For Four Walls et Jour de colère par le Ballet de Lorraine

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© Laurent Philippe

Petter Jacobsson exerce, depuis 2011, la direction du Centre Chorégraphique National à la suite de Didier Deschamps. Après avoir été directeur artistique du Ballet Royal de Suède à Stockholm, il hérite, en binôme avec Thomas Caley, d’une structure issue d’une longue histoire.  Ce fut, sous le nom de  Ballet Théâtre Contemporain, la première compagnie permanente décentralisée dédiée à la création. Installée d’abord à Amiens puis à Angers, et rebaptisée Ballet de Lorraine, la troupe s’est fixée à Nancy il y a cinquante ans et a été labellisée Centre Chorégraphique National en 1998.

Petter Jacobsson a dansé du classique pendant des années, avant de travailler aux États-Unis avec Twyla Tharp et Merce Cunningham. Par sa connaissance intime de cet art, qu’il a abordé sous tous les aspects, il a pu, depuis huit ans, fédérer le public autour des différentes approches de la danse. Il clôture sa saison avec des créations : l’une confiée à Olivia Granville, l’autre dont il assure la chorégraphie avec son complice  Thomas Caley depuis vingt-cinq ans  et qui fut premier danseur de 1994 à 2000  à la Merce Cunningham Dance Company. Ces pièces ont en commun  la redécouverte de partitions oubliées, jouées en « live »au milieu des vingt-quatre danseurs de la troupe.

 

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© Laurent Philippe

For Four Walls Chorégraphie de Petter Jackobsson et Thomas Caley

Cette création, dédiée au centenaire de Merce Cunningham, trouve sa source dans une partition de John Cage, la première de sa longue collaboration avec le chorégraphe américain, racontent Petter Jacobsen et Thomas Caley :  «  La pièce originale, Four Walls, était une création dramatico-chorégraphique sur un texte et une chorégraphie de Merce Cunningham, et une musique pour piano et voix. Après une unique performance en 1944, elle a été perdue et oubliée. » Pour le compositeur, qui ne s’est pas reconnu en la réécoutant des années plus tard, l’œuvre préfigurait Philip Glass et Steve Reich : « C’est plein de passages répétés, tout est écrit pour les notes blanches du piano, c’est en sol majeur et la musique ne s’arrête jamais », dit-il.

Au piano, Vanessa Wagner, «Révélation» aux Victoires de la musique 1999, règne gracieusement sur un plateau vide. Deux miroirs placés en diagonale depuis cour et jardin, se rejoignent à angle droit, au centre du fond de scène, de manière à réfléchir le corps de la soliste en quatre exemplaires. Illusion d’optique qui persistera jusqu’au vertige, quand les vingt-trois danseurs investiront le plateau et se démultiplieront ainsi. En parfaite symétrie, les artistes se placent en une diagonale qui va bientôt s’atomiser dans l’espace. Selon la partition, on n’utilise que les touches blanches du piano et tout repose sur des contrastes : fort et doux, haut et bas, auxquels s’accordent  les costumes, alternant noirs, blancs et gris, et les lumières d’Eric Wurtz projetant au sol des découpes d’intensité variée.

La chorégraphie dialogue avec la musique : du vide où les interprètes dansent seuls avec leur reflet, au plein, où le plateau accueille un essaim vibrionnant, à l’infini de ce miroir magique. A d’autres moments, les danseurs sortent de scène mais leur image persiste sur les miroirs… Ou ils passent de l’autre côté, avalés par le noir des lointains. En trente-cinq minutes, l’espace en perpétuelle transformation selon les éclairages et la position des glaces, mute d’un monde incertain et illimité, à la banalité d’un studio de danse… Les artistes sont partout et nulle part, seuls ou ensemble. Insaisissables.

