Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Julie Brochen

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Julie Brochen

 

Crédit Photo : Franck Beloncle

Crédit Photo : Franck Beloncle

Dans cette «tragédie naturaliste» (1888), Julie, une jeune aristocrate séduit Jean, le valet de son père, pour humilier à la fois le domestique et l’homme. August Strindberg y voit plusieurs explications: venger une mère disparue face à un époux qui abuse de l’autorité masculine, se soustraire à l’éducation de celui-ci et prendre plaisir à contraindre les hommes.

 La nuit de la Saint-Jean… le village entier cherche à oublier une vie rude et s’amuse à cette fête nocturne qu’il ne voudrait pas manquer. Absence du père de Julie, frénésie de la danse, chaleur estivale mais aussi rencontre amoureuse dans la cuisine, entre la très jeune femme et Jean:  tout est dans l’axe. Lui a un désir forcené d’élévation sociale et lutte en permanence contre ses contradictions, admirant les êtres bien-nés et cultivés : lettres, théâtre et musique mais en même temps, les haïssant aussi. Surexcité, il se permet toutes les audaces et rejette d’abord les provocations sensuelles et verbales de Julie, balayant d’un revers ses avances. Il tient à s’imposer en valet qui tient son rang. Mais Jean redoute aussi la lucide Christine, la cuisinière qui est son amante et qui défend les mêmes valeurs de soumission que leur position de domestique exige. Politesse, respect et courtoisie: il joue avec brio des codes sociaux traditionnels mais tient à effacer en même temps toute trace de ses origines et s’imagine un avenir en Suisse comme directeur d’hôtel, en emmenant la belle Julie avec lui.

Comme un valet grossier mais aussi comme un maître insensible, il tue sans aucun remords l’oiseau de Julie, pour ne pas le prendre dans ses bagages. Mais elle, de caractère si moderne soit-elle, se rend compte qu’elle ne pourra pas vivre dans le déshonneur; prisonnière des préjugés de sa caste, elle est aussi incapable de la moindre émancipation….  Lui, valet actif est supérieur à Julie parce qu’il est un homme… «Sexuellement, dit le dramaturge suédois, c’est lui, l’aristocrate, grâce à sa force virile, à ses sens plus évolués et à son esprit d’initiative. Sa seule infériorité tient au milieu social où il vit encore …»

Lorenzo Albani a dessiné de beaux costumes seyants et a imaginé une vaste cuisine sur le proscénium où le public saisit bien les faits et gestes des personnages. Au lointain, une porte donne sur les jardins éclairés et sur la cour de la belle demeure où la fête paysanne bat son plein. Et il y a une fenêtre de grange par où on perçoit la vraie vie, son souffle et ses expressions du corps mais aussi les joies fugitives de l’âme.

La metteuse en scène et comédienne Julie Brochen incarne la cuisinière Christine avec aplomb et pudeur: une belle personne… Xavier Legrand dessine la maturité virile de Jean avec panache et niaque, sûr de ses atouts, révélant ses espérances quand s’avance la nuit à la princière Anna Mouglalis qui joue cette mademoiselle Julie avec un plaisir manifeste… Elle se moque de son partenaire, le provoque et l’humilie, avant que sa victime ne retourne ses armes de dominant mâle contre la demoiselle soumise, guerrière de tous les temps, libre et royale, amusée et lasse. Une mademoiselle Julie intense et aux réparties fulgurantes…

Véronique Hotte

Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIIIème). T. : 01 46 06 49 24.

