Joie, conception, texte et jeu de Anna Bouguereau, mise en scène de Jean-Baptiste Tur.

Crédit photo : Karim

Crédit photo : Karim

 Joie, conception, texte et jeu d’ Anna Bouguereau, mise en scène de Jean-Baptiste Tur

 On a tous, hélas et heureusement, des souvenirs d’enterrement de proches… Ces disparus, alors bien vivants et éloignés de perspectives les plus sombres, nous hantent à jamais.

Des images fiévreuses de conversations infinies, auréolées de silences paisibles. Un paysage de paix en effet, une sérénité existentielle où les conflits ne semblent pas avoir leur place, sauf quand surgit la mort. Anna Bouguereau, l’auteure et interprète, a voulu évoquer les états d’âme et sentiments de ceux qui restent, quand les êtres chers les  quittent.

 Une manière bien personnelle de lutter contre une société où la peur de la mort a remplacé le bonheur tangible et sensible d’exister. Pour Anne Bouguereau, combattre la mort, c’est déjà la regarder en face, puis apprendre à vivre après. La faille viendrait de de nos sociétés industrialisées, vidées de leur sens, de leurs rêves et croyances. Mais il y a aussi l’absence de vrais rites mortuaires consentis, au profit d’une fuite en avant  et sans se retourner sur son passé et sur soi.

Respecter la mort, quand on en parle librement et non de façon honteuse, sans la masquer, revient alors à faire l’éloge de la vie. Et paradoxalement, se sentir exister dans l’œil de la tempête des événements tragiques qui jalonnent notre présence au monde. La locutrice assiste donc aux obsèques de sa tante Catherine qu’elle aime toujours en nièce affectueuse, reconnaissant sa belle capacité humaine. «Jean-Michel a fait un discours, Jean-Michel, c’est le mari de ma tante Catherine et c’était déchirant parce qu’il pleurait pas du tout. Il était digne. C’est nul comme mot, mais c’est ça, il était digne, ça m’a donné envie d’être digne… Et il avait toujours un petit sourire intérieur derrière ses mots, l’air de dire, oui, c’est terrible, mais non, c’est pas triste, c’est beau, je vous regarde, vous êtes tous là, vous êtes vivants. »

 Celle qui s’exprime, un peu coincée au départ, comme bridée par la situation pathétique quand on met le cercueil en terre, se laisse aller peu à peu à l’évocation des rêves enfouis qui l’habitent: le désir d’aimer et d’être aimée, le souvenir d’une chanson écoutée, du premier slow dansé avec un garçon qu’elle avait elle-même sollicité. Son cousin pour lequel elle éprouve un attachement peu avouable, la reconduira en voiture à la gare mais elle ne lui en dira jamais davantage, consciente de sa folie. Au-delà d’un fort sentiment de solitude, elle prend progressivement conscience de cette vie pleine qui l’envahit malgré elle et avec joie.

Anna Bouguereau  est là, sur un plateau envahi d’ombre que, seule, éclaire une longue table lumineuse à nappe blanche avec de multiples bouquets de fleurs colorées. Métaphore d’une convivialité festive déjà vécue et à revivre encore, métaphore de la tombe au cimetière, de l’habitacle fermé de la voiture du cousin mais aussi de son bureau où elle écrit une lettre au mari de la défunte. La jeune femme éplorée lutte contre sa peine et sa tristesse intérieure, signifiant en échange les désirs qui l’assaillent et qui la font tenir debout, radieuse de vie et sourire aux lèvres, quand elle s’adresse au public proche d’elle…

 Véronique Hotte

Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Sain, Avignon, T. : 04 90 82 39 06, jusqu’au 24 juillet à 16 h 40.

 


Archive pour 16 juillet, 2019

Vilain !, conception, écriture et mise en scène de Alexis Armengol

Vilain! conception, écriture et mise en scène d’Alexis Armengol (spectacle tout public à partir de neuf ans)

©Florian Jarrigeon

©Florian Jarrigeon

Zoé est orpheline, abandonnée de tous, et Le vilain petit Canard, ce conte d’Andersen si prisé des enfants,  semble lui plaire. Aussi s’y jette-t-elle et s’associe  à la destinée houleuse du caneton si controversé. Zoé se sent aspirée par une bourrasque. La lecture de l’ouvrage de Boris Cyrulnik consacré à la résilience donne le ton. La fille marche, tourne, erre, tergiverse, isolée et esseulée, citoyenne volontaire en pleine terre de solitude et surdité revendiquée.

