Fauves, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

Fauves, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad

Représentation à la Colline, théâtre national, Paris. Mercredi 8 mai 2019.

©Alain Willaume

 Hippolyte Dombre, un “quinqua“ parisien, divorcé, père de grands enfants: Lazare et Vive, apprend la mort accidentelle de sa mère, alors qu’il peine à finir le montage d’un film. Il ne sait où et comment caser une séquence-clé où une femme furibonde poignarde son amant. Ce crime fictionnel s’insère incidemment dans la saga familiale sous différents angles, cadrages et focales… Leitmotiv intervenant de manière subliminale comme «scène primitive» dans la tragédie qui attend Hippolyte? Ce décès et le testament de sa mère ouvrent sur des révélations en cascade. On va de surprise en surprise. Sa mère, Leviah, une Juive fuyant le Maroc et la guerre, s’est mariée au Québec avec Isaac. Là-bas, Hippolyte apprend qu’Isaac est son père biologique et se découvre un demi-frère, Édouard. La mère d’Édouard, venue, elle, de Tunisie, se dit liée à Leviah par un pacte secret. Hippolyte va faire connaissance de la nouvelle (et troisième) femme d’Isaac mais elle poignarde l’enfant qu’elle porte et se pend …

Sous le choc, Hippolyte sombre dans la folie pendant un vol de retour vers Paris… Son fils Lazare, vient à sa rescousse… Dans la deuxième partie, il découvrira le fin mot de cette sombre histoire qui a empoisonné quatre générations sur soixante-quinze ans et qui croise la grande Histoire, pleine aussi de bruit et de fureur. «La violence est une conjugaison entre deux violences, écrit Wajdi Mouawad. L’une intime, l’autre collective. C’est cette conjugaison qui rend actives les pulsions qui nous traversent. » Comme ce film qu’Hippolyte ne parvient pas à achever, la pièce se déroule à l’endroit, puis à l’envers,  se monte et se démonte à la manière d’un Rubik Cube. A l’image de l’esprit dérangé du héros qui se repasserait des bribes de sa mémoire éclatée, la scénographie d’Emmanuel Clolus joue un rôle primordial et appuie cette  dramaturgie insolite. Des châssis coulissants poussés par les comédiens, décomposent puis recomposent l’espace, en créant de nouveaux angles de vue pour la reprise des scènes. Les portent claquent. Une vraie prouesse !

«Dans Fauves, dit Wajdi Mouawad, j’ai mis en place quelque chose qui s’apparente à un rapprochement entre narration et déconstruction. Dès lors, cela a ouvert à une écriture qui m’était tout à fait nouvelle. « (…) « La répétition étant liée au ressassement comment faire avancer le récit quand la structure, elle, est ellipsoïdale? Comment faire, s’inquiète l’auteur, pour que le spectateur ne soit pas noyé par ce mouvement et qu’il puisse suivre le récit?  » De fait, ces interruptions du récit puis ses répétitions tiennent en haleine, selon le vieux principe du feuilleton où l’action est suspendue avant le dénouement…

Les changements de décor sont un peu longs et semblent absorber l’énergie des comédiens au détriment du texte mais le spectacle malgré ses quatre heures entracte compris, une fois rôdé, prendra sans doute toute son ampleur.  Et l’originalité de la forme l’emporte sur des réserves. On reprochera à l’auteur de tirer un peu trop sur les ficelles du tragique en rajoutant, parfois inutilement, de l’horreur à l’horreur. Et même s’il ne fait pas toujours dans la dentelle, on prend plaisir à se laisser embarquer dans les grandes fresques familiales de Wajdi Mouawad.

Les comédiens défendent avec talent un texte dense, une langue tenue, truffée de pépites, et de touches d’humour pour détendre l’atmosphère. Jérôme Kircher a la mélancolie colérique qui sied à Hippolyte et Norah Krief, la fantaisie acide de Leviah. Le Québécois Hugues Frenette  est un Édouard émouvant et pas si benêt qu’il n’y paraît. Et dans la scène finale d’une grande poésie, la pièce prend de la hauteur et Lazare nous emmène vers un futur incertain autant qu’inconnu. Brisant le cercle infernal du silence et du mensonge qui enferme les enfants de l’inceste, du viol et du meurtre, le jeune cosmonaute navigue dans sa station spatiale, libre parmi les étoiles mais sans illusion: «Dans le silence, le deuil, le mensonge, la vérité est brutale. Nous sommes une génération vouée à préparer la sépulture des certitudes. »

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 21 juin, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).  T. : 01 44 62 52 52.

