Carte blanche à Laurent Hilaire : Le Lac des Cygnes

Carte blanche à Laurent Hilaire : Le Lac des Cygnes.

AFFICHE-L-HILAIREpdf-pages-367x520A l’initiative de Lisa Martino, responsable du Paris de la Danse  au Théâtre de Paris, l’ancien danseur-étoile de l’Opéra National, revient accompagné d’Oxana Kardash et Ivan Mikhalev, eux danseurs-étoiles du Théâtre Stanislavski à Moscou,

En 2017, nommé directeur du Ballet de ce théâtre, il entreprend un travail de fond avec ses danseurs sur le répertoire classique et contemporain et cherche à redonner de la valeur à ce Ballet, basé près du mythique Bolchoï à l’imposante et inégalable aura internationale.
Avec cette répétition publique autour de fragments du Lac des Cygnes, la technique de haut niveau de ces danseurs russes frappe d’emblée : les figures de danse classique, comme entre autres, les portés paraissent se faire sans effort et vite,.

Laurent Hilaire corrige ses artistes, en interrompant plusieurs fois leurs envols, pour décrypter chacun de leurs gestes et  leur donner un sens. «Une femme avec des plumes, cela ne court pas les rues» dit-il à Ivan Mikhalev pour lui faire comprendre l’étrangeté de la situation! Il explique le sens de chaque mouvement.  Ce qui, pour un spectateur néophyte, est d’une grande utilité : pas facile en effet de décoder cette gestuelle gracieuse mais un peu hermétique. Cette version du Lac des Cygnes de Bourmeister présentée à l’Opéra de Paris en 1950 fut remplacée en 1984 par celle de Rudolf Noureev qui lui donna une couleur plus psychanalytique. A l’occasion de cette dernière version, Laurent Hilaire avait été nommé Etoile. Une fois la séance de répétition terminée, les danseurs, cette fois-ci en costume, nous livrent un bel extrait de ce ballet.

Dans le cadre de ce festival, le théâtre de Paris va accueillir aussi De New York à Paris avec les danseurs du New York City, une pièce emmenée par Daniel Ulbricht, directeur artistique des Stars of American Ballet et des interprètes de l’Opéra de Paris. Ils ont formé un groupe créé par Alessio Carbone, Les Italiens de l’Opéra.
Et du 13 au 16 juin, Pétia Iourtchenko offrira une soirée tzigane, suivie d’un souper russe dans le foyer du théâtre, le 17 juin ; enfin, la Kibbutz contemporary dance Company présentera sa dernière réalisation, du 21 au 23 juin.

Jean Couturier

Spectacle vu le 3 juin au Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, Paris (IX ème). T. : 01 42 80 01 81.


Archive pour juin, 2019

Las Vegas (suite) Murray The Magician au Tropicana, Laugh Factory

Las Vegas (suite)

Murray The Magician au Tropicana, Laugh Factory

8BA6CA8E-3B1A-4FBE-98B4-72B82B40143BMurray John Sawchuck né en 1973 au Canada, est un magicien, acteur et animateur. Son père travaillait dans les chemins de fer mais est aussi musicien et lui apprendra l’accordéon, le clavier et le saxo à cinq ans. Et il suivra des cours de danse ukrainienne à sept ans. Sa tante et son oncle lui offrent une boîte de magie Siegfried & Roy. Il commence alors à travailler sur l’intégration de la magie avec la musique et la danse dans ses routines et fait son premier spectacle à une fête d’anniversaire à onze ans. Adolescent, il en fait déjà cinq à six par semaine. En parallèle, il est garçon de bus, maître-nageur, réparateur de vélos, etc.. et obtient un diplôme universitaire en communication audiovisuelle et en journalisme. En 1989, il met au point un des premiers numéros impliquant la manipulation de plusieurs C D. Et en 1999,  nommé champion de magie au Pacific Rim Professional Magic Challenge, il remporte ensuite plus de vingt-quatre trophées avec son CD FX act.

Murray rencontre alors son futur mentor Marvyn Roy et sa femme Carol qui lancent sa carrière, à travers l’Europe vers les années 2000. Premier spectacle à Bruxelles, en France (dans l’émission Le Plus Grand Cabaret du Monde en 2003), à Monaco, etc… Entre deux tournées, il vit en Floride et en 2003, fait une de ses premières apparitions dans la série télévisée Reno 911. Il s’installe en 2008 à Las Vegas et fait des tournées en Asie du Sud, puis signe un contrat avec Norwegian Cruise Lines où il fait son numéro de manipulation de C D.

En 2008, Murray apparaît comme coach de magie dans cinq épisodes de la série Celebracadabra sur la chaîne VH1, où des couples de magiciens et de célébrités se disputent le prix et le titre de « Meilleur magicien de célébrités ». Puis il  participe à la cinquième saison de l’émission America’s Got Talent sur NBC et atteint les demi-finales. il fait apparaître une voiture, transforme une femme enfermée dans une cage en un tigre vivant et la fait réapparaître à côté des juges. Il fait aussi disparaître une locomotive à vapeur de 1918 (un hommage à la longue histoire familiale).

Depuis 2010, la série Pawn Stars (Les Rois des enchères), sur History Channel, présente régulièrement Murray  comme historien d’anciens appareils de magie .En 2012, Murray décroche un contrat pour un show permanent au Tropicana à Las Vegas avec, comme partenaires, sa toute nouvelle femme Chloé Crawford (danseuse et chorégraphe) et le manipulateur Douglas Leferovich. Murray passionné d’histoire de la magie, est un collectionneur de reliques du vieux Las Vegas, comme le costume du magicien Jack Kodell, le premier à se produire dans la capitale du Nevada à la fin des années 1940. Et il voue une admiration sans borne aux magiciens Cardini, Harry Houdini et, bien sûr,  à Marvyn Roy.

Apparition

Dans le bar du Laugh Factory sur une petite scène idéale pour le stand-up et la proximité avec le public. Un homme à tout faire, Lefty (Douglas Leferovich) arrive avec un paravent en tissu qu’il place à la verticale et d’où apparait Murray qui enlève sa veste et sort de sa manche une quille de bowling. Il sort ensuite une boule d’une mallette extra plate .Une introduction efficace. Murray montre alors un sac en papier vide et y place une bouteille de ketchup dont il retire alors le bouchon ainsi qu’une vraie tomate du sac. Puis il montre la bouteille vide.

