Le reste, vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp, mise en scène de Daniel Jeanneteau

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Festival d’Avignon  

 Le reste, vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp d’après Euripide, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Daniel Jeanneteau

 Le metteur en scène avait déjà collaboré avec Martin Crimp en 2006 à l’Opéra- Bastille pour Into the little Hill, un opéra de George Benjamin (voir Le Théâtre du Blog). Il le retrouve avec cette pièce (2013) adaptée des Phéniciennes où Euripide revisite, au V ème siècle avant J.C., Les Sept contre Thèbes qu’Eschyle avait écrit cinquante ans  plus tôt. Il actualise le cycle d’Œdipe, en fonction d’une situation politique différente: Athènes, aux menées impérialistes, fomente une guerre civile dans le Péloponnèse. Ce conflit interminable entraînera l’effondrement de la civilisation attique. Pour introduire une critique de l’ordre dominant, l’auteur grec donne la parole à ces Phéniciennes, prisonnières étrangères en route pour Delphes et de passage à Thèbes.

Elles forment ici un chœur de lycéennes à qui Martin Crimp a confié le soin d’introduire et commenter la tragédie : dans une vaste salle de classe en désordre, elles se moquent du savoir qu’on leur enseigne et de ces personnages antiques issus pour elles d’une histoire poussiéreuse. Sales gamines, elles vont bousculer les protagonistes, les corriger, les chahuter et les manipuler comme des pantins bavards et pitoyables, sortis des réserves du théâtre … Et Œdipe, présent/absent tout au long de la représentation, enfermé dans une cahute dominant le plateau, apparait à la fin, hirsute, grossier et grotesque…

 On connaît l’histoire : Œdipe se crève les yeux quand il découvre qu’il a épousé sa mère Jocaste et qu’il a tué son père Laïos. Il vit toujours à Thèbes mais séquestré par ses fils Étéocle et Polynice.  Jocaste assiste, impuissante  avec  sa fille Antigone, à la brouille de ses fils et à leur guerre fratricide puis à leur duel meurtrie. Puis elle se suicidera. Le roi Créon et frère de Jocaste -dont le fils s’est offert en sacrifice pour la paix mais en vain -se saisit du pouvoir et interdit à Antigone, au nom d’Étéocle, d’enterrer Polynice. Mais Antigone bravera le décret du roi par lequel elle est de la Cité, comme son père et frère, Œdipe… Cette engeance incestueuse accouche d’un monde si monstrueux que nous n’avons pas envie de le décrypter…

Martin Crimp, questionne d’œuvre en œuvre, avec âpreté mais non sans humour, la place de l’homme dans la société actuelle. Ici, il s’attaque à ce mythe fondateur en écrivant directement à partir du grec ancien. Et sur les pas d’Euripide, il met à distance les conflits dans cette famille perturbée comme l’était le monde d’hier et comme l’est, celui d’aujourd’hui. Revue et corrigée par ces jeunes femmes mutines et irrévérencieuses, la tragédie prend un coup de jeune…

Dans cette grande salle de classe dont elle renversent et brisent peu à peu le mobilier, elles s’adressent au public avec des questions ironiques, exposés scientifiques fantaisistes, devinettes absurdes… Étudiantes ou travailleuses, elles viennent de Gennevilliers et des alentours: «Leur rencontre a déterminé le projet, commente Daniel Jeanneteau, qui dirige depuis 2017, le théâtre de Gennevilliers. La pièce les intrigue et elles ont été sensibles à ces Phéniciennes qui observent, d’une manière critique et intelligente, le pouvoir et la société. Habillées selon les codes d’aujourd’hui, elle convoquent les figures du passé et exigent des comptes. »

Ces jeunes filles ont de l’énergie à revendre mais le procédé devient parfois systématique et l’on peut s’en agacer. Par ailleurs, certains monologues portés par les acteurs, s’éternisent et ces deux heures trente paraissent un peu longues…  Mais Dominique Raymond  excelle sans pathos en Jocaste, mère de cette famille maudite. Quentin Bouissou est un Étéocle décontracté, sûr de son bon droit et Jonathan Genet, un Polynice, tête brulée et vulnérable. Un jeu équilibré entre amateurs et professionnels, une scénographie simple et lisible signée Daniel Jeanneteau et un espace sonore, conçu en temps réel par Olivier Pasquet et l’ingénieur Sylvain Cadars, venus de l’I.R.C.A.M. : grâce à eux, cette nouvelle lecture  teintée d’ironie du célèbre mythe, est ici solidement mise en valeur.

 Mireille Davidovici

Création du 16 au 22 juillet au lycée Aubanel, Avignon.

Du 9 janvier au 1er février, Théâtre de Gennevilliers (Seine-Saint-Denis) et du 7 au 15 février, Théâtre National de Strasbourg.
Du 10 au 14 mars, Théâtre du Nord, Lille et les 20 et 21 mars, Théâtre de Lorient.

Le texte est publié chez L’Arche Editeur.

