La quadriennale de la scénographie à Prague (suite et fin): les Ecoles

 

La Quadriennale de la scénographie à Prague (suite et fin)

Les Ecoles

Dans un autre grand pavillon consacré aux travaux des Ecoles,  on pouvait voir le travail réalisé par des équipes d’étudiants en scéno, souvent associés à ceux d’Ecoles d’art et de Conservatoires de théâtre et/ou de musique. Là aussi, l’impression d’une sorte de supermarché sympathique, jamais identique d’un jour à l’autre, souvent passionnant. Avec des réalisations d’une autre intelligence: les étudiants plus en phase sans doute avec notre époque, ont une conception virulente de ce que peut être un travail scénographique destiné à des êtres vivants, en l’occurrence des acteurs ou des artistes. Les élèves déjà expérimentés conçoivent des installations en prise directe avec l’actualité. Entre autres ceux de cette école de Catalogne imaginant de très hauts grillages qu’essayaient de franchir des Africains représentés par des mannequins. Une belle idée qu’aurait apprécié  le grand Tadeusz Kantor…

Discrète un peu à l’écart, une belle petite installation/performance due à une école allemande: une mini-boutique vendant cigarettes, gâteaux, sacs de bonbons, petits magazines et objets sexe tenue par deux travestis et où on pouvait entrer. Là encore une scénographie très réussie  et qui sonnait déjà comme le début d’un spectacle, à créer avec les visiteurs.

213D5DDC-5C4F-42A0-9D9E-21EAC3B5BD6AMais sans aucun doute, le meilleur projet qu’on ait pu voir parmi des dizaines, et qui a été dûment récompensé  pour son imagination, était The Imaginometric Society conçus par une équipe milanaise.  Avec ce cube au design très épuré et bourré d’électronique, les visiteurs pouvaient découvrir une possible «sonification»  de leur propre imaginaire.

 Si on a bien compris les explications donnés par un des étudiants, le candidat une fois admis, un membre de l’équipe l’aide à se poser sur le corps une batterie de capteurs biométriques enregistrant ses ondes cérébrales pendant trente secondes; à la fin de ce processus, les testeurs seront enlevés et il sera muni d’écouteurs transmettant l’énergie via la paroi osseuse crânienne. Dans une seconde étape, le visiteur prend place dans l’espace blanc cubique où il évoluera pendant deux minutes avec cinq performeurs pendant qu’un paysage sonore lui sera retransmis grâce à ses écouteurs. Troisième étape, il sort de l’aire de jeu et sera contrôlé. Et quatrième et dernière étape, il recevra un numéro d’identification personnel. Cela fait un peu froid dans le dos ! Mais on nous rassure, les enregistrements  seront ensuite détruits. Cette réalisation déjà très réussie sur le plan plastique fait preuve d’une véritable recherche et d’un travail en commun d’élèves d’une école de photo, du Conservatoire de musique et de la section scénographie de la réputée Académie milanaise. Une réussite exemplaire

Des élèves d’une école russe ont recréé en photos la douloureuse répression du Printemps de Prague en 1969 quand Jan Palach, un jeune étudiant s’était immolé place Venceslas, pour protester contre l’invasion de  son pays par les blindés du Pacte de Varsovie.  Ce suicide réussira à déclencher une prise de conscience, mais il faudra attendre vingt ans pour qu’à une commémoration de la mort de ce martyr tchèque, de grande manifestations aient lieu. L’écrivain Vaclav Havel avait été condamné à neuf mois de prison ferme mais la dictature fut mise à bas quelques mois plus tard.

Pour représenter la France: celui d’une Neuvième Ecole, une sorte de lieu utopique créé avec huit élèves issus chacun d’un établissements d’enseignement supérieur formant à la scénographie: École nationale d’architecture de Nantes, École Nationale Supérieure des Arts décoratifs de Paris, École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre à Lyon, École nationale supérieure d’architecture Paris-Villette où a récemment  eu lieu une belle exposition dirigée par Mahtab Mazlouman, consacrée aux scénographies contemporaines d’Hamlet, École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, Haute école des arts du Rhin), École du Théâtre national de Strasbourg  et Université Sorbonne Nouvelle-Paris III .

