Jacob, Jacob de Valérie Zenatti, adaptation et mise en scène de Dyssia Loubatière
Jacob, Jacob de Valérie Zenatti adaptation et mise en scène de Dyssia Loubatière
Une photo de quatre jeunes gens posant fièrement devant une réplique du paquebot Normandie, à Alger. A partir de l’un de ces visages, rayonnants et joyeux -portrait volé de cette photo de groupe- et des souvenirs mêmes de sa grand-mère, l’auteure, sa petite-nièce, nous restitue la vie brève d’un grand-oncle inconnu: Jacob, né à Constantine et mort à dix-neuf ans, sur le front alsacien.
Jeune homme heureux, il fait la joie des siens, complice de chacun, les grands comme les petits dont son neveu avec lequel il joue à lancer des galets dans l’eau pour faire une infinité de ricochets qui émerveillent l’enfant. Une scène enregistrée et ici récurrente, significative de la fragilité de toute existence, aussitôt passée, aussitôt enfuie.
Jacob fait le bonheur et l’admiration de sa mère, attentive et protectrice, qui voit avec douleur cet appelé partir pour une caserne lointaine en Algérie. Sans nouvelles, elle aussi part, volontaire, en quête de son fils avec un panier de provisions, suivant ses pas, de caserne en caserne, là où il est mobilisé. Mais elle ne franchira pas la Méditerranée pour rejoindre et libérer la Métropole et se battre, comme son fils qui porte l’uniforme français. Lui qui, au lycée d’Aumale à Constantine, avait été exclu sous Pétain, parce qu’il était juif!
Ironie de l’Histoire: il est jugé «suffisamment français» et apte à porter l’uniforme pour sauver la patrie! Pour Rachel, son fils retrouve enfin sa dignité, lavé de la honte d’avoir été chassé de son lycée en 1941 et 1942. Elle pense à lui tout le temps, croyant le suivre fidèlement, persuadée que l’amour d’une mère peut faire des miracles. De même sont salutaires, les plats préparés de bon cœur pour réjouir et contenter le fugitif, arraché aux siens et à l’enfance.
Mise en scène rythmée et délicate de Dyssia Loubatière : la mère fait le récit pathétique des pérégrinations de son cher appelé, expliquant les circonstances, commentant les situations et avouant sa souffrance. Elle raconte cette tragédie, tout en incarnant son propre personnage, se levant et prenant une canne pour se déplacer, en dame modeste mais digne qui sait se tenir. Revendiquant son statut de mère face aux autorités qui ne l’intimident en rien, elle clame son amour de mère ostensiblement mais avec pudeur. La talentueuse Christiane Cohendy interprète avec tact ce rôle avec sensibilité et attention: quand on vient au secours en urgence de celui qu’on aime.
Le personnage de Jacob est, lui, porté avec un éclat conquérant par Florian Choquart, figure de qui se sait aimé, fort de ce privilège qui réconforte. Il marche sur une étroite passerelle surélevée donc à risques. En uniforme, il chante ou fait l’expérience de sa première rencontre amoureuse avec Louise-Jeanne Disson. Il se raconte, clame son enthousiasme, puis se met progressivement à distance de lui-même, obligé d’obéir aux ordres mais formant une famille avec ses camarades.
L’initiation à la guerre et au monde qui la génère coûtera la vie à Jacob et à ses compagnons et sera une tragédie existentielle pour Rachel. Pour cause de guerre, un aller-retour sans lendemain, entre une mère et son fils, entre l’Algérie et la France, entre l’expérience des armes et la vie qui vole en éclats…
Prix du livre Inter 2015, Prix Livre Azur 2015, Prix Méditerranée 2015, le livre de Valérie Zénatti a, dans cette adaptation, vu le jour avec le soutien de la compagnie de Didier Bezace.
Véronique Hotte
Théâtre du Petit-Louvre, 3 rue Félix Gras, Avignon. T. : 04 32 76 02 79, du 5 au 28 juillet, à 10 h 45.
MC2, Grenoble, du 26 au 30 novembre. Théâtre Montansier, Versailles (Yvelines), les 3 et 4 décembre. Le texte est publié aux Editions de L’Olivier et à Points.