Paysage Intérieur Brut de Marie Dilasser mise en scène de Blandine Pélissier
Paysage Intérieur Brut de Marie Dilasser, mise en scène de Blandine Pélissier
Le Théâtre de la folle pensée à Saint-Brieuc a commandé une série de créations Portraits avec paysage, un feuilleton de formes et d’histoires. Règle du jeu: l’autrice doit choisir une personne et un paysage, entre en communication avec la première, en vue de réaliser son portrait qui s’inscrit «dans un environnement physique et matériel, dans un rapport précis avec des êtres, des objets, des matières, des formes, des mots, des idées… »
Dans une petite salle de classe, nous sommes conviés à entendre l’évocation singulière d’une Bretagne intérieure, avec routes, bocages, taillis et champs de maïs. Les oiseaux volent haut au-dessus des fils électriques, complices d’un gracieux paysage verdoyant de talus et chemins creux mais aussi de grandes cultures et pâturages.
Un troupeau de charolaises à la robe blanche et à la belle corpulence sont les protagonistes du texte dramatique de Marie Dilasser, des sortes d’allégories de la condition humaine, et en l’occurrence, des métaphores à rebours de ce que l’être humain ne doit pas représenter. .. Comme la vanité de celui qui se croit le plus fort, celle de ces petits patrons locaux qui font la pluie et le beau temps et abusent de leurs employés. Mais ce paysage extérieur et ce regard intérieur procèdent d’un point de vue bien particulier, celui d’une héroïne qui s’ignore, la bien-vivante et joyeuse Bernadette. Avec sa caisse, elle sillonne la région et décrit ce qui l’entoure et nous livre ses états d’âme.
Elle nous raconte sa vie et celle de ses proches, tente de se reconstruire après une tentative de suicide et une dépression suite à la perte de son emploi, le triste résultat d’un harcèlement de Rotrou son patron.. Elle s’ennuie dans la ferme avec son grand couloir en L où elle vit avec son mari, Joël et ses deux garçons et se sent blessée et anéantie par l’injustice sociale. On sent que les vaches dont il s’occupe sont autant de signes vivants qui auront quelque chose à voir avec le destin de Rotrou, tyrannique et stupide. Tout en préparant ses fameuses patates à l’eau, Bernadette joue à se métamorphoser, passant d’un rôle à l’autre, pour tromper son immense lassitude.
Dans la mise en scène de Blandine Pélissier, l’héroïne devient tour à tour son chien Rumex, son mari Joël, paysan et spécialiste de génétique bovine, sa mère, Anna qui perd la raison et se promène sur les routes la nuit pour revoir son ancienne maison. Or, elle-même se sent menacée par les séjours qu’elle a faits à l’hôpital psychiatrique de Plouguernevel. Endormie par l’abus de Lexomil, elle ne se réveille qu’au son des sirènes car elle est devenue pompière bénévole.
Renversement de situation, Rotrou, ancien bourreau de Bernadette, va devenir sa victime : elle le voit en bœuf ouvert, accroché au lustre, prêt à être dépecé. Cette sorte de Monsieur Loyal de la modernité et du consumérisme, bœuf blanc fantomatique et accroché en croix , aspire par le cul des tas de vieilleries qu’il recrache en objets modernes de nos temps indignes.
Cette aventure onirique est issue du compagnonnage de Marie Dilasser, Blandine Pélissier et la comédienne Line Wiblé: œil facétieux, humour, distance et ironie, qui mène son monde avec brio. Elle s’amuse et dit son fait au public, forte d’un point de vue politique que cette écriture à la belle prose poétique fait s’envoler encore davantage…
Véronique Hotte
Présence Pasteur, Lycée Pasteur, 13 rue du Pont Trouca, Avignon jusqu’ au 27 juillet (relâche les 7, 14 et 21). T. : 04 32 74 18 54.
Le texte est publié chez Quartett Editions.