© Eva Kořínkov

© Eva Kořínkov

C’est un ancien petit car toujours roulant mais convoyé jusqu’ici par camion avec les éléments de l’installation de Philippe Quesne. Constitué par une cabine avec plate-forme numérique diffusant sons et musiques dans l’autre partie de ce lieu ouvert au public et où on peut s’asseoir sur de gros blocs de mousse. Le résultat tient d’un concept pédagogique intéressant : réunir pour travailler ensemble quelques mois, des étudiants choisis par leur école mais qui ne se connaissaient pas pour travailler sur une proposition artistique précise.  Un concept pas neuf mais qui permet d’associer des pensées et des formes de travail différentes, celle d’écoles d’art et de comédiens. Ainsi  Claude Nessi, un enseignant de la section scéno des Arts  déco avait réussi à faire œuvrer ensemble et de façon remarquablement efficace, ses élèves et ceux de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot pour un projet sur L’Odyssée d’Homère.

Sous la houlette de Philippe Quesne, le directeur du Centre Dramatique National Amandiers-Nanterre, cet ancien car a été aménagé par les  équipes techniques et les élèves. La note d’intention n’est pas d’une folle originalité et aurait mérité un  coup de relecture: «processus de travail commun qui stimule la créativité par la rencontre de l’autre », « virtuel qui s’immisce dans nos réalités plurielles », « projet grand ouvert sur le monde d’aujourd’hui».

Qu’importe, le travail est là, avec la tenue d’un Journal de bord numérique témoignant de l’évolution du projet. Et, au moins, comme le disait Antoine Vitez, ils se seront rencontrés là et c’est bien l’essentiel… Histoire de voir des projets souvent très éloignés de leur discipline et de se parler autour de thématiques similaires. Ils n’auront sans doute pas, pour la plupart d’entre eux, l’occasion de se revoir mais il y a là un terreau exceptionnel de création, le tout dans le havre de paix d’une ville magnifique. Les jeunes Français de la Neuvième école nous disaient avoir été tout heureux d’avoir pu quitter l’hexagone pour vivre une expérience unique dans leur vie d’étudiant…

Philippe du Vignal


Archive pour 21 juin, 2019

Madame Favart de Jacques Offenbach, mise en scène d’Anne Kessler, direction musicale de Laurent Campellone

 

Madame Favart de Jacques Offenbach, mise en scène d’Anne Kessler, direction musicale de Laurent Campellone

 

 Madame Favart DR S. Brion

Madame Favart (Marion Lebègue) et Charles-Simon Favart (Christian Helmer)
©S. Brion

« Justine Favart, c’était l’incarnation de la chanson française. Un tel sujet ne pouvait qu’inspirer une  comédie à ariettes, agrandie,  développée», écrivait le compositeur à propos de son opéra-comique en trois actes, créé en 1878 aux Folies-Dramatiques à Paris et oublié depuis longtemps. A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach, le Théâtre de l’Opéra-Comique nous fait redécouvrir cette œuvre singulière et l’héroïne dont elle porte le nom.

 George Sand disait de son arrière-grand-père, le maréchal de Saxe: « Madame Favart est un gros péché dans sa vie, un péché que Dieu seul a pu lui pardonner. » Ce chef de guerre est déjà cité dans Adrienne Lecouvreur (1849) d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, cette diva ayant été, avant  Justine Favart, la grande passion du maréchal. Le “vainqueur de Fontenoy » engagea en 1746 les Favart pour diriger le Théâtre aux armées puis celui de La Monnaie à Bruxelles. C’était  «le plus bel homme de son temps», selon le chroniqueur Melchior Grimm  et il tomba amoureux de la comédienne. Mais Justine résista à son charme et, devant son refus, le maréchal émit à l’endroit du couple des lettres de cachet. Sous la plume des librettistes Alfred Duru et Henri Chivot et avec l’esprit vif de Jacques Offenbach,  cette aventure devient un vaudeville rocambolesque. 

