La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva, textes et chansons de Charles Péguy, Paul Claudel, Guillaume Apollinaire…
La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva, textes et chansons de Charles Péguy, Paul Claudel, Guillaume Apollinaire, Roland Dorgelès, Jules Romains, Raymond Queneau, Louis Aragon, Jean Tardieu
« La Victoire en chantant/Nous ouvre la barrière./La Liberté guide nos pas./Et du Nord au Midi/La trompette guerrière/A sonné l’heure des combats… » Ce sont les premiers mots du Chant du départ, originellement L’Hymne de la liberté de Marie-Joseph Chénier et de Méhul pour la musique. Il survécut à la Révolution et, adulé par Napoléon, fut ensuite le symbole de la volonté de défendre la patrie au cours des deux guerres mondiales..
Le spectacle est une évocation, en courts textes et chansons, de ces conflits qui transformèrent à jamais la France, celle d’abord de 1914 où, dit justement Raymond Acquaviva, «une jeunesse qui avait vingt ans, avec toute son ivresse à reconquérir l’Alsace et la Lorraine, se rua joyeuse par trains entiers vers les fronts du Nord. Plus de la moitié d’entre eux n’en revint jamais.» Deux décennies plus tard, l’Histoire bégayait et toute l’Europe subissait un conflit des plus meurtriers. «En ce moment où pourtant le canon recommence à gronder à nos portes, comme il tonne sur l’autre rive de la Méditerranée, l’urgence de porter un regard sur ces guerres de nos parents et de nos grands-parents, s’imposait. »
C’est une création collective de jeunes comédiens, avec des textes comme, entre autres, le Priez pour nous autres charnels de Charles Péguy tué au combat dès septembre 14, Si je mourrais là-bas ou La Tranchée de Guillaume Apollinaire gravement blessé à la tête, mais aussi de Paul Claudel, Jules Romains et Louis Aragon avec les Strophes pour se souvenir célébrant magnifiquement le grand résistant d’origine arménienne Michel Manouchian, fusillé à trente-sept ans au Mont-Valérien: «Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent/Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps/Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant/Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir/Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. «
Il y aussi de nombreuses chansons populaires comme le très fameux Chant des partisans, l’hymne de la Résistance de Joseph Kessel et Maurice Druon, musique d’Anna Marly, qu’on n’entend jamais sans une larme: «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?/Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne?/Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme./Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes. » Ou La Chanson de Craonne « Adieu la vie, adieu l’amour,/Adieu toutes les femmes./C’est bien fini, c’est pour toujours,/De cette guerre infâme./C’est à Craonne, sur le plateau,/Qu’on doit laisser sa peau/Car nous sommes tous condamnés/C’est nous, les sacrifiés! »Et encore La Madelon ou Fleur de Paris… des textes et musiques entrées depuis longtemps au Panthéon de la chanson française.
Sur le petit plateau, Pierre Boulben, Louise Corcelette, Benoit Facerias, Philippine Martinot, Quentin Morant, Fabio Riche, Lani Sogoyou et Joséphine Thoby, à la fois chanteurs et comédiens, bien dirigés par leur ex-professeur, mettent toute leur jeunesse et leur sincérité au service des textes qu’ils interprètent. Individuellement ou en groupe. Rien à dire: surtout les jeunes femmes, ils font tous très bien leur boulot. Sur le rideau du fond, quelques images de cette catastrophe humaine qui font froid dans le dos avec, entre autres, un train rempli de soldats qui partaient pour le front, heureux de régler, en quelques semaines et sans problème, leur compte aux Allemands : on connaît la suite… Puis des images atroces de tranchées cent fois vues mais qui, un siècle après, restent toujours aussi terribles. Et vingt ans plus tard, l’image d’un autre train, lui aussi rempli d’hommes sans doute plus lucides… et cette fois moins joyeux! Silence dans la salle où sans doute les très jeunes gens devaient se demander comment leurs arrières-grand parents avaient pu en arriver là! Avec à la clé, son cortège de veuves et d’orphelins. Mais pas sûr du tout que le théâtre puisse être, comme le pense Raymond Acquaviva, vraiment efficace contre la guerre…
La qualité des textes et l’interprétation de ces jeunes acteurs est la qualité essentielle de ce spectacle. Pour le reste, la mise en scène et la dramaturgie de Raymond Acquaviva sont pour le moins conventionnelles et approximatives: séquences trop courtes qui s’accumulent, longueurs, déplacements répétitifs, sérieux manque de rythme passée la première demi-heure, fausses fins, mauvaise balance entre la musique amplifiée (on se demande bien pourquoi) de l’accompagnatrice à l’accordéon et des textes ou chansons, scénographie mal foutue : pourquoi ces gros sacs de toile encombrants sur le plateau? Et erreurs sur les costumes… Bref, rien ici, à part encore une fois la direction d’acteurs, n’est vraiment dans l’axe : on est dans l’à-peu près et sans vision historique et on reste donc sur sa faim… A voir quand même (mais mieux vaut ne pas être trop exigeant sur la mise en scène) pour retrouver avec bonheur ces textes pour la plupart bien connus. Sur un même thème, autrefois c’était en 66! Pierre Debauche sous un chapiteau à Nanterre qui préfigurait le Théâtre des Amandiers, avait réussi un formidable et très impressionnant Ah ! Dieu que la guerre est jolie ! de Charles Chilton et Joan Littlewood…
Philippe du Vignal
Théâtre 13 Jardin, 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème), jusqu’au 16 juin.