Le texte paraîtra à l’automne aux Editions Leméac/Actes Sud-Papiers


Archive pour 13 mai, 2019

Biennale Internationale des Arts de la Marionnette du 3 au 29 mai

Biennale Internationale des Arts de la Marionnette du 3 au 29 mai :

 Babylon , de et par Neville Tranter (en anglais surtitré en français).

Quarante spectacles dans vingt-sept lieux d’Île-de-France. On a le plaisir d’y revoir Neville Tranter qui, après Re: Frankenstein (1999), Vampyr (2006), et son étonnant Schicklgruber, alias Adolf Hitler (2009), revient avec un nouvelle création. Une métaphore de la guerre, une histoire d’exil entre Terre et Ciel. Entre Diable et Bon Dieu. Jésus, à l’instigation de Satan, veut se réincarner à Babylone pour « changer le monde », au grand dam de son Père. Un voyage risqué en ces temps agités où les réfugiés s’entassent sous les bombes dans de fragiles esquifs pour gagner des rives plus clémentes.

En prélude, proférés par un diable somptueux à tête de bouc de taille humaine, deux vers de Lewis Caroll, tirés de The Walrus and the Carpenter (Le Morse et le Charpentier), tiré d’un poème récité par Tweedledum et Tweedledee à Alice, sur une plage, un soir que le soleil et la lune brillent en même temps :  «Le temps est venu, dit le morse, de parler de beaucoup de choses. » (Ces mots reviendront à plusieurs reprises). Sur ce, Neville Tranter transporte sa troupe de marionnettes au bord de la Méditerranée, quelque part, en Afrique du Nord.

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Le dernier bateau pour Babylone, la terre promise, va prendre le large. Le passeur est inflexible : pas d’animaux à bord. Des retardataires se pressent : des réfugiés, surtout, mais aussi Dieu à la recherche de son fils égaré, tandis que le Diable rôde. Un vieux et son chien, une femme pas très nette, un petit Africain fuyant la guerre et avec lequel le marionnettiste entretient une relation plus protectrice qu’avec les autres protagonistes. Dieu, aux traits simiesque et Uriel, angelot à tête de guenon, déplorent l’état du monde et l’escapade maritime du Fils qui s’est pris d’affection pour l’agneau Binky: pas question d’embarquer sans son ami. Dieu cette fois sauvera-t-il son fils à temps?

Cette fable gentiment anticléricale se construit par séquences au gré des apparitions et disparitions des marionnettes derrière un rideau central comme  des coulisses.  Elles dialoguent entre elles mais parfois le manipulateur s’entremet et joue son propre rôle, ici déguisé en un ecclésiastique mâtiné de militaire. « J’ai mis du temps à avoir le courage de m’affirmer en tant qu’acteur au côté de mes marionnettes, dit Neville Tranter. Elles étaient trop fortes. « (…) «Maintenant, je ne peux concevoir ma présence comme acteur et manipulateur sur un plateau que dans une situation de conflit : la marionnette et l’acteur sont en confrontation dominant/ dominé, fort/faible. Je construis d’abord tous les personnages de mes marionnettes et quand les archétypes sont suffisamment clairs, je trouve la place de mon personnage à moi ». Démiurge, le manipulateur se trouve parfois manipulé par ses propres créatures, dont certaines se rebiffent, comme le jeune Africain qui l’empêche de brandir une Bible, cause du massacre de sa famille…

A partir d’une trame narrative simple et solide, l’artiste australien, installé depuis 1978 aux Pays-Bas avec sa compagnie Stuffed Puppet Theatre, joue en solo et fabrique lui-même ses marionnettes, la plupart à gaine, ce qui lui permet de nuancer les expressions des visages de latex. Ici, seul le Démon a une taille humaine (serait-ce lui qui mène la danse ?) Il lui a fallu deux ans pour bâtir ce spectacle car il est en tournée avec ses précédentes créations dans le monde entier.

 Babylon, délicieusement iconoclaste, dénonce toutes les bondieuseries et l’inefficience d’un Dieu gâteux et de son rejeton du genre Ravi de la crèche… Neville Tranter passe habilement d’un personnage à l’autre, en changeant de voix  et entretient un rapport très physique avec eux . Sa poésie impitoyable et drôle, teintée de tendresse pour ses petites créatures, nous tient en haleine. Jubilatoire et exceptionnel, ce spectacle d’une heure dix augure une bonne cuvée pour cette X ème Biennale.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 14 mai, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris (V ème). T. : 01 84 79 44 44.