Déguisée en chanteuse des rues, Justine Favart fuit le maréchal de Saxe  et rejoint son mari, caché dans une auberge d’Arras, pour échapper à la Bastille. Les Favart, sous des habits de domestiques se réfugient à Douai chez Hector qui vient d’obtenir le poste de lieutenant de police : la condition pour épouser Suzanne. Justine lui a obtenu cette charge en se faisant passer pour Suzanne et en  séduisant le gouverneur Pontsablé, un vieux beau libidineux. Au deuxième acte, ce vert galant vient réclamer son dû chez Hector, à Douai, auprès de sa prétendue femme. Mais Justine va imaginer divers stratagèmes et, au troisième acte,  use encore de son art du travestissement pour sortir tout le monde d’affaire, dans une cascade de quiproquos et imbroglios. Après moult péripéties,  elle obtient un triomphe en chantant devant le roi La Chercheuse d’esprit, un opéra-comique de son mari. Le souverain lui accordera la révocation de Pontsablé et  nommera Charles-Simon Favart à la tête de l’Opéra-Comique.

 Jacques Offenbach, pour suivre ces aventures picaresques,  a écrit une musique légère,  si on la compare à celle des partitions pléthoriques de Fantasio et des Contes d’Hoffmann. Ici,  il s’adresse à un orchestre réduit. Ce choix stylistique est aussi dicté par l’action dramatique, située au XVIII ème siècle, celui des  guerres et des Lumières, interrogé et mis en perspective par un XlX ème siècle de frivolités. Dans cette œuvre de maturité, le compositeur s’amuse à écrire des morceaux de genre comme les couplets : une  forme du XVIIIe siècle,  une hilarante tyrolienne, une chanson de garnison et des duos d’amour… Mais il excelle aussi à fabriquer quelques tubes comme L’Echaudé,  une chanson aérienne comme le gâteau qu’évoque un délicat jeu des cordes.

 Laurent Campellone assure une direction musicale impeccable : « Madame Favart présente une homogénéité remarquable sur les trois actes, dit-il, et les récitatifs sont parmi les plus accomplis qu’Offenbach ait composés et ils préparent très bien aux  airs et transitions, sans une note superflue. »  Et Anne Kessler montre ici une femme de tête, entreprenante : «Madame Favart est un hymne à la femme, dit-elle, mais pour une fois, moins à l’inspiratrice qu’à la créatrice. On y voit Charles-Simon Favart apprendre le théâtre avec elle.»  Dans la pièce,  cette actrice vedette, auteure et amie de Crébillon et Voltaire, a plus d’un tour dans son sac pour déjouer les hommes de pouvoir et apprend à tous ses complices à changer de rôle comme de costume. Marion Lebègue, à la fois puissante et cocasse,  mène le jeu avec maestria. Sa voix chaude et dynamique, va aussi vers l’émotion avec Je passe sur mon enfance, un beau menuet  sur les âges amoureux de la vie  qu’elle chante, tout en caricaturant une douairière irrésistible de ridicule et flanquée d’un chien minuscule. A côté d’elle, la soprano Anne-Catherine Gillet donne toute sa mesure à une Suzanne ingénue et gracile. Le beau couplet avec son père (Frank Leguérinel) à la fin du premier acte prend avec elle une tendre saveur. Éric Huchet est un marquis de Pontsablé, irrésistible en barbon amoureux et haut fonctionnaire imbécile. Quant à Christian Helmer (Charles-Simon Favart), il excelle autant à  interpréter un valet de comédie qu’un mari amoureux.

