Babel Guyane de Roberto Jean, mise en scène de Ricardo Lopez Munoz
Festival Passages à Metz:
Babel Guyane de Roberto Jean, mise en scène de Ricardo Lopez Munoz
Présenté en première dans la métropole, ce spectacle est issu d’une aventure doublement particulière : celle du jeune Roberto, un jeune Haïtien clandestin en Guyane, excellent élève du lycée de Kourou, devenu comédien grâce à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg et à une bourse exceptionnelle du Centre national des études spatiales. Sa chance ? Avoir croisé le chemin d’Isabelle Niveau, professeur de français et responsable de la compagnie L’Entonnoir, qui a mis en place tout un parcours artistique pour entourer ses jeunes élèves aux origines multiples (bushinengué, mong, haïtienne… On compte dix « langues de France » en Guyane).
Le projet de l’Entonnoir n’est pas d’en faire des professionnels mais, grâce au dispositif Vivre et dire son quartier, de leur donner une chance d’être des jeunes gens réconciliés avec leur histoire. Travailler sur les problématiques communautaires, les échanges entre quartiers et les récits mythologiques de chaque territoire, leur permet d’écrire le scénario de leurs vies. Laboratoires de la pensée, de la prise de parole, de l’estime de soi, ces ateliers conduisent aussi quelques-uns d’entre eux jusqu’aux métiers du théâtre (écriture, jeu, mise en scène ou scénographie).
Dans l’esprit et la continuité du travail de recherche mené depuis plusieurs années avec Ricardo Lopez Munoz, L’Entonnoir et Roberto Jean présentent cette création au Festival Passages. Le metteur en scène a apporté sa technique de travail sans texte fondé sur des improvisations, discussions de plateau : ce qu’il nomme « un théâtre relationnel». Roberto Jean, lui, a parcouru le récit de son enfance ballottée d’Haïti en Guyane, sur les pas d’une mère «globe-trotteuse des religions » (elle essaie tour à tour les Témoins de Jehovah, les catholiques, les protestants, pour finir dans les bras des Evangéliques)… Le comédien se prête délicatement, en jupe, à l’évocation de cette mère qu’on devine fragile, sans tomber dans la caricature ni la compassion. C’est une figure de rêve, peut-être un vrai souvenir, que cette femme en jupe blanche. Le père, absent, est à peine mentionné.
Très vite, apparaît la difficile situation d’un enfant noir, brillant à l’école : trop noir pour ses copains à la peau métissée et considéré comme vendu aux Blancs et à leur école. Pris dans des conflits de loyauté, le regard des autres toujours pesant sur lui – ni vraiment Haïtien, ni vraiment Guyanais, encore moins Français – le jeune Roberto envisage pourtant le métier d’acteur. Il lui faut partir pour la métropole. Son arrivée le renvoie encore à un autre statut : celui de « grand noir » (le seul dans sa classe d’hypokhâgne au lycée Lakanal de Sceaux). Commence alors le parcours du combattant qui oppose ce jeune homme non pas à l’hostilité d’autrui mais aux multiples facettes de son histoire qu’il n’arrive pas à composer en un «moi » auquel s’accrocher.
Devenir un comédien, apparemment c’est fait, et avec talent. Devenir un comédien français, c’est une autre affaire. Dernière étape de son intégration, il n’est qu’au début du long processus administratif… Même si, dans une pirouette finale, il affirme qu’il s’agit «d’une obsession post-coloniale» et qu’il vaut mieux « accepter d’être l’Autre dans l’histoire », on sent bien que la blessure identitaire ne se refermera pas si facilement, avec ou sans passeport français.
Difficile d’être insensible à ce parcours exceptionnel. Mais on peut regretter quelques impasses dramaturgiques, sans doute dues à une méthode d’élaboration expérimentale. Le spectacle avance par sauts et par gambades ; on est sous le charme indéniable du jeune acteur qui expose sa plastique irréprochable à nos regards, tout en s’affirmant bourré de complexes… Un léger narcissisme se dégage de cette partie : dommage, l’écriture n’a pas pris le relais pour cette séance de strip-tease autant physique qu’émotionnel.
Mis à part cette faiblesse (qui pourrait facilement être corrigée avec une étape de travail supplémentaire), le spectacle fait toucher du doigt bien des a priori liés aux jeunes des départements et territoires d’Outre-Mer. Ceux-là mêmes pour lesquels Isabelle Niveau veut continuer à inventer de nouveaux dispositifs d’excellence et combattre le mal-être par les langages artistiques. En un mot : réinventer le métier d’enseignant.
Marie-Agnès Sevestre
Spectacle vu au festival Passages, le 10 mai.
A voir aussi : Les Verdicts guyanais de Roberto Jean, les mardi 14 et mercredi 15 mai, sous le petit chapiteau, Place de la République, Metz.