Puis Lefty présente une grosse ampoule allumée. Murray prend une grande feuille de papier, présentée recto-verso, et le roule en cône. Il verse ensuite du lait dans le cornet en papier, sans qu’il ne coule et disparait quand la feuille est déroulée et il se retrouve dans l’ampoule tenue depuis le début par l’assistant, bien en vue du public. Murray rend ici hommage à son mentor Marvyn Roy, « Mr Electric » (tout juste 94 ans! ), qui lui a légué ce numéro mythique.  Avec son épouse Carol, il a parcouru le monde pendant cinquante ans avec un numéro où il allumait des ampoules à mains nues, y compris une ampoule de phare de 10. 000 watts!

Téléphone portable

Après avoir emprunté un portable dans la salle, Murray gonfle un ballon et fait passer le portable à l’intérieur puis il casse le caoutchouc du ballon pour en tirer le téléphone et le redonner au spectateur. Cet effet très visuel est fondé sur Pressure Balloon Penetration de Daniel Garcia et Dan White (2009).

Bague et montre

Empruntées et placées sous un foulard, elles sont confiées à deux spectateurs. Murray annonce qu’il n’utilisera pas ses manches de sa veste… Il présente alors des menottes à clé ayant appartenu à Houdini et se fait enfermer les poignets par un spectateur. Lefty lui donne un fil de fer et Murray réussit à ouvrir les menottes avec ses dents.Les deux foulards tenus par les spectateurs sont retirés et les objets ont disparu. La bague se retrouve sur les clés des menottes et la montre au poignet de Lefty.

Le Foulard à l’œuf

Murray place un foulard rouge dans son poing et le transforme en œuf. Il propose au public de lui révéler le truc de « l’œuf à trou » (tour emblématique des boîtes de magie pour enfants) et de l’empalmage.  Il utilise un deuxième foulard de couleur verte qui disparaît du poing pour se retrouver dans sa poche. Le trou de l’œuf s’avère être une pastille autocollante de couleur qui est retirée pour révéler un vrai œuf qui est cassé dans un verre. Silk to Egg,  un classique de la magie moderne, inventé par le colonel Stodare en 1860 et connu sous le nom de Stodare Egg. Un tour ensuite utilisé par de nombreux illusionnistes sous le nom de Kling Klang où un œuf dans un verre est transposé dans un mouchoir tenu dans la main du magicien… Adélaïde Herrmann le fera évoluer  avec la transformation finale de l’œuf en oiseau.

 Carte retrouvée

Un spectateur prend un jeu de cartes, le mélange et en garde une de son choix pour la signer. Dans ce cas extrême, impossible de « forcer » une carte qui est montrée au public avant d’être remise dans le jeu confié à un autre spectateur qui le mélange. Murray reprend alors le paquet de cartes et le jette sur une personne du public qui doit attraper en plein vol la carte choisie ! Forcément, la carte n’est pas la bonne. Le magicien fait alors la blague du change de carte avec la disparition de la signature du début.

 Objets perdus

Une enveloppe d’objets perdus est présentée au public avec, à l’intérieur des accessoires saugrenus, dont un soutien-gorge à trois bonnets. Lefty apporte un présentoir avec trois ballons de couleur différente et Murray demande à un spectateur de choisir une couleur, couleur qui est forcée par le dégonflement automatique du ballon (gag). Un deuxième ballon éclate tout seul pour révéler le deuxième téléphone portable emprunté plus tôt lors de sa transformation en caillou. La spectatrice, ouvre alors la coque de protection de son appareil et retrouve la carte signée, du précédent tour, à l’intérieur. Pour remercier la spectatrice, Murray lui propose une sculpture sur ballon de son choix, un chien bleu avec un ballon jaune (gag). Le premier essai échoue et le magicien arrive finalement à produire le chien mais de couleur violette…

 Lefty

Lefty vient balayer la scène, ramasse une carte et se met à la faire disparaitre et réapparaitre avec la technique du back and front, typique des manipulateurs. Douglas Leferovich interprète ce personnage muet avec des expressions un peu excessives. Alors qu’il fait apparaître et disparaître plusieurs cartes à jouer après les avoir multipliées, son personnage semble être tout aussi impressionné que le public. Il prend à parti une jeune femme du public pour ses routines et flirte innocemment avec elle alors qu’il enchaîne tous les classiques de manipulation: cartes boomerang, cartes à la bouche, cartes qui rapetissent).

 Cannette en bouteille

Murray revient prendre sa place avec un sac en papier  où il place une canette de bière vérifiée par le public. Celle-ci disparaît par renversement du sac (gag). Finalement, elle se transforme en grande bouteille de coca-cola. Un effet  fondé sur le même principe que dans le tour classique des Passe-Passe Bottles (1876) et des Multiplying Bottles d’Arthur P. Felsman (1920).

 Journal déchiré et reconstitué

Murray termine son spectacle par le tour classique du journal déchiré et reconstitué, sur la musique de Purple rain de Prince.  La reconstitution s’achève avec l’apparition de la chaussure du spectateur à l’intérieur du journal. Déjà au XIX ème siècle, détruire et restaurer une feuille de papier, un ruban, une ficelle ou une carte, étaient monnaie courante.Le spectacle est construit dans la tradition du « stand-up » où les vannes fusent entre les effets magiques. Personnage décontracté et sympathique et texte travaillé:  aucun temps mort: on ne s’ennuie pas une seconde et on passe plutôt un bon moment. Mais ce répertoire manque d’originalité, de sens et d’épaisseur et tous les effets présentés sont des classiques sans réelle valeur ajoutée. Les trucs, s’enchaînent mais sans transition. La présence  de Lefty nous change de l’éternelle partenaire féminine mais cette bonne idée n’est pas assez développée. Le spectacle, même s’il est d’une grande virtuosité, manque de complicité avec le public et n’apporte aucun supplément d’âme. Dommage….

Sébastien Bazou


Spectacle vu le 29 avril à Las Vegas (Nevada)

 

Mary said what she said de Darryl Pinckney, mise en scène de Robert Wilson

 

 

Mary said what she said (Mary a dit ce qu’elle a dit) de Darryl Pinckney, mise en scène de Robert Wilson

 Isabelle Huppert en icône de Mary Stuart, figure tragique de l’Histoire : un rôle qui lui sied et qu’elle assume à la perfection, en entrant dans l’imagerie du metteur en scène. Elle s’approprie magnifiquement ce monologue de quatre vingt-six paragraphes en trois parties où «la seule et unique Marie d’Écosse et des Îles » récapitule sa vie tumultueuse.

1587 : à quarante-cinq ans, elle  s’apprête à monter sur l’échafaud, condamnée, après dix-neuf ans de captivité, pour avoir soi-disant comploté contre sa cousine Élisabeth I ère d’Angleterre. Objet de nombreuses biographies, romans, films, pièces… ce personnage mythique revit ici pendant une heure trente, transfiguré par Bob Wilson.