©S. Brion  au 1er acte : légende 1/ Madame Favart (Marion Lebègue), chœur de l’Opéra de Limoges

©S. Brion
au 1er acte : légende 1/ Madame Favart (Marion Lebègue), chœur de l’Opéra de Limoges

 Le décor du premier acte, qui reste présent en arrière-plan dans les deux autres parties, ne figure pas l’auberge de Biscotin (Lionel Peintre) mais un atelier de couture  avec machines à coudre et mannequins. Il suggère les coulisses d’un théâtre, effet redoublé au troisième acte, avec la réplique sur la scène du foyer de l’Opéra-Comique. Un choix scénographique loin d’être évident. Pour autant, il met  l’accent sur les nombreux changements de costume dans la pièce. Il renvoie aussi au fait que, selon Charles-Simon Favart, sa femme «  fut la première qui observa le costume : elle osa sacrifier les agréments de la figure à la vérité  des caractères.  J’ose dire qu’elle a été  la première en France qui ait eu le courage de se mettre comme on doit être et on la vit avec des sabots dans Bastien et Bastienne. » La Clairon s’inspira du costume de sultane de Justine pour jouer Roxane dans Bajazet à  la Comédie-Française.

Salué avec enthousiasme, Madame Favart est une vraie (re)découverte, et nous introduit à cette année Offenbach avec bonheur. Un opuscule détaillé et illustré, édité pour cette création, met en perspective cette œuvre avec son époque et avec l’histoire du théâtre des XVIII et XIX èmes siècles.

 Mireille Davidovici

 Les 20, 22, 24, 26, 28 et 30 juin,  Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème) T. : 1 70 23 01 31. 

 

La quadriennale de la scénographie à Prague

 Le-Parc-des-expositions-de-Prague (1)

 

Notes sur la Quadriennale de Prague

Un peu d’histoire, cela ne peut pas faire de mal. Cette manifestation internationale a fêté ses cinquante ans : créée en 1967 dans le pavillon de la Tchécoslovaquie à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 qui avait été reconstruit à Prague. Il y avait déjà quelque vingt pays dont la France. La Quadriennale, organisée par le ministère de la Culture et l’Institut des Arts et du Théâtre tchèques, malgré l’invasion des chars russes et la période difficile qui a suivi, s’est maintenue et développée grâce à l’écrivain Václav Havel (1936-2011). Organisée par le ministère de la Culture et l’Institut des Arts et du Théâtre tchèques malgré l’invasion des chars russes et la période difficile qui a suivi, elle s’est maintenue et développée grâce à  Václav Havel  mais aussi à ce génial scénographe que fut Joseph Svoboda et aux excellents metteurs en scène Alfréd Radok et Ottomar Krejca. Les installations multimédias des deux premiers Laterna Magika et Polyekran avec acteurs et projections de films, les firent connaître au plan international, il y a déjà quelque soixante ans. Et en 1967, Joseph Svoboda créa l’un de ses plus célèbres effets spéciaux, un pilier de lumière tridimensionnel…

En 1968, le  fameux Printemps de Prague ne dura pas longtemps et le pays subit l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Il y eut alors un durcissement politique et cette république fédérale resta aux mains du Parti communiste qui était aux ordres de Moscou: interdiction de sortir du territoire, censure des journaux et omniprésence d’une redoutable police d’Etat. Une mienne consœur qui était allée faire une interview de Václav Havel, comprit vite qu’elle était surveillée de près. En 1989, le Parti abandonnera enfin le pouvoir après la Révolution dite de velours…

 Václav Havel fut une des grandes figures de l’opposition et un acteur essentiel de cette Révolution de velours. Il devint président de la République de 89 à 92 et fit beaucoup pour la culture de son pays. La Quadriennale a attiré en 2015 quelque 180.000 visiteurs! Mais en qui concerne la participation de la France, il y eut quelques malentendus mais elle y revient cette fois après seize ans d’absence… Avec un pavillon placé sous l’égide d’Artcena dirigée par Gwenola David, et de Philippe Quesne, directeur de Nanterre-Amandiers qui présentait un dispositif scénographique personnel participant en fait davantage d’une installation. Même s’il est en relation avec ses récentes mises en scène.