 

 


Archive pour 3 juin, 2019

Le grand Cirque des sondages, mise en scène d’Evelyne Fagnen

Sylvie Berthou

Sylvie Berthou

 

Le grand Cirque des sondages par la compagnie Hannibal et ses Eléphants, mise en scène d’Evelyne Fagnen

Ce spectacle de plein air, dit « d’arène interactif et burlesque », après une résidence au Fourneau de Brest, y a été créé l’an passé par cette compagnie. Le thème : ces sondages établis par des boîtes privées qui travaillent aussi pour des instances gouvernementales et qui ont envahi notre vie quotidienne surtout au moment des élections (une tous les deux ans en France). Sur les thèmes les plus variés : choix politiques, environnement, famille, économie, société, émigration, sexualité, travail, citoyenneté, émigration, culture, religions, drogue, …. Tout passe à la moulinette et il en ressort des chiffres, pourcentages, statistiques, courbes et  «camemberts» à lire avec précaution et à prendre souvent avec des pincettes, car ne tenant pas toujours compte d’un temps et d’un espace précis. Donc méfiance absolue quand même.

Cela se passe dans un grand jardin public à Saint-Michel-sur-Orge, une commune de 29.000 h. dans l’Essonne. Une belle prairie verte avec de grands arbres autour. Quatre gradins en cercle pour quelque cent cinquante  personnes. Un Impér-acteur sur un merveilleux trône ridicule en marbre gris à veinures, encore plus faux que du faux marbre. (Un décor réussi des Plastiqueurs). Muni d’un pouce géant qu’il pourra tendre vers le ciel ou tourner vers la terre pour donner ou non son approbation. Deux petits temples dont l’un porte sur le fronton la mention : panel, comme ceux des sondages et non les célèbres mots latins : panem et circenses (du pain et des jeux), du même faux marbre avec colonnes pour servir de loges.  Au milieu du cercle, un podium avec un bouquet de lances. Et justement un panel d’un bonne dizaine de spect-acteurs incarnera la réalité cruelle des résultats au cours de ces jeux du cirque les plus foutraques mais qui disent beaucoup de choses: 1% de la société est aussi riche que l’ensemble des ces gens du peuple enveloppés dans leur grande toge romaine…  Arriveront-ils à ridiculiser statistiques et sondages de tout poil?

Ils sont six en tenue de combat noire agrémentée de pattes rouges. Tous impeccables comme droit sortis d’une B.D.: Thomas Bacon-Lorent, Jean-Michel Besançon, Frédéric Fort, Jonathan Fussi, Thierry Lorent et une seule femme, Peggy Dias qui, toute jeune, jouait déjà avec la compagnie. Mention spéciale à cette comédienne que l’on a souvent vue chez Omar Porras : diction, gestuelle, chant de haut niveau. Et le grand cirque peut commencer avec un texte  avec de courtes phrases dites en relais, d’un acteur à l’autre mais aussi en chœur: “Vous allez vivre une expérience unique./Aller plus loin que les statistiques/Défier tous les pronostics!/: Participer aux…/Jeux du cirque ! “ Le tout régulièrement ponctué par des coups de gong et par des airs de Strauss en boucle. Et Peggy Dias assène tout naturellement une vérité cruelle: “ Mesdames, vous le savez bien, votre chance d’accéder au pouvoir est trente fois inférieure à celle des hommes./ Mesdames, vous pouvez  donc vous rassoir !/ Et encore merci d’avoir participé.”
Et ici, non ne mâche pas ses mots: “Ah… Monsieur, votre fiche. Charles : “Charles De Poursac/ “En deux mots ?” “Charles : En trois. Charles-De-Poursac. 51 ans, haut fonctionnaire, marié, quatre enfants, catholique pratiquant, domicilié à…Tous: Woh woh woh…/Un casier judiciaire, peut-être ? Charles : Un casier judiciaire ?… Ah ! Deux non-lieux et une prescription. Tous : Woh ! Fred : Carrément du bonus ! Tête haute, mains propres !/ Monsieur ! Vous avez le profil d’un impéracteur. Veuillez nous rejoindre.”  Julien Valois. 39 ans. Je dirige une start-up. De la vente privée sur Internet… Tous : Wahou ! Julien: 46 millions de chiffre d’affaires. Tous : Wahouuuuuu ! Julien: Célibataire.Peggy: Wahouuuuuu ! Cé-li-ba-taire. Voici donc un deuxième prétendant à la prestigieuse et unique place d’Impéracteur ! Rejoignez-nous monsieur. Gérard, c’est votre prénom ?/ : Oui, Gérard !/ : Cela ne commence pas très bien ! Continuez.”
Cela tient à la fois du cabaret, de l’agit-prop, du music-hall et de la parodie dans un mélange en proportions variables selon les moments… Mais joué au millimètre, malgré les moustiques et bien mis en scène avec rythme jusqu’au bout. Drôle sans doute mais d’une drôlerie assez provocatrice. On aimerait même parfois que ce soit, en ces temps macronesques, encore plus virulent. Mais la comparaison entre la course pour la vie des spermatozoïdes et l’ascension sociale, est un véritable régal… Seul bémol, l’appel aux amateurs pour figurer dans le spectacle ne fonctionne pas très bien. Le Grand cirque des sondages se joue un peu partout, n’hésitez pas, vous passerez un bon moment en soixante minutes et quelque; en plus, il est  gratuit. Que demande le peuple? Là, cela ira et mieux qu’à l’estouffadou, Cela ira, (1) fin de Louis en quatre heures et demi au Théâtre de la Porte Saint-Martin…

