Le Pas de Bême, écriture et mise en scène d’Adrien Béal

©Martin Colombet

©Martin Colombet

Le Pas de Bême,  écriture et mise en scène d’Adrien Béal

Exemples des talents éclos grâce au soutien des théâtres de la banlieue parisienne (ici celui de Vanves, de L’Echangeur de Bagnolet, du Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine ou du Nouveau théâtre de Montreuil), qui ont soutenu les créations du Théâtre déplié d’Adrien Béal. Excellente initiative : le Théâtre de La Tempête reprend Le Pas de Bême après plusieurs années de tournée… Il semble en effet que la pièce n’ait pas été altérée par le temps qui a passé.

Michel Vinaver avait proposé la figure de L’Objecteur dans un texte de 1951. Allant jusqu’à donner le même nom à son personnage, Adrien Béal et sa troupe déplacent la scène vers le lycée, aujourd’hui. De façon très intelligente, la scénographie évite tous les rapports supposés représenter l’univers scolaire : aucune frontalité, le public est placé sur les quatre côtés du plateau qui sera investi tour à tour par les acteurs, deux hommes et une femme, chargés d’incarner les intervenants de l’affaire.

Nous entrons de plain-pied dans la représentation, avec Bême: «Je n’ai rien à vous dire avec ça. » Ce sont les autres qui nous éclairent : Bême, excellent élève, participe à tous les travaux en classe, travaille ses devoirs à la maison avec efficacité, mais rend chaque fois copie blanche aux devoirs sur table. Rebelle ? Réfractaire ? Résistant ? Muet sur ses motivations. Parents, professeurs et camarades de classe, dans un jeu tourbillonnant et toujours finement ciselé de passage de parole d’un acteur à l’autre, vaporisent par le dialogue le poids de ce mystère qui pèse sur eux tous, et sur nous aussi. Car si une partie du public est constituée de parents et probablement de professeurs,  tous ont été élèves un jour. Le spectacle s’adresse plutôt à cette enfance-là, à la part de refus qui, la plupart du temps, s’est transformée en traînage de pieds, en demi-provocations et parfois en auto-sabordage.

Mais d’interrogations en énervements, arrive le dérèglement subreptice de l’institution. Les professeurs se renvoient la balle. Punir ? Mettre un zéro ? Ou plutôt faire un compromis : noter 10 sa copie blanche pour ne pas pénaliser Bême, alors qu’il est si bon élève par ailleurs? Car la séduction rôde et opère, et réveille dans le corps enseignant l’élève réfractaire qu’il fut aussi. Et puis n’est-ce pas une gifle portée à l’institution qu’on aimerait soi-même pouvoir brocarder librement ?

Le centre vide de la scène où viennent s’inscrire les protestations de ses camarades comme de ses proches, fait éclore les incertitudes du public. Bême, un jeune héros ? Bême, un original ? Bême, le petit caillou dans la chaussure de l’Education Nationale? La contagion, toujours possible, exige-t-elle une reprise en main? D’où le déraillement en salle des profs : un moment théâtral de pur plaisir quand ils se mettent à chercher un sujet de devoir pour explorer la situation : « Faire son devoir, est-ce un choix ? », «L’inconscient a-t-il valeur d’excuse ? », « De quoi l’expérience nous instruit-elle ? », pour finir par : «Le vide : commentez» ! Car il en est  de la puissance comme de l’impuissance : sa manifestation, jamais neutre, agit au cœur même du système.

Au sommet de l’incompréhension généralisée, Bême finit par lâcher qu’écrire devant les autres, en classe, sur un sujet imposé, est un tel envahissement qu’il devient spectateur médusé de ses propres images, dans la propagation intérieure de son désastre… Sans doute se serait-on passé de cette demi-explication,  concession au public qu’on n’imagine pas repartir sans ce bref éclairage psychologique. Mais le fil poétique du spectacle est plus fort que ce petit décrochage. Et c’est en barque, à quelques mètres de la rive, en compagnie d’une jeune fille, qu’il verra ses camarades passer le bac blanc…

A travers ce jeune homme en douce rupture scolaire, le spectacle tient serrés les fils que les acteurs tissent entre eux. Le travail d’Olivier Constant est tout à fait remarquable. Les autres acteurs, qui ont concouru à l’élaboration de la trame, contribuent chacun à sa manière  à faire éclore la cocasserie légère des mini-drames déclenchés autour de Bême. Et c’est plutôt à une variante du « I would prefer not » du Bartleby (1854) d’Herman Melville (Bême ne l’a probablement pas lu) que ce jeune homme mystérieux nous renvoie.

En effet, tel Bartleby errant librement à l’intérieur de sa prison car aucune charge infamante ne pesait sur lui,  Bême navigue pour toujours sur sa barque, à l’orée des obligations, en vue de ses congénères, mais inatteignable.

Marie-Agnès Sevestre

Jusqu’au 26 mai, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ-de-Manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. : 01 43 28 36 36.

 

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