D’un chapitre à l’autre, brouillant les chronologies, Mary ressasse ses souvenirs heureux et malheureux: son enfance à la Cour de France et son mariage à seize ans en grande pompe à François II, fils d’Henri II et veuve un an plus tard. Retour en Écosse, assassinat de son deuxième mari Lord Darnley; son amant de cœur, le comte de Bothwell, soupçonné de ce meurtre et qu’elle épouse ; conflits entre protestants et catholiques; ses multiples emprisonnements et son fils James dont  on la séparera…
 Les époques se mélangent mais il est temps pour elle de faire son testament. Darryl Pinckney conclut sa pièce par la lettre qu’elle écrit à Henri III de France la veille de son exécution. Peu importent les dates, nous entrons de plain pied dans l’intimité de Marie. L’auteur n’écrit pas une biographie mais s’attache à la majesté de son personnage qui, si le destin en avait décidé autrement, aurait été reine d’Ecosse, de France et d’Angleterre.

C’est une Marie hiératique, moulée dans ses atours dorés qui se découpe  en silhouette sous les magnifiques éclairages de Robert Wilson, avec contrejours et variations de couleurs, du chaud au froid. On la voit d’abord en ombre chinoise,  on ne sait si elle est de dos ou de face, immobile ou en mouvement. Mais après un temps, s’avançant vers le public, elle révèlera son visage en plein jour, d’une dureté expressive.
Assortie à ces oscillations lumineuses et formelles, la  composition de Ludovico Einaudi simule une musique de cour, solennelle ou tempétueuse, diffusée en vagues répétitives. Isabelle Huppert épouse ces états d’âme, désinvolte, évoquant les fêtes à la Cour de France où Diane de Poitiers lui apprit à danser. Ou emportée contre ses ennemis comme John Knox, meneur des Protestants, sa bête noire disant d’elle: «Le diable porte des rubans de Genève» et Élisabeth d’Angleterre qu’elle n’a jamais rencontrée, contrairement à ce qu’imagine Friedrich Schiller dans sa pièce Marie Stuart. Elle énumère, comme un leitmotiv, ses suivantes, quatre Marie : «Vous êtes toutes près de moi, mes Marie. » (…) « Dont «chère Marie Setton qui m’aime le mieux depuis toujours. » Nostalgique, elle évoque aussi son fils James (futur roi d’Angleterre),  en faveur de qui elle abdiqua et qui aura bien peu connu sa mère.

Après Orlando de Darryl Pinckney d’après Virginia Woolf en 1993 et Quartet d’Heiner Müller en 2006,  Robert Wilson retrouve Isabelle Huppert : « L’une des comédiennes les plus exceptionnelles avec qui il m’ait été donné de travailler, dit-il. Elle a la capacité de penser de manière abstraite. » (…) «Je donne des indications formelles. » Et l’actrice  comprend ce formalisme : « S’il m’était imposé comme un paquet encombrant, (…) je ne crois pas que je le saisirais aussi bien ». Dans cette mécanique précise et exigeante, enfermée dans son corset et sous son masque, elle invente un espace de liberté.  Le moindre geste chorégraphié par Bob Wilson et ciselé par ses lumières prend alors une ampleur majestueuse. Parfois l’image se fait insistante et gratuite, comme lors de cet intermède un peu trop académique où la reine apparaît, fantôme muet dans les fumigènes.

Bob Wilson redécouvre l’Espace Cardin avec émotion: «C’est dans ce théâtre, en 1971 que j’ai  présenté pendant cinq mois Le Prologue du Regard du sourd, un spectacle de sept heures sans aucun mot qui a eu un grand succès. » Créé en France au festival de Nancy, puis repris au Théâtre de la Gaieté Lyrique à Paris. Aujourd’hui, le formalisme de Bob Wilson ne nous surprend plus; pour certains, cette radicalité esthétique aura fait son temps et tourne au maniérisme.
Ses images s’usent mais cette beauté, bien que figée, est au rendez-vous: Bob Wilson reste un grand artiste. Ici, entouré d’un écrivain, d’une comédienne et d’un compositeur exceptionnels pour poursuivre une œuvre au long cours qu’il tient aussi à transmettre au Water Mill Center, un laboratoire de recherche interdisciplinaire consacré aux arts et savoirs de la scène qu’il a fait construire en 1992  à Long Island, dans l’Etat de New York.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 6 juillet, Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Les 12 et 13 juillet, festival d’Almada, Lisbonne (Portugal); les 21 et 22 juillet, festival grec de Barcelone (Espagne).
Du 12 au 22 septembre, International Theater, Amsterdam (Pays-Bas); les 27 et 28 septembre, Thalia Theater, Hambourg (Allemagne).
Du 11 au 13 octobre, Teatro della Pergola, Florence (Italie) et du 30 octobre au 3 novembre, Théâtre des Célestins, Lyon (Rhône).

J’avoue que j’ai vécu … d’après Pablo Neruda, mis en scène de Duccio Bellugi Vannuccini

  Festival Rien qu’des femmes  

J’avoue que j’ai vécu d’après Pablo Neruda, mis en scène de Duccio Bellugi Vannuccini

B15E82D5-6CF1-49F8-B12F-0AFD02836535 Quelques tapis orientaux à dominante rouge et un rideau blanc qui prend bien la lumière,  colorée au gré des atmosphères,  délimitent une aire de jeu bordée de micros et de petites lumières sur pied (comme ces « servantes»,  tranquilles gardiennes des théâtres). Des cylindres en forme de tronc d’arbre  servent de sièges. La compagnie Train de nuit?  Une petite troupe, fondée en marge du Théâtre du Soleil, par un trio de filles vêtues de noir, chacune à sa façon : un peu cuir, un peu folklorique et un peu aguicheuse. Virginie Le Coënt fait partie du Théâtre du Soleil et a joué dans Le dernier Caravansérail, puis est devenue régisseuse-lumière et éclairagiste d’Une Chambre en Inde, mise en scène par Ariane Mnouchkine en 2016.