Nelly Pulicani  performeuse hors-pair, déclame, vocifère, argumente auprès du public qu’elle regarde droit dans les yeux. Dansant, courant en rond sur le plateau, sans se lasser.

Toujours d’attaque, toujours partante, enfant turbulente et attachante qu’on peine à cadrer et à lui faire accepter codes et règles, elle impulse ici une vigueur et une énergie rares,  Au cours de cette épopée personnelle, elle fait une halte dans une cabane en forêt ou une tente de Z.A.D.,  un squat à vocation politique, antre d’un musicien qui sait raison garder et qui propose un refuge à la belle égarée. Cet ami va jusqu’à préparer des goûters d’anniversaire pour celle qu’on n’a jamais fêtée, ignorante des us et coutumes des petits bourgeois ou bobos de nos temps.

Dans le rôle de l’artiste, conscient de sa mission pédagogique et citoyenne, Romain Tiriakian est excellent. Musicien talentueux, compositeur de chansons mais aussi  comédien accompli, il a ici une belle sérénité. A partir de ce hasard heureux, Zoé est invitée à grandir et à ne pas s’appesantir outre-mesure dans l’abri de ce nouvel et véritable ami Apte à renaître, elle le sait, le sent, se bat encore et se retrouvera elle-même avec sa voix, et dans sa voie…

La métamorphose de l’enfant à renaître s’accomplit à travers la rencontre des êtres et des arts. Shih Han Shaw réalise des dessins avec ses doigts de fée et il y a aussi des bribes d’un film d’animation réalisé avec Félix Blondel. La soi-disant laideur du canard n’était que la beauté non encore éclose du cygne. Les moqueries se trompaient de cible; pas l’exclusion mais la reconnaissance. Rebondir et se réinventer, l’enjeu artistique et philosophique est tendu. Tapissant le plateau, des lais de papier que l’interprète froisse, déchire et réutilisera, transformant sans fin l’accessoire en possibilités multiples. Cassures, heurts… Des dissonances finalement harmonieuses : les chuchotis et sifflements de Romain Tiriakian et Camille Trophème éveillent chez le public une jolie attention.

Un spectacle-performance, une prouesse tient aussi à son cadrage.

Véronique Hotte

Le 11. Gilgamesh-Belleville, 11 boulevard Raspail, Avignon. T. : 04 90 89 82 63, jusqu’au 23 juillet à 10 h 15, (relâche, le 17 juillet)

Valletti Circus : John a dream’s par Patrick Pineau et Serge Valletti

 

Festival d’Avignon

Valletti Circus : John a dream’s par Patrick Pineau et Serge Valletti

 

©Lol Willemns

©Lol Willemns

« J’écris, dit Serge Valletti, comme j’ai l’impression que l’on parle dans la vie, avec toutes les digressions par lesquelles on passe, toutes les parenthèses que l’on ouvre sans parfois les refermer. Une histoire en amène toujours une autre : je tire le fil de l’imaginaire et laisse les choses venir naturellement. »

Nous aurons tout loisir d’apprécier cette écriture prolifique et généreuse grâce au focus que lui consacre Alain Timar, dans son lieu, dédié au théâtre de textes. Il rassemble trois solos : deux qu’il met en scène et Marys’ à minuit réalisé par Catherine Marnas (voir Le Théâtre du Blog)  Une série de rencontres accompagne cette programmation.

 Nous avons pu assister à une performance unique : la lecture, par Patrick Pineau de John a dream’s, un solo écrit pour lui, il y a près de dix ans et qui n’a pas encore vu le jour, à part quelques lectures ici ou là. L’acteur s’empare avec gourmandise d’un texte charnu : un homme dans la force de l’âge évoque l’amour pour sa « petite chérie »,  son métier, son être profond. Il se tourne vers son passé et s’interroge sur ce qu’il reste de sa jeunesse et de ses rêves… On le suit dans les méandres des digressions sans jamais se perdre. Avec une  puissance mêlée de désinvolture, l’acteur nous fait entendre des mouvements d’une écriture qui semble en perpétuelle gestation. A la fois fragile et lucide, le personnage porte un regard amusé sur le monde et lui-même : son histoire ressemble à la nôtre, et en cela nous touche.

