Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne

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Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne

« Que chacun,  écrivait l’auteur en 1838 dans la préface de sa célèbre pièce, y trouve ce qu’il y cherche et le poète, qui ne s’en flatte pas, aura atteint son but. Le sujet philosophique de Ruy Blas, c’est le peuple aspirant aux régions élevées; le sujet humain, c’est un homme qui aime une femme; le sujet dramatique, c’est un laquais qui aime une reine. »

Hugo serait heureux de ces représentations et aimerait sans doute ce rituel de la montée du public au château, respirer le parfum du soir sur la terrasse (on se met à parler en alexandrins comme lui…), contempler l’amoureuse reconstruction d’un édifice démantelé à la Révolution au nom de l’égalité, pillé de toutes ses belles pièces.  Hugo qui s’attaquait à la “bande noire“ des démolisseurs et qui a sauvé en son temps Notre-Dame de Paris en l’édifiant dans son roman. Il aimerait cette grande scène élisabéthaine qui met chaque spectateur à portée des comédiens et la grande porte de la façade à l’antique, évoquant celle d’un théâtre grec. Et ce public bienveillant et divers.

Le dramaturge dit bien ce qu’il fait: c’est du théâtre pour tous. Donc, dans un royaume espagnol en pleine décadence, Don Salluste de Bazan, homme de pouvoir avide et amer, se voit exilé par la reine pour avoir séduit et abandonné l’une de ses suivantes, autant dire rien, pour ce misogyne qui use des femmes et les méprise. Condamné au mariage ! Réparer ! Un Don Salluste ne s’abaisse pas à cela et se venge. En deux mots : il va jeter la Reine dans les bras de son valet, affublé du nom de Don César. Un vrai Don César existe, cousin du méchant, noble ruiné, aventurier aussi joyeux que maltraité par le sort, un peu Cyrano, un peu d’Artagnan, qui fera quelques brillantes apparitions dans la pièce (Jean-Christophe Quenon).

Mais un valet est un valet, autant dire rien. Et le perfide banni le rappelle régulièrement à Ruy Blas : «Il m’a fait /Fermer une fenêtre… ». Entre temps, sous son nom de haute noblesse, le valet est devenu ministre de la Reine -le Roi est à la chasse : « Madame, il fait grand vent et j’ai tué six loups»… Il s’est attaqué, au nom du peuple souffrant, aux célèbres «ministres intègres » :  « Messieurs, en vingt ans, songez-y, /Le peuple, j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! /Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,/ Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,/Le peuple misérable et qu’on pressure encor,/A sué quatre cent trente millions d’or !/Et ce n’est pas assez ! »

Pour ces «Serviteurs qui pillez la maison!», inutile d’insister, la charge politique fait écho. Pour le potentiel comique de la pièce, révélé par le film La Folie des grandeurs avec Louis de Funès et Yves Montand, Yves Beaunesne le reprend à son compte, en donnant à cette histoire en accéléré un côté bande dessinée. Il a supprimé quelques personnages et concentré l’action grâce à des coupes ciselées. Il appuie le trait juste ce qu’il faut, avec la complicité des acteurs, de Jean-Daniel Vuillermoz qui a réalisé des costumes inspirés et de Cécile  Kretschmar qui a imaginé des masques inquiétants. On vous laisse la surprise quant à la robe royale et à la crinoline diabolique de la duègne…

Mais surtout il a radicalement rajeuni l’histoire d’amour entre le “ver de terre“  et l’ “étoile“. Marie de Neubourg, sorte de Sissi avant la lettre (Noémie Gantier) se débat à la cour contre un ennui furieux. Passe un jeune homme amoureux et honnête (François Deblock)… Le jeune Ruy Blas et la jeune Reine sont égaux dans le désir et l’amour : c’est le sens du mot final du drame.  Avec un  jeu centré sur la libération que représente l’amour pour cette femme enfermée, et la transgression pour ce laquais qui se sait homme. Liberté, Egalité…

Pour l’émotion, car nous ne croyons plus aux drames, demandez à la musique de Camille Rocailleux et aux cordes d’Anne-Lise Binard et d’Elsa Guiet… Pour le plaisir, demandez à toute la troupe : Thierry Bosc en Don Salluste chafouin, d’une sobriété dangereuse, Guy Pion en (très) vieil amoureux chevaleresque et jaloux, et les “grands d’Espagne“, rats quittant le navire avec ce qu’ils peuvent de butin (Théo Askolovitch, Zacharie Feron, Maximin Marchand). Et puis ces figures féminines qui entourent la reine, Fabienne Luchetti en duchesse d’Albuquerque, raide comme le protocole et riche de la puissance de toutes ses frustrations, et Marine Sylf en Casilda, à l’opposé, toute en souplesse, gaieté et liberté.

