L’Orestie d’Eschyle, traduction de Bernard Chartreux, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
L’Orestie d’Eschyle, traduction de Bernard Chartreux, mise en scène de Jean-Pierre Vincent
La trilogie fondatrice du théâtre grec, donc de notre théâtre, avec: Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides et la seule qui ait été conservée entière mais sans le drame satyrique qui suivait. Ces trois pièces sont parvenues jusqu’à nous parce qu’elles sont devenue tout de suite des classiques, reproduites dans les morceaux choisis des écoles. Ce sont les Lagarde et Michard de l’Antiquité qui l’ont sauvé…
Donc, même si l’on relativise la primauté du texte dans le théâtre grec du cinquième siècle comme le fait Florence Dupont dans L’Insignifiance tragique qui a elle-même traduit Agamemnon (L’Arche éditeur), ces pièces existent, toujours aussi fortes. Bernard Chartreux a appuyé sa traduction sur celle de Peter Stein dont on avait pu voir, entre autres, la mise en scène de cette trilogie à la Maison de la Culture de Bobigny en1981. Pourquoi passer par lui ? Parce qu’il a résolu, dans sa langue, l’équation nécessaire entre exactitude et lisibilité, avec la concision nécessaire, mais moins évidente en français à cause de tout notre outillage grammatical ! Peter Stein a juxtaposé la traduction des noms grecs des diverses déesses concernées par l’affaire: on gagne donc du temps et l’attention du spectateur. Niké, la victoire, Atè l’aveuglement, Ubris, l’orgueil tout aussi aveugle, Némésis, la vengeance des dieux, Diké, la justice humaine…
Nous redécouvrons dans cette mise en scène d’abord avec Agamemnon que la pièce ne traîne pas en considérations annexes. Le gardien qui guette depuis dix ans les feux annonciateurs de la victoire a eu tout juste le temps de gémir sur l’attente, que la lumière lui parvient. Plus tard, le discours de séduction de Clytemnestre ne met pas longtemps à entraîner le vainqueur, quoique réticent, quoique redoutant le sacrilège, à fouler le tapis de pourpre réservé aux dieux. Poussé à la faute !
Dans ce match en trois sets, Eschyle donne le premier point à Clytemnestre : elle a vengé sa fille Iphigénie, a assuré son règne et celui d’Egisthe. Quant à Oreste, son fils, est hors jeu : en exil. La suite de la trilogie va consacrer la défaite des femmes et du féminin en général. Les Choéphores (les porteuses de libations) vont pleurer sur la tombe d’Agamemnon, mais « ce ne sont que des femmes », et quand Oreste revient, soutenu par son ami Pylade et fléchit devant le meurtre de sa mère, il emporte de justesse le second point. Car tout n’est pas gagné : reste à débarrasser ce matricide, des Euménides qui le harcèlent. Elles voient la relégation totale des anciennes déesses et du matriarcat. Athéna, prudente mais maligne, ajoute sa voix au premier tribunal humain qui n’a pas su départager et elle fait pencher la balance du côté d’Oreste qui sera gracié. Les anciennes Érinyes vengeresses ne seront plus que de bienveillantes protectrices du foyer : maigre consolation…
Cette trilogie dit sans cesse que la démocratie et la justice sont une affaire d’hommes. Athéna doit son autorité au fait qu’elle n’est pas née d’une mère… Alors, comme le dit Jean-Pierre Vincent : « On en a pris pour vingt-cinq siècles ». C’est ça, la démocratie : elle reste toujours à construire. On pourrait parler quant à sa mise en scène, de ligne claire : rien n’est laissé au hasard, tout est maîtrisé, précis, à l’économie. Un constant et léger surlignage accompagne le rythme allegro de la représentation et contribue à décaper les contradictions et les enjeux du texte. Léger ? Le trait est parfois appuyé : d’autant plus drôle et bien ajusté, jetant des ponts allègres entre Eschyle et notre actualité. Voyez cet Apollon en complet veston mordoré et sa gestuelle macronienne… Saluons les costumes et la scénographie, simples, soignés et efficaces et les jeunes comédiens de la troupe. Remarquables en vieillards dans le chœur d’Agamemnon, prudents et bons vivants sans caricature, porteurs de la parole du peuple et de celle des dieux. Et ils rajeunissent dans la seconde pièce quand ils jouent Oreste et Pylade. On aura vu une formidable Clytemnestre et des Euménides tourmentées et troubles à souhait, inquiétantes.
Bref, les jeunes comédiens sortis de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg ont fait la preuve qu’ils n’ont plus besoin d’école et qu’ils ont déjà acquis, entre de bonnes mains, une remarquable maturité. Il y a trois pièces, l’une d’une heure quarante, les deux suivantes d’une heure dix chacune, avec des entractes suffisants. Le spectateur ne serait donc pas du tout maltraité si le gymnase du lycée Saint Joseph offrait des sièges moins rudes (cela vaut pour la plupart des lieux du festival in). On aimerait une reprise, mais c’est le propre des promotions sortantes des écoles : chacun va faire sa vie…
Christine Friedel
Gymnase du lycée Saint-Joseph, rue des Teinturiers, Avignon, à 14 h, jusqu‘au 16 juillet.