Le Mur, texte et mise en scène de Philippe Delaigue-La Fédération
Le Mur, texte et mise en scène de Philippe Delaigue-La Fédération
Un bel éloge de l’art du clown avec les talentueux Léa Menahem et Jimmy Marais. dirigés par un metteur en scène éclairé. Maurice et Nardimou, réinventent, par le biais du mythe de Pyrame et Thisbé, un autre spectacle imaginé presque naturellement, en lien direct avec notre époque sécuritaire à relents nationalistes : élévation de barrières, barrages et frontières. Ce Mur est la métaphore de tous les enfermements politiques.
Philippe Delaigue, éloigné jusqu’alors de l’univers des clowns, découvre dans cette écriture « pour des créatures qui n’appartiennent ni au temps ni à l’histoire », des trésors d’inspiration, voire une révélation, la découverte d’une machine à rêves.
L’existence de ces êtres non répertoriés et non territorialisés correspondent à la condition éprouvée par tous les migrants d’aujourd‘hui, déplacés, exilés, errants.
Nulle psychologie mais la réalité âcre d’une vie tissée de violence et d’arbitraire.
Interrogatoire récurrent, ritualisé et déconnecté de tout contexte d’humanité : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Où allez-vous ? Que faites-vous là ? »
Questions brutales et réponses forcément aléatoires et morcelées, puisque la vérité d’une vie ne peut être réduite à quelques phrases dites objectives. Une terre nommée un peu trop vite « d’accueil », éprouvée comme une terre étrangère dont il faut se méfier. Les réponses hésitantes, quand on se croit remis en question, atteint dans son être, agressé dans son identité.
D’où une parenté de condition, entre ces clowns, créatures étranges et non inventoriées et les dits « migrants ». Cette tonalité poétique résonne avec les problématiques de l’exil, du passage, du déracinement, telle une réplique tectonique, à la fois symbolique et vibrante, sans la dimension tragique de la situation d’exilé.
Nardimou et Maurice ne répondent à nulle histoire qui relèverait d’une biographie inscrite dans la brutalité de nos temps : nul signe de psychologie ou de société. Ils sont des créatures a-temporelles qui se rapprocheraient de l’enfance. Et elles contiennent tous les récits possibles -porteuses d’un costume, d’une voix et d’une allure non identifiables mais receleuses d’une humanité et d’une âme.
A ces clowns d’incarner les postures individuelles et collectives de toute société : populaires et conventionnelles, comme celles, plus confidentielles. Les artistes interprètent et rendent d’emblée discernable les autres et leur singularité.
La Fédération cite Henri Michaux : « Perdu en un endroit lointain, ou même pas, Sans nom, sans identité, Clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance. »
Aux côtés de Léna Menahem et de Jimmy Marais, la musique et les sons de Philippe Giordani, l’univers froid et anonyme de paroles enregistrées qui n’ont pas de corps.
Les clowns, eux, ont un corps lourd et maladroit, silhouette empruntée, bras gourds mais doigts des mains éloquents, traducteurs d’envol. Et c’est à l’intérieur même de cette esthétique non conformiste qu’ils rayonnent de grâce,
Toute une poésie faite de jeux de mots et amusements langagiers, bégaiements, arrêts et inversions des ordres grammaticaux dans la phrase, balbutiements, borborygmes… Pour Léna Menahem, le clown ne peut s’accomplir selon les attentes sociales : il naît à la vie, d’un échec et d’une frustration qui l’associent à un désenchantement caché ,une résistance immédiate qui, en échange, ré-enchante le monde.
Art du silence et d’une parole désordonnée mais significative, heurts et réconciliations, le clown triste et joyeux tend ses bras tendres au public ensorcelé. Allons les voir.
Véronique Hotte
Présence Pasteur , Lycée Pasteur, Avignon, jusqu’au 28 juillet à 16h16, relâche les 17 et 24 juillet.