Voilà une version allégée de Ruy Blas, qui ne se joue pas contre l’auteur (cela s’est vu, hélas !) : l’humour n’est pas le sarcasme mais la vérité du jeu, le point de contact avec une réalité où chacun se reconnaît. Une “série“ haletante, avec les trois objectifs de Victor Hugo généreusement remplis : distraire, donner à penser et émouvoir, même si c’est plutôt du côté du rire. Que demande le peuple ?

Christine Friedel

Château de Grignan (Drôme), Fêtes nocturnes, jusqu’au 24 août. T. : 04 75 91 83 65.

Du 8 au 10 octobre, Théâtre d’Angoulême /Scène nationale (Charente). Du 16 au 19 octobre, Odyssud, Blagnac (Gironde).

Les 5 et 6 novembre, Théâtre Firmin Gémier-La Piscine/Scène nationale, Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Du 12 au 15 novembre, Théâtre de Liège (Belgique). Du 19 au 23 novembre, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et  le 26, Théâtre de l’Olivier, Istres (Bouches-du-Rhône)

Les 5 et 6  décembre, Théâtres de la Ville de Luxembourg (Luxembourg). Et du 16 au 20 décembre, La Manufacture, Centre Dramatique National, Nancy (Meurthe-et-Moselle).

 

Janvier : du 8 au 18 Théâtre de la Croix Rousse, à Lyon (69). Du 22 au 26 Théâtre Montansier, Versailles (78)

 

Février : les 7 et 8 Théâtre Molière, Scène nationale de Sète (34). Le 11, Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains (74)

Du 26 février jusqu’au 15 Mars, Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis (93)

 

Mars : le 20, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (93), les 24 et 25, Théâtre Auditorium de Poitiers (86), Scène nationale

 


Archive pour 17 juillet, 2019

Ordinary People de Jana Svobodová et Wen Hui, textes collectifs en tchèque et en chinois

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Festival d’Avignon:

Ordinary People de Jana Svobodová et Wen Hui, textes collectifs en tchèque et en chinois (surtitrés en français et anglais)

L’une est tchèque, l’autre chinoise, l’une, artiste et metteuse en scène et l’autre, danseuse. Elles ont souhaité confronter leur expérience de vie dans un état totalitaire communiste et leur aspiration à la liberté. Ces démarches se ressemblent : «Raconter des histoires réelles et travailler avec de vrais gens : “des  gens ordinaires“ »

Qui sont ces gens ordinaires? Qu’ont-il à raconter? Un projet commun entre Wen Hui, et Jana Svobodová et Ondrej Hrab, le fondateur de le compagnie présent sur scène, qui dirigent respectivement le Living Dance Studio de Pékin et l’Archa Théâtre de Prague. Ils ont invité des personnes de leur entourage, artistes, musiciens et techniciens de tout  âge à s’exprimer sur les événements qui ont marqué leur vie. On les retrouve tous ici à dire leur vécu intime, inévitablement lié à l’histoire mouvementée de leur pays, Chine et République tchèque.

Cette création collective rassemble trois danseuses et un musicien chinois, trois musiciens, un scénographe et un créateur lumière tchèques et un ancien ouvrier rencontré par Jana Svobodova pendant ses vacances: « Le langage théâtral d’Ordinary People grandit à partir de l’expérience singulière de chacun. Pendant les répétitions, nous aimons mettre nos collaborateurs au défi de s’exprimer comme ils le souhaitent. »

Un prologue musical, derrière des barrières métalliques :  Vladimir Tuma, le plus âgé de la bande, né en 1942, ancien ouvrier et figurant à l’Opéra, chante en tchèque, ironique : « Je suis perdu mais c’est le plus joyeux des mondes. » enjoignant le public à reprendre le refrain en chœur : «Tralala… » Le jeune musicien Wen Luyuan, le rejoint avec des riff de guitare électrique endiablés.

