Notes sur la Quadriennale de Prague
Un peu d’histoire, cela ne peut pas faire de mal. Cette manifestation internationale a fêté ses cinquante ans : créée en 1967 dans le pavillon de la Tchécoslovaquie à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 qui avait été reconstruit à Prague. Il y avait déjà quelque vingt pays dont la France. La Quadriennale, organisée par le ministère de la Culture et l’Institut des Arts et du Théâtre tchèques, malgré l’invasion des chars russes et la période difficile qui a suivi, s’est maintenue et développée grâce à l’écrivain Václav Havel (1936-2011). Organisée par le ministère de la Culture et l’Institut des Arts et du Théâtre tchèques malgré l’invasion des chars russes et la période difficile qui a suivi, elle s’est maintenue et développée grâce à Václav Havel mais aussi à ce génial scénographe que fut Joseph Svoboda et aux excellents metteurs en scène Alfréd Radok et Ottomar Krejca. Les installations multimédias des deux premiers Laterna Magika et Polyekran avec acteurs et projections de films, les firent connaître au plan international, il y a déjà quelque soixante ans. Et en 1967, Joseph Svoboda créa l’un de ses plus célèbres effets spéciaux, un pilier de lumière tridimensionnel…
En 1968, le fameux Printemps de Prague ne dura pas longtemps et le pays subit l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Il y eut alors un durcissement politique et cette république fédérale resta aux mains du Parti communiste qui était aux ordres de Moscou: interdiction de sortir du territoire, censure des journaux et omniprésence d’une redoutable police d’Etat. Une mienne consœur qui était allée faire une interview de Václav Havel, comprit vite qu’elle était surveillée de près. En 1989, le Parti abandonnera enfin le pouvoir après la Révolution dite de velours…
Václav Havel fut une des grandes figures de l’opposition et un acteur essentiel de cette Révolution de velours. Il devint président de la République de 89 à 92 et fit beaucoup pour la culture de son pays. La Quadriennale a attiré en 2015 quelque 180.000 visiteurs! Mais en qui concerne la participation de la France, il y eut quelques malentendus mais elle y revient cette fois après seize ans d’absence… Avec un pavillon placé sous l’égide d’Artcena dirigée par Gwenola David, et de Philippe Quesne, directeur de Nanterre-Amandiers qui présentait un dispositif scénographique personnel participant en fait davantage d’une installation. Même s’il est en relation avec ses récentes mises en scène.
Trois thématiques rappelées en grandes lettres à l’entrée de la halle principale: Imagination, Transformation, Mémoire. Et aussi trois espaces consacrés aux Pays et régions, aux Ecoles et aux Architectures du spectacle. Une immense ruche où tout est magistralement organisé par une équipe des plus compétentes. Impossible de tout relater mais on peut essayer d’en donner quelques images. Cette immense manifestation dans deux halles et un parc de plusieurs hectares permet à de nombreux artistes responsables d’écoles et de sections de scénographie, de se rencontrer, voire d’élaborer des projets communs. C’est un grand événement international avec de nombreux pavillons, des créations artistiques, des symposiums et des performances parfois in situ comme celles de jeunes acrobates hongrois avec Vertical Dance/The Flock Project qui escaladaient une des façades du Mama Shelter, un ancien bâtiment de l’ère soviétique reconverti en hôtel par Jalil Amor et son équipe, à la déco un peu rétro-bobo et tape-à-l’œil mais sympathique.
En fait, il faudrait mieux ici parler de scénographie au sens large du terme, voire d’installations d’art contemporain et d’actions dans certains cas avec participation du public.
VerticalDance-The-Flock-Project-
La Quadriennale a toujours su réunir un très large public : scénographes expérimentés de grands théâtres nationaux ou directeurs d’une agence, étudiants dans cette discipline et en arts du spectacle, peintres, sculpteurs, créateurs de costumes et de masques, critiques de théâtre, chercheurs travaillant sur les interactions entre art et informatique… Sur des milliers de m2 dans deux immenses halles d’un centre d’expositions, le Výstaviště Praha, situé à la périphérie de cette ville au très riche et célèbre paysage architectural où vécurent notamment Amedeus Mozart qui y créa Don Giovanni, Franz Kafka, Smetana, Mucha… etc. plus récemment des écrivains bien connus chez nous comme Hrabal, Milan Kundera et Václav Havel !
Impossible de tout voir en détail malgré quelques journées dans ces halles et donc de bien parler de cette riche manifestation, unique en son genre, à laquelle participaient cette année soixante-dix neuf pays quelque huit cent artistes avec six cent évènements, le tout sur onze jours! Avec des invités comme l’illustratrice anglaise créatrice d’animaux fantastiques Olivia Lomenech Gill, le scénographe italien d’opéra Stefano Poda, ou le Français bien connu Romain Tardy qui crée des fresques lumineuses et projections illusionnistes.