 Le 23 mai, Friedrichshafen (Allemagne) ; du 26  au 30 mai, Kabinetttheater, Vienne (Autriche).
Le 14 juin, Münchner Stadtmuseum, Munich (Allemagne).
 En juillet et août : à Sapporo, Iida, Nagoya, Toramaru, Tokyo (Japon).
Le 26 septembre, Bottrop (Allemagne).
En novembre, festival de Marionnettes de Neuchatel (Suisse ) ;  les 8 et 9 novembre, à Silkeborg (Danemark )

 

Hospitalités de Massimo Furlan et Kristof Hiriart

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Hospitalités de Massimo Furlan

Dans le cadre du Mai documentaire à Mulhouse: cinq spectacles à La Filature, une projection au cinéma Bel Air  et un atelier théâtre avec David Lescot.
Le théâtre documentaire remonte au début du XX ème avec le metteur en scène allemand Erwin Piscator qui voulait qu’il ait  un effet politique sur le réel. L’année dernière, Le Mai documentaire avait accueilli  Nachlass, des autoportraits de personnes en fin de vie.
Cette année, les trois plateaux de la Filature  reçoivent les habitants d’un village basque avec Hospitalités  mais aussi Trans Mes Enllà présenté par des Catalans qui ont changé de genre, un auto-portait d’une grand-mère bretonne, Stadium  avec les supporters du Racing Club de Lens. Ou encore Ludmilla Dabo qui raconte l’histoire de la chanteuse Nina Simone  mais aussi la sienne. 

Comment se définit-on aujourd’hui dans nos genres, nos appartenances sociales, notre rapport à la transmission ? Massimo Furlan,  un artiste d’origine italienne mais né à Lausanne  s’interroge sur la mémoire collective de toute une génération. Il a invité un groupe d’habitants de La Bastide-Clairence au pays basque pour répondre à leur proposition d’accueillir des réfugiés.
Dans ce petit village touristique de mille habitants, ne vit aucun étranger. En 2014, un beau canular: Massimo Furlan et Kristof Hiriart proposent à quelques habitants complices de La Bastide de faire croire que la mairie a décidé d’accueillir des familles de migrants et que les habitants doivent dans un an répondre aux flux migratoires qui se développent avec la guerre en Syrie et la dégradation des économies en Afrique et au Proche-Orient. Puis il y a eu une réunion pour révéler que c’était une fiction… Mais une famille syrienne avec des enfants a bien été accueillie dans ce village et Massimo Furlan a tiré un spectacle de cette histoire.

Sur un écran, on voit d’abord un feu de bois puis entend La Ballade des gens heureux et neuf personnes viennent s’asseoir sur des chaises. Chacun décrit son origine et son logement, puis on admire les beaux paysages de la Bastide-Clairence, une femme  entonne un chant basque et tous dansent.
Sur l’écran, on voit des gens jouer aux  boules et chacun décrit sa famille et sa maison. Une famille décide d’accueillir un Syrien mais le village se révolte d’abord et hurle en ligne. Mais l’hospitalité, comme le pardon, s’accueille inconditionnellement! 240 millions de personnes errent du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Un débat s’engage avec le public et on recueille des témoignages, malheureusement souvent peu audibles. Chacun a son histoire et ses malheurs.
Nous sommes tous un peu des exilés, des migrants, on est de là où on vit. Comme le colibri qui tente d’éteindre un incendie avec de l’eau dans son bec, il faut faire sa part. Ce travail documentaire, remarquable mené avec un groupe d’habitants,  met du baume au cœur…

Edith Rappoport

Spectacle vu le 10 mai à La Filature-Scène Nationale, 20 allée Nathan Katz, Mulhouse (Haut-Rhin). T. : 03 89 36 28 28.
Autres spectacles à ne pas manquer: 
Portrait de Ludmilla en Nina Simone de David Lescot  les 22 et 23 mai et Stadium de Mohamed el Khatib le 23 mai. (voir Le Théâtre du Blog).

Babel Guyane de Roberto Jean, mise en scène de Ricardo Lopez Munoz

Festival Passages à Metz:

Babel Guyane de Roberto Jean, mise en scène de Ricardo Lopez Munoz

Babel-2Présenté en première dans la métropole, ce spectacle est issu d’une aventure doublement particulière : celle du jeune Roberto, un jeune Haïtien clandestin en Guyane, excellent élève du lycée de Kourou, devenu comédien grâce à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg  et à une bourse exceptionnelle du Centre national des études spatiales. Sa chance ? Avoir croisé le chemin d’Isabelle Niveau, professeur de français et responsable de la compagnie L’Entonnoir, qui a mis en place tout un parcours artistique pour entourer ses jeunes élèves aux origines multiples (bushinengué, mong, haïtienne… On compte dix « langues de France » en Guyane).