 Elle a conçu ce spectacle musical autour de Pablo Neruda (1904-1973). Elle en est aussi la narratrice et une des chanteuses. Victoria Delarozière, actrice, a vécu au Chili et joue  remarquablement de l’accordéon. Elle a été l’interprète du Théâtre du Soleil lors de sa tournée à Santiago et a aussi écrit la musique du film de Serge Nicolai et Olivia Orsini qui furent longtemps comédiens au Soleil. Virginie Le Cöent et elle se sont côtoyées à la Manufacture de la chanson et ont fondé leur compagnie Train de Nuit il y a trois ans. Victoria Delarozière a mis en musique les  magnifiques  poèmes de Pablo Neruda. Marta dell’Anno, chanteuse et violoniste italienne, a électrifié son instrument mais connaît bien la musique traditionnelle des Pouilles. Elle a fait les arrangements de J’avoue que j’ai vécu… que Duccio Bellugi-Vannuccini, comédien au Soleil depuis 1987, a mis en scène.  Au son : Thérèse Spirli qui en fait aussi partie.

«Qui ne connaît pas la forêt chilienne, ne connaît pas cette planète. C’est de ces terres, de cette boue, de ce silence que je suis parti cheminer et chanter à travers le monde», écrit Pablo Neruda dans son livre de mémoires, Confieso que he vivido, traduit par Claude Couffon. Il y conte sa traversée du siècle passé et fait gicler à chaque page des images, sensations et portraits frappants  de Federico García Lorca, Salvador Allende, Elsa Morante… Le spectacle nous entraîne, scène après scène séparée par un noir, à la suite de ce poète et diplomate chilien, tantôt représentant officiel à l’étranger, tantôt exilé et traqué. Militant politique et militant pour la poésie, il reçut le Nobel de littérature en 1971.

Le trio a choisi quelques récits de ses aventures : au Chili, en Asie où il fait ses débuts de consul mais aussi dans des zones de résistance pendant la guerre d’Espagne, avec l’incroyable équipée du Winnipeg, un bateau qu’il affréta en France en 1939 pour emmener 2.500 réfugiés républicains anarchistes ou communistes et les mettre à l’abri au Chili. L’une de ces jeunes femmes raconte avec simplicité et conviction et chante, comme ses compagnes qui jouent seules ou en chœur. A un récit, succède un poème chanté (traduction de Francis Reille et Guy Suarès). Mots et musique: violon, alto, accordéon diatonique, basse, piano, violon électrique…) passent de l’une à l’autre dans une grande complicité, avec légèreté, sourire, joie et énergie, même quand ce dont on parle est triste ou tragique. Les voix se répondent, se soutiennent, s’enchaînent avec des variations en italien et rayonnent…

Les  grands poèmes comme Ode à la tristesse, La Fable des ivrognes et de la sirène… ont la force de l’actualité et deviennent tout à coup des chansons d’aujourd’hui, et on a envie d’accompagner ces comédiennes-chanteuses ardentes sur leur aire de lumière, avant que le noir ne se fasse. Mais où sont les foules capables de s’opposer à l’expulsion d’Italie de l’écrivain chilien, et qui scandaient son nom avec des brassées de fleurs  à la gare de Rome ?

Virginie Le Coënt évoque Vladimir Maïakovski et ce spectacle nous renvoie justement aux montages du Théâtre de la Taganka avec, par exemple, à son Ecoutez Maïakovki ! Où la vie et les poèmes du grand écrivain russe étaient chantés et joués par un groupe de comédiens-musiciens. Cette forme éternelle de théâtre exprime bien l’immense besoin qu’on a encore et toujours, des poètes. L’évocation de Pablo Neruda par ce trio féminin talentueux qui passe de la chanson en solo au rock,  rappelle aussi combien son œuvre, en particulier Les Odes élémentaires, a inspiré Les Ephèmères du Théâtre du Soleil. Mais attention, ce spectacle ne se joue pas longtemps …

Béatrice Picon-Vallin

Spectacle vu au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne), jusqu’au 16 juin.

Jean-Pierre, Lui, Moi, de et par Thierry Combe

 

Jean-Pierre, Lui,  Moi de et par Thierry Combe

F2352680-5902-43CD-840F-873AD9FBA18F Comment vivre avec un frère handicapé ? Thierry Combe n’y va pas par quatre chemins et pose d’entrée de jeu cette question au public, quitte à le mettre mal à l’aise. Mais bientôt, il saura le dérider avec un humour bon enfant.  Dans un décor ambulant destiné au plein air ou à toute salle polyvalente: une enceinte de bois où l’on s’assoit sur des tabourets, il délimite ses espaces de jeu : ici, Père-Mère , ici, le lieu du handicap, là, sa place à Lui dans cette histoire, une place qu’il a dû trouver. Il interprète tous les personnages :  le sien, ses parents, les éducateurs et surtout Jean-Pierre et pose les jalons de ce récit riche en anecdotes. Découverte fortuite du handicap par les parents : un séisme. Conséquences de la maladie sur la famille et sur ce petit frère (Lui) qui nait cinq ans après. Visite au foyer où réside Jean-Pierre devenu adolescent, puis adulte…

 L’acteur-auteur nous amuse et nous émeut, caricaturant gentiment des situations délicates comme le regard des autres sur Jean-Pierre. Un frère hors du commun dont il donne une image positive. Thierry Combe a l’art et la manière d’impliquer les spectateurs, jusqu’à en faire participer quelques uns qui se prêtent volontiers au jeu. Il aborde avec pudeur et  décontraction un  thème grave et délicat, dénonçant les tabous, provoquant rires et gêne. Sous le soleil  du onzième arrondissement parisien, dans le cadre du festival des arts de la rue Onze Bouge, ce jeune homme venu de Planoiseau, en Haute-Seille dans le Jura, où il a implanté sa compagnie Pocket Théâtre en 2006, nous apporte un brin de fantaisie.  Il a développé au Colombier des Arts, un projet innovant de permanence artistique et culturelle auprès des publics éloignés du théâtre et sa compagnie propose actuellement plusieurs types de spectacle (salle ou rue).

L’auteur-acteur , pendant une heure quarante-cinq conduit le public dans les méandres d’une vie bousculée par ce grand frère qui finalement, est devenu, dans la peau de son cadet, un héros de théâtre. Thierry Combe en convient  : « Fiction et réalité, une frontière avec laquelle je m’amuse avec malice depuis plusieurs créations et que j’avais envie de questionner une fois de plus avec Jean-Pierre, Lui, Moi. »

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 1er juin au festival Onze Bouge (vingt-troisième édition), stade Thiéré, Paris  (XI ème).

 Le 14 juin, festival Pont des Arts, Pontarlier (Doubs). 

Du 9 au 21 juillet, Festival Villeneuve-en-Scène, Villeneuve-lès-Avignon (Gard). T. : 04 32 75 15 95

Du 8 au 10 août , festival L’été de Vaour, cour de l’Hôtel du Parc, Vaour (Tarn).
 