Trois thématiques rappelées en grandes lettres à l’entrée de la halle principale: Imagination, Transformation, Mémoire. Et aussi trois espaces consacrés aux Pays et régions, aux Ecoles  et aux Architectures  du spectacle. Une immense ruche où tout est magistralement organisé par une équipe des plus compétentes. Impossible de tout relater mais on peut essayer d’en donner quelques images. Cette immense manifestation dans deux halles et un parc de plusieurs hectares permet à de nombreux artistes responsables d’écoles et de sections de scénographie, de se rencontrer, voire d’élaborer des projets communs. C’est un grand événement international avec de nombreux pavillons, des créations artistiques, des symposiums et des performances parfois in situ comme celles de jeunes acrobates hongrois avec Vertical Dance/The Flock Project qui escaladaient une des façades du Mama Shelter, un ancien bâtiment de l’ère soviétique reconverti en hôtel par Jalil Amor et son équipe, à la déco un peu rétro-bobo et tape-à-l’œil mais sympathique.
En fait, il faudrait mieux ici parler de scénographie au sens large du terme, voire d’installations  d’art contemporain et d’actions dans certains cas avec participation du public.

VerticalDance-The-Flock-Project-

VerticalDance-The-Flock-Project-

 La Quadriennale a  toujours su réunir un très large public : scénographes expérimentés de grands théâtres nationaux ou directeurs d’une agence, étudiants  dans cette discipline et en arts du spectacle, peintres, sculpteurs, créateurs de costumes et de masques, critiques de théâtre, chercheurs travaillant sur les interactions entre art et informatique…  Sur des milliers de m2 dans deux immenses halles d’un centre d’expositions, le Výstaviště Praha, situé à la périphérie de cette ville au très riche et célèbre paysage architectural où vécurent notamment Amedeus Mozart qui y créa Don Giovanni, Franz Kafka,  Smetana, Mucha… etc. plus récemment des écrivains bien connus chez nous comme Hrabal, Milan Kundera et Václav Havel !

Impossible de tout voir en détail malgré quelques journées dans ces halles et donc de bien parler de cette riche manifestation, unique en son genre, à laquelle participaient cette année soixante-dix neuf pays quelque huit cent artistes avec  six cent évènements, le tout sur onze jours! Avec des invités comme l’illustratrice anglaise créatrice d’animaux fantastiques Olivia Lomenech Gill, le scénographe italien d’opéra Stefano Poda, ou le Français bien connu Romain Tardy qui crée des fresques lumineuses et projections illusionnistes.

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Il y a, difficile à trouver car, au bout du grand parc, une entreprise archéologique intéressante : deux jeunes archéologues qui ont récemment obtenu leur doctorat, Carolina Esperosanto et Emmanuelle Gangloff,  ont  essayé de remonter le temps de cette Quadriennale en s’installant avec une tente sur les ruines d’un pavillon belge détruit après un incendie puis rasé. C’est là que Josef Svoboda  et Alfréd Radok avaient présenté Laterna Magika. Mais de ce pavillon, on ne discerne plus qu’une grande surface carrelée, quelques restes de murs et bizarrement une grande étendue de sable confiée par ces jeunes femmes à chaque jour,  à un ou une artiste, scénographe ou non comme Gilone Brun, Murielle Delamotte… Ces archéologues ont mis aussi tout un outillage à disposition et demandé  aux artistes auxquels étaient alloués environ deux m2,  pour essayer de retrouver quelques traces enfouies et en constituer une œuvre. Des  fragments d’objets qui ensuite font l’objet d’analyse comme sur n’importe quel chantier de fouilles.
Carolina Esperosanto et Emmanuelle Gangloff ont aussi effectué des recherches à l’Institut des Arts et du Théâtre à Prague et les photocopies de documents trouvés ont été soigneusement classés et sont consultables sur tables, soigneusement archivés dans des boîtes en carton qu’elles ont collecté sur l’histoire des relations entre la France et cette Quadriennale. On voit ainsi que l’historien du théâtre et chercheur  au C.N.R. S. Denis Bablet faisait partie du jury en 71, puis vingt ans plus tard Yannis Kokkos, le grand scénographe d’Antoine Vitez. Malheureusement, mal fléchée, cette intervention, pourtant tout à fait intéressante, avait peu de visiteurs,  mais nous avons réussi à la trouver grâce à un scénographe américain…