Le projet de l’Entonnoir n’est pas d’en faire des professionnels mais, grâce au dispositif Vivre et dire son quartier, de leur donner une chance d’être des jeunes gens réconciliés avec leur histoire.  Travailler sur les problématiques communautaires, les échanges entre quartiers et les récits mythologiques de chaque territoire, leur permet d’écrire le scénario de leurs vies. Laboratoires de la pensée, de la prise de parole, de l’estime de soi, ces ateliers conduisent aussi quelques-uns d’entre eux jusqu’aux métiers du théâtre (écriture, jeu, mise en scène ou scénographie).

Dans l’esprit et la continuité du travail de recherche mené depuis plusieurs années avec Ricardo Lopez Munoz, L’Entonnoir et Roberto Jean présentent cette  création au Festival Passages.  Le metteur en scène a apporté sa technique de travail sans texte fondé sur des improvisations, discussions de plateau : ce qu’il nomme « un théâtre relationnel». Roberto Jean, lui, a parcouru le récit de son enfance ballottée d’Haïti en Guyane, sur les pas d’une mère «globe-trotteuse des religions » (elle essaie tour à tour les Témoins de Jehovah, les catholiques, les protestants, pour finir dans les bras des Evangéliques)… Le comédien se prête délicatement, en jupe, à l’évocation de cette mère qu’on devine fragile, sans tomber dans la caricature ni la compassion. C’est une figure de rêve, peut-être un vrai souvenir, que cette femme en jupe blanche. Le père, absent, est à peine mentionné.

téléchargéTrès vite, apparaît la difficile situation d’un enfant noir, brillant à l’école : trop noir pour ses copains à la peau métissée et considéré comme vendu aux Blancs et à leur école. Pris dans des conflits de loyauté, le regard des autres toujours pesant sur lui – ni vraiment Haïtien, ni vraiment Guyanais, encore moins Français – le jeune Roberto envisage pourtant le métier d’acteur. Il lui faut partir pour la métropole. Son arrivée le renvoie encore à un autre statut : celui de « grand noir » (le seul dans sa classe d’hypokhâgne au lycée Lakanal de Sceaux). Commence alors le parcours du combattant qui oppose ce jeune homme non pas à l’hostilité d’autrui mais aux multiples facettes de son histoire qu’il n’arrive pas à composer en un «moi » auquel s’accrocher.

 Devenir un comédien, apparemment c’est fait, et avec talent. Devenir un comédien français, c’est une autre affaire. Dernière étape de son intégration, il n’est qu’au début du long processus administratif… Même si, dans une pirouette finale, il affirme qu’il s’agit «d’une obsession post-coloniale» et qu’il vaut mieux « accepter d’être l’Autre dans l’histoire », on sent bien que la blessure identitaire ne se refermera pas si facilement, avec ou sans passeport français.

 Difficile d’être insensible à ce parcours exceptionnel. Mais on peut regretter quelques impasses dramaturgiques, sans doute dues à une méthode d’élaboration expérimentale. Le spectacle avance  par sauts et par gambades ; on est sous le charme indéniable du jeune acteur qui expose sa plastique irréprochable à nos regards, tout en s’affirmant bourré de complexes… Un léger narcissisme se dégage de cette partie : dommage, l’écriture n’a pas pris le relais pour cette séance de strip-tease autant physique qu’émotionnel.

Mis à part cette faiblesse (qui pourrait facilement être corrigée avec une étape de travail supplémentaire), le spectacle fait toucher du doigt bien des  a priori liés aux jeunes des départements et territoires d’Outre-Mer. Ceux-là mêmes pour lesquels Isabelle Niveau veut continuer à inventer de nouveaux dispositifs d’excellence et combattre le mal-être par les langages artistiques. En un mot : réinventer le métier d’enseignant.

Marie-Agnès Sevestre

Spectacle vu au festival Passages, le 10 mai.
A voir aussi : Les Verdicts guyanais de Roberto Jean, les mardi 14 et mercredi 15 mai, sous le petit chapiteau, Place de la République, Metz.

 

 

 

 

 

Entretien avec Hocine Chabira, directeur du festival Passages à Metz

 

Entretien avec Hocine Chabira, directeur du festival Passages à Metz

_DSC6853Arrivé en 2015 à la tête de ce festival, prenant la suite de Charles Tordjman qui l’avait créé en 1996 à Nancy, Hocine Chabira a souhaité maintenir l’ouverture vers l’ailleurs qu’avait affirmée son prédécesseur, tout en accentuant les questions d’actualité autour des thèmes du voyage, de la migration, des identités multiples. Situé en Lorraine à Metz, dans un bassin qui fut industriel et minier et qui a accueilli de nombreuses vagues de population, Passages joue aussi la carte transfrontalière avec plusieurs pays voisins.