Il y a, difficile à trouver car, au bout du grand parc, une entreprise archéologique intéressante : deux jeunes archéologues qui ont récemment obtenu leur doctorat, Carolina Esperosanto et Emmanuelle Gangloff, ont essayé de remonter le temps de cette Quadriennale en s’installant avec une tente sur les ruines d’un pavillon belge détruit après un incendie puis rasé. C’est là que Josef Svoboda et Alfréd Radok avaient présenté Laterna Magika. Mais de ce pavillon, on ne discerne plus qu’une grande surface carrelée, quelques restes de murs et bizarrement une grande étendue de sable confiée par ces jeunes femmes à chaque jour, à un ou une artiste, scénographe ou non comme Gilone Brun, Murielle Delamotte… Ces archéologues ont mis aussi tout un outillage à disposition et demandé aux artistes auxquels étaient alloués environ deux m2, pour essayer de retrouver quelques traces enfouies et en constituer une œuvre. Des fragments d’objets qui ensuite font l’objet d’analyse comme sur n’importe quel chantier de fouilles.
Carolina Esperosanto et Emmanuelle Gangloff ont aussi effectué des recherches à l’Institut des Arts et du Théâtre à Prague et les photocopies de documents trouvés ont été soigneusement classés et sont consultables sur tables, soigneusement archivés dans des boîtes en carton qu’elles ont collecté sur l’histoire des relations entre la France et cette Quadriennale. On voit ainsi que l’historien du théâtre et chercheur au C.N.R. S. Denis Bablet faisait partie du jury en 71, puis vingt ans plus tard Yannis Kokkos, le grand scénographe d’Antoine Vitez. Malheureusement, mal fléchée, cette intervention, pourtant tout à fait intéressante, avait peu de visiteurs, mais nous avons réussi à la trouver grâce à un scénographe américain…
Très simple, une exposition de quelques costumes et masques, de toute beauté du jeune créateur arménien Arshak Sarkissian. Conception remarquable, richesse des couleurs, invention magistrale de formes. Cela s’apparente, dit son auteur, à une recherche anthropologique. Mais aussi un peu plus loin, un ensemble poétique de grosses et petites cloches au Pavillon de la Mongolie.
Très simple aussi cette belle installation venue du Costa Rica: une accumulation au sol de T shirts, pantalons surtout bleus, mais aussi de toutes nuances de vert ou jaune fatigué que n’aurait pas désavoué Christian Boltanski. Sans aucun doute une évocation efficace de la tragédie que vivent les migrants d’Amérique du Sud vers les Etats-Unis. Avec des moyens pauvres, une belle réussite.
Dans le musée national dit Lapidarium donc consacré à la minéralogie, du Suisse Thom Luz, metteur en scène et compositeur qui a déjà présenté des spectacles à Nanterre-Amandiers, une belle installation Unusual Weather-Phenomena Machine, une installation où il fait circuler en l’air sur de grandes bobines, des bandes magnétiques avec la musique et effets lumineux. A mi-chemin là encore entre scénographie et sculpture.
Aussi simple mais très efficace au Pavillon danois, une sorte d’installation/scénographie mais loin d’une maquette mais grandeur nature d’une belle jeune fille presque nue dans une cage de verre lumineuse tournant lentement.
Rien n’est fini, tout commence: un titre ironique pour ce conteneur imaginé par une équipe belg avec, tout autour, des restes calcinés bien noirs de petits, meubles, vêtements, chaînes hifi… Résidus des produits éphémères, le plus souvent fabriqués à base de matières issus du pétrole par notre société technologique et trop grande consommatrice. A l’intérieur, juste une plante en pot solitaire et comme démunie, sur une petite table. Sans doute une référence aux graves problèmes écologiques que connaît notre planète. Mais, « petite » contradiction, ce conteneur avait sans doute dû être transporté depuis la Belgique par la route… Comme l’ont été par avion depuis Hong-Kong, une soixantaine de belles maquettes de scénographie et petits écrans vidéo avec des extraits de spectacles : chacune présentée dans une boîte en fer grillagée! Avec un copieux catalogue offert aux visiteurs comme sur d’autres pavillons. Et l’écologie ? Curieusement, elle était à peu près dans toutes ces réalisations, la grand absente dans cette Quadriennale…
La République tchèque a présenté elle un Campq où des extra terrestres ont trouvé refuge. Mais nous n’avons pu aller voir par manque de temps cette installation située sur une île en hors du site mais les photos donnaient envie.