Très simple, une exposition de quelques costumes et masques, de toute beauté du jeune créateur arménien Arshak Sarkissian. Conception remarquable, richesse des couleurs, invention magistrale de formes. Cela s’apparente, dit son auteur, à une recherche anthropologique. Mais aussi un peu plus loin, un ensemble poétique de grosses et petites cloches au Pavillon de la Mongolie.
Très simple aussi cette belle installation venue du Costa Rica: une accumulation au sol de T shirts, pantalons surtout bleus, mais aussi de toutes nuances de vert ou jaune fatigué que n’aurait pas désavoué Christian Boltanski. Sans aucun doute une évocation efficace de la tragédie que vivent les migrants d’Amérique du Sud vers les Etats-Unis. Avec des moyens pauvres, une belle réussite.
Dans le musée national dit Lapidarium donc consacré à la minéralogie, du Suisse Thom Luz, metteur en scène et compositeur qui a déjà présenté des spectacles à Nanterre-Amandiers, une belle installation Unusual Weather-Phenomena Machine, une installation où il fait circuler en l’air  sur de grandes bobines, des bandes magnétiques avec   la musique et effets lumineux. A mi-chemin là encore entre scénographie et sculpture.
Aussi simple mais très efficace au Pavillon danois, une sorte d’installation/scénographie  mais loin d’une maquette mais grandeur nature d’une belle jeune fille presque nue dans une cage de verre lumineuse tournant lentement.

Rien n’est fini, tout commence: un titre ironique pour ce conteneur imaginé par une équipe belg avec, tout autour, des restes calcinés bien noirs de petits, meubles, vêtements, chaînes hifi… Résidus des produits éphémères, le plus souvent fabriqués à base de matières issus du pétrole  par notre société technologique et trop grande consommatrice. A l’intérieur, juste une plante en pot solitaire et comme démunie, sur une petite table. Sans doute une référence aux graves problèmes écologiques que connaît notre planète. Mais, « petite » contradiction, ce conteneur avait sans doute dû être transporté depuis la Belgique par la route… Comme l’ont été par avion depuis Hong-Kong, une soixantaine de belles maquettes de scénographie et petits écrans vidéo  avec des extraits de spectacles : chacune présentée dans une boîte en fer grillagée! Avec un copieux catalogue offert aux visiteurs comme sur d’autres pavillons. Et l’écologie ? Curieusement, elle était à peu près dans toutes ces réalisations, la grand absente dans cette Quadriennale…
La République tchèque a présenté elle un Campq où  des extra terrestres ont trouvé refuge. Mais nous n’avons pu  aller voir par manque de temps cette installation située sur une île  en hors du site mais les photos donnaient envie.

©eva-korinkova

©eva-korinkova

Philippe Quesne a montré une installation personnelle où dans un grand cube aux parois en verre entrouvertes,  des  sortes de  formes verticales en trois dimensions d’environ 1, 50 m chacune dans un matériau différent: polystyrène expansé , papier kraft, mousse ocre, toile plastique blanche, fourrure synthétique blanche… se mouvaient chacune sur la musique d’un piano droit aux cordes apparentes.  Au fond, une grande photo jaune pâle de montagnes avec des arbres et des rochers rappelant les tableaux de Nicolas Poussin.  On pouvait y voir un souvenir de la scénographie de Swamp Club qu’il avait conçue en 2016 ou celle pour Crash Park, la vie d’une île, deux spectacles créés aux Amandiers. Soit un ensemble de formes intrigantes, remarquablement réalisé mais dont on discerne mal l’intention. Et le rapport à l’espace qui est à la base de ses mises en scène, n’a rien de la forme immersive où il voudrait sans doute nous plonger. Même si les baies vitrées étaient largement ouvertes, non à la visite mais à la vue. «Au-delà de mon propre travail dit-il, l’enjeu ici est de considérer la scénographie comme l’élément central de la démarche d’artistes qui comptent aujourd’hui.» Ce qui semble effectivement une évolution actuelle de cet art… Le jury de la Quadriennale a en tout cas élu Microcosm, meilleur pavillon de la section Pays et Régions. Une récompense qui célèbre cet auteur-scénographe mais aussi sans doute le retour de la France donc absente, on l’a dit, de cette manifestation internationale depuis seize ans !Notre pays avait obtenu  la Triga d’Or en 1967 et André Acquart obtint la médaille d’or en 1983. Et d’autres scénographies  comme celles de Guy-Claude François pour le Théâtre du Soleil. Mais aussi Yannis Kokkos en 1987 pour sa scénographie d’Electre de Sophocle, mise en scène d’Antoine Vitez et enfin Alain Chambon en 1991.  L’installation de Philippe Quesne a reçu le prix de la meilleure exposition des pays et régions avec la Catalogne et la Hongrie, juste avant la Golden Triga d’or qui a été attribuée à la République  de Macédoine du Nord.