 


Archive pour 29 juillet, 2019

Macbeth philosophe, texte de William Shakespeare, traduction et adaptation et mise en scène d’Olivier Py

Festival d’Avignon

 

Macbeth philosophe d’après William Shakespeare, traduction et adaptation et mise en scène d’Olivier Py

 

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Le Festival d’Avignon développe un partenariat avec le Centre pénitentiaire Avignon-Le Pontet et depuis cinq ans un atelier de création dirigé par Olivier Py, avec Enzo Verdet. L’an dernier, avec Antigone, ils ont pu jouer hors les murs de la prison (voir Le Théâtre du Blog).
Sur cinq ans, une soixantaine de détenus en longue peine auront suivi cet atelier. Cette  fois, les participants ont choisi de retourner à Shakespeare et Olivier Py leur a écrit une adaptation sur mesure, en réduisant le texte à l’essentiel : « Dans Macbeth, dit-il, il y a beaucoup de scènes décoratives dont on se passe aisément pour entrer dans le cœur du drame, dans l’intériorité et la mystique du crime. » Il choisi une métrique rythmée, et privilégié le dodécasyllabe qui donne du nerf et de la rapidité à la langue. Sa traduction, d’une poésie rêche, regorge d’images concrètes, fidèles à l’original anglais, et dont s’emparent facilement les huit acteurs : «Mon action n’est pas sociale, elle est une recherche artistique, précise le metteur en scène. Avec ces acteurs, je tente une esthétique du jeu où la parole est vitale, où les sentiments sont exacerbés. Tout est joué à pleine voix. »

Pour le dramaturge : « Au théâtre les mots deviennent des actes » Christian, Mohamed, Mourad, Olivier, Philippe, Redwane, Samir et Youssef, pris dans la dynamique des mots – se lancent le texte d’un côté à l’autre de la salle dans un dispositif bi-frontral, avec un praticable au centre et un praticable de part et d’autre. Aucun temps mort: dès la prophétie des Sorcières, présentées comme des fantômes, les crimes se décident et se commettent : « Ce qui est fait est fait (…) Qu’est-il de plus puissant au monde que le destin. »

Pris dans l’engrenage, Macbeth semble ne plus s’appartenir, jouet d’un destin qui le pousse à tuer pour conquérir le pouvoir. Tout va très vite, mais au milieu de la machine infernale qu’il déclenche, il s’interroge. « Ce qui m’a frappé dans le texte original, dit Olivier Py, c’est à quel point Macbeth est philosophe et poète. » Il a voulu privilégier cet aspect de la pièce, comme son titre l’indique. Mais on a parfois du mal à suivre les péripéties du drame, tant Macbeth, se plait à commenter son sort:  «Le loup a remplacé le cri de nos horloges/La terre est immobile sourde à mon passage/ Et mon destin en marche laisse les pierres muettes. (…) La vie est un trésor que j’ai donné au Diable.»

 Dans la pièce, le temps est sorti de ses gonds, le monde se brouille : « Viens nuit aux yeux crevés/déchire le grand lien qui unit toute chose/les monstres de la nuit vont dévorer leur proie/ le mal conduit le mal rien ne peut l’arrêter. » Lady Macbeth devient ici un double du héros : son âme damnée, puis sa conscience démente dans la fameuse scène où elle lave ses mains sanglantes  : « Mes mains pleines de sang, elles me crèvent les yeux/L’océan ne peut laver ces mains tachées de sang/C’est le sang qui rougirait la mer. »

Les crimes de Macbeth ont bouleversé l’ordre naturel des choses : « Dans la nuit de la nuit il n’y a que le mal (…) C’est la fin de l’histoire et de l’humanité » Les victimes de Macbeth puis les rebelles conduits par Mac Duff paraissent dans cette adaptation, des faire-valoir, des spectres de sa peur. Ici point de forêt en marche non plus, mais des mots pour le dire. Et enfin, le triomphe de Malcolm, légitime héritier au trône, couronné par Mac Duff : «Voici un jour nouveau pour la liberté ! », s’exclame ce dernier. Ces mots résonnent de manière singulière, dits par ces hommes sortis pour quelques jours de leur cellule. «Le théâtre pour nous, c’est une façon d’occuper la détention, de s’évader par les mots », confie l’un d’eux, à l’issue de la représentation.

 On retiendra de ce spectacle la force de l’interprétation, qui donne toute sa mesure à la traduction imagée et à la mise en scène tonique d’Olivier Py. William Shakespeare, dramaturge inépuisable, parle encore à chacun d’entre nous et surtout quand il est porté par ces personnes privées de liberté. Ce Macbeth philosophe nous ouvre aussi les yeux sur la situation carcérale :  » Dans les prisons d’arrêt, la surpopulation a fini par rendre les conditions de détention inhumaines. Il y a quelque 70. 000 détenus en France et c’est le record de notre histoire », souligne le directeur du Festival. Pour certains d’entre eux, le théâtre est un moyen d’évasion.

 Mireille Davidovici

Spectacle joué à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, du 16 au 19 juillet.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...