Montpellier Danse 2019
Montpellier Danse 2019
« Ce trente-neuvième Festival a été facile à faire, dit Jean-Paul Montanari, créateur et directeur de ce festival international Il est venu aisément, tout d’un coup, un peu comme une phrase qui s’écrit toute seule, qui est juste du premier coup et qu’il ne faut quasiment pas corriger.» Le centenaire de la naissance de Merce Cunningham l’a sans doute bien aidé à trouver un fil conducteur. Dans cette Agora de la Danse, un ancien couvent où Montpellier Danse a établi ses bureaux et où une partie des cendres du chorégraphe américain ont été répandues, un hommage à l’inventeur d’une danse nouvelle semble aujourd’hui naturel.
Révolutionnaire, il a en effet imposé une rupture radicale qui a marqué les futures générations. Avec lui, finies la narrativité, les épousailles de la danse et de la musique, l’expressivité de l’interprète et les codifications : «Les individus et leurs environnements sont à la fois indépendants et reliés les uns aux autres.» Et chaque interprète est un centre autour duquel gravite les autres, chacun a sa danse et chaque spectateur construit son propre spectacle. Avec Merce Cunningham, la danse prend pour objet, le mouvement en lui-même… Que reste-t-il de vivant de lui ? A cette question, répond Ashley Chen qui a dansé pendant quatre ans dans la Merce Cunningham Company et qui poursuit autrement le travail du maître avec un trio, Chance, Space and Time fondé sur l’aléatoire, accompagné de musiques volontairement disparates et désaccordées. Trevor Carlson, très proche du chorégraphe et qui a été son assistant les dernières années de sa vie, a construit, avec Ferran Carjaval, un solo théâtral Not a moment too soon qu’il interprète, entouré d’images et souvenirs de son ami.
D’autres Américains seront présents sur les planches de la capitale de l’Hérault, comme William Forsythe qui vient d’obtenir le prix du Syndicat de la critique. Mais bien d’autres artistes de toute origine sont à découvrir dans ce festival de renommée mondiale qui, pendant trois semaines, mélange styles et générations, grands ballets et petites formes, à raison de deux ou trois propositions par jour. Des expériences singulières se greffent sur ce copieux programme comme la pièce présentée par Angelin Preljocaj avec des prisonnières du centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille.
Falling Stardust, chorégraphie d’Amala Dianor
En costumes noirs stricts, uniformes mais pas tout à fait semblables et laissant apparaître le corps, ils s’observent, dans un espace vide, sur un sol quadrillé de lignes lumineuses. Puis ils se groupent en un assemblage qui s’ouvre et se referme comme une fleur, une forme qu’ils reproduiront à plusieurs reprises, d’une séquence à l’autre. Ils se lancent alors dans des figures géométriques, en ligne de trois, parallèles ou perpendiculaires, sans jamais se percuter. A l’intérieur de cette construction complexe à géométrie variable, ils semblent libres de développer leur propre style: pliés, jetés, entrechats et arabesques s’amorcent et se transforment, tandis qu’à côté naissent des équilibres sur la tête ou des mouvements de hip hop.
Cette alternance maîtrisée et menée sans temps mort crée un métissage où chacun rencontre les autres en gardant sa propre personnalité. Amala Dianor joue avec minutie de ce vaste panel de vocabulaires et d’esthétiques, combinant les figures, traçant des lignes de forces, mêlant formes anguleuses et mouvements fluides, conjuguant le vertical et l’horizontal, la droite et le cercle. Les musiques tout aussi hétérogènes marquent ces disruptions et soutiennent ces énergies chorégraphiques hybrides. Un bel hommage à notre société en mouvement.
