Le Jour qui vient de Christian Giuducelli, mise en scène de Jacques Nerson
Le Jour qui vient de Christian Giuducelli, mise en scène de Jacques Nerson
« On veille on pense à tout à rien/On écrit des vers de la prose/On doit trafiquer quelque chose En attendant le jour qui vient » écrivait Aragon dont ces vers sont écrits sur un tableau de classe. Il s’agit ici des amours entre jeunes gens dans une villa l’été en bord de mer. Certains portent le prénom des acteurs. Il y a aussi la mère de Rolan qui a envie de Mélik, un beau jeune homme qui, lui, est plus attiré par son fils. Mais Rolan lui, l’est visiblement par Marlène, une aide-soignante dont Claire, une apprentie-comédienne, est son inséparable amie. Il y a aussi Marie, une jeune S.D.F. fascinée par Adamé, un émigré africain du même âge. La chaleur aidant, les amours naissent et disparaissent au gré des nuits.
» Comment se situer dans un monde flottant ? dit l’auteur, c’est la question que se posent, sans la formuler, les personnages qui ont une vingtaine d’années et une petite cinquantaine pour une femme espérant se raccorder à la jeunesse qui déploie ses charmes devant ses yeux dans l’illusion d’un soir d’été au bord de la mer. Car tout, ici, tient du rêve éveillé. Chacun tourne autour de l’autre en quête d’une rencontre qui donnerait une réalité à cette ronde accélérée vers un vertige rimbaldien ou une satisfaction plus prosaïque du désir. Garçons et filles, garçons et garçons, filles et filles, les combinaisons sont multiples pour voir clair en soi-même. On se frôle, on s’embrasse, on croit réinventer l’amour mais la chair est parfois du sable qui coule entre les doigts. »
Sur scène, un tableau noir de salle de classe pour servir de castelet, et des tabourets où s’assoient les acteurs qui en jouent pas. En effet, difficile comme l’a compris Jacques Nerson, de faire faire des entrées et sorties sur un aussi petit plateau, quand il y a autant d’acteurs. Sinon par la salle. Mais l’ensemble souffre forcément d’un certain statisme… Léa Dauvergne, Mélik Dridi, Marlène Génissel, Marie Nègre et Angelo Pattacini, jeunes comédiens frais émoulus de leur école et, un peu moins jeune qu’eux, l’impeccable Muriel Gaudin à la fois drôle et émouvante, sont sympathiques et font le boulot, sous la houlette éclairée de Jacques Nerson qui a les a dirigés avec une grande rigueur.
Oui, mais on sent vite qu’il n’y a rien à faire, l’ensemble est propre mais sans guère d’émotion ni d’érotisme pendant cette heure vingt vite longuette. Sauf à un moment, quand la mère (Muriel Gaudin) se rend compte que le tutoiement et le fait d’être appelée par son prénom ne font pas partie de ses codes: il lui faut alors admettre qu’il y a maintenant un fossé de générations entre elle et ces jeunes gens. Cela arrive à tout le monde mais cette prise de conscience qu’elle a vieilli, lui fait mal et cela, l’actrice le rend très bien. sans pathos mais avec une belle sincérité. La scène avec le jeune Melik est assez drôle et sonne donc juste.
Mais on ne voit pas bien pourquoi des marionnettes au début prennent parfois le relais des acteurs, tout en étant bien entendu, manipulées par eux. Les acteurs ont travaillé avec Eric de Sarria, un des collaborateurs de Philippe Genty, donc gage d’une très grande qualité. Et ce n’est pas nouveau mais il y a une belle idée de mise en scène avec cette grande maquette de maison, plus un vélo miniature, pour figurer les différents lieux de ces vacances. Même si on ne peut avoir vraiment comme dans un film une idée exacte des espaces où se déroule cette histoire, le modèle réduit, cela marche à tous les coups (voir Claude Lévi-Strauss, grand admirateur de l’œuvre d’Eric Rohmer) mais c’est ici particulièrement réussi.
Pourtant, cette piécette ne fonctionne pas… La faute à quoi? Disons clairement les choses : à un texte à la limite indigent. Christian Giudecelli flirte avec Marivaux et Eric Rohmer mais sans jamais nous toucher vraiment. Il y a bien ici une parenté avec le cinéaste quant à la thématique; le choix et le hasard des rencontres amoureuses, la séduction comme art de vivre. Des thèmes essentiels chez le cinéaste qui, pour les traduire, lui, avait écrit des dialogues très ciselés… Les gros plans et les images fortes de paysages auxquelles Eric Rohmer était très sensible, ont souvent un rôle essentiel dans ses films pour aider à traduire les sentiments amoureux. Mais c’est évidemment mission quasi impossible au théâtre et tout est ici fondé sur des conversations de plage qui… ne nous accrochent presque jamais. Et on a l’impression d’avoir affaire aux impros très à la mode, dites écritures de plateau mais pas à une véritable dramaturgie ni à de véritables dialogues. Pour le reste, autant en emportent les marées estivales… Vous êtes prévenus; enfin si le cœur vous en dit…. « Nous vivons une époque moderne » comme disait autrefois Philippe Meyer à France-Inter.
Philippe du Vignal
Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (I er), jusqu’au 29 juin.