Les 13 et 14 septembre, festival Collin’Art, Sombernon (Bourgogne) ; du 19  au 22 septembre,  Quelques p’Arts, Boulieu-lès-Annonay (Ardèche)  et du 25 au 28 septembre, Territoire Bresse Haute-Seille (Jura).

Les 2 et 3 novembre, Festival Maynats, Bagnères de Bigorre (Hautes-Pyrénées) ; les 6 et 7 novembre, Jegun (Gers) ; les 9 et 10 novembre, Verdun-sur-Garonne (Tarn-et-Garonne) ; du 12  au16 novembre, ARTO, Toulouse (Haute-Garonne) ; les 19 et 20 novembre, Derrière le Hublot, Capdenac (Lot).
Du 6 au 8 février, Théâtre du Briançonnais, Briançon (Hautes-Alpes) et du 14 au 16 février,  Palais des Beaux-Arts Charleroi (Belgique).

Pocket Théâtre, 80 rue Saint-Antoine, Planoiseau (Jura). T. : 09 52 87 62 76.

 

Les Évaporés, texte et mise en scène de Delphine Hecquet

 

Les Évaporés, texte et mise en scène  de Delphine Hecquet

 3E12307C-4D14-4361-9644-20F347A184E9Chaque année, plus de cent mille japonais choisissent -mais est-ce vraiment un choix? -  de s’évaporer.  Non de disparaître : l’eau qui s’évapore, change d’état mais ne disparaît pas. C’est bien la question : que deviennent ces hommes et ces femmes qui se sont effacés de la société ? Sans identité, sans statut social, en n’étant “personne“, ils restent quand même des personnes.  Delphine Hecquet observe ici les différentes faces du phénomène, avec un regard à la fois objectif et empathique.

Un journaliste français vient au Japon observer le phénomène et en rendre compte ; l’enquêteur prend le risque de perturber sa propre enquête en se faisant trop proche de son “objet“, et d’en sortir probablement changé. Mais de cela, on ne nous dira pas tout. La pudeur est de mise et l’auteure lui a donné ses propres scrupules, son exigence et sa délicatesse. Un homme d’âge mûr, licencié de l’entreprise à laquelle il a donné toute sa vie, décide de s’évaporer. Une jeune fille quitte sa mère qui lui a menti sur son mode de vie. À ces déshonneurs, la seule réponse a été le suicide social. On entendra aussi la voix d’un professionnel qui tient une agence pour futurs « évaporés », assurant les actes pratiques de leur effacement. Ce pourrait être un documentaire et du pur reportage mais Delphine Hecquet a choisi le théâtre et a eu raison : l’essentiel, le fait que ces évaporés aient changé d’état mais soient toujours là, doit exister avec des présences et des paroles vivantes. De même le désarroi de ceux qui restent, fille de l’un, mère de l’autre, face à cette fuite, à cet abandon. Tristesse et colère, incompréhension, face à la froideur d’une administration évidemment opposée à ce qu’elle considère comme une trahison sociale.  Mais les agents de cette administration ont aussi leurs contradictions, que l’on peut lire dans un tout petit geste. Et parmi ces SDF, une vieille femme, sorcière philosophe couronnée de fleurs, vient apporter le souffle tonique d’une Diogène souriante. Certes le cinéma peut faire ça mais cette économie de grands et petits chocs, ces contradictions en quelques signes sont l’essence même du théâtre.

Le dialogue entres images filmées d’une foule solitaire et personnages auxquels nous avons commencé à nous attacher, fonctionne parfaitement, en nous plaçant en toute simplicité au cœur du théâtre, à la source même du théâtre grec, même s’il s’agit ici d’un théâtre franco-japonais : l’articulation entre l’intime et le social, ou pour mieux dire, le politique. Et cela, redisons-le, avec une très belle économie d’effets, dans une  scénographie parfaite, et tout aussi parfaitement éclairée. Trois plans : la ville, filmée, celle de l’espace social normatif, l’espace intime, et l’espace commun, public, anonyme, qui est aussi celui de l’enquêteur et de la chanteuse de cabaret.

Le spectacle, contrairement à la critique, n’intellectualise pas. C’est le sensible qui en fait le prix. Le choix d’écrire en français et de faire traduire la pièce en japonais (sur-titré), jouée par des japonais, est fondamental : cette “étrangèreté“ nous emmène vers une écoute particulière, nous débarrasse du prévisible. Nous impose, en douceur, une réserve, une pudeur du regard. Ce qui n’interdit pas les moments de sourire et d’humour. Nous ne sommes pas seulement devant le plaisir du travail bien fait  et les acteurs japonais (ils ont tous travaillé en France avec de grands metteurs en scène et de maîtres du butō (danse du corps obscur) sont  exemplaires, au point que  le  seul comédien français, à la limite exacte entre présence et effacement, paraît étranger, en toute logique…

Pour son deuxième spectacle, Delphine Hecquet, comédienne expérimentée, fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise de la mise en scène remarquables. Elle a quelque chose à dire sur la solitude, l’identité et l’appartenance (bref, hommage, en passant, à Michel Serre). L’évaporé n’appartient plus à un corps social, mais existe, d’une existence tenace, douloureuse. Au-delà du documentaire, un vrai travail d’artiste, une très belle réalisation.

Christine Friedel

Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre (Val-de-Marne) jusqu’au 23 juin. T. : 01 43 28 36 36.

 

Je poussais donc le temps avec l’épaule (Temps 1), adaptation de Serge Maggiani, mise en scène de Charles Tordjman

 

Je poussais donc le temps avec l’épaule (Temps 1), d’après A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, adaptation de Serge Maggiani, mise en scène de Charles Tordjman

Crédit photo : Laurencine Lot.

Crédit photo : Laurencine Lot.

La recherche de la connaissance est en grande partie, une quête du temps évanoui dans un passé dont on cherche les traces… une archéologie, selon Michel Foucault. Cette quête est un objet littéraire majeur et Marcel Proust a réussi à l’exprimer avec un titre devenu célèbre. Le temps reste ce avec quoi la conscience humaine se débat toujours, au-delà de sa puissance d’effacement, d‘oubli ou de perte inéluctable, au-delà des césures et ellipses dans la continuité des occasions manquées.L’enfance et l’adolescence de Marcel Proust (1871-1922), partagées entre angoisse et exaltation, ne prennent fin qu’à la mort de sa mère en 1905. Fils d’un médecin originaire d’Illiers (Eure-et-Loir) et de Jeanne Weil, une grande bourgeoise exceptionnellement cultivée, ce petit garçon fragile passe ses étés, couvé par sa tante Léonie à Illiers jusqu’en 1884, puis sur les plages normandes.