Philippe du Vignal

Spectacle vu à Saint-Michel-sur-Orge ( Essonne), le 1er juin.

Méricourt (62) le 22 juin.Festival Vivacité, espace Marcel Lodz, Sotteville-les-Rouen, (Seine-Maritime), les 29 et 30 juin .

Saint Gilles-Croix-de-Vie, le 6 août et Notre-Dame-des-Monts (85), le 7 août.  Saint-Hilaire-de Riez. Saint-Brevin (44) le 8 août. (85) le 9 août. Riec-sur-Belon (29),  les 30 et 31 août
 

 

 

L’amour en toutes lettres, mis en scène de Didier Ruiz

L’Amour en toutes lettres, questions sur la sexualité à l’abbé Viollet, d’après L’Amour en toutes lettres-Questions à l’Abbé Violet sur la sexualité (1924-1943) de Martine Sevegrand, adaptation de Silvie Laguna et Didier Ruiz, mise en scène Didier Ruiz

© Emilia Stéfani-Law

© Emilia Stéfani-Law

« 387ème ! », annonce un des comédiens en ouverture du spectacle. Depuis la création en 1998, le metteur en scène a confié au même groupe, ces écrits intimes publiés dans le livre (épuisé) de Martine Sevegrand. Chacun devenant dépositaire et acteur d’une seule et même lettre. Le comédien, dit-il, a vieilli avec ce texte, l’a digéré, et l’a intégré, comme rarement il a l’occasion de le faire, dans le temps et sur une scène.  » Et la distribution de  1998 a été définitive telle un geste sacré :«Leur engagement dans les mots mais aussi dans la singularité de ce spectacle est à mes yeux exemplaire et unique. »
Au fil des représentations, certains acteurs ont quitté la bande mais n’ont pas été remplacés. La lettre disparaît du spectacle, avec le départ de son interprète. Exemplaire aussi, et c’est un autre moment fort de cette création, devenue désormais un classique du théâtre documentaire avec un style étonnant de sensibilité et une écriture respectueuse des règles de la langue française. Alors que la plupart des auteurs de ces lettres, à quelques exceptions près, ont obtenu au maximum le certificat d’études. Admirable cette correspondance non seulement d’humanité mais d’application. Un beau moment de poésie dramatique !

Le format proposé au Théâtre de Belleville permet de présenter deux versions distinctes: une le lundi et une autre le mardi,  pour découvrir ou retrouver ces lettres: depuis vingt ans, L’Amour en toutes lettres continue son aventure théâtrale, dans des lieux parfois  insolites comme… des cabines de plage ou des chambres d’hôtel à Calais, des salles de mariages à Paris… Ou sur des scènes traditionnelles, comme ici, au théâtre de Belleville. « Ces lettres, pour Didier Ruiz, parlent  étrangement encore et toujours de l’évolution de notre société mais aussi et surtout des labyrinthes de la nature humaine démunie devant les mystères de l’amour.»

