Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

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Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

Créé il y a deux ans, le spectacle déjà joué un peu partout, est parfaitement rodé.  La metteuse en scène, par ailleurs réalisatrice de films documentaires, travaille à partir d’entretiens. «Mon désir de théâtre a toujours été lié, dit-elle,  à celui de l’enquête, au croisement de la grande et de la petite histoire. Dans Où vas-tu Pedro?, j’ai interrogé, avec l’auteur Manon Moreau, des petits-enfants de Républicains espagnols et j’ai travaillé sur la guerre d’Espagne; dans Babel, j’ai interrogé des jeunes gens issus d’une double culture et sur la question du plurilinguisme. Dans Nous ne sommes pas seuls au monde, j’ai interrogé une jeune femme française d’origine sénégalaise et j’ai travaillé sur l’amour et la langue maternelle. »

  »Ici, des entretiens que j’ai faits avec une amie très chère, aujourd’hui âgée de quatre-vingt treize  ans, prennent la forme de conversations souvent lors d’un repas, pendant lequel je laisse tourner le magnétophone. Elle me décrit les arbres généalogiques, montre de vieilles photos. Elle me donne à lire des articles de journaux et des textes qu’elle a écrits. » Bref,  il y a là une riche matériau de presque un siècle de vie à la fois intime et national dont il a fallu faire un montage. 

 Sur le plateau, dans le fond une petite cuisine en longueur fermée de grandes vitres, avec des chaises et une table en stratifié rouge des années soixante, un petit frigo et un four.. Deux jeunes femmes dégustent des carottes râpées. Et devant cette cuisine, une surface juste éclairée à chaque bout par deux tubes fluo blanc. Avec de grandes photos en noir et blanc, elles vont composer une sorte de mémoire de l’art occidental: des détails d’une sculpture de Michel-Ange, des peintures de Giotto, des photos d’anthropologie ou de famille… Une sorte d’espace saturé, comme peut l’être la mémoire reconstituée d’une très vieille dame qui a encore toute sa tête comme on dit, et qu’on entendra aussi, très émouvante en voix off par moments… Mais cet espace fait-il sens comme le voudrait Elise Chatauret?  Pas sûr du tout : cet « atlas composé  transforme l’espace, le sature de signes et offre un point de vue complexe et non sur la situation de départ et récit donné à entendre.» Mais l’assemblage, assez réussi sur le plan plastique,  prend du temps et ralentit donc la mise en place du spectacle à base de collages qui se veut non linéaire. Il a donc un peu de mal à débuter et cet «espace duel», revendiqué comme tel, ne fonctionne pas très bien. Sans doute victime d’une accumulation de signes…  
Mais bon, on fera avec, et l’essentiel est que nous ayons accès aux paroles souvent fabuleuses, celle de l’histoire toute simple d’une vieille dame exceptionnelle, une ancienne professeure,  aux  analyses d’une rare virulence : «Tu vois: être bourgeois, c’est avoir le sentiment que l’argent donne des droits, je ne ferai jamais partie de ces gens-là. Moi, j’ai la chance de n’être rien, de ne même pas savoir d’où je viens et je trouve ça formidable. Tu sais, je m’aperçois que je suis formée et déformée par le sentiment de la lutte des classes. Souvent quand j’parle de la lutte des classes, on me dit que d’la bêtise, que ça n’existe pas. » 

Elle est aussi magnifique quand elle parle la guerre atroce et des bouleversements qui détruit tout : les hommes, villes, maisons, civilisations et quand elle parle de l’amour physique. Elle raconte son amour pour Hervé son mari, ses trois enfants et toujours en filigrane, apparaît la figure de se mère qui la confia, elle et sa sœur nées d’un d’amour avec un homme marié, à sa grand-mère qui les éleva. Cette mère qu’elle arriva ensuite- elle avait déjà soixante ans- à retrouver mais la rencontre ne fut pas un succès. Elle se souvient et  parle sans amertume de la vieillesse, de la dégradation de son corps avec des mots parfois crus, de la perte douce mais inexorable de sa mémoire, de la peur d’oublier le nom des gens, des rues,  des images qu’elle a dans la tête et essaye de se souvenir de telle équation. Elle accepte, mais comment faire autrement, d’être un peu physiquement handicapée. Mais, malgré tout avec sagesse. Et elle a cette belle phrase : «Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de ce qui est là, maintenant en train de se produire. » Je ne suis déjà plus de votre monde. (…)Vous marchez trop vite, vous êtes plein de soucis. Vous êtes pressés, fatigués, occupés. Je m’accroche mais je suis larguée. «J’ai vécu comme une teigne, je mourrai comme une teigne, bien accrochée. »

Et quand, s’appuyant sur ses cannes, elle arrive sur la scène, aidée par les jeunes actrices,  du premier rang  de la salle, l’émotion envahit le public. En fait, comme une projection de texte le précisera ensuite, c’est une des personnes âgées qui l’incarnent en alternance chaque soir. Le spectacle a des défauts de rythme et on reste un peu sur sa faim mais qu’importe, Justine Bachelet et Solenne Keravis, parfois accompagnées par l’altiste Julia Robert, sont impeccables. Nous nous laissons emmener dans cette promenade historique de cette vieille dame qui a tellement de souvenirs à partager, à la fois intimes mais aussi collectifs.Rien, écrivait déjà Plutarque, n’est plus capable que la mémoire, de féconder et nourrir l’esprit.