©eva-korinkova
Philippe Quesne a montré une installation personnelle où dans un grand cube aux parois en verre entrouvertes, des sortes de formes verticales en trois dimensions d’environ 1, 50 m chacune dans un matériau différent: polystyrène expansé , papier kraft, mousse ocre, toile plastique blanche, fourrure synthétique blanche… se mouvaient chacune sur la musique d’un piano droit aux cordes apparentes. Au fond, une grande photo jaune pâle de montagnes avec des arbres et des rochers rappelant les tableaux de Nicolas Poussin. On pouvait y voir un souvenir de la scénographie de Swamp Club qu’il avait conçue en 2016 ou celle pour Crash Park, la vie d’une île, deux spectacles créés aux Amandiers. Soit un ensemble de formes intrigantes, remarquablement réalisé mais dont on discerne mal l’intention. Et le rapport à l’espace qui est à la base de ses mises en scène, n’a rien de la forme immersive où il voudrait sans doute nous plonger. Même si les baies vitrées étaient largement ouvertes, non à la visite mais à la vue. «Au-delà de mon propre travail dit-il, l’enjeu ici est de considérer la scénographie comme l’élément central de la démarche d’artistes qui comptent aujourd’hui.» Ce qui semble effectivement une évolution actuelle de cet art… Le jury de la Quadriennale a en tout cas élu Microcosm, meilleur pavillon de la section Pays et Régions. Une récompense qui célèbre cet auteur-scénographe mais aussi sans doute le retour de la France donc absente, on l’a dit, de cette manifestation internationale depuis seize ans !Notre pays avait obtenu la Triga d’Or en 1967 et André Acquart obtint la médaille d’or en 1983. Et d’autres scénographies comme celles de Guy-Claude François pour le Théâtre du Soleil. Mais aussi Yannis Kokkos en 1987 pour sa scénographie d’Electre de Sophocle, mise en scène d’Antoine Vitez et enfin Alain Chambon en 1991. L’installation de Philippe Quesne a reçu le prix de la meilleure exposition des pays et régions avec la Catalogne et la Hongrie, juste avant la Golden Triga d’or qui a été attribuée à la République de Macédoine du Nord.
D’un autre côté, nombre de créateurs de spectacles revendiquent la possibilité de mettre juste quelques éléments de décor sur une scène nue, voire sans pendrillons ou réalisent eux-mêmes la scénographie, quitte à se faire aider par un constructeur pour la partie technique qu’ils ne maîtrisent pas. Les résultats ? Cela va du correct au très moyen, voire au mal conçu, notamment au point de vue esthétique et pour ce qui concerne la circulation des acteurs.
Le stand des Etats-Unis était composé d’une vingtaine d’écrans avec des images de scénographie dans de grands théâtres, sur lesquelles on pouvait cliquer pour en savoir plus. Techniquement bien réalisée mais sans beaucoup d’âme, ce stand était privé de tout être humain susceptible de vous donner quelques explications. Grand miracle de la technologie… La Roumanie présentait Ruines du Théâtre, Ruines de la Cité, un travail de Dragos Buhagiar, d’inspiration nettement surréaliste avec un gros œil monté sur des roues de charrette, une grande main qui se balançait en rythme et cinq violons noirs sur des faux. Une réalisation impressionnante de qualité mais dont on ne saisissait pas bien la portée.
Un projet intéressant : celui présenté par la Suède où trente six spectateurs-voyeurs pouvaient regarder par des trous ovoïdes trois personnages à l’intérieur d’un cube blanc… Une scénographie qui rappelle curieusement celle de Mozart au chocolat, mise en scène d’Hervée de Lafont et Jacques Livchine. Les personnes qui n’avaient pas réservé leur place suffisamment à l’avance étaient déjà privés de la tasse de chocolat viennois offerte aux cinquante-deux spectateurs et étaient condamnés à voir assis sur de tabourets par des trous dans le mur, le compositeur à son piano et les trois chanteurs.
Waka Waka © Kristin Aafløy Opdan
Nous avons aussi remarqué les magnifiques marionnettes de taille humaine de Wakka Wakka, du Plexus Polaire. La réalisation présentée au Pavillon d’Israël ne manquait pas d’humour… noir avec une série de tombes de marbre noir (faux bien sûr), celles entre autres de Woody Allen, d’Arthur Miller, etc. dont on pouvait soulever le couvercle pour voir quelques images évocatrices de chacun… Mais toutes ces installations ou scénographies qui bénéficient à l’évidence de gros budgets ont quelque chose d’un peu convenu. Et on aurait aimé avoir affaire à plus d’innovation surtout à une époque ou dans les arts du spectacle, tant de choses ont terriblement évolué en une trentaine d’années.
Malgré tout quelques journées passionnantes où on avait l’impression de voir des gens de tous les pays, heureux d’être là ensemble, de parler et souvent avec passion de leur réalisation, et quelle que soit leur langue, arrivant à se comprendre même dans un mauvais anglais. Nous vous parlerons dans un prochain article consacré aux Pavillons des écoles. Avec de belles surprises…
Philippe du Vignal
La Quadriennale de la scénographie a eu lieu à Prague, du 6 au 16 juin.