Histoire d’une époque et d’une conscience, avec, au centre, le narrateur qui s’exprime à la première personne, sauf dans Un Amour de Swann. Cet épisode symbolique suit l’évocation initiale de Combray où Marcel Proust a fixé le souvenir d’Illiers et précède l’idylle avec Gilberte, la fille de Swann.  A l’ombre des jeunes filles introduit la plage de Balbec et ses rencontres, dont Albertine… Cette adaptation d’A la recherche du temps perdu par Serge Maggiani, est recréée avec la même sensibilité qu’à sa création en 2001. Dans ce monologue de ce Temps 1 (Le Temps 2 est en préparation) ? Serge Maggiani privilégie avec ces fragments choisis de Du côté de chez Swann, A l’ombre des jeunes filles en fleurs et Le Côté de Guermantes, des réflexions sur la mémoire dans le surgissement du souvenir – une mesure aussi de l’évolution du moi et des intermittences du cœur. Ce « temps perdu » est un trésor impérissable grâce à la magie de l’évocation : le baiser de la mère du petit Marcel avant de se coucher, l’agacement joué du père, la sonnette du jardin à l’arrivée de M. Swann, les petits mots glissés par une Françoise ronchonne, le souvenir du parfum lumineux des aubépines blanches quand on longe la haie du parc de M. Swann, l’évocation de toutes les chambres à coucher entrevues, la grand-mère malade et l’anxiété enfantine, la plage de Balbec, Mademoiselle Vinteuil surprise, grâce aux volets ouverts, dans la maison de son père défunt…

Vincent Tordjman installe le narrateur qui se souvient des frayeurs et inconforts de son enfance, dans un univers blanc éblouissant, au sol plastique immaculé et matelassé. Comme dans le songe d’un tranquille passager privilégié d’un paquebot en partance vers les mers lointaines… L’acteur se déplace lentement, de jardin à cour, longue silhouette sombre marchant dans  cette alcôve blanche, en chaussettes, pantalons et long imperméable noirs. Ecartant et levant les bras vers les étoiles, Serge Maggiani ressemble à un personnage céleste de Folon. Puis, il s’allonge, pêcheur endormi au fond de sa barque et heureux de sa dérive : un souvenir récurrent et bienfaisant du narrateur. Les belles lumières de Christian Pinaud évoquent une aurore mythique aux doigts de rose, ou le bleu sombre de la voûte céleste à l‘orée de la nuit…Une belle balade poétique sur les rives claires de la mémoire proustienne.

Véronique Hotte

Un autre point de vue

 Tel le Narrateur d’ A la Recherche qui bien des années après son enfance à Combray redonne « le branle à sa mémoire », le comédien revisite une partition qu’il avait transcendée de son timbre si particulier : légèrement voilé, un peu sombre et presque toujours discrètement ironique. Dans un espace blanc médiumnique, il entre en scène et déploie son long corps habillé d’un manteau noir. Le langage sera la seule action de cette intense coulée faite d’associations d’idées, de formes, de sensations et de souvenirs.

 L’essentiel du spectacle puise dans Du côté de chez Swann et ce sont les personnages familiers qui revivent à la faveur de ce  Longtemps je me suis couché de bonne heure , sésame qui ouvre le livre ainsi que la représentation. Aussitôt tinte la clochette au fond du jardin, annonciatrice de la visite de Monsieur Swann, mais qui sonne aussi le glas pour le Narrateur : sa mère, retenue par la conversation au jardin, ne viendra pas l’embrasser. Drame de l’angoisse du baiser impossible, jalousie qui émigrera plus tard dans l’amour… Le voyage que nous faisons avec Serge Maggiani cristallise nos souvenirs de l’œuvre. Les fantômes qui lui apparaissent surgissent en nos propres mémoires car ils sont ceux de nos lectures (le Père, Françoise, Gilberte, la tante Léonie…), tout comme les aubépines du chemin de Tansonville, les nymphéas de la Vivonne ou les statues de pierre de l’église Saint-André-des-Champs. Combray est là tout entier, par le simple pouvoir de la parole. Tout en distance mesurée, jouant parfois d’étirements corporels, de langueurs, comme « le dormeur qui tient embrassées les heures », l’acteur nage et remonte le temps, car « bien des années ont passé depuis Combray ». De cette chambre où il dort, et dont l’emplacement et la forme des meubles ne font que bouger dans son demi-sommeil, il recompose tout un passé fait d’angoisses enfantines et d’espoirs insensés. 

 Le comédien a aujourd’hui l’âge du Narrateur au moment du Temps retrouvé. Sans doute  cela  donne-t-il à cette nouvelle approche, deux décennies plus tard, la profondeur d’un retour sur un paradis à jamais perdu ? On sent une pointe de tragique, un accent parfois terrible dans les ruptures de ton, accentuée par les interventions musicales du quatuor à cordes. Et lorsque le personnage dit à son père : « Je vais venir »… c’est à la mort prochaine, possible, que l’on pense. Mort qui rassemblera à tout jamais l’enfant avec sa mère et sa grand-mère, qui confondra pour toujours Marcel Proust avec le Narrateur d’ A la Recherche. Et qui réunira lecteurs, personnages, et aujourd’hui spectateurs, dans les eaux opalines du souvenir et de la littérature confondus.

 Et pour ceux, non lecteurs de Proust, qui viendront partager ce moment de grâce, point n’est besoin de connaître ces personnages par une lecture préalable. Il  suffit de se laisser couler dans le rêve du dormeur éveillé, pour éprouver en soi, perdus dans les sous-sols de nos mémoires, les chagrins de notre enfance, la violence de nos désirs d’alors, tout comme la douceur des lilas en fleurs. Ce spectacle convoque par le simple appel du verbe, toutes les sensations premières dont l’enfance est le terrible réceptacle.

Marie-Agnès Sevestre

Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème) jusqu’au 25 juin. T. : 01 42 74 22 77.

June Events 2019

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Näss (Les Gens) de Fouad Boussouf

June Events 2019

Fondé en 1999 par Carolyn Carlson, aujourd’hui présidente d’honneur, l’Atelier de Paris est devenu Centre de Développement Chorégraphique national il y a quatre ans. Avec ce festival, il clôt une saison axée sur des résidences de compagnies et des créations. Fidèle à sa mission de formation continue, il programme aussi tout au long de l’année des ateliers professionnels  avec des figures historiques de la danse. L’Atelier de Paris soutient donc la création mais favorise aussi la reprise de pièces du répertoire en partenariat avec d’autres théâtres.