Philippe du Vignal

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National  du Val-de-Marne, 1 Place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine, jusqu’au 28 mai. T. : 01 43 90 11 11

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Archive pour 27 mai, 2019

Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

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Ce qui demeure, écriture et mise en scène d’Elise Chatauret

Créé il y a deux ans, le spectacle déjà joué un peu partout, est parfaitement rodé.  La metteuse en scène, par ailleurs réalisatrice de films documentaires, travaille à partir d’entretiens. «Mon désir de théâtre a toujours été lié, dit-elle,  à celui de l’enquête, au croisement de la grande et de la petite histoire. Dans Où vas-tu Pedro?, j’ai interrogé, avec l’auteur Manon Moreau, des petits-enfants de Républicains espagnols et j’ai travaillé sur la guerre d’Espagne; dans Babel, j’ai interrogé des jeunes gens issus d’une double culture et sur la question du plurilinguisme. Dans Nous ne sommes pas seuls au monde, j’ai interrogé une jeune femme française d’origine sénégalaise et j’ai travaillé sur l’amour et la langue maternelle. »

  »Ici, des entretiens que j’ai faits avec une amie très chère, aujourd’hui âgée de quatre-vingt treize  ans, prennent la forme de conversations souvent lors d’un repas, pendant lequel je laisse tourner le magnétophone. Elle me décrit les arbres généalogiques, montre de vieilles photos. Elle me donne à lire des articles de journaux et des textes qu’elle a écrits. » Bref,  il y a là une riche matériau de presque un siècle de vie à la fois intime et national dont il a fallu faire un montage. 

 Sur le plateau, dans le fond une petite cuisine en longueur fermée de grandes vitres, avec des chaises et une table en stratifié rouge des années soixante, un petit frigo et un four.. Deux jeunes femmes dégustent des carottes râpées. Et devant cette cuisine, une surface juste éclairée à chaque bout par deux tubes fluo blanc. Avec de grandes photos en noir et blanc, elles vont composer une sorte de mémoire de l’art occidental: des détails d’une sculpture de Michel-Ange, des peintures de Giotto, des photos d’anthropologie ou de famille… Une sorte d’espace saturé, comme peut l’être la mémoire reconstituée d’une très vieille dame qui a encore toute sa tête comme on dit, et qu’on entendra aussi, très émouvante en voix off par moments… Mais cet espace fait-il sens comme le voudrait Elise Chatauret?  Pas sûr du tout : cet « atlas composé  transforme l’espace, le sature de signes et offre un point de vue complexe et non sur la situation de départ et récit donné à entendre.» Mais l’assemblage, assez réussi sur le plan plastique,  prend du temps et ralentit donc la mise en place du spectacle à base de collages qui se veut non linéaire. Il a donc un peu de mal à débuter et cet «espace duel», revendiqué comme tel, ne fonctionne pas très bien. Sans doute victime d’une accumulation de signes…  
Mais bon, on fera avec, et l’essentiel est que nous ayons accès aux paroles souvent fabuleuses, celle de l’histoire toute simple d’une vieille dame exceptionnelle, une ancienne professeure,  aux  analyses d’une rare virulence : «Tu vois: être bourgeois, c’est avoir le sentiment que l’argent donne des droits, je ne ferai jamais partie de ces gens-là. Moi, j’ai la chance de n’être rien, de ne même pas savoir d’où je viens et je trouve ça formidable. Tu sais, je m’aperçois que je suis formée et déformée par le sentiment de la lutte des classes. Souvent quand j’parle de la lutte des classes, on me dit que d’la bêtise, que ça n’existe pas. » 

Elle est aussi magnifique quand elle parle la guerre atroce et des bouleversements qui détruit tout : les hommes, villes, maisons, civilisations et quand elle parle de l’amour physique. Elle raconte son amour pour Hervé son mari, ses trois enfants et toujours en filigrane, apparaît la figure de se mère qui la confia, elle et sa sœur nées d’un d’amour avec un homme marié, à sa grand-mère qui les éleva. Cette mère qu’elle arriva ensuite- elle avait déjà soixante ans- à retrouver mais la rencontre ne fut pas un succès. Elle se souvient et  parle sans amertume de la vieillesse, de la dégradation de son corps avec des mots parfois crus, de la perte douce mais inexorable de sa mémoire, de la peur d’oublier le nom des gens, des rues,  des images qu’elle a dans la tête et essaye de se souvenir de telle équation. Elle accepte, mais comment faire autrement, d’être un peu physiquement handicapée. Mais, malgré tout avec sagesse. Et elle a cette belle phrase : «Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de ce qui est là, maintenant en train de se produire. » Je ne suis déjà plus de votre monde. (…)Vous marchez trop vite, vous êtes plein de soucis. Vous êtes pressés, fatigués, occupés. Je m’accroche mais je suis larguée. «J’ai vécu comme une teigne, je mourrai comme une teigne, bien accrochée. »

Et quand, s’appuyant sur ses cannes, elle arrive sur la scène, aidée par les jeunes actrices,  du premier rang  de la salle, l’émotion envahit le public. En fait, comme une projection de texte le précisera ensuite, c’est une des personnes âgées qui l’incarnent en alternance chaque soir. Le spectacle a des défauts de rythme et on reste un peu sur sa faim mais qu’importe, Justine Bachelet et Solenne Keravis, parfois accompagnées par l’altiste Julia Robert, sont impeccables. Nous nous laissons emmener dans cette promenade historique de cette vieille dame qui a tellement de souvenirs à partager, à la fois intimes mais aussi collectifs.Rien, écrivait déjà Plutarque, n’est plus capable que la mémoire, de féconder et nourrir l’esprit.

Philippe du Vignal

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National  du Val-de-Marne, 1 Place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine, jusqu’au 28 mai. T. : 01 43 90 11 11

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