Puis, sous des lumières changeantes, chacun des interprètes y va de ses souvenirs, en une succession de petits monologues. Des histoires pleines de détails personnels croisent des grands événements politiques. Les langues tchèques et chinoise s’entremêlent, donnant une dimension planétaire à ces vécus anecdotiques qui se répondent, sans vraiment se ressembler. La scénographie et les lumières accompagnent ces récits : on déplace des cartons où se cache parfois une danseuse et ils finissent par être empilés en une tour éphémère. Une petite estrade est avancée pour les parties chantées. Deux barrières métalliques s’ouvrent ou se ferment: tantôt grille de prison, tantôt frontière ou barrage policier…Jolies images.

Sont ainsi évoqués le Printemps de Prague puis son invasion par les chars russes, le soulèvement et la répression de la place Tien’Anmen. Une jeune danseuse parle de son homosexualité: une honte dans l’Empire du milieu. Une autre, de la famine qui sévit à sa naissance, les privations expliquant sa petite taille… Mais il n’y a pas de pathos dans tous ces récits et tout finit par un joyeux déchaînement, dans un rock and roll libératoire. Un des (trop) rares moments où les corps prennent le relais.

Ceux qui sont venus voir de la danse seront déçus car une vague gestuelle accompagne les paroles des uns et des autres : les metteuses en scène ne se sont pas focalisées sur le mouvement à tout prix, privilégiant des postures subtiles. La théâtralité se cherche, en pointillé avec une manipulation astucieuse du décor qui anime la scène et des effets d’éclairage qui créent de belles images-fantômes, et d’autres interactions lumineuses inventives.

Les textes assez peu travaillés traînent parfois en longueur mais la sincérité l’emporte. Il est toujours bon de se rappeler la révolte de la place Tien’ Anmen ou l’arrivée du communisme en Tchécoslovaquie, et bien d’autres dates marquantes telles que les ont vécues, “en vrai“, les gens de ce touchant et sympathique spectacle.

Mireille Davidovici

Les 17,18, 20, 21 et 23 juillet, Salle Benoît XII, rue des Teinturiers, Avignon.

Du 5 au 9 novembre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris; les  20 et 21 novembre, Théâtre des Louvrais-Scène nationale, Pontoise (Val- d’Oise)

Rage chorégraphie de TSAI Po-Cheng

Festival d’Avignon

 Rage, chorégraphie de Tsai Po-Cheng

©Ren Huar Liu.

©Ren Huar Liu.

Nous avions déjà apprécié Floating Flowers de ce chorégraphe taïwanais au festival d’Avignon 2016 (voir Le Théâtre du blog). Nous le retrouvons avec une pièce tout aussi esthétique, mais beaucoup plus engagée et radicale. Directeur artistique de B. Dance, une troupe de jeunes danseurs de grande qualité, il présente ses chorégraphies dans le monde entier.

 Rage est inspirée du roman du Japonais Shūichi Yoshida adapté au cinéma par Lee Sang-Il et des attentats que la France a connus en même temps, que Taïwan… Une danseuse gît au sol à l’avant-scène, dans un rayon de lumière. Peu à peu, elle s’éveille, traversé de mouvements étranges  et son regard laisse apparaître clairement une souffrance. Ses partenaires vont la rejoindre, sans pour autant arriver à la rassurer. Chaque interprète évalue sa solitude dans son propre langage. Parfois, ces trois hommes et ces quatre femmes se retrouvent ensemble, formant une chaîne humaine, criant sans bruit leur rage et leur douleur. On pense au travail choral de Crystal Pite.

Au drame exprimé par le groupe, succède celui, personnel, de la danseuse, rejetée puis violentée par son partenaire. Duos de femmes et d’hommes, alternent, tous très beaux. Des mouvements saccadés traduisent leurs émotions intérieures et les gestes sont sensuels et parfois d’une grande violence : étranglement, corps agressé par les mains jointes du partenaire.

Tsai Po-Cheng admire Wayne Mc Gregor et Hofesh Shechter : cela se lit dans cette pièce de quarante minutes. Au fil de ses créations, le Taïwanais trouve peu à peu un langage chorégraphique personnel. Un seul pas à franchir pour cette compagnie avant de rejoindre la Cour des grands. Rage mérite d’être vu par un vaste public: allez découvrir ce spectacle, vous ne serez pas déçus…

Jean Couturier

Hivernales-C.D.C.N.d’Avignon, 18 rue Guillaume Avignon. T. : 04 90 82 33 12, jusqu’au 20 juillet à 12 h 15.

 

Révolte – Revolt, she said, revolt again, de Alice Birch, mise en scène et scénographie de Sophie Langevin.

 

Révolte – Revolt, she said, revolt again, d’Alice Birch, traduction de Sarah Vermande, mise en scène de Sophie Langevin.

Crédit photo : Boshua.

Crédit photo : Boshua.

 Ce manifeste féministe de désobéissance civile, fait écho aussi au texte de Valérie Solanas SCUM, Manifesto : même révolte furieuse, sarcastique et drôle, contre l’oppression symbolique et réelle du genre féminin – corps et statut.

 Une incitation à réévaluer nos rapports privés, professionnels et politiques entre hommes et femmes, dans une société exactement contemporaine du XXI ème siècle.

 La jeune dramaturge britannique explore sans relâche les façons dont le langage, l’attitude et les comportements ont défini radicalement et réduit les rôles des sexes à des confinements obligés, prétendument naturels, mais en fait commandés.Les signes extérieurs qu’on croyait implicites mais qui restent manifestes et faussement intuitifs, sont d’autant plus révélateurs du pouvoir arrogant -et forcément illicite- des hommes sur les femmes dans une société organisée. Ici, sont des données qu’on croyait acquises à tort : rôles, sexualité, corps et modes de fonctionnement.

 Manifeste de rébellion et d’opposition assumées, ce texte ne doit pas être  sage selon l’adjectif qualificatif consacré, qui caractérise le comportement féminin global et auquel on pourrait tout autant substituer celui d’opprimée.Dans le monde professionnel, qui pourrait concerner de même la vie de couple, l’employée dit à l’employeur : «Je ne veux plus faire ça. Je ne veux plus cuisiner pendant des heures. Je ne veux plus inviter des gens à dîner parce que je veux dormir plus et je veux promener plus souvent mes chiens dans les bois. »

 L’homme lui répond, étonné, qu’on a installé des distributeurs dans les couloirs, et qu’on est en train de construire une salle de sports au sous-sol. La femme lui répond que ces beaux aménagements ne correspondent pas à ce qu’elle désire réellement.Et le patron, généreux, insiste, tentant de mieux cerner ses requêtes. Attend-elle un enfant ? Veut-elle accéder à une formation ou bien encore aller plus loin dans ses études ? Pense-t-elle à sa carrière avant tout ? Est-elle enceinte ? « Les femmes veulent ça, tu as le droit », ajoute l’homme, adepte des distinguos.

 Autre situation : un couple sort d’un dîner entre amis et l’homme avoue à sa femme qu’il n’a cessé de la désirer tout le long de la soirée. Elle, choquée, ne comprend pas : «  Comment as-tu pu ainsi jouer double jeu, alors que nous étions tous pendus à tes propos sincères sur la situation désastreuse des réfugiés ?Vêtus de blanc -tenue anti-amiante, panoplie de cosmonaute ou uniforme infirmier – les comédiens évoluent sur la scène comme s’ils étaient sur une table de dissection, placés, tels des insectes accrochés sur un plan de laboratoire.

Agnès Guignard, Denis Jousselin, Francesco Mormino et Leila Schaus jouent l’homme et la femme: soit autant de probabilités de couples qui alternent régulièrement, selon les tableaux. Quand l’un est sur le plateau, l’autre observe assis, à vue en coulisses. Les comédiens sont investis d’une mission à la fois morale et artistique – celle de donner à voir les comportements caricaturaux et grotesques des uns et des autres -, sont engagés sur la scène, comme le feraient des militants organisés, sûrs du matériau de leur démonstration et des témoignages accordés.

 Un spectacle dynamique, enlevé et rafraîchissant.

 Véronique Hotte

 La Caserne, 116 rue de la Carreterie à Avignon. T. : 04 90 39 57 63, jusqu’au 22 juillet à 13 h 15.

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