Dans cet esprit, June Events  propose quarante rendez-vous dans une vingtaine de lieux parisiens, dont certains gratuits sur des places publiques. Parallèlement, il permet aussi à des chorégraphes de montrer leurs projets en cours, en prélude aux deux spectacles de la soirée. Comme la Libanaise Danya Hammoud. Mais il faudra retenir de cette seconde soirée du festival programmée avec le Printemps de la danse de l’Institut du monde Arabe (voir Le Théâtre du Blog) la chorégraphie de Fouad Boussouf avec sa compagnie Massala.

 Sérénités chorégraphie de Danya Hammoud

Cette jeune artiste formée aux Beaux-Arts de Beyrouth puis au Centre national de Danse Contemporaine d’Angers et au Sadler’s Wells à Londres, navigue entre Europe et Liban et prépare sa troisième pièce. Pour Sérénités, qu’elle présente en une heure, le bassin reste au centre de sa recherche : «le  lieu de l’événement», à partir duquel elle explore le corps. «On est dans la découverte du geste », dit-elle. Avec ses partenaires, elle va composer un trio «en construisant  des figures pour concrétiser des états». 

Ce futur spectacle se présente comme une longue traversée, parcourue de  micro-événements, tendant vers la sérénité. Elle s’inspire de l’iconographie de la chasse pour découvrir l’animalité des corps en déplacement permanent, et de l‘observation de chanteurs sur scène pour créer des pulsions et des expressions du visage. Sérénités se concrétise ici quand les danseuses décortiquent pour nous quelques tableaux, alternant lentes progressions et ondulations sismiques. Mais on ne visualise pas encore très bien cette pièce qui sera créée en 2020 au festival d’Uzès.

 Terça-Feira : Tudo o que é sólido dissolve-se no ar (Mardi: Tout ce qui est solide se fond dans l’air), chorégraphie de  Cláudia Dias 

 Un titre issu du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx pour cette pièce, la deuxième d’une série au long cours de sept pièces, prévues en sept ans «contre l’idée d’un avenir absent ou précaire ». Elle suit Monday: watch your right (Lundi: attention à ta droite) créée en 2016. La chorégraphe portugaise revendique un ferme engagement politique. Attachée à la technique de «composition en temps réel»,  elle a invité Luca Bellezze pour un duo sonore et visuel et nous emmène sur les routes de l’exil, à travers le destin d’Omar, un jeune Palestinien et de ses parents, migrant vers l’Italie… Des tables, garnies d’objets servant au bruitage, encadrent, à cour et à jardin, un praticable incliné. Les artistes, à partir d’un fil blanc tendu, vont dessiner au sol personnages et paysages, comme avec une craie sur un tableau noir. On pense aux films d’animation La Linea d’Osvaldo Cavandoli.

Ils tracent une géographie mouvante de villes, côtes, frontières et rivières où se découpent des corps gisant ou marchant : ceux des  migrants parcourant terres et mers. Un texte projeté donne le point de vue d’Occidentaux sédentaires: « Nous avons fait le choix de ne pas dire le texte, c’est une manière de respecter l’expérience de vie des personnes dont nous parlons : expulsées de leurs terres et contraintes à une migration constante. Je ne peux pas parler à leur place mais je peux raconter leur histoire », dit Cláudia Dias. Honorable pudeur, mais… scéniquement, les mots, finissent par brouiller les images. Bavard, compliqué et allusif, le récit envahit l’écran placé en fond de scène et prend le pas sur la performance…

 Näss (Les Gens), chorégraphie de Fouad Boussouf

 Avec un rythme au bout des pieds et des bras, sept corps en mouvement perpétuel, ensemble même quand ils s’échappent du groupe pour de courts solos ou duos d’une virtuosité acrobatique. Une heure sans relâche, alternant les cadences. D’abord silhouettes incertaines au bord d’un monde lumineux, se découpant sur l’écran blanc qui barre le fond de scène, les interprètes quittent ce rivage pour avancer en ligne vers la salle. Puis dansent en cercles de plus en plus concentriques, mus par le son des percussions. Ancrés au sol, tendus vers le ciel, avec des gestes empruntés aux rituels du Maghreb, au hip-hop et à la grammaire contemporaine, avec un zeste de cirque. Fouad Boussouf fait dialoguer tous ces vocabulaires sur du jazz, des musiques traditionnelles de son Maroc natal ou de simples martèlements de pieds. Sa formation hip-hop  et son ouverture aux autres disciplines s’inscrivent dans ce ballet d’une grande force et d’une fine précision. Les figures de danse urbaine alternent ou se marient avec des arabesques ou des sauts. Näss tient d’une épure, à la lisière entre profane et sacré : quelques attitudes orientales, jeux de bras et mains, assises au sol se combinent à des postures plus géométriques. Les portés sont fluides, mais toujours puissants. De rares moments apaisés permettent aux artistes de reprendre leur souffle, sans jamais perdre le fil d’une construction chorale soutenue par des cadences telluriques.

Arrivé en France en 1983, formé au hip-hop puis au cirque et à la danse contemporaine, le chorégraphe a fondé la compagnie Massala en 2010, pour développer un style métissé. Avec cette pièce, il interroge ses racines : « L’histoire du célèbre groupe Nass el Ghiwane (Les Gens bohèmes) dans mes années soixante-dix au Maghreb, a été un élément important de mon inspiration. Dans leurs textes, j’ai découvert un hip-hop plus incarné, empreint de traditions ancestrales.» Ces musiciens ont fait connaître la culture Gnawa et sa transe cabalistique, avec des textes poétiques et anticonformistes, ce qui leur a coûté plusieurs séjours en prison  mais qui a donné naissance au rap marocain.

Le titre Näss (Les Gens) évoque un  » être ensemble », dans une gestuelle partagée. Et communicative… Le public ne s’y trompe pas et accueille, debout et enthousiaste, les sept danseurs et le chorégraphe. Ils nous saluent de quelques pas frappés au sol. Fouad Boussouf, avec cette création de 2017, a été sélectionné par le réseau international Aerowaves, comme l’un des vingt chorégraphes les plus prometteurs d’Europe.

Mireille Davidovici

Spectacles vus le 6 juin à la Cartoucherie de Vincennes. Dans le cadre de June Events et du Printemps de la danse arabe à l’Institut du monde arabe. June Events   se poursuit jusqu’au 15 juin, Cartoucherie de Vincennes, rue du Champ de Manœuvre. Vincennes (Val-de-Marne). T. : 01 417 417 07.  reservation@atelierdeparis.org

Näss  sera présenté en juin au festival Perspective de Sarrebruck (Allemagne).
En juillet : festival d’Avignon et festival de Sanvicenti (Croatie). Beijing Dance Festival de Pékin et  au Shanghai international Dance Center de Shangai (Chine).

