La Muse en Circuit fait peau neuve
La Muse en Circuit fait peau neuve
Le Centre National de Création Musicale inaugure aujourd’hui des locaux agrandis, rénovés, dotés de trois studios d’enregistrement. Créée en 1982 sous l’impulsion de Luc Ferrari (1929-2005), La Muse en Circuit fut d’abord un studio privé de composition électroacoustique. Sa courbe de notoriété suivit celle de son fondateur et, en 1992, elle s’installa dans les locaux actuels. En 1999, au terme d’une collaboration de près d’un quart de siècle avec Luc Ferrari, David Jisse, auteur, compositeur et producteur à Radio-France prit le relais et dirigea cette structure. Un tournant, avec une ouverture aux musiques autres que celles dites «sur support» : musiques instrumentales, électroniques, et organisation de concerts. Le désormais Centre National de Création Musicale est dirigé depuis 2013 par Wilfried Wendling. Ce compositeur mais aussi metteur en scène et vidéaste, oriente davantage encore La Muse en Circuit vers des formes musicales transdisciplinaires et la participation à des spectacles : cirque, théâtre, performance, danse… Alors qu’un bon demi-siècle après l’émergence du «théâtre musical», l’association Théâtre et musique donne naissance à de nouvelles formes: des créations d’Heiner Goebbels, Christoph Marthaler, Matthieu Bauer ou David Lescot (voir Le Théâtre du Blog). Ce concept de «théâtre musical» s’inscrit moins comme genre que comme rupture avec la tradition et l’institution et développe un caractère expérimental. Danse et musique dialoguent depuis toujours mais cette symbiose se met aussi progressivement en place dans les autres arts de la scène, et naissent ainsi de nouvelles dramaturgies. La revue Théâtre Public a publié récemment un numéro consacré à Théâtre/Musique Variations contemporaines…
Situé au cœur d’Alfortville, à deux pas du Studio-Théâtre de Christian Benedetti et non loin de l’Ecole du Théâtre du Corps créée en 2018 par Marie-Pierre Pietragalla et Julien Derouault, La Muse en Circuit trouve avec eux des passerelles naturelles mais rayonne bien au-delà. Wilfried Wendling précise que, sous le label :«centre de création musicale», se classent » toutes les pratiques musicales non homologuées, entre musiques actuelles et celles dites savantes.» Un vaste champ à investir quand on dispose d’un plateau de plus de cent dix mètres carrés pour accueillir le travail d’équipes artistiques franciliennes, nationales et internationales. Pour l’heure, le dispositif se traduit en chiffres: cent-soixante concerts, six cent cinquante heures d’actions de formation par an, cent artistes en résidence et coproduction de quarante spectacles…
Concert inaugural en hommage à Luc Ferrari
A la recherche du rythme perdu oppose dans un premier temps deux modes de musique: fluidité et limpidité de la harpe, silences et résonances contre battements sourds des morceaux remixés sur une console électronique. Dans cette lutte entre instruments si différents, la harpe devient de plus en plus offensive. La musicienne arrive à trouver une puissance de percussion inattendue, en battant les cordes, en les pinçant et les raclant, loin de l’image sage et anachronique de la harpe. Les artistes s’accordent enfin pour se déchaîner dans une coda chorale très jazz. «Dans A la Recherche du rythme perdu, disait Luc Ferrari, je voudrais m’adresser à des musiciens venus du jazz. Cela veut dire que les notes qui sont pour les musiciens classiques un code de jeu, sont ici des indications d’ambiance plus que des signes à reproduire instrumentalement.» Une liberté qui leur est donnée : «J’ai parfois l’impression que le respect de l’écriture (c’est-à-dire de la loi) a occulté l’intuition musicale, a censuré le sens du rythme et a, peu à peu, grignoté l’imagination des interprètes. »
Archives sauvées des eaux
Eclats de voix, soupirs, rires… eRikm remixe des sons épars sur sa console, jouant entre aigus et basses et Hélène Beschand lui emboîte le pas : avec la voix ou la harpe, elle se fraye une chemin dans cette partition complexe. Sur les platines, on entend des percussions et des grillons, tandis qu’en réponse, la harpe émet d’étranges notes… Un concert polyphonique harmonisant des éléments éclatés. Luc Ferrari créa cette pièce en 2000: «L’idée d’utiliser mes archives est née d’une nécessité d’actualiser le support même de ces mémoires. J’ai en effet des bandes analogiques dans mon atelier représentant tous les enregistrements que j’ai faits depuis 1960, et dont je me suis, ou non, servi. En les copiant sur CD, j’ai eu envie de transformer ce travail fastidieux en travail créatif. Et, au lieu de copier, je me suis mis à composer. »
Comme Hélène Beschand l’explique, Luc Ferrari demandait à ses interprètes d’être créatifs et d’inventer, à partir du potentiel de l’instrument, les effets qu’il demandait d’une écriture serrée, incluse dans la partition. C’est, dit-elle, ce qui lui a donné le goût de composer elle-même. Cette mise en scène de la musique sur la page avec didascalies, semble avoir inspiré ces solistes…
Mireille Davidovici