Le Roi nu d’Evguéni Schwartz, mise en scène de Guy Theunissen
Le Roi nu d’Evguéni Schwartz, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Guy Theunissen
Le dramaturge russe (1896-1958) après des études de droit, fonde une troupe de théâtre en 1917 qui, malgré le succès, n’arrive pas à survivre financièrement. Il devient alors journaliste et dramaturge et de 1925 à 1954, écrit une douzaine de pièces sous la forme de contes pour enfants avec des marionnettes. Inspirées de ceux d’Hans Christian Andersen et de Charles Perrault. Et en 1934, il commence à créer des pièces pour adultes comme Le Roi nu, dont le texte ne sera publié qu’en 1960 ! La création avait tout de suite été interdite par le pouvoir soviétique qui avait compris qu’elle était un pamphlet et une charge déguisée contre la dictature d’Hitler et/ou de Staline. Et sous la forme d’un conte féérique, Evguéni Schwartz dénonce la terreur et l’oppression politique mais aussi sociale. Il écrira ensuite Le Dragon (1944), une des plus connues, elle aussi interdite. Il n’écrira plus, sauf des scénarios et des œuvres pour enfants, et quatre ans avant sa mort, deux pièces pour adultes dont Un Miracle.
L’histoire du Roi nu est inspirée de trois contes d’Andersen (1805-1875) : Les Habits neufs de l’Empereur, Le Porcher et La Princesse au petit pois. Ici, Henry, un jeune porcher, amoureux fou, rêve d’épouser la belle princesse Henriette. Son père, le roi Georges XV, bien entendu refuse et sa fille, quelle le veuille ou non, devra épouser le roi d’un pays voisin. Un cadeau ! Chauve, gros et édenté et parfaitement idiot. Mais à la Cour, on prépare quand même le mariage. Henry et son ami Christian vont réussir à s’introduire dans le château et se font passer pour des tisserands capables de coudre un costume prestigieux mais seulement visible par des personnes intelligentes. Le Roi qui s’est soumis, se retrouve piégé et se montre se montre nu devant tous ses sujets, et… tout à fait ridicule le jour prévu pour son mariage avec Henriette… Il y a aussi quelque quarante personnages dont Le Ministre des Tendres Sentiments Machiavéliques, Le Poète, Le Premier Ministre, Les Dames de la cour, la Comtesse, Les Cochons, Les Courtisans….
Ces deux actes ne sont sans doute pas une grande pièce et sa charge satirique n’a plus rien de vraiment virulent mais, grâce à leur poésie, continuent à séduire les metteurs en scènes comme Laurent Pelly (2016) Philippe Awat ou cette année, Eudes Labrusse ou Léa Schwebel. Gaspar Leclère est le directeur artistique des Baladins du Miroir, une compagnie belge de théâtre ambulant avec un chapiteau de trois cent soixante places et une trentaine de camions, caravanes et roulottes pour loger acteurs et techniciens. La reprise de ce spectacle de 2016 a lieu sur une vaste esplanade au sommet d’une imposante forteresse Vauban à Namur, à soixante kms de Bruxelles au confluent de la Sambre et de la Meuse. est la capitale francophone de la Wallonie où siègent son Parlement et son Gouvernement et accueille plusieurs festivals comme celui du film francophone ou celui d’arts forains …
Sous le chapiteau, il y a, bien sûr, des gradins en demi-cercle et quelques petites tables en bois où on peut continuer à boire le demi-pression que l’on acheté au bar… Le Roi Nu est sans doute une pièce fondée à la fois sur ce conte fantastique où ici s’invitent la farce, le cabaret comme le music-hall, avec des personnages-bouffons. Donc ici rien de réaliste et Evguéni Schwartz s’amuse visiblement à mélanger les genres avec une belle virtuosité. Au mépris de tout réalisme mais toujours ancrée sur la réalité, il y a en filigrane une critique virulente du monde politique de l’époque. Du grand art…
