On voudrait revivre, écriture de Chloé Brugnon, Léopoldine Hummel et Maxime Kerzanet, mise en scène de Chloé Brugnon
On voudrait revivre, écriture de Chloé Brugnon, Léopoldine Hummel et Maxime Kerzanet, mise en scène de Chloé Brugnon
Gérard Manset, personnalité singulière et confidentielle s’il en est, répugne à se livrer. L’auteur-compositeur-interprète, dit-il, ne s’est jamais drogué à quoi que ce soit. Il va même jusqu’à préciser ne pouvoir boire un fond de gin, sans avoir mal à la tête pendant huit jours. Ne buvant ni café ni bière, il se « shoote à l’accord parfait : do-mi-sol » : la musique et l’harmonie pour seule demeure. Pour lui, «Y a une route », c’est la sienne, fidèle et authentique: une posture rare.
Le titre du spectacle s’inspire des paroles mêmes d’une de ses chansons: « On voudrait revivre. ça veut dire : On voudrait vivre encore la même chose. Refaire peut-être encore le grand parcours,/ Toucher du doigt le point de non-retour /Et se sentir si loin, si loin de son enfance/ En même temps qu’on a froid, quand même on pense/ Que si le ciel nous laisse, on voudra revivre. » Mélancolie et tristesse inspirés par le comportement des hommes, il reste au solitaire à composer, un bonheur qu’il ne se refuserait pas à prolonger. Chloé Brugnon a été initiée à l’univers poétique de Gérard Manset, figure secrète de la chanson française, à l’occasion d’On voudrait revivre, un spectacle musical créé au Festival des caves en 2016, avec ses chansons, réarrangées et interprétées par Maxime Kerzanet et Léopoldine Hummel, accompagnées par quelques entretiens avec le compositeur.
La metteuse en scène considère cette reprise du voyage musical et scénique des interprètes, comme une mise en abyme de l’art de Gérard Manset qui reprend obsessionnellement, réarrange et remixe ses morceaux. Mais comment partager de la musique sur scène sans faire un concert? En concevant un enregistrement audio, un objet sonore, une performance scénique, un concept… Chloé Brugnon veut avoir la même liberté artistique que Léo Carax dans la scène finale du film Holy Motors où l’on voit Denis Lavant dans une limousine dont la conductrice est Edith Scob, figure à la beauté secrète, récemment disparue.
Les interprètes découvrent en même temps la voix traînante de Gérard Manset. Enregistrements sonores, entretiens avec compositeur dont un, nonchalant, avec Denise Glaser, paroles espiègles et rêveuses de ses chansons… Un matériau brut : des fragments éclatés d’une œuvre hétérogène dont le plateau scintillant de paillettes est la métaphore, Reprises de couplets et de refrains, histoires de solitude et de nostalgie : onirisme et imaginaire.
Sur la scène un studio d’enregistrement des années soixante-dix, avec des magnétophones à bande magnétique fonctionnant en appuyant fort sur une touche, des instruments de musique, des micros…La facétieuse comédienne Léopoldine Hummel, sourire aux lèvres, musicienne accomplie chante en allemand et dit des extraits de textes de Peter Handke. Mélancolique, Maxime Kerzanet, lui, revient plusieurs fois au temps de son enfance et sur l’attrait qu’un tableau figuratif exerçait manifestement sur son père. Le fils le regardait contempler l’œuvre sans qu’il n’explicite davantage son enthousiasme. Le mystère s’étend, malgré les tentations de comprendre cet engouement paternel, une manière pour le père de prendre le contre-pied de l’idéologie communiste de son propre père, et de respirer seul enfin, loin des codes obligés de l’ex-Union Soviétique. L’énigme n’est pas résolue pour le fils et peu importe finalement, quand reste le voyage en solitaire, le bonheur unique de poursuivre sa route…
Un parcours musical subtil au plus près de la rêverie de la prose poétique.
Véronique Hotte
La Caserne, 116 rue de la Carreterie, Avignon. T . : 04 90 39 57 63, jusqu’au 22 juillet, à 11h, relâche les 9 et 16 juillet.