Sous d’autres cieux, d’après L’Enéide de Virgile, mise en scène de Maëlle Poésy.
Festival d’Avignon:
Sous d’autres cieux, d’après L’Enéide de Virgile, texte de Kevin Keiss et Maëlle Poésy, mise en scène de Maëlle Poésy
Dans la thématique de ce festival, hanté par le mythe d’Ulysse et de toutes les odyssées, Maëlle Poésy et Kevin Keiss ont choisi l’exil des vaincus. Les épreuves d’Ulysse racontent l’amertume de la victoire, son côté dérisoire, celles d’Enée l’angoisse d’une errance sans retour, avec, au bout, la promesse obscure d’un nouveau destin. Les auteurs du spectacle ont choisi de privilégier le récit, en travaillant sur la mémoire : pour Didon, elle-même exilée de Tyr à Carthage (qu’elle a fondée, mais ceci est presque une autre histoire) qui écoute avec avidité les récits de la catastrophe de Troie (« Immense est la douleur que tu me fais revivre… »), le héros arrachera des pans entiers de son histoire douloureuse, fera revivre et mourir son peuple, montrera le gigantesque cheval de bois puis les incendies et ravages.
Une chronologie parfois bouleversée avec des destins confondus : Enée, appelé à fonder une ville (quand les Dieux voudront bien lui en indiquer l’emplacement), est tenté de s’arrêter pour épouser Didon… Refus des dieux, notifié par un Mercure ailé : il faut reprendre la mer et continuer la quête «sous d’autre cieux », y compris en passant par les Enfers où les morts, dont son père Anchise, lui donneront quelques clés sur son avenir. Pour Virgile, la composition, l’écriture de l’Enéide est une affaire fondamentalement politique.
Il fallait donner à Rome, et en particulier à Auguste (fin du Ier siècle avant J.C.), le grand poème épique légitimant sa lignée et consolidant la Pax Romana. Il l’a fait loyalement, mais en vaincu, venu lui-même du camp adverse. D’où une certaine mélancolie sensible dans son poème qui est aussi celui de la réconciliation. Sous d’autre cieux ne donne pas du voyage d’Enée un lecture politique explicite mais va plutôt chercher du côté d’un théâtre populaire, héritier lointain de l’antiquité grecque, avec chœur dansant et apparitions divines sur un Olympe de bric et de broc ou en arrière-plan. Les Dieux, sortes de nouveaux riches polyglottes en vacances, regardent donc de haut, en toute désinvolture, le petit groupe de compagnons errants mené par Enée. Comme l’Europe regarde les réfugiés se noyer en Méditerranée?
Le style de jeu, entre facéties dansantes des Dieux et récit proféré, ne permet pas de s‘attarder sur la question. Nous ne sommes pas devant un spectacle donneur de leçons mais nous attendions plus de théâtre, une direction d’acteurs plus précise et même un peu de la poésie du “matériau“ Virgile. La priorité donnée au récit appauvrit le spectacle et ne laisse pas passer grand-chose du travail dramaturgique fait en amont par Maëlle Poésy sur le fonctionnement de la mémoire. Détail mais gênant : la scène est parfois laissée un trop long moment dans une obscurité qui ne produit aucun sens : le public des premiers rangs est ébloui par ce qui devrait être une lumière filtrante de contre-jour. Un manque de précision, parmi d’autres et un signe que le spectacle n’est pas arrivé tout à fait prêt au cloître des Carmes… Il y a encore du temps pour se remettre au travail avant une longue tournée.
Christine Friedel
Cloître des Carmes, Avignon à 22 h, jusqu’au 14 juillet.
Du 28 novembre au 7 décembre, Théâtre de Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or) les 17 et 18 décembre au Granit, à Belfort (Territoire de Belfort)
Le 10 janvier, Théâtre Anthéa, Antibes (Alpes-Maritimes); le 17 janvier, Châteauvallon (Var) et les 22 et 23 janvier, Scène Nationale du Sud-Aquitaine, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).
Les 5 et 6 février, Centre Dramatique National de Normandie, Caen Calvados).
Du 12 au 14 février, Théâtre du Gymnase à Marseille (Bouches-du-Rhône), du 25 févier au 1er mars, Théâtre Firmin Gémier-La Piscine, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).