EF_FEMINITY, un spectacle documentaire de Marcel Schwald et Chris Leuenberger

 

EF_FEMINITY, spectacle documentaire de Marcel Schwald et Chris Leuenberger ( en anglais, allemand, suisse-allemand, tamoul et kannada, surtitré en français)

© Lukas Acton

© Lukas Acton

«Je suis un garçon et une fille, un homme et une femme», dit Chris Leuenberger, acteur dans cette pièce avec Marcel Schwald. Dès l’enfance, ils voulaient être filles. Être transsexuel dans les années 1970-80 en Suisse, relevait du défi. Seul l’art pouvait permettre cette liberté de vie.

Les  metteurs en scène ont aussi rassemblé pour l’occasion plusieurs artistes comme Shilok Mukkati, Diya Naidu, Living Smile Vidya. Ils s’interrogent collectivement sur le sens du mot, «effémination», à travers des récits autobiographiques. «En français comme en anglais et en allemand, il existe le mot effémination, qui veut dire féminiser mais avec une connotation péjorative.  Ici,  nous nous sommes servis de ce mot mais en nous l’appropriant positivement. Pourquoi serait-il de moindre valeur d’aspirer à cette ef_femi(ni)té? Pourquoi ne pas vivre et célébrer cette facette et, par la même occasion, se solidariser avec toutes sortes de féminités qui existent ou existeront dans le futur.»

 Ces questions pourraient faire l’objet d’une thèse ou d’un colloque. Sur scène,  plusieurs histoires personnelles traumatisantes pour cause de la discrimination sociale dont les femmes sont victimes, en particulier en Inde mais aussi en Occident. Nous garderons longtemps en mémoire les cris de douleur de la danseuse féministe Diya Naidu, évoquant les viols qu’elle a subis, la dignité contenue de Living Smile Vidya, actrice transsexuelle, clown et auteure, quand elle nous montre les cicatrices sur son corps : « C’est l’histoire de mes cicatrices, l’histoire de ma survie.»

Nous penserons aussi aux questions de Shilok Mukkati journaliste transsexuelle, sur la féminité de chacun d’entre nous : «Pourquoi le comportement connoté féminin est-il en général moins privilégié que le comportement masculin? » Ces artistes rencontrées en Inde par les metteurs en scène luttent, chacune à sa façon, pour la reconnaissance de leur féminité. Nous découvrons des solos tous empreints d’une grande douleur. La danse n’arrive pas ici à adoucir le propos de cette pièce qui nous concerne tous profondément. Un spectacle indispensable à voir…

Jean Couturier

Hivernales-C.D.C.N.d’Avignon, dans le cadre de la sélection suisse. 18 rue Guillaume Puy, Avignon (Vaucluse). T. : 04 90 82 33 12, jusqu’au 20 juillet à 21 h 15.

 

 


Archive pour juillet, 2019

Pour Bobby, mise en scène et scénographie Alain Timar avec Charlotte Adrien.

Pour Bobby, de Serge Valetti, mise en scène et scénographie d’Alain Timar

©-Louise Maignan

©-Louise Maignan

A ce spectacle avec Charlotte Adrien, fait écho  un autre A plein gaz… A ces  monologues,  correspond un troisième  de Serge Valetti Mary’s à minuit, à voir aussi  Avignon

Serge Valetti se réclame d’un théâtre populaire – un public  d’anonymes, de tous ceux qu’on pourrait désigner comme « non remarquables » et l’auteur veut écrire comme on parle dans la vie, sans vouloir bien dire, ou beau dire.

Il avoue préférer les chemins de traverse de l’école buissonnière, entre digressions et parenthèses, apartés chroniques qui tirent le fil d’un imaginaire éloquent qui lui est cher et l’on reste ainsi à l’écoute de ceux qu’on n’entend jamais. Des solos de théâtre pour libérer une parole qui a droit de cité, autant qu’une autre, si humble et si modeste soit-elle, sans la moindre prétention à vouloir être reconnue. Laisser les choses venir naturellement et continuer à écrire et à exister simplement.

Ainsi parle  Charlotte Adrien : «Je peux aussi, si vous voulez, trier les enveloppes… ça, je sais le faire : on regarde l’adresse et puis le numéro, et je classe par numéro… Ou alors les vitres, je nettoie les vitres, j’arrose les plantes, ou alors je reste là sans rien dire ! Qu’est-ce que je peux faire encore ? Plein, plein de choses… Pas chanter, ça non, je sais pas chanter… » Générosité et humilité face à aux spectateurs, installés dans la proximité d’une petite tente de cirque- et en même temps, auto-éloge et autodérision implicite : la jeune femme, en quête d’emploi ou simplement de reconnaissance, se dit   pouvoir faire les gestes répétitifs les plus sommaires et les moins remarquables.

