissons. » Elle exprime ainsi la rencontre entre cette musique dure et son corps malléable qui se plie et s’anime aux notes déversées par la console de Michael Langeder. 

La techno « hardcore », variante de la musique électronique, est née dans les années quatre-vingt-dix dans le Nord de l’Europe et aux Etats-Unis. Cette version « gabber » venue des Pays-Bas, se déchaîne à deux cent battements par minute). Sur ce rythme effréné, la danseuse frêle et souple, bouge bras et jambes,  déhanchés nerveux  et mains déployées en avant comme de petits animaux. Elle dit et danse la vitesse et le ralenti, avec des mots aux sonorités imagées, sur une partition live qui remixe aussi sa voix. Telle la pieuvre, qu’elle évoque, et qui se cache dans l’anfractuosité d’un rocher, elle se dissimule derrière un écran de fumée et ses mots se noient dans l’intensité des basses saturées… Une pieuvre qui attend : «until becoming, until becoming… (jusqu’à devenir), répète -t-elle, « imperceptible » . Impressionnante de précision, cette performance où la litanie vocale de l’artiste, inséparable de la danse, se débite à la vitesse du son, profitera surtout aux spectateurs qui peuvent saisir le sens de cet exposé en anglais, à la fois technique et poétique.

 Mireille Davidovici

 Spectacles vus le 22 mai, à La Dynamo Banlieue Bleue, 9 rue Gabrielle Josserand, Pantin (Seine-saint-Denis). T. : 01 49 22 10 10

*Les 15 et 16 juin : Cria d’Alice Ripoll, L’embarcadère d’Aubervilliers,  5 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) T. 01 48 11 20 35

 

Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis , du 17 mai au 22 juin. www.rencontres chorégraphiques.com T. : 01 55 82 08 01

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