Livres et revues
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Parages 05 – La Revue du Théâtre National de Strasbourg
Consacrée aux auteurs vivants et fondée par Stanislas Nordey, comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre National de Strasbourg, cette revue est animée par Frédéric Vossier, auteur et conseiller artistique. cette revue Parages 05 est un numéro spécial sur Falk Richter, qu’une solide amitié artistique l’unit à Stanislas Nordey. Pour traiter de l’œuvre polymorphe du dramaturge allemand né en 1969, très impliqué dans la conscience d’un état du monde via l’Europe, il fallait une pluralité de regards et de positions.
L’ouvrage offre des inédits de l’auteur, mais aussi des articles théoriques, entretiens, fictions, réflexions, témoignages et compte-rendus dramaturgiques. Pour Frédéric Vossier, Falk Richter pratique une radiographie «enragée» de la condition existentielle contemporaine: le passage de la surexcitation, à la fatigue d’être, une catastrophe psychique…
Chez lui, la forme s’écarte du classicisme de l’écriture dramatique : aucun personnage, aucune situation, ni linéarité, ordre ou mesure. En échange, l’écriture de plateau libère une tension perceptible entre: d’un côté, la «parole parlée», nerveuse et, comme un ready-made, issue de la terminologie de la finance et de l’autre, la «parole parlante», intime et poétique, sincère et sensible aux émotions. Une œuvre sous-tendue par la peur : chacun redoute chômage, déclassement, échec, solitude, catastrophes financières, technologiques et politiques terrorisme, perte d’amour et de reconnaissance de l’autre.
A lire entre autres, un inédit de Falk Richter, traduit par Anne Monfort qui a aussi écrit Traduire, c’est mettre en scène ». De grands champs bruns vides est un extrait de sa pièce Traîtres : les derniers jours, où il évoque le sentiment du vide dans le territoire où l’on est né. Il aurait pu naître ailleurs, dans un autre temps et avec d’autres proches et a le sentiment d’une vie trahie : «Cette soi-disant énergie de la jeunesse, cette curiosité, cette force de résistance n’ont jamais trouvé de chemin dans mon corps, je me traînais, oui, ça s’appelle traîner…Et il pleut, et je traîne d’un pas lourd, je longe des voies ferrées désaffectées depuis longtemps, des stations où un bus ne passe que deux fois par jour et pas de cinéma, pas de théâtre, pas de M.J.C., rien qu’Aldi et Lidl, des allocataires de Hartz IV, des retraités et des nazis. »
Sont aussi glissées dans l’ouvrage un extrait du Journal intime de Falk Richter : «Il faut que Stan me pose des questions sur ma famille, sur tout, je veux enfin donner des informations là-dessus mais il faut que quelqu’un m’aide à ne plus tourner en rond, je n’arrive pas à en parler, je ne sais pas quoi dire »
L’auteure et metteuse en scène Claudine Galéa évoque le texte dramatique, My secret Garden, un titre qu’elle aurait bien fait sien et remarque la présence du personnage de Lenz : «Tu parles beaucoup de lui, un peu de toi, de tous les jeunes hommes perdus dans l’histoire allemande. Lenz est un jeune Allemand du XVIII ème siècle. Il écrit comme toi. Et c’est un autre jeune homme allemand qui rapporte son histoire un siècle plus tard à nouveau : un grand dramaturge Georg Büchner, un socialiste, un révolutionnaire.» Sonia Chiambretto aime «éventrer les mots» et réécrit à la façon de Falk Richter, une matière intertextuelle complice, poétique et dé-constructive. Et Ronan Chéneau, auteur de théâtre, se penche, lui, sur l’écriture post-dramatique de Falk Richter. Comment écrire après la fable, le personnage, la situation ? «Les voix de Richter me plaisent, parce que leur souci permanent d’elles-mêmes n’a d’égal que leur insouciance, leur dégoût d’elles-mêmes, contradiction dont je tente toujours, pour ma part, de m’extraire. C’est peut-être l’endroit où nous nous séparons, Richter et moi : je ne peux pas me contenter de tourner sur moi-même. »
Pour le dramaturge Kevin Keiss: «La très grande jubilation à la lecture de ses pièces vient du fait qu’il déjoue sans cesse les systèmes d’attente : les séquences se suivent sans obéir aux mêmes règles… On entend ce qu’on lit. Il s’approprie les codes d’une parole volatile, non écrite, parole de l’hyper-présent et de la vérité.» Laurent Sauvage, comédien et fidèle associé du théâtre de Stanislas Nordey et de Falk Richter, a joué dans Das System (2008), My Secret Garden (2010) et Je suis Fassbinder (2016). Il donne ici un Portrait téléphonique de Falk Richter et parle d’immersion à propos de Je suis Fassbinder : «C’était plutôt une plongée dans l’ambiance d’un artiste. Il en est sorti des affects, des figures, des énergies, des situations, des sensations, des mouvements, des gestes. On a baigné pendant des semaines dans l’excès, la démesure, l’extravagance de l’univers de Fassbinder. »
Judith Henry fait part de son expérience d’actrice dans cette pièce, avec des répétitions vécues au plus près de la vie et de l’aventure : «Ma partition textuelle se tisse sur le motif de la peur. J’ai peur : c’est un leitmotiv qui rythme la pièce et l’écriture de Richter en général. En lisant cela, dans le contexte des attentats, cela renvoie à nos propres peurs… Son écriture touche à l’intimité de chacun… Il capte et s’approprie l’air du temps… »
Maîtresse de conférence en arts de la scène à l’Université Lumière-Lyon II, Bérénice Hamidi-Kim analyse avec pertinence les sentiments du populisme dans cette pièce. Elle s’entretient aussi avec Maëlle Dequiedt, jeune metteuse en scène formée à l’Ecole du T.N.S. qui a créé Trust-Karaoké panoramique en 2015 et 2017. «La part intime, dit-elle, que met chaque comédien dans sa figure, varie au cours du spectacle. Ainsi, dans la scène du braquage d’identité, prenant appui sur une phrase de Richter dans un sentiment d’urgence: «Je veux entendre des histoires/de gens/je veux enfin les voir en live», les comédiens se mettent à improviser sous la menace d’un revolver… » Cette scène brouille la frontière entre le comédien et sa figure. » Cyril Teste qui a monté de Falk Richter : Peace (2006), Electronic City (2007), Nothing Hurts (2008), Sous la glace (2010) et Nobody (2015) interviewé par Hugues Le Tanneur, pense que ce théâtre joue un rôle libérateur dans son approche artistique, à travers son aspect pluriel et sa capacité à prendre en compte les technologies contemporaines, du cinéma au numérique et les séries télévisées. Professeur invité à l’Université nationale de Colombie à Bogota, Bruno Tackels a une lecture personnelle d’un «écrivain de plateau» et livre descriptions, moments vécus, photographies et matériaux en résonance avec l’univers de l’artiste allemand.
Une invitation à l’exploration d’un théâtre hypersensible et réactif aux tensions de notre époque instable…
Véronique Hotte
Éditions Les Solitaires intempestifs, 15 €