jardin du musée Calvet
Festival d’Avignon
R.F.I. et France-Culture : les radios font leur festival
Haut-parleurs des auteurs, la radio capte l’éphémère des lectures qu’un public, nombreux, aime à fréquenter dans les jardins ombragés de la Cité des Papes. R.F.I. pendant huit jours, à 11 heures, au jardin de la rue de Mons, nous livre les écrits en langue française venus d’Afrique ou d’autres coins du monde, présentés par Pascal Paradou et mis en lecture par Armel Roussel. France-Culture, au musée Calvet, sous les vieux platanes déjà admirés par Chateaubriand, se saisit de Nos Odyssées de l’espace et de l’esprit et Blandine Masson, directrice des Fictions, présente son programme.
Ces médias sont fortement engagés dans la défense des écritures contemporaines : France-Culture passe ainsi une centaine de commandes par an à des écrivains, et R.F.I. organise depuis cinq ans un prix récompensant un auteur francophone, avec, à la clé, des résidences d’écriture et une visibilité auprès de théâtres partenaires.
Avignon est l’occasion d’élargir le public d’autrices et d’auteurs inédit.e.s ou trop souvent resté.e.s confidentiel.le.s et de prolonger cette écoute en différé ou en direct sur Facebook.
Jardin de la rue de Mons
© Pascal Gely
Ça va, ça va, le monde ! RFI
Ce cycle de lecture donne une autre couleur au thème du festival 2019, L’Odyssée, avec des histoires de guerre et de migrations moins héroïques que celles d’Homère : les dieux se sont tus, semble-t-il. Le Béninois Sedjro Giovanni Haunsou nous conte, en sept mouvements, les voyages sans retour des candidats à l’exil. Dans Les Inamovibles, il y a ceux qui meurent, ceux qui dérivent sans fin et, au pays ceux qui attendent d’hypothétiques retrouvailles. Alternant scènes chorales et récits intimes des morts-vivants, la pièce ouvre des espaces poétiques vers des no man’s land incertains.
Le lauréat du Prix RFI 2018 (voir Le Théâtre du Blog) invente « une vraie langue avec une vraie colère », comme l’invoque l’un de ses personnages. Sans oublier des traits d’humour qui contribuent à la vitalité de cette écriture. « Je parle de la migration à partir de ceux qui restent, dit-il. Les gens finissent par s’enfermer dans l’attente de ceux qui sont partis. » Cet auteur a mis en place à Cotonou des dispositifs pour faire entendre de nouvelles voix africaines avec des festivals et un portail de diffusion internet : benicrea.net.
Avec Celle qui regarde le monde, Alexandra Badea met en scène une adolescente, Déa, qui s’ouvre au monde au contact d’Enis, un jeune Syrien fuyant son pays en guerre. Repoussé par la France et sans papiers, il cherche à gagner l’Angleterre. Elle l’aidera mais ses rêves se heurteront à une société sur la défensive, incarnée par un commissaire de police qui s’avère à la longue plutôt compréhensif.
Conçue pour être jouée dans des classes de lycée, la pièce s’inspire de la rencontre avec des migrants à Paris et à Calais et d’échanges avec des lycéens: « Je les ai encouragés à poursuivre leurs rêves », dit l’autrice franco-roumaine constatant le découragement des élèves et de leurs professeurs face à l’avenir. Destiné à ouvrir les yeux des jeunes gens sur les problèmes du monde, le texte montre l’éveil de Déa à la réalité et à la nécessité de ne pas abdiquer. Et elle se révolte « A l’école, on nous parle de performance. » (…) « On nous prépare à rejoindre l’armée des adaptés. » (…) « C’est une langue rouillée. On peut encore rêver dans ce monde ? » se révolte-t-elle. Organisée en séquences dialoguées alternant le tête-à-tête Déa/Enis et l’interrogatoire de la jeune fille par le policier, cette pièce, d’une grande efficacité, ne mâche pas ses mots et atteint avec justesse son public. Cette lecture est interprétée par Léa Romagny, Thomas Dubot et l’acteur syrien Rami Rkab.
