Entretien avec Hocine Chabira, directeur du festival Passages à Metz
Entretien avec Hocine Chabira, directeur du festival Passages à Metz
Arrivé en 2015 à la tête de ce festival, prenant la suite de Charles Tordjman qui l’avait créé en 1996 à Nancy, Hocine Chabira a souhaité maintenir l’ouverture vers l’ailleurs qu’avait affirmée son prédécesseur, tout en accentuant les questions d’actualité autour des thèmes du voyage, de la migration, des identités multiples. Situé en Lorraine à Metz, dans un bassin qui fut industriel et minier et qui a accueilli de nombreuses vagues de population, Passages joue aussi la carte transfrontalière avec plusieurs pays voisins.
- Quel fut votre parcours personnel avant d’arriver à cette direction?
- Je viens d’une famille algérienne pour laquelle seul le travail comptait et surtout pas le théâtre ! Pourtant on peut dire que j’étais un enfant du Théâtre Populaire de Lorraine qui a fait mon éducation artistique, tout comme le Centre Dramatique National de Nancy ou le théâtre du Saulcy à Metz. Malgré ma passion juvénile pour les planches, il n’était pas question pour mes parents que je fasse une carrière d’acteur ! J’ai donc dû renoncer à me présenter à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Mais, tout en menant une vie professionnelle de commercial, j’ai fondé une compagnie et commencé à faire de la mise en scène. Puis, comme j’avais été formé par l’équipe du CDN de Charles Tordjman au lycée de Thionville, après plusieurs expériences je me suis rapproché de lui, nous avons eu une vraie collaboration et au moment de son départ, il m’a tendu la main.
- Malgré cette amitié de travail, vous êtes partis sur des routes un peu différentes…
- En 2017, Charlie Tordjman avait prévu pour Passages, un thème majeur: celui de la Méditerranée. Je n’ai fait que donner suite à ce projet, tout en l’accentuant. En effet, compte-tenu de ma pratique artistique (j’avais mené de nombreux ateliers avec des amateurs), je tenais à ce que résonnent dans le festival des voix différentes et que la diversité des parcours, origines et formations, irrigue la programmation. En Lorraine, sur les scènes permanentes, n’apparaissent guère de formes extra-européennes. En sont absents les artistes d’Afrique, du Maghreb ou d’Asie… Offrir au public lui-même très mélangé quant à ses origines, un programme où chacun puisse trouver d’autres possibilités d’identification : voilà mon enjeu. En janvier 2018, Donald Trump a fait une déclaration sur «les pays de merde», déclaration qui m’a interpellé : en effet, que savais-je moi-même de ce qui se créait, s’écrivait, dans les pays en question ? Je me suis donné comme objectif de découvrir ces univers et de les faire découvrir au public lorrain.
- Une année sur deux, le festival laisse la place aux « Écoles de Passage ». De quoi s’agit-il ?
- Passages a toujours vécu sur un rythme de biennale. Mais il y avait une vraie demande des élus pour une présence plus forte. J’ai donc mis en place, les années paires, une programmation qui regroupe plusieurs grandes écoles de théâtre, françaises mais aussi étrangères. Par exemple, l’an dernier, nous avons reçu l’Ecole russe d’Ekaterinenbourg, dirigée par Nikola Kolyada. Cela donne parfois des rebonds dans le festival lui-même : ainsi nous avons accueilli en 2018 l’Ecole du T.N.S, avec en particulier le jeune Roberto Jean, venu de Guyane. Pour le suivre, cette année nous recevons un spectacle qu’il a créé, sous la direction de Ricardo Lopez Munoz, à Kourou, en Guyane, avec la compagnie de l’Entonnoir.
- Le festival Passages a-t-il les moyens d’accompagner les artistes invités en termes de production, résidences, soutiens divers ?
-Grâce au programme INTER-REG (nous sommes en zone transfrontalière, ce qui nous permet de bénéficier d’un soutien pluriannuel de 250.000 euros de la Communauté Européenne), nous arrivons à consacrer environ 70.000 euros à la coproduction. Par ailleurs, nous travaillons avec toutes les structures culturelles de Metz qui sont en coréalisation avec le festival, ce qui nous permet d’offrir de vrais outils de travail aux artistes invités. Il est clair que notre activité au service de la diversité, contre toutes les discriminations et dans un esprit d’accueil des artistes étrangers, rencontre les objectifs des programmes européens. Tout comme le soutien des partenaires régionaux.
- Comment se profile l’avenir de Passages ?
- Nous allons encore plus loin dans la présence du théâtre à Metz, en engageant désormais une saison avec environ une dizaine de propositions, toujours dans la veine de nos thématiques. Et ceci en partenariat avec les théâtres de la ville. Metz a en effet construit une identité très forte en matière de musique, d’opéra, de danse. Nous répondrons ainsi à une demande de la ville pour compléter l’éventail des propositions artistiques en saison.
Marie-Agnès Sevestre, le 11 mai à Metz.
Le festival Passages continue jusqu’au 19 mai.