Soul Kitchen chorégraphie d’Angelin Preljocaj
Composé de vingt-quatre danseurs, le Ballet Preljocaj est installé depuis 2006 au Pavillon Noir, Centre Chorégraphique National d’Aix-en-Provence. Outre ses créations, le chorégraphe mène des actions pour des publics différents avec des ateliers de pratique amateur, répétitions ouvertes, représentations dans l’espace urbain. Il s’attache aussi, depuis de nombreuses années, à introduire la danse en milieu carcéral et ces interventions ont convaincu Angelin Prejlocaj de leur pertinence. Il a alors lancé un projet expérimental avec des femmes détenues à la prison des Baumettes II, à Marseille. Durant quatre mois, chaque semaine, deux ateliers ont été menés avec des volontaires. Appréhender le corps, le rapport à l’espace et à soi-même, apprivoiser le regard de l’autre: autant de questions et d’enjeux autour d’un objectif commun , se produire en public. «Une manière de mettre en lumière, dit le chorégraphe, celles qu’un parcours a conduites entre les murs et par là même de questionner le regard que l’on porte sur la population carcérale. » Pari réussi.
Soul Kitchen (Cuisine de l’âme) est la restitution de ces ateliers. Angelin Prejlocaj s’est aperçu que la privation de liberté engendre de multiples pertes sensorielles dont le goût et l’odorat et, constatant que nombre de ces femmes cuisinaient dans leur cellule, il a bâti sa pièce à partir de la confection de gâteaux. Mais pas question d’enfermer les cinq danseuses dans leur cuisine ! Après une courte ouverture sur une air de valse, dédiée à la pâtisserie qui cuira le temps de la pièce, les femmes s’échappent vite de leurs ustensiles et fourneaux pour investir tout l’espace du plateau.
Elles s’échauffent en sautillant et se dégourdissent bras et jambes, puis se livrent à différentes figures d’ensemble. A pas comptés, souvent sur des rythmes de huit, Sofia, Lily, Esther, Ital et Sylvia recouvrent progressivement une liberté de mouvement, le plaisir de bouger, de se toucher, de rencontrer l’autre, en gardant une grande précision dans le mouvement. Une énergie communicative se dégage de ces corps ondulant au rythme des musiques et se propage vers la salle où s’insinue peu à peu l’odeur appétissante des cookies que ces cinq femmes viendront nous offrir après s’être présentées en lisant des extraits des Nourritures terrestres d’André Gide. Une belle manière de conclure dans la générosité… Les spectateurs émus leur ont offert en retour une ovation debout…
«La danse m’a aidée à comprendre beaucoup de choses sur moi, dans mes relations avec les autres. Et surtout, ce qui m’a fait tenir, c’est de travailler avec un professionnel, le respect, il était là. Dans son regard », assure l’une des détenues. Angelin Preljocaj est le premier chorégraphe, en France, à tenter une création en prison, à l’instar d’autres artistes comme Olivier Py qui a présenté l’an passé au festival d’Avignon, Antigone de Sophocle avec les prisonniers du centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet et qui réitère l’expérience cette année (voir Le Théâtre du Blog). Bettina Rheims a su aussi photographier des femmes dans plusieurs prisons et a publié un album de ces beaux portraits*
Mireille Davidovici
Du 22 juin au 6 juillet, Montpellier Danse, Agora Cité internationale de la Danse, Cour de l’Agora, 18 rue Sainte-Ursule. T. : 0 800 600 740 (appel gratuit).
Autres chorégraphies d’Angelin Preljocaj à Montpellier Danse : le 2 juillet, Danser l’invisible ; du 1er au 3 juillet, Winterreise,
*Détenues éditions Gallimard 2018
Falling Stardust : le 12 septembre, Les Quinconces, Le Mans; le 21 septembre, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France;
le 14 novembre, Le Parvis,Tarbes ( Hautes-Pyrénées); le 19 novembre, L’Empreinte, Brive-Tulle ( Corrèze) ; le 22 novembre, L’Avant-Seine, Colombes (Hauts-de-Seine) ; les 28 et 29 novembre, Espace 1789, Saint-Ouen.
Le15 décembre, Festival de danse de Cannes (Alpes-Maritimes).
Le 24 janvier, Théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban (Alpes-de Haute-Provence).
Les 7 et 8 avril, Bonlieu, Annecy. (Haute-Savoie)
Et du 4 au 6 mai, La Villette, en collaboration avec le Théâtre de la Ville, Paris.