Reste à savoir comment on peut recréer cette virulence et mettre en scène la pièce aujourd’hui. Guy Theunissen nous fait assister à un spectacle surtout musical avec orchestre, chansons et danses chorales. « En montant Le Roi Nu, dit-il, c’est bien le pouvoir que je veux interroger. A travers un humour tonitruant, cette question hante la pièce et d’ailleurs, les autorités ne s’y sont pas trompées quand elles ont interdit la pièce en 1933. Les thématiques de l’oppression de la tyrannie ont d’ailleurs toujours traversé l’œuvre de l’auteur. » (…) « J’ai mis en scène cette création dans un contexte contemporain. Je veux interroger la question du pouvoir aujourd’hui sous l’angle de ceux qui l’exercent mais aussi et peut-être surtout, sous l’angle de ceux qui la subissent sous l’emprise de la terreur certes mais aussi à la force du silence de leurs pantoufles : le choix du silence et de la courbe de l’échine. » Oui, mais reste encore à se donner les moyens pour que cette satire prenne tout son sens. Et ici, cela donne quoi ? Du très bon et de l’approximatif…
Commençons par le très bon : l’idée de jouer Le Roi nu sous un beau chapiteau avec un petit orchestre (clavier, accordéon, guitares, batterie… par des musiciens qui sont aussi acteurs. Passant en alternance et comme par enchantement de la grande scène au plateau de l’orchestre, côté jardin. La musique, disons rock, composée par Line Adam qui dirige aussi ses camarades avec une grande virtuosité, est en fait le support du spectacle. Mention spéciale à la création lumière de Laurent Kaye, à la scénographie de Michel Suppes dont les châssis coulissants reprennent les célèbres motifs de Pietr Mondrian, à la chorégraphie, à la fois drôle et précise, de Sylvie Planche et aux remarquables costumes, perruques et postiches (Ah! les groins de cochons des musiciens au début!) de Françoise Van Thienen et Marie Nils. Jusque là tout fonctionne, même dans un lieu pas facile comme un chapiteau.
Et le reste ? Là, on ne peut pas être d’accord. Cela commence plutôt bien mais on voit vite que le metteur en scène a du mal à recréer la folie et la truculence d’Evguéni Schwartz. La faute à quoi ? D’abord à une direction d’acteurs faiblarde. Joséphine de Surmont (La Princesse Henriette) s’en sort très bien mais les autres comédiens qui font le boulot, semblent être un peu livrés à eux-mêmes. Diction souvent des plus limites, manque de consistance des personnages, baisse de rythme, longueurs… La mise en scène fait parfois du sur-place. Et le Premier Ministre avec son déambulateur a une silhouette très comique mais on sent bien, si Andreas Cristou était mieux dirigé, qu’il pourrait être un bouffon exceptionnel du type Hervé Pierre. Cette galerie de fantoches, pour être vraiment drôle, exige une grande précision dans le jeu (et ce n’est pas incompatible: voir dans un autre genre, les anciens spectacles de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps) mais ici tout flotte un peu et on a le droit d’être plus exigeant ! Quand il s’agit d’une farce musicale comme celle-ci, la dramaturgie devrait être beaucoup plus solide (la pièce a quand même presque un siècle et les paramètre ne sont plus les mêmes!) et le rythme gagnerait à être très soutenu. Et il aurait déjà fallu couper dans cette première partie. Puis un maudit entracte de vingt minutes que rien ne justifie, vient alors casser tout le burlesque. Et la seconde partie aux nombreux dialogues le plus souvent joués de façon approximative, est comme en déséquilibre, et traîne en longueur. Et là, impossible d’être indulgent: le spectacle, sans partir en vrille, se met tout de même à ronronner sérieusement. Le vieil adage : attention aux reprises ! se révèle une fois de plus tout à fait juste et le metteur en scène -qui n’était pas là- aurait dû resserrer sérieusement les boulons.
Il y a encore du temps avant le festival d’Avignon mais il faut que Gaspar Leclère demande à Guy Theunissen de : faire des coupes, revoit la mise en scène pour qu’elle trouve son rythme surtout dans la seconde partie et en particulier, la direction d’acteurs et ôter aussi ce foutu entracte. Indispensable si l’on veut que le spectacle décolle et prenne toute son ampleur. Bref, il y a encore du boulot… Les acteurs des Baladins du Miroir et surtout leur public, méritent mieux que cette représentation honnête mais pas vraiment aboutie… A suivre donc.
Philippe du Vignal
Esplanade la Citadelle, Namur (Belgique) jusqu’au 8 mai.
Festival d’Avignon, 353 chemin des Canotiers, Ilot des Chapiteaux, Ile de la Barthelasse, du 6 au 21 juillet à 17h. (Navette). Téléphone français en cours d’attribution. Grand parking.
Le texte est édité aux Solitaires Intempestifs.