Adressée à l’abbé Viollet, « oreille privilégiée de l’intimité des couples et de leur sexualité », cette correspondance écrite dans les années 30 n’a pas d’incidence sur la véracité sociale ou religieuse et l’actualité  des questions posées. D’autant plus intéressant et émouvant, que ces lettres mettent en lumière le courage et la sincérité de gens perdus et angoissés, face à des situations souvent inextricables et douloureuses dans une société très conservatrice : «Le 10 mars 1931, à Monsieur l’Abbé Viollet, qu’on tâche de se débarrasser d’un enfant conçu, est évidemment très coupable quand il est en route et que la mère se porte bien, mais, quand celle-ci est en danger de mort et qu’on pourrait la sauver en la faisant avorter, comment condamner cette malheureuse? » Ou encore : «Le 29 février 1936, à Monsieur l’abbé Viollet, Directeur du Mariage chrétien: « Je ne crois pas que Dieu a créé la femme dans le but exclusif d’en faire une boîte à ordures, un crachoir pour homme et une fabrique d’enfants à jet continu et illimité. » «Le 13 juillet 1938, Monsieur l’abbé, j’ai vingt-trois ans et je suis étudiant. Alors que j’avais une dizaine d’années, (…) je m’amusais fréquemment avec un camarade. Un jour, notre amusement consista à se toucher les jambes. À un moment je sentis une sensation très agréable, c’était un plaisir charnel. Dès lors, les amusements de ce genre se répétèrent souvent car l’impression ou plutôt l’émotion m’attirait. « (…) « Je n’avais aucun attrait pour le sexe et j’étais persuadé qu’il ne pouvait y avoir de péché d’impureté, que dans les rapports, que j’ignorais d’ailleurs, avec le sexe.» Violence de ce début de lettre : «Le 4 août 1931, Monsieur l’abbé, je répèterai jusqu’à mon dernier jour que je maudis le criminel pervers qui n’a pas craint de me faire connaître la masturbation alors que j’avais à peine huit ans. Ensuite j’ai pratiqué cela pendant des années et j’ai ruiné ma santé physique et morale. » L’abbé Violet ne répondra à aucune de ces lettres.

Didier Ruiz témoignait déjà il y a vingt-et-un ans, avec L’Amour en toutes lettres, d’une exigence et d’une singularité  artistique, mais aussi d’une incomparable approche du théâtre-documentaire. Son chemin esthétique n’a cessé de se développer avec une grande finesse et il choisit bien ses comédiens mais aussi  ceux qu’il nomme les «innocents» ou «intervenants», parce qu’ils ne sont pas acteurs professionnels.  On est, une fois de plus, fasciné par une distribution sans faux pas.
Plus récemment et sur des sujets tout aussi brûlants, comme Une Longue Peine, ou sa dernière création TRANS (Més Enllà), les spectateurs, toujours d’une grande diversité, sortent touchés par des situations hors-normes souvent bouleversantes. Proche pour certains, plus éloignée pour d’autres. Cette grande émotion qui prend forme à travers sa pratique du théâtre,  naît, semble-t-il, grâce à une dimension politique accessible à tous. Et grâce aussi à une mise en scène qui n’exclut en rien la cruauté de la vie. Malgré, ou plus justement à cause de la peur, de l’ignorance crasse, ou du mépris envers certains sujets de notre société, les créations de Didier Ruiz s’emparent de notre monde et de ses tourments, au plus proche de l’intimité de chaque être, quel que soit le thème abordé.

Didier Ruiz, sans aucune volonté de faire du social, réussit à imposer un théâtre poétique, au sens fort et rigoureux du terme. Rares sont ses créations où il n’y ait un, ou des moments épiphaniques. Ici, Dionysos et Apollon sont au cœur du chant tragique.

Elisabeth Naud

Le spectacle a  été joué au Théâtre de Belleville, 94 rue du faubourg du Temple, Paris (XIème). T.:  01 48 06 72 34.
La tournée se poursuit la saison prochaine.
 

    

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