D’un autre côté, nombre de créateurs de spectacles revendiquent la possibilité  de mettre juste quelques éléments  de décor sur une scène nue, voire sans pendrillons  ou réalisent eux-mêmes la scénographie, quitte à se faire aider par un constructeur pour la partie technique qu’ils ne maîtrisent pas. Les résultats ? Cela va du correct au très moyen, voire au mal conçu, notamment au point de vue esthétique et  pour  ce qui concerne la circulation des acteurs.

Le stand des Etats-Unis était composé d’une vingtaine d’écrans avec des images de scénographie dans de grands théâtres, sur lesquelles on pouvait cliquer pour en savoir plus. Techniquement bien réalisée mais sans beaucoup d’âme, ce stand était privé de tout être humain susceptible de vous donner quelques explications. Grand miracle de la technologie… La Roumanie présentait Ruines du Théâtre, Ruines de la Cité, un travail de Dragos Buhagiar, d’inspiration nettement surréaliste avec un gros œil monté sur des roues de charrette, une grande main qui se balançait en rythme et cinq violons noirs sur des faux. Une réalisation impressionnante de qualité mais dont on ne saisissait pas bien la portée.
Un projet intéressant : celui présenté par la Suède  où trente six spectateurs-voyeurs pouvaient regarder par des trous ovoïdes trois personnages à l’intérieur d’un cube blanc… Une scénographie qui rappelle curieusement celle de Mozart au chocolat, mise en scène d’Hervée de Lafont et Jacques Livchine. Les personnes qui n’avaient pas réservé leur place suffisamment à l’avance étaient déjà privés de la tasse de chocolat viennois offerte aux cinquante-deux spectateurs  et étaient  condamnés à voir assis sur de tabourets par des trous dans le mur, le compositeur à son piano et les trois chanteurs.

© Kristin Aafløy Opdan

Waka Waka © Kristin Aafløy Opdan

Nous avons aussi remarqué  les magnifiques marionnettes  de taille humaine de Wakka Wakka, du Plexus Polaire. La réalisation présentée au Pavillon d’Israël ne manquait pas d’humour… noir avec une série de tombes de marbre noir (faux bien sûr), celles entre autres de Woody Allen, d’Arthur Miller, etc. dont on pouvait soulever le couvercle pour voir quelques  images évocatrices de chacun… Mais toutes ces installations ou scénographies qui bénéficient à l’évidence de  gros budgets ont quelque chose d’un peu convenu. Et on aurait aimé avoir affaire à plus d’innovation surtout à une époque ou dans les arts du spectacle, tant de choses ont terriblement évolué en une trentaine d’années.
Malgré tout quelques journées passionnantes où on avait l’impression de voir des gens de tous les pays, heureux d’être là ensemble, de parler et souvent avec passion de leur réalisation, et quelle que soit leur langue, arrivant à se comprendre même dans un mauvais anglais. Nous vous parlerons dans un prochain article consacré aux Pavillons des écoles. Avec de belles surprises…

Philippe du Vignal

La Quadriennale de la scénographie a eu lieu à Prague, du 6 au 16 juin.

 

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