 - Quel fut votre parcours personnel avant d’arriver à cette direction?

 - Je viens d’une famille algérienne pour laquelle seul le travail comptait et surtout pas le théâtre ! Pourtant on peut dire que j’étais un enfant du Théâtre Populaire de Lorraine qui a fait mon éducation artistique, tout comme le Centre Dramatique National de Nancy ou le théâtre du Saulcy à Metz. Malgré ma passion juvénile pour les planches, il n’était pas question pour mes parents que je fasse une carrière d’acteur ! J’ai donc dû renoncer à me présenter à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Mais, tout en menant une vie professionnelle de commercial, j’ai fondé une compagnie et commencé à faire de la mise en scène. Puis, comme j’avais été formé par l’équipe du CDN de Charles Tordjman au lycée de Thionville, après plusieurs expériences je me suis rapproché de lui, nous avons eu une vraie collaboration et au moment de son départ, il m’a tendu la main.

 - Malgré cette amitié de travail, vous êtes partis sur des routes un peu différentes…

- En 2017, Charlie Tordjman avait prévu pour Passages, un thème majeur: celui de la Méditerranée. Je n’ai fait que donner suite à ce projet, tout en l’accentuant. En effet, compte-tenu de ma pratique artistique (j’avais mené de nombreux ateliers avec des amateurs), je tenais à ce que résonnent dans le festival des voix différentes et que la diversité des parcours, origines et formations, irrigue la programmation. En Lorraine, sur les scènes permanentes, n’apparaissent guère de formes extra-européennes. En sont absents les artistes d’Afrique, du Maghreb ou d’Asie… Offrir au public lui-même très mélangé quant à ses origines, un programme où chacun puisse trouver d’autres possibilités d’identification : voilà mon enjeu. En janvier 2018, Donald Trump a fait une déclaration sur «les pays de merde», déclaration qui m’a interpellé : en effet, que savais-je moi-même de ce qui se créait, s’écrivait, dans les pays en question ? Je me suis donné comme objectif de découvrir ces univers et de les faire découvrir au public lorrain.

 - Une année sur deux, le festival laisse la place aux « Écoles de Passage ». De quoi s’agit-il ?

 - Passages a toujours vécu sur un rythme de biennale. Mais il y avait une vraie demande des élus pour une présence plus forte. J’ai donc mis en place, les années paires, une programmation qui regroupe plusieurs grandes écoles de théâtre, françaises mais aussi étrangères. Par exemple, l’an dernier, nous avons reçu l’Ecole russe d’Ekaterinenbourg, dirigée par Nikola Kolyada. Cela donne parfois des rebonds dans le festival lui-même : ainsi nous avons accueilli en 2018 l’Ecole du T.N.S,  avec en particulier le jeune Roberto Jean, venu de Guyane. Pour le suivre, cette année nous recevons un spectacle qu’il a créé, sous la direction de Ricardo Lopez Munoz, à Kourou, en Guyane, avec la compagnie de l’Entonnoir. 

- Le festival Passages a-t-il les moyens d’accompagner les artistes invités en termes de production, résidences, soutiens divers ?

 -Grâce au programme INTER-REG (nous sommes en zone transfrontalière, ce qui nous permet de bénéficier d’un soutien pluriannuel de 250.000 euros de la Communauté Européenne), nous arrivons à consacrer environ 70.000 euros à la coproduction. Par ailleurs, nous  travaillons avec toutes les structures culturelles de Metz qui sont en coréalisation avec le festival, ce qui nous permet d’offrir de vrais outils de travail aux artistes invités. Il est clair que notre activité au service de la diversité, contre toutes les discriminations et dans un esprit d’accueil des artistes étrangers, rencontre les objectifs des programmes européens. Tout comme le soutien des partenaires régionaux.

 - Comment se profile l’avenir de Passages ?

 - Nous allons encore plus loin dans la présence du théâtre à Metz, en engageant désormais une saison avec environ une dizaine de propositions, toujours dans la veine de nos thématiques. Et ceci en partenariat avec les théâtres de la ville. Metz a en effet construit une identité très forte en matière de musique, d’opéra, de danse. Nous répondrons ainsi à une demande de la ville pour compléter l’éventail des propositions artistiques en saison.

 Marie-Agnès Sevestre, le 11 mai à Metz.

Le festival Passages continue jusqu’au 19 mai.

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