«C’est une pièce de jeunesse, pleine d’émotions contraires et très intimes», estiment les artistes qui signent aussi la scénographie. La musique comme le peu que nous savons de la danse, apparaissent vraiment comme des prémices du duo Merce Cunningham/John Cage. » Quant au duo  Petter Jacobsson / Thomas Caley, il nous livre une pièce vertigineuse, une rêverie autour de la musique dont toutes les nuances exprimées par la pianiste se retrouvent dans les apparitions et disparitions des danseurs.  Leurs mouvements sont tantôt lents et comme suspendus, tantôt effervescents comme un chœur fluctuant qui se ressaisira pour une ultime intervention vocale, après plusieurs fausses fins. Un hommage en toute liberté :  « Nous n’envisageons pas For Four Walls comme une recréation de la pièce originale perdue mais comme une réfraction en lien avec son histoire et notre histoire avec Merce.»  

©laurent Philippe

©laurent Philippe

Jour de colère, chorégraphie d’Olivia Granville, musique de Julius Eastman

Olivia Granville varie les plaisirs, toujours surprenante et articule ses pièces autour du langage et du phrasé, qu’il soit musical, verbal ou dansé. Nous avions vu et aimé son Cabaret discrépant sur des textes d’Isidore Isou, et Combat de carnaval et Carême, d’après Peter Brueghel l’Ancien (voir Le Théâtre du Blog).
Elle nous emmène, cette fois, dans l’univers sonore de Julius Eastman (1940-1990), compositeur afro-américain mort du sida dans la misère et injustement oublié.  Sa musique minimaliste, chargée d’une énergie rock, accompagnait son combat d’artiste noir et gay. Avec Evil Nigger (Mauvais Nègre), interprété par Melaine Dalbert (piano) et Manuel Adnot (guitare), on entend la voix du compositeur enregistrée en prélude à l’un de ses concerts. La feuille de salle nous en donne la traduction : « Contrairement à la musique romantique ou classique,ces morceaux sont une tentative de faire qu’ici chaque mouvement contienne toutes les informations du précédent. »

La chorégraphie traduit ce mouvement permanent et collectif mais chaque danseur s’individualise avec des comportements propres et récurrents et les costumes ont une forme et des couleurs différentes. Nous y retrouvons l’énergie combative de la partition et les gestes du labeur et de la révolte : « J’emploie le mot « nigger“ car il possède pour moi un caractère basique. C’est sur les premiers nègres, ceux qui travaillaient dans les plantations que s’est construite notre grande, notre exceptionnelle économie américaine», poursuit la voix.  Par petits groupes ou seuls, les vingt-et-un danseurs investissent le grand plateau. Ils traversent les diagonales délimitées par des rideaux à lanières et des découpes de lumière au sol.  Mouvements nerveux et précis, poings levés, bonds secs et répétitifs. Après une dispersion du groupe, deux hommes s’attardent pour un baiser furtif. Rappelant ainsi que, dans “guérilla“, il y a “gay“, et que les luttes s’additionnent : «J’utiliseble titre Gay Guerrilla dans l’espoir que cela arrive un jour et de l’incarner», entendons-nous.
Olivia Granville impulse à la compagnie un élan vital, soutenu par un dialogue tendu entre les instrumentistes, placés à distance l’un de l’autre, dans la pénombre des rideaux.
 
Mireille Davidovici

Spectacle vu le 26 mai à  l’Opéra National de Lorraine, Nancy (Meurthe-et-Moselle).

For Four Walls
: le 4 octobre, Teatro Grande, Brescia (Italie) ; le  6 octobre, Cankarjev dom, Ljubljana (Slovénie) ; les 12, 13, 15 et 16 octobre, Théâtre national de Chaillot/Festival d’Automne à Paris; les 24, 25 et 26 octobre, Royal Opera House, Londres (Grande-Bretagne).

Les  3 et 4 décembre, Théâtre du Beauvais.
Le 30 janvier, L’Arsenal, Metz.
Le 25 février Le Lieu Unique-Cité des Congrès, Nantes ( Loire-Atlantique).


Jour de Colère

Le 30 janvier,  L’Arsenal , Metz ; le 25 février,  Le Lieu Unique-Cité des Congrès, Nantes.

Le 15 juin, en clôture du Festival June Events à Paris, le C.C.N.-Ballet de Lorraine présentera Transparent Monster de Saburo Teshigawara et Flot de Thomas Hauert.

 

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