En septembre, aux Dansens Hus d’Oslo (Norvège) et Stockholm (Suède).

Festival La Voix est libre Les Oiseaux migrateurs

Festival La Voix est libre:

Les Oiseaux migrateurs

Visuel-5-450x383Comme l’appelait Francis Marmande, « un événement «énorme, anormal »,  quand ce festival était installé aux Bouffes du Nord il y a plusieurs années. Aujourd’hui accueilli judicieusement au Théâtre de la Cité Internationale. Mais aussi au Générateur de Gentilly et à la Maison de la Poésie à Paris. « Qualifiée par la presse libre de «Festival Omnisports Poétiques du Parti de la Joie », dit son directeur Blaise Merlin. Notre assemblée propose un programme redistributif de bonheur à application immédiate . “(…)”Face aux critères-à-terre d’une mono-culture fade et aseptisée, nous ouvrons des espaces de liberté, de résistance et de dialogue où la relation à l’Autre, à la nature, à l’univers, au philosophique, au politique ou au sacré résiste à la musique en tant qu’objet de profit et de consommation.”

André Minvielle présente cette soirée du « Libre Etrange, du Nomade’s Land et des mondes en-chanteurs » avec  des interprètes hors-normes comme Nassima et Azamat :rossignols ouïgours, Élie Maalouf : pie pianiste du Liban, Souad Asla : hirondelle du désert, Moneim Rahma : héron du Soudan, Mehdi Krüger et Ostax : merle poète et guitariste kakariki, André Minvielle et Albert Marcœur : rouges-gorges et merles moqueurs, Antoine Berland : pélican pianiste et compositeur, Joce Miennel : faucon flûtiste, Kaïsha Essiane : sterne danseuse du Gabon, et Théo Touvet : cercle acrobatique…
« Depuis deux siècles des centaines de langues et de cultures ont disparu. Mais il en reste des vibrations créées par des rencontres. Les musiciens Ouïgour sont internés dans des camps. Nous avons des  interprètes traditionnels comme Mélie Kruger et Souad Asla». Un pianiste et deux chanteurs entament un beau duo de voix: « Il faut avouer qu’on a tous peur du bonheur comme du malheur ! ». Un solo de clarinette lui succède. Puis un cor et une batterie avec un chanteur qui entonne un poème descriptif. Une corde et une batterie se lancent dans l’accompagnement d’un poème rythmé et les musiciens réussissent à faire chanter la salle.

Ensuite Théo Touvet saute dans sa roue Cyr. « Où va-t-il, l’oiseau migrateur ? C’est tellement loin, l’Afrique ! » « Le président de la République se nomme Emmanuel Macron ! ». Ayant mis Dom Juan à son programme, on lui offre le rôle. « Françaises, Français, vous êtes où ? » disait Jacques Prévert en 1946. « Depuis des années on s’évertue pour que le superflu devienne nécessaire. Les oiseaux volent, les poissons nagent et nous on rampe ! »

Edith Rappoport

Spectacle vu le 29 mai au Théâtre de la Cité Internationale, 19 a Boulevard Jourdan, Paris (XIV ème).

 

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Julie Brochen

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Julie Brochen

 

Crédit Photo : Franck Beloncle

Crédit Photo : Franck Beloncle

Dans cette «tragédie naturaliste» (1888), Julie, une jeune aristocrate séduit Jean, le valet de son père, pour humilier à la fois le domestique et l’homme. August Strindberg y voit plusieurs explications: venger une mère disparue face à un époux qui abuse de l’autorité masculine, se soustraire à l’éducation de celui-ci et prendre plaisir à contraindre les hommes.

 La nuit de la Saint-Jean… le village entier cherche à oublier une vie rude et s’amuse à cette fête nocturne qu’il ne voudrait pas manquer. Absence du père de Julie, frénésie de la danse, chaleur estivale mais aussi rencontre amoureuse dans la cuisine, entre la très jeune femme et Jean:  tout est dans l’axe. Lui a un désir forcené d’élévation sociale et lutte en permanence contre ses contradictions, admirant les êtres bien-nés et cultivés : lettres, théâtre et musique mais en même temps, les haïssant aussi. Surexcité, il se permet toutes les audaces et rejette d’abord les provocations sensuelles et verbales de Julie, balayant d’un revers ses avances. Il tient à s’imposer en valet qui tient son rang. Mais Jean redoute aussi la lucide Christine, la cuisinière qui est son amante et qui défend les mêmes valeurs de soumission que leur position de domestique exige. Politesse, respect et courtoisie: il joue avec brio des codes sociaux traditionnels mais tient à effacer en même temps toute trace de ses origines et s’imagine un avenir en Suisse comme directeur d’hôtel, en emmenant la belle Julie avec lui.

Comme un valet grossier mais aussi comme un maître insensible, il tue sans aucun remords l’oiseau de Julie, pour ne pas le prendre dans ses bagages. Mais elle, de caractère si moderne soit-elle, se rend compte qu’elle ne pourra pas vivre dans le déshonneur; prisonnière des préjugés de sa caste, elle est aussi incapable de la moindre émancipation….  Lui, valet actif est supérieur à Julie parce qu’il est un homme… «Sexuellement, dit le dramaturge suédois, c’est lui, l’aristocrate, grâce à sa force virile, à ses sens plus évolués et à son esprit d’initiative. Sa seule infériorité tient au milieu social où il vit encore …»

Lorenzo Albani a dessiné de beaux costumes seyants et a imaginé une vaste cuisine sur le proscénium où le public saisit bien les faits et gestes des personnages. Au lointain, une porte donne sur les jardins éclairés et sur la cour de la belle demeure où la fête paysanne bat son plein. Et il y a une fenêtre de grange par où on perçoit la vraie vie, son souffle et ses expressions du corps mais aussi les joies fugitives de l’âme.

La metteuse en scène et comédienne Julie Brochen incarne la cuisinière Christine avec aplomb et pudeur: une belle personne… Xavier Legrand dessine la maturité virile de Jean avec panache et niaque, sûr de ses atouts, révélant ses espérances quand s’avance la nuit à la princière Anna Mouglalis qui joue cette mademoiselle Julie avec un plaisir manifeste… Elle se moque de son partenaire, le provoque et l’humilie, avant que sa victime ne retourne ses armes de dominant mâle contre la demoiselle soumise, guerrière de tous les temps, libre et royale, amusée et lasse. Une mademoiselle Julie intense et aux réparties fulgurantes…

Véronique Hotte

Théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, Paris (XVIIIème). T. : 01 46 06 49 24.

 

 

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