Näss (Les Gens) de Fouad Boussouf
June Events 2019
Fondé en 1999 par Carolyn Carlson, aujourd’hui présidente d’honneur, l’Atelier de Paris est devenu Centre de Développement Chorégraphique national il y a quatre ans. Avec ce festival, il clôt une saison axée sur des résidences de compagnies et des créations. Fidèle à sa mission de formation continue, il programme aussi tout au long de l’année des ateliers professionnels avec des figures historiques de la danse. L’Atelier de Paris soutient donc la création mais favorise aussi la reprise de pièces du répertoire en partenariat avec d’autres théâtres.
Dans cet esprit, June Events propose quarante rendez-vous dans une vingtaine de lieux parisiens, dont certains gratuits sur des places publiques. Parallèlement, il permet aussi à des chorégraphes de montrer leurs projets en cours, en prélude aux deux spectacles de la soirée. Comme la Libanaise Danya Hammoud. Mais il faudra retenir de cette seconde soirée du festival programmée avec le Printemps de la danse de l’Institut du monde Arabe (voir Le Théâtre du Blog) la chorégraphie de Fouad Boussouf avec sa compagnie Massala.
Sérénités chorégraphie de Danya Hammoud
Cette jeune artiste formée aux Beaux-Arts de Beyrouth puis au Centre national de Danse Contemporaine d’Angers et au Sadler’s Wells à Londres, navigue entre Europe et Liban et prépare sa troisième pièce. Pour Sérénités, qu’elle présente en une heure, le bassin reste au centre de sa recherche : «le lieu de l’événement», à partir duquel elle explore le corps. «On est dans la découverte du geste », dit-elle. Avec ses partenaires, elle va composer un trio «en construisant des figures pour concrétiser des états».
Ce futur spectacle se présente comme une longue traversée, parcourue de micro-événements, tendant vers la sérénité. Elle s’inspire de l’iconographie de la chasse pour découvrir l’animalité des corps en déplacement permanent, et de l‘observation de chanteurs sur scène pour créer des pulsions et des expressions du visage. Sérénités se concrétise ici quand les danseuses décortiquent pour nous quelques tableaux, alternant lentes progressions et ondulations sismiques. Mais on ne visualise pas encore très bien cette pièce qui sera créée en 2020 au festival d’Uzès.
Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar (Mardi: Tout ce qui est solide se fond dans l’air), chorégraphie de Cláudia Dias
Un titre issu du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx pour cette pièce, la deuxième d’une série au long cours de sept pièces, prévues en sept ans «contre l’idée d’un avenir absent ou précaire ». Elle suit Monday: watch your right (Lundi: attention à ta droite) créée en 2016. La chorégraphe portugaise revendique un ferme engagement politique. Attachée à la technique de «composition en temps réel», elle a invité Luca Bellezze pour un duo sonore et visuel et nous emmène sur les routes de l’exil, à travers le destin d’Omar, un jeune Palestinien et de ses parents, migrant vers l’Italie… Des tables, garnies d’objets servant au bruitage, encadrent, à cour et à jardin, un praticable incliné. Les artistes, à partir d’un fil blanc tendu, vont dessiner au sol personnages et paysages, comme avec une craie sur un tableau noir. On pense aux films d’animation La Linea d’Osvaldo Cavandoli.
Ils tracent une géographie mouvante de villes, côtes, frontières et rivières où se découpent des corps gisant ou marchant : ceux des migrants parcourant terres et mers. Un texte projeté donne le point de vue d’Occidentaux sédentaires: « Nous avons fait le choix de ne pas dire le texte, c’est une manière de respecter l’expérience de vie des personnes dont nous parlons : expulsées de leurs terres et contraintes à une migration constante. Je ne peux pas parler à leur place mais je peux raconter leur histoire », dit Cláudia Dias. Honorable pudeur, mais… scéniquement, les mots, finissent par brouiller les images. Bavard, compliqué et allusif, le récit envahit l’écran placé en fond de scène et prend le pas sur la performance…
Näss (Les Gens), chorégraphie de Fouad Boussouf
Avec un rythme au bout des pieds et des bras, sept corps en mouvement perpétuel, ensemble même quand ils s’échappent du groupe pour de courts solos ou duos d’une virtuosité acrobatique. Une heure sans relâche, alternant les cadences. D’abord silhouettes incertaines au bord d’un monde lumineux, se découpant sur l’écran blanc qui barre le fond de scène, les interprètes quittent ce rivage pour avancer en ligne vers la salle. Puis dansent en cercles de plus en plus concentriques, mus par le son des percussions. Ancrés au sol, tendus vers le ciel, avec des gestes empruntés aux rituels du Maghreb, au hip-hop et à la grammaire contemporaine, avec un zeste de cirque. Fouad Boussouf fait dialoguer tous ces vocabulaires sur du jazz, des musiques traditionnelles de son Maroc natal ou de simples martèlements de pieds. Sa formation hip-hop et son ouverture aux autres disciplines s’inscrivent dans ce ballet d’une grande force et d’une fine précision. Les figures de danse urbaine alternent ou se marient avec des arabesques ou des sauts. Näss tient d’une épure, à la lisière entre profane et sacré : quelques attitudes orientales, jeux de bras et mains, assises au sol se combinent à des postures plus géométriques. Les portés sont fluides, mais toujours puissants. De rares moments apaisés permettent aux artistes de reprendre leur souffle, sans jamais perdre le fil d’une construction chorale soutenue par des cadences telluriques.
Arrivé en France en 1983, formé au hip-hop puis au cirque et à la danse contemporaine, le chorégraphe a fondé la compagnie Massala en 2010, pour développer un style métissé. Avec cette pièce, il interroge ses racines : « L’histoire du célèbre groupe Nass el Ghiwane (Les Gens bohèmes) dans mes années soixante-dix au Maghreb, a été un élément important de mon inspiration. Dans leurs textes, j’ai découvert un hip-hop plus incarné, empreint de traditions ancestrales.» Ces musiciens ont fait connaître la culture Gnawa et sa transe cabalistique, avec des textes poétiques et anticonformistes, ce qui leur a coûté plusieurs séjours en prison mais qui a donné naissance au rap marocain.
Le titre Näss (Les Gens) évoque un » être ensemble », dans une gestuelle partagée. Et communicative… Le public ne s’y trompe pas et accueille, debout et enthousiaste, les sept danseurs et le chorégraphe. Ils nous saluent de quelques pas frappés au sol. Fouad Boussouf, avec cette création de 2017, a été sélectionné par le réseau international Aerowaves, comme l’un des vingt chorégraphes les plus prometteurs d’Europe.
Mireille Davidovici
Spectacles vus le 6 juin à la Cartoucherie de Vincennes. Dans le cadre de June Events et du Printemps de la danse arabe à l’Institut du monde arabe. June Events se poursuit jusqu’au 15 juin, Cartoucherie de Vincennes, rue du Champ de Manœuvre. Vincennes (Val-de-Marne). T. : 01 417 417 07. reservation@atelierdeparis.org
Näss sera présenté en juin au festival Perspective de Sarrebruck (Allemagne).
En juillet : festival d’Avignon et festival de Sanvicenti (Croatie). Beijing Dance Festival de Pékin et au Shanghai international Dance Center de Shangai (Chine).
En septembre, aux Dansens Hus d’Oslo (Norvège) et Stockholm (Suède).