June Events 2019 : À mon seul désir, texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

©Thomas Greil

©Thomas Greil

 

June Events 2019 :

À mon seul désir, texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

Tissée  vers  1500, La Dame à la licorne, cette tapisserie en six panneaux dont l’auteur reste inconnu, fut admirée en 1841 par Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments historiques; il la fit aussitôt classer et George Sand qui  l’avait fait découvrir à son éphémère amant, en parle dans son roman Jeanne… Les cinq premières scènes représentent les cinq sens mais la signification de la sixième, portant l’inscription : A mon seul désir, semble plus ambiguë.

Gaëlle Bourges en scène avec trois autres danseuses nous conte l’histoire et la signification de cette œuvre moyenâgeuse qu’elle a longuement contemplée au musée de Cluny à Paris. En voix off, elle décrypte La Dame à la licorne tandis que, nues, les quatre interprètes comme échappées du tableau, s’activent devant un châssis rouge garance tendu à l’avant-scène. Elles y piquent des fleurs et le texte énumère la flore abondante contenue dans la tapisserie. Puis elles deviennent grâce à des masques : le lion, le perroquet, le singe, la licorne, le chien et le lapin figurant aux côtés de la Dame.

AMSD (c)Thomas GreilRien de plus naturel que de les voir évoluer en tenue d’Eve. «Elles sont en fait comme des animaux, dit Gaëlle Bourges, il n’y a pas de nudité dans la nature et les animaux ne sont pas nus. » Le récit s’attarde sur ce bestiaire allégorique. Que signifie la présence de nombreux lapins (trente-cinq au total), un animal symbolisant la lubricité auprès de la femme du tableau et celle du Renard, incarnant la ruse ? Au Moyen-Âge, on attirait les licornes, animaux magiques, avec de jeunes pucelles et, si  elles mentaient sur leur virginité, les licornes, croyait-on, les encornaient sans pitié. Et pourquoi le perroquet, symbole de l’amant dans l’amour courtois, viendrait-il picorer dans sa main, si elle était pure? « La jeune fille n’est-elle vierge que de face », se demande-t-on ? La tapisserie n’a pas d’envers mais la danseuse ne porte la riche robe en velours bleu que sur le devant, découvrant, quand elle se retourne, son aimable postérieur.

Après un petit détour par la scène d’Alice avec le lion et la licorne dans le roman éponyme de Lewis Caroll, les danseuses adoptent quelques autres postures de la tapisserie. Puis soudain le voile se déchire, la tenture rouge tombe découvrant l’envers de la tapisserie et laissant apparaître une ribambelle de lapins : des figurants nus et masqués qui prolifèrent, mènent une danse endiablée avec les jeunes femmes. Ce sabbat de sorcières, joyeuse sarabande, contraste avec le côté gracieux, précieux et presque hiératique de la pièce.

Ce travail tout en finesse que nous avions découvert au festival d’Avignon 2015, aborde la question de la représentation de la femme dans l’art occidental, en décrypte les arcanes et en révèle la face cachée. Gaëlle Bourges explorant, comme à son habitude, la relation entre spectacle vivant et histoire de l’art, nous offre ici un très beau moment de danse et de théâtre.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 14 juin, Carreau du Temple, Paris, 

June Events se poursuit jusqu’au 15 juin, Cartoucherie de Vincennes, rue du Champ de Manœuvre. Vincennes Paris 12 e. T. : 01 41 74 17 07. reservation@atelierdeparis.org

Les 9 et 10 juillet, festival de la Cité à Lausanne (Suisse)

 


Archive pour 14 juin, 2019

La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing, mise en scène d’Eric Ruf

La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing, mise en scène d’Eric Ruf

 

©Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

©Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

La Vie de Galilée, considérée comme le testament de Bertolt Brecht (1898-1956), est la dernière pièce à laquelle ait travaillé le dramaturge. Elle retrace la vie de Galilée, astronome, mathématicien et physicien italien du XVII ème siècle et est exemplaire du théâtre épique de Brecht qui fait de la vie de ce savant révolutionnaire, une aventure éclatée en scènes autonomes et disparates.Ni centre de gravité ni progression dramatique, la pièce métaphore de la découverte scientifique de l’astrophysicien retrace sa vie dans une mise en perspective du lent changement des esprits.

Pour Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française qui en a aussi réalisé la scénographie, elle relève d’une exigence humaniste.  Entre refus de l’obscurantisme religieux et doute quant à  la finitude de la science. Mais combattre le système exige aussi de l’argent  si l’on veut profiter de la vie : Venise accueille les savants sans les payer et Florence, elle, censure leurs écrits mais leur offre l’aisance. Galilée la choisit  donc car pour lui, la liberté de produire passe d’abord. Ce héros transgressif, joué par Hervé Pierre à l’allure bon enfant, se révèle profondément humain, tiraillé  entre les contradictions, hésitant, s’interrogeant et éloigné des résolutions hâtives : «Mais l’univers, en  l’espace d’une nuit, a perdu son centre et au matin, il en avait d’innombrables. Si bien que désormais, le centre peut être considéré partout, puisqu’il est nulle part. » Ainsi parle de façon novatrice, le maître à son jeune disciple, Andrea Sarti, le fils de sa gouvernante, interprété par l’enthousiaste Jean Chevalier. Ce constat, impensable à l’époque, traduit une adhésion sans faille à une éthique nouvelle, fondée sur le doute et non plus  sur la hiérarchie des valeurs moyenâgeuses.

 Sagredo, l’ami sincère et digne de Galilée, (Jérôme Pouly) s’inquiète de la place de Dieu dans ce nouveau système du monde. Galilée lui dit alors qu’il est en nous ou nulle part.  Réponse : un bûcher dix ans auparavant pour brûler Giordano Bruno, un moine dominicain et philosophe, accusé  d’athéisme et d’hérésie d’après ses écrits jugés comme blasphématoires où il prétendait que Jésus n’était Dieu mais un simple « mage habile ..

 L’homme a toujours été pour les doctes de  ce temps, la créature autour de laquelle tout tournait. Pour Galilée, au contraire, il tourne autour des choses. D’où le choix d’Eric Ruf : une succession de tableaux et fresques de maîtres : Rembrandt, Fra Angelico, Caravage, Raphaël avec agrandissements de détails et miniatures revisitées où on voit des jeunes gens au regard triste, des anges évanescents, des mains délicates aux doigts fins… Ces toiles peintes semblent prendre vie et les proches de Galilée : édiles et professeurs, clergé et clan des Médicis s’animent en portraits de groupe. Christian Lacroix  a imaginé des costumes qui reflètent ces peintures, avec des matières précieuses moirées : soie, satin, taffetas et velours pour les robes, manteaux, capes et chapeaux Renaissance.

 Un festival de couleurs plaisantes à voir, comme en hommage à tous les artisans des métiers du théâtre. Mais s’éloignant et en même temps de la vision brechtienne pour l’envers du décor qui laisse place à la peste. Pour le moine physicien, fils de paysans pauvres de Campanie (douloureux Jérémy Lopez), rien ne justifie la faim et la misère des siens, si ce n’est la promesse d’un salut prochain. A cela, Galilée oppose avec vigueur la santé et le bien-être : le dieu caché en l’homme reste celui de la raison, un bien universel prérévolutionnaire… Morale pourtant toute relative : l’homme se doit aussi d’être réaliste au quotidien, et parfois, selon la recherche du moindre mal, la courbe est le chemin le plus court.

 L’Inquisition fait  montrer au maître faillible des instruments de torture, pour qu’il renie, non sa foi mais la « vérité » physique et scientifique dont il est le passeur incompris, Galilée ne résiste pas et se désavoue. Ses humbles compagnons de travail,  comme Andrea et entre autres, Federzoni le polisseur de lentilles, joué avec tact par Bakary Sangaré, en seront meurtris. Cette morale individualiste permet à Galilée vieilli et perdant la vue, surveillé par l’Inquisition et par sa fille, la croyante Virginia  (fervente Elise Lhomeau) d’écrire ses fameux Discorsi. Dont il confiera le manuscrit à Andrea pour qu’il le passe en Hollande…

Le spectacle somptueux est servi par entre autres et admirables Florence Viala, la gouvernante fidèle et pragmatique, Thierry Hancisse, lumineux en Cardinal Inquisiteur et Guillaume Gallienne, figure radieuse et tranquille, digne d’Elle de Jean Genet, (on le revêt des magnifiques atours de sa Sainteté le Pape). Et Pierre-Louis Calixte, en mathématicien et prélat, a une belle présence. Un moment de théâtre singulier, entre l’histoire des arts et celle des mentalités.

 Véronique Hotte

 Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette,  Paris (Ier), du 7 juin au 21 juillet. T. : 01 44 58 15 15.

La pièce est publiée chez L’Arche Editeur.

 

Paris est toujours Paris (Parigi è sempre Parigi) de Luciano Emer

 

Paris est toujours Paris  (Parigi è sempre Parigi) de Luciano Emer

Photo_Paris est toujours Paris_05_DR_1 (1)Le délicieux cinéaste italien (1918-2009) avait  dans Dimanche d’août (1949) filmé des Romains  en week-end à Ostie avec déjà le tout jeune Marcello Mastroianni que l’on retrouve dans ce film sorti en 1951 avec les Français: Yves Montand qui jouait son propre rôle de chanteur débutant, Henri Genès et Roland Lesafre. Côté italien, le grand acteur de cinéma (Rome, ville ouverte) que fut Aldo Fabrizi (1905-1990), la merveilleuse et grande actrice Lucia Bosé et Hélène Rémy, de grandes dames du cinéma pas toute jeunes qui jouaient dans cette réalisation … il y a presque soixante-dix ans. La seconde, actrice française peu connue chez nous, a pourtant fait une carrière au cinéma et à la télévision dans la Péninsule de 49  à 70. Elle était là, tout heureuse d’assister à la première projection de ce film remarquablement restauré!

C’est l’histoire d’un groupe de supporteurs italiens qui viennent assister à un match de football à Paris. le film une coproduction franco-italienne Comme dans Les Fiancés de Rome (1952)  ou Le Bigame (1955), est une sorte de comédie de mœurs qui raconte les amourettes de jeunes gens français et italiens mais qui flirte aussi avec le documentaire sur notre capitale. Le scénario avait été confié à toute une équipe : Luciano Emmer d’abord mais aussi Francesco Rossi, Sergio Amidei, Jean Ferry, Enno Fleiano, Giulio Macchi et  Jacques Rémy. Comme un critique de l’époque l’avait remarqué lucidement, c’est surtout une ballade dans Paris le jour et la nuit, plus que ces petites histoires de couples mariés ou pas encore, parents et enfants, qui fait tout l’intérêt de Paris est toujours Paris par ailleurs très bien interprété.

Et pour la grande majorité des spectateurs, c’est une autre époque et cela tient presque d’une incroyable découverte archéologique. Le centre de Paris très vivant  mais pas très riche six ans seulement après la guerre est bien là mais les immeubles noirs de la suie des chaudières à charbon ne sont pas encore ravalés. Et les boutiques n’ont rien de luxueux. Ce qui frappe : la grande précision avec laquelle Luciano Emer a filmé ces paysages urbains, accompagnés par la musique de Joseph Kosma et Roman Vlad. Et logiquement, les gens qui ont vécu cette époque se croyaient dans une sorte de reconstitution… qui n’aurait sûrement pas eu le même accent de vérité!

Un univers fascinant : peu de voitures, de gros taxis noirs G7 avec compteur à l’extérieur à gauche près du pare-brise, la gare de Lyon avec locomotives à vapeur qui ne démarraient pas vite et dont les portes se fermaient manuellement, ce qui permettait les longs adieux entre amoureux qui couraient avec un mouchoir sur le quai, les porteurs baraqués emportant de lourdes valises sur leur diable, un marchand de journaux vendant juste Le Figaro, L’Aurore, Radar… et quelques livres -pas très nombreux- présentés face couverture sur des étagères en bois…
 
Il n’y a pas beaucoup de voitures (l’essence était chère) et où on peut traverser à pied n’importe où les Champs-Elysées et la place de la Concorde. Les agents de police avec pèlerine et képi règlent, munis d’un sifflet et d’un bâton blanc, la circulation aux carrefours… On voit un livreur de bidons de lait conduisant une charrette tirée par de gros chevaux, le grand stade de foot à Bois-Colombes, de petits cabarets pour touristes de Montmartre assez ringards où on danse, en écoutant un jeune chanteur inconnu: Yves Montand (photo ci-dessus). Mais aussi des boutiques, dans le centre même de la capitale, assez modestes, des hôtels douteux, des cours d’immeubles sordides aux pavés gras et surveillés par des concierges que l’on n’hésitait pas à réveiller la nuit. Un métro aux quais et couloirs faiblement éclairés avec voitures de première et seconde classe, des portillons pour bloquer les retardataires et des poinçonneurs pour les tickets… Du côté habillement, c’est aussi une toute autre époque: gros manteaux et costumes trois pièces pour les hommes, robes longues, chapeaux, escarpins et bas couture pour les bourgeoises. Et les hommes (jamais les femmes dehors) fument partout…

Ne ratez pas cet étonnant parcours ethno-sociologique, loin du « réalisme globaliste » dénoncé à juste raison par Annie Lebrun dans Ce qui n’a pas de prix. Vous ne regretterez pas d’avoir participé, le temps d’une heure et demi, à la vie de vos récents ancêtres avec cette bande d’acteurs, tous impeccables et très  crédibles…. Et le film est entièrement tourné en noir et blanc comme pour la plupart des films jusque dans les années cinquante, même si la pellicule couleur était apparue vers 1930. Ce qui ajoute, grâce au remarquable photographe Henri Alekan, de très belles nuances de lumière, surtout à Paris la nuit.  Et qui donne à ce film rare, encore plus de charme et d’authenticité.

 Philippe du Vignal

 Film vu le 13 juin au Louxor-Palais du cinéma, 170 boulevard de Magenta, (Paris X ème). T.: 01 44 63 96 96.
Sortie en salles à partir du 14 août.   

Il faut signaler aussi une semaine d’avant-premières avec Cannes au Louxor, du 26 juin au 2 juillet.
  

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