Trentièmes rencontres de Garges-lès-Gonesse
Trentièmes rencontres de Garges-lès-Gonesse
Organisées par la compagnie Oposito dirigée par Jean-Raymond Jacob, d’abord à Noisy-le-Sec puis à Garges-lès-Gonesse depuis plusieurs années, ces Rencontres accueillent des compagnies de rue insolites qui sont accueillies dans les grands festivals. On y découvre avec plaisir leurs spectacles en avant-première.
Divertir ou périr par la compagnie n° 8
Cette performance interprétée par cinq comédiens, «hilarante ou pas», comme ils la définissent, est mise en scène par Alexandre Pavlata: «C’est son anniversaire, on va vous présenter le projet. Que passe-t-il, si on veut franchir les limites ? Le rire est fédérateur mais divise mais aussi. Le rire peut guérir, on va essayer de vous faire rire.» Les comédiens s’y emploient tour à tour. Avec Jonathan allongé fesses nues, sur les genoux de Clarisse qui le tape, c’est indéniable. « La prise de parole de la femme a toujours été compliquée. » Ils pètent à qui mieux mieux, s’esclaffent sur des sujetsmuets. Jonathan, en crabe, nous traite de «public de merde» et raconte son parcours d’enfant abandonné. Deux personnages font ou plutôt miment une relation sexuelle mais le public proteste. On peut sans doute rire de tout, mais pas avec n’importe qui… Barbouillés de mousse, les acteurs dansent en musique, s’asseyent et chantent.
La Figure de l’érosion par la compagnie Pernette de Besançon, troisième volet du triptyque Une Pierre presque immobile, pièce chorégraphique pour quatre danseurs en espace public.
Quatre danseurs figurent des statues chacune sur un socle et esquissent des mouvements lents, prennent des pauses sur un bruitage, avec des voix mugissantes. Ils forment un bouquet qui se déploie et s’érige puis qui s’allonge. Un homme tombe lentement la tête à l’envers puis se relève. Un deuxième tombe aussi; un autre, la tête en bas, s’installe par terre, puis remonte. Il y a le rythme trépidant d’une musique conçue comme une vaste fresque en partie disparue, mais une grande une lenteur dans les gestes. « Composée d’une succession et d’une superposition de nappes sonores aux résonances physiques (sensation de vertige et de rêve) et historiques (bribes de discours voilées, mémoires sonores de diverses époques). Il s’agira aussi de rapprocher l’oreille du spectateur de l’action dansée, en lui faisant goûter aux accidents de la matière (frottements, craquements et autres éléments d’une musique bruitiste), combinant ainsi dans un parfait grand écart, l’immensité de l’histoire et la proximité de la peau…
Les trois sont à terre, puis une fille remonte sur son socle. On entend un bruit de tonnerre… et la voix de Philippe Pétain : «J’assume le gouvernement de la France ! » Les danseurs lèvent le poing. On croit percevoir la voix de Barack Obama puis celle de Charles de Gaulle. «L’avortement, c’est toujours un drame ! » Dans un bruit de bottes, ils s’empilent puis reprennent les pauses du début. « Avec cette création dit Nathalie Pernette, s’affiche le désir de s’emparer des figures du gisant, de l’étreinte amoureuse, de l’œuvre commémorative ou du personnage historique.Comment passer d’une statique, d’une immobilité presque parfaite au premier geste ; s’agira-t-il d’un « accident de la matière », d’une volonté ou d’une bribe, d’un « éclat » de mémoire ? Ce spectacle remarquable a été joué au Panthéon.
Paillardes conception de Marie-Do Freval, par la compagnie Bouche à Bouche
Un homme en costume, un sexe noir entre les jambes suivi d’un autre casqué silencieux sont des vigiles de sécurité, ils choisissent quatre spectateurs. « On imagine que c’est la cour de l’école, on va pisser ! ». Ce qu’ils esquissent. Ils chantent en rythme : « Faut pas confondre ouverture de sacs et ouverture de frontières!» Ils soupèsent ce que nous avons dans le pantalon. «La sécurité, c’est une belle enculade!»
Marie-Do Fréval coiffée d’une bite noire dressée, enlève son pantalon : «Je suis le boxeur qui joue tous les rôles!» En soutien-gorge et culotte, elle chante Au clair de la lune. Une grosse bite rose s’élève entre les rideaux: «C’est la bite à qui ?» Arrivés dans une cour, on nous distribue à chacun une bite qu’on porte en casque ou autour de la taille, dans un concert fleuri de suggestions sexuelles plutôt surprenant ! «J’avance si tu recules, comment veux-tu, comment veux-tu que je t’encule?» La chanson paillarde est ici éminemment politique, «Trou du cul, par devant, par derrière ! Poil, poil partout ! » Trois musiciens accompagnent ces empoignades.
Ce spectacle décapant est la dernière sortie de Marie-Do Fréval qui ne recule devant rien pour ses Tentatives de résistance. Elle vient de publier un petit livre passionnant de soixante-quinze pages aux Editions Deuxième époque
Edith Rappoport
Spectacles vus le 18 mai à Garges-lès-Gonesse (Seine-Saint-Denis).