Les créations de France-Culture en public
La Mort d’Achille, une pièce inédite de Wajdi Mouawad, est lue pour la première fois sous la houlette du réalisateur Alexandre Plank. Nous avons le plaisir d’entendre la prose imagée d’un auteur qui a signé plusieurs textes inspirés des Tragiques grecs. Ici, il nous convoque devant la dépouille d’Achille : «Troie en flammes, grands oiseaux noirs dans un ciel charbon ». L’heure est au deuil chez les Grecs malgré leur victoire.
Autour du mort, les héros chantés par Homère vont se remémorer par bribes les épisodes de cette guerre de dix ans sous le regard neuf d’un écrivain d’aujourd’hui. La brouille entre Achille et Agamemnon, la mort d’Hector sous la lance d’Achille, les massacres des Troyens… « Que s’est-il passé dans cœur de ces guerriers, dit l’auteur, lorsque, grâce à la ruse du cheval de bois, ils ont fait face à des enfants, des femmes et à l’ensemble des civils troyens ? » « Cette question a fait ressurgir le spectre des massacres de Sabra et Chatila » (…) « Il m’est apparu évident que, pour les Grecs de cette époque comme pour les miliciens chrétiens libanais de 1982, il a existé un instant de folie qui n’a eu de cesse de se reproduire selon les mêmes gestes, dans la même chorégraphie macabre. »
Ulysse met en doute l’existence et la responsabilité des dieux après les meurtres et viols auxquels se sont livrés les vainqueurs : « Crois-tu qu’un dieu est venu retenir notre folie ? Quel dieu ? Il n’y avait que des hommes. S’il y avait un dieu il devrait s’en aller ». Il essaye d’arrêter le massacre ordonné par Agamemnon : « Une nouvelle loi est là, la réconciliation. Ce jour-là, le monde proclamera la victoire des Grecs. » Mais il ne parviendra pas à changer le cours des choses. Le monde ne sera pas sauvé. En une heure, La Mort d’Achille donne un éclairage contemporain à ces vieilles histoires dans une prose concise et poétique qui garde quelques traces de son lointain modèle.
Adama Diop prête sa voix à un Agamemnon inflexible, face à Jérôme Kircher (Ulysse). Sofiane Zermani fait renaître Achille de ses cendres avec des problématiques d’aujourd’hui. Amira Casa, qui joue Tétis et Xantos le cheval d’Achille, mêle sa voix à celle d’Adama Diop pour des chants funèbres, complétant les musiques d’Issam Krimi.
Sobre et d’une grande clarté, la pièce fait dialoguer les morts et les vivants. Chaque protagoniste y allant de son récit et de son point de vue. La mort d’Achille est-il imputable à l’aveuglement des hommes, comme le pense Ulysse ? ou à « Apollon l’infaillible », comme les autres veulent le croire, dont Achille qui dialogue avec lui ? Pour Wajdi Mouawad, il n’y a pas de doute.
Mireille Davidovici
Ça va ça va le monde, jusqu’au 18 juillet, à 11 heures, jardin de la rue de Mons, Avignon. (entrée libre).
Lectures diffusées sur les antennes de R.F.I. tous les dimanches à 12h 10 à partir du 28 juillet. Fréquence Paris R.F.I. 89 FM ou en direct sur Facebook.
Les Créations de France-Culure en public, du 11 au 20 juillet, c20 heures ou 22 heures 30, Jardin du musée Calvet, 65 rue Joseph Vernet, Avignon
Les Inamovibles est publié par Théâtre Ouvert ;
Du même auteur : lecture de Nuit Bleue à la Chartreuse de Villeneuve-lez- Avignon le 20 juillet à 11h30
Celle qui regarde le monde est publié par l’Arche éditeur