 Au cours de la lecture, Serge Valletti intervient, jetant à la volée des «chansons» ou plutôt des poèmes. Cette prise de parole incantatoire donne une grande force à son chant aux accents rimbaldiens. Il y a de la colère et de la nostalgie dans ce dire qui  vient magnifiquement répondre à John a dream’s. L’auteur définit son théâtre comme un combat : «Mais un combat de quoi ? Un combat pour à tout prix rester sur scène avec ces armes que sont les mots. Un combat pour vivre du théâtre. Un combat pour figer mes pensées intimes devant tout le monde. Un combat pour continuer. Est-ce que tout le monde est comme moi? » On aimerait réentendre ce personnage combattant et voir bientôt John a dream’s monté sur une scène….

 Mireille Davidovici

Théâtre de Halles, rue du roi René, Avignon  T. :04 32 76 24 51, jusqu’au 28 juillet,  (relâche les 6 et 23 juillet):Marys’à minuit, 11 h, Pour Bobby, 14 h. À plein gaz, 16 h 30
Lectures et rencontres autour de l’œuvre de Serge Valletti  à 19H

Les trois solos de Serge Valletti sont publiés aux Éditions de l’Atalante.

 

 

Points de non-retour (Quais de Seine), texte et mise en scène de Alexandra Badea.

 Festival d’Avignon

Points de non-retour (Quais de Seine), texte et mise en scène de Alexandra Badea

 

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Avec sa trilogie Points de non-retour, l’auteure et metteuse en scène française d’origine roumaine,  interroge la manière dont l’Histoire politique imprègne les êtres au plus profond d’eux-mêmes et détermine leur existence. Ces textes témoignent de notre monde actuel, imprégné d’une violence néo-libérale et prétendument dépolitisée.

 Le premier volet de Points de non-retour concernait le sort tragique des tirailleurs sénégalais de Thiaroye et le destin imposé à certains de leurs descendants. Ce spectacle créé à la Colline en septembre 2018, alternait récits d’histoire et commentaires  de ces êtres concernés par ces événements précis. Avec Quais de Seine,le second volet créé au festival d’Avignon 2019, l’auteure poursuit cette réflexion en révélant le poids conséquent des non-dits dans une sphère familiale.

 Nora,journaliste radio, est hospitalisée à la suite d’une tentative de suicide. Elle rencontre régulièrement un psychiatre qui l’aide à se reconstruire, en recomposant avec elle un récit, alors que son passé est terriblement défaillant. Ainsi accompagnée, elle accèdera à une mémoire familiale interdite: bribes de souvenirs de ses grands-parents tombés dans une insoutenable tragédie. Dans la nuit si cruelle du 17 octobre 1961 la police tira sur des Algériens dont certains furent jetés dans la Seine, n’ayant pas respecté le couvre-feu imposé aux Nord-Africains par le préfet de Paris, un certain Maurice Papon, que l’Histoire rendra une fois de plus tristement célèbre.

La grand-mère Irène, une jeune pied-noir et son compagnon algérien Younès, originaires de Sétif, vient dans un intérieur parisien  ici couvert d’un voile comme un rêve vaporeux surgi du passé. Irène est une jeune fille alors enthousiaste et volontaire qui survivra mais son compagnon et père de leur enfant ne pourra continuer la route: les parents de la jeune fille rejettent son idylle avec Younès. Les jeunes gens ont voulu vivre leur amour à Paris mais la police comme les harkis considèrent les Algériens selon le contexte de la guerre coloniale…

Pourtant, Irène s’inquiéte davantage que Younès, en lui affirmant qu’elle serait toujours à regret la fille de la conquête de l’Algérie. Lui s’étonnait de tels mots si peu prometteurs d’avenir et elle, aurait voulu oublier ces fausses racines qu’on lui avait collées : « Je n’ai pas choisi de naître là-bas. Je voudrais pouvoir parler sans que ça soit tout le temps vu comme la parole de l’oppresseur. » Selon elle, tous deux ont bien fait de quitter la terre algérienne, car tous là-bas et même ici, ont goûté à cette haine, même ceux qui ne sont pas encore nés. Pour Younès : «Fuir encore ? Etre un exilé à vie. Se battre toujours pour une place que personne n’a envie de te donner. Avaler les humiliations, le mépris, avaler toujours, faire semblant… » Alexandra Badea écrit en début de représentation sur son ordinateur, des lignes projetées sur un écran au lointain. Que retenir de l’Histoire qui nous a précédés? Joué par une équipe d’artistes binationaux: Madalina Constantin, franco-Roumaine (Irène), Sophie Verbeeck, franco-Belge (Nora), Amine Adjina, franco-Algérien (Younès), Kader Lassina Touré, franco-Ivoirien (le thérapeute), ce spectacle fin et rigoureux est sans doute trop fidèle à  une mission pédagogique et mémorielle, ce qui entrave les possibilités de liberté de jeu…