Elle propose aussi de donner la preuve de son engouement pour la course à pied ou même la marche, si on prévoit auparavant « assez de stérilux pour les ampoules ». L’actrice, souriante et disponible, s’adresse au public sans détour et évolue sur sa petite scène comme un poisson dans l’eau, jouant avec la table et la chaise de jardin,  qui lui tiennent lieu de références et de piliers stables de foyer.

A l’écoute d’elle- même dans ce bilan, elle sait aussi comprendre les jugements, les points de vue divers… Un témoignage d’humanité, de tranquillité qui s’oppose à la rage et à la fureur ambiante que subit tout citoyen, tenu sans cesse de devoir prouver ses capacités: valeur concurrentielle et marchande, rivalité absurde avec soi…

Véronique Hotte


Théâtre des Halles, rue du Roi René. T.: 04 32 76 24 51, jusqu’au 28 juillet à 14h, relâche le 23 juillet.

Un homme, d’après une nouvelle de Charles Bukowski, mise en scène de Gaël Leveugle

Festival d’Avignon

 

Un homme, d’après une nouvelle de Charles Bukowski, mise en scène de Gaël Leveugle 

© frederic Toussaint

© frederic Toussaint

Sur la place Belle-Croix à Avignon où se trouve La Caserne, une peinture murale, usée par le temps, figure la Chiesa della Croce, à Senigallia dans la province d’Ancône.

Un homme âgé assis y est aussi dessiné et pourrait être le fantôme de Charles Bukowski.

«Dans cette petite histoire, Constance se pointe chez George, dans sa caravane, avec une bouteille de whisky, dit Gaël Leveugle.  Elle vient de quitter Walter. Elle et lui voient monter leur désir de se retrouver, mais dans le monde tel que le déplie Bukowski, ça n’est pas aussi simple que ça. C’est pas parce qu’on veut qu’on peut. » Avec sa compagnie Ultima Necat, l’artiste, inspiré par la danse butô, donne beaucoup d’importance au langage corporel et envisage la parole comme un mouvement faisant partie d’un tout. Dès la première scène, il assemble musique, danse, acrobatie et texte.

On entend la nouvelle de l’auteur américain d’origine polonaise en voix off, et baigné dans un étroit rayon de lumière, le metteur en scène qui joue aussi dans cette pièce, se trouve traversé par des mouvements rapides et dissociés, comme disloqué par la parole. Charlotte Corman et Julien Defaye le rejoignent, incarnant avec conviction Constance et George. Leurs solitudes se rencontrent: deux destins en chute libre comme le symbolise la leur sur un gros matelas de gymnastique. Le texte va être répété plusieurs fois, soit en « play back » comme une pensée intérieure, soit déclamé par les comédiens. La musique est très présente: soit avec des extraits enregistrés d’une symphonie de Beethoven sur laquelle chante alternativement chacun des artistes, soit jouée en direct par Pascal Battus. A jardin, assis sur une table, le compositeur amplifie le son émis par le frottement de différents matériaux. Le metteur en scène signe aussi la scénographie et nous réserve quelques belles surprises en nous plongeant dans une atmosphère de film : un fauteuil club rouge, l’indispensable table basse avec verres et bouteille de whisky,  le tout éclairé par la lumière de petites ampoules en série tombant des cintres…

 Malheureusement les nombreux temps morts n’ont pas la densité des silences de Paris- Texas de Wim Wenders. Les répétitions de phrases de Bukowski, pas toutes indispensables, rallongent cette pièce qui dure déjà une heure quinze: «Mes jambes, tu les aime toujours? Je n’ai jamais pu les regarder de trop près, elles me brûlent les yeux»…  Par ailleurs, cette adaptation d’Un homme ne manque pas de charme.

 Jean Couturier

La Caserne, 116, rue de la Carreterie, Avignon. T.: 04 90 39 57 63, jusqu’au 22 juillet, à 20 h45

 

Aïe ! un poète ! D’ après l’oeuvre de Jean-Pierre Siméon et les poètes d’hier et d’aujourd’hui, Performance de Anne Rebeschini

Aïe ! un poète ! d’après l’œuvre de Jean-Pierre Siméon et les poètes d’hier et d’aujourd’hui, performance d’Anne Rebeschini    

©Pascal Gély

©Pascal Gély

Depuis toujours la poésie s’est manifestée sous diverses formes esthétiques et au sein de tous les arts, une reine ! Aède, rhapsode, troubadour, saltimbanque, poète n’ont cessé de faire danser les mots. Leur regard esthétique transfigure le monde en toutes choses. La différence devient complice du citoyen-spectateur et lecteur. Non adversaire ! La question du sens fait des siennes pour notre plus grand bonheur et le langage, en liberté, s’impose avec charme. Ainsi dans la maison de Calliope, des muses et de tant d’autres magiciens de l’écriture, cette performance  nous invite à découvrir l’existence sous d’autres cieux.