 Véronique Hotte

 Théâtre Benoît XII, du 5 au 11 juillet.

Le spectacle sera repris à la Colline-Théâtre national, Paris ( XX ème).

 

Histoire de l’imposture, chorégraphie de Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux

photo Thibault Gregoire

photo Thibault Gregoire

Avignon Off

Danse

Histoire de l’imposture, chorégraphie de Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux

 Que cachent nos vêtements? Si l’habit fait le moine, la vérité est-elle nue ?

Dans le plus simple appareil, cinq personnages s’avancent timidement: difficile, dans cette tenue, de se faire des civilités comme l’ordonne une voix de robot impérative. Pour obéir, hommes et femmes vont devoir se vêtir : de plus en plus guindés ils s’adonneront aux cérémoniaux d’usage. Du costard cravate aux atours d’un autre âge, le temps ne fait rien à l’affaire, l’imposture est éternelle.

 Dans imposture, on entend posture et la chorégraphie joue sur ces mots en bâtissant la pièce sur des glissements successifs d’une posture à l’autre : « L’enjeu était de s’interroger sur l’artifice des postures sociales, des jeux de rôles, des normes conformistes qui nous façonnent », note Patrick Bonté. L’imposteur, selon Jean-Bertrand Pontalis, est « celui qui usurpe une identité, s’invente une histoire qui n’est pas la sienne, se fait passer pour un autre, et ça marche. »

 Ici point de psychologie, ni de volonté démonstrative : les corps nous raconteront mieux que les livres cette histoire de l’imposture. Les deux danseurs et les trois danseuses évoluent dans un carré violemment éclairé, raides comme des mannequins de vitrine. Dans imposture, il y a aussi pose, et ils nous feront rire en prenant des poses sous les flashs répétés d’un hypothétique appareil photographique, et toujours pilotés par la voix off. Ils adoptent des personnalités d’emprunt, des poses grotesques, des mimiques grimaçantes, ou au contraire des airs compassés… Se transformant à vue, ces figures se mettent dans des situations stéréotypées, selon une typologie sociale repérable : hommes et femmes d’affaire pressés, mondaines et mondains évaporés, dragueurs de boite de nuit ou encore courtisans étriqués dans des redingotes et courtisanes en corsets et robes à panier… On oublie progressivement leurs anatomies, découvertes avant qu’ils n’apparaissent dans la lumière crue de la scène. Et l’on en vient à s’interroger soi-même sur le “look“ que l’on se donne, le matin, devant son miroir, avant de sortir se joindre à la comédie humaine…

 Mais à la fin, le factice finit par se fissurer, quand la musique appelle les interprètes à libérer leur énergie dans une danse sauvage inspirée de rituels tribaux. Hors d’eux et de la petite imposture du théâtre… Cette transe signe le retour du naturel contre la norme sociale…

 Patrick Bonté est metteur en scène et dramaturge, Nicole Mossoux danseuse et chorégraphe ; depuis 1985, ce tandem bruxellois pilote alternativement ses créations. Lors de cette dernière représentation estivale, nous avons découvert avec plaisir leur travail raffiné, au Château de Saint-Chamand, salle hors-les-murs de la Manufacture. Espérons que ce spectacle, qui tourne depuis 2013, sera, après le succès rencontré à Avignon, de nouveau programmé.

 

Mireille Davidovici

 

Vu le 14 juillet La Manufacture, 2, rue des Ecoles, Avignon T.04 90 85 12 71

 Compagnie Mossoux -Bonté Rue des Tanneurs 87, Bruxelles, Belgique T. +32 2 538 90 77 ;

http://mossoux-bonte.be

 

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