Pour Jean-Pierre Siméon «La poésie est une questionneuse enragée». Mais dans nos sociétés occidentales qui privilégient le divertissement et favorisent l’absence de pensée et de responsabilité, l’art de la poésie trouve difficilement une écoute spontanée et sensible. Le titre pince-sans-rire du spectacle se suffit à lui-même pour ne pas le nier. Cette performance le fait brillamment et nous rappelle à quel point la poésie est objet d’enchantement et d’intelligence visionnaire. Voltaire écrivait : «On demande comment, la poésie étant si peu nécessaire au monde, elle occupe un si haut rang parmi les beaux-arts. « c(…) « La poésie est la musique de l’âme, et surtout des âmes grandes et sensibles ». 

Dans un écrin de velours noir, quelques spots de lumière blanche ou colorée. Seule en scène, la comédienne et danseuse-chorégraphe, au Tanztheater Wuppertal Pina Bausch et à l’Opéra de Paris) nous ouvre, avec grâce et une énergie généreuse, la porte de cet univers inspiré et d’une belle violence. Avec cette vision apollinienne et dionysiaque, inattendue, le réel prend forme alors pour le public… Sa voix, son corps et sa gestuelle magnifique de théâtralité, comme des envols tout en puissance mais légers, s’emparent d’un bouquet de poèmes.

Anne Rebeschini joue de son costume noir avec malice et subtilité, tel un prestidigitateur, et devient ainsi en quelques secondes, tour à tour le personnage poétique de la situation. Invisibles mais vivants, tels des figures testamentaires : Baglin, Baudelaire, Cosem, Desnos, La Fontaine, Lamartine, Luca, Lao Tseu, Maiakovski, Nadaus, Nasreen, Padellec, Prévert, Tarkos, Villon, entrent avec sensibilité et grâce dans la danse :« Je crois profondément, comme Jean-Pierre Siméon, que la poésie sauvera le monde. Une Utopie ? En tous cas, elle m’a sauvée » affirme l’artiste. Cette performance est aussi pour les spectateurs, femmes et hommes, citoyens des mondes modernes, un signe vital pour notre évolution humaine. 

« AÏE ! Un poète » … Exclamation, cri, plein d’humour et d’un peu d’ironie. A la sortie, le public sous une chaleur écrasante, laisse entrevoir un visage apaisé, heureux mais conscient de l’alerte ! Un monde sans poésie est un monde absent de liberté et de création, artistique bien sûr mais aussi scientifique ! Adieu la beauté !  A voir ! 

 Elisabeth Naud 

Théâtre du Rempart, 56, rue du Rempart Saint-Lazare, Avignon. T.: 09 81 00 37 48 / 04 90 85 37 48, jusqu’au 27 juillet, à 14h 30 

Le texte est publié chez Cheyne éditeur.

Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne

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Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène d’Yves Beaunesne

« Que chacun,  écrivait l’auteur en 1838 dans la préface de sa célèbre pièce, y trouve ce qu’il y cherche et le poète, qui ne s’en flatte pas, aura atteint son but. Le sujet philosophique de Ruy Blas, c’est le peuple aspirant aux régions élevées; le sujet humain, c’est un homme qui aime une femme; le sujet dramatique, c’est un laquais qui aime une reine. »

Hugo serait heureux de ces représentations et aimerait sans doute ce rituel de la montée du public au château, respirer le parfum du soir sur la terrasse (on se met à parler en alexandrins comme lui…), contempler l’amoureuse reconstruction d’un édifice démantelé à la Révolution au nom de l’égalité, pillé de toutes ses belles pièces.  Hugo qui s’attaquait à la “bande noire“ des démolisseurs et qui a sauvé en son temps Notre-Dame de Paris en l’édifiant dans son roman. Il aimerait cette grande scène élisabéthaine qui met chaque spectateur à portée des comédiens et la grande porte de la façade à l’antique, évoquant celle d’un théâtre grec. Et ce public bienveillant et divers.

Le dramaturge dit bien ce qu’il fait: c’est du théâtre pour tous. Donc, dans un royaume espagnol en pleine décadence, Don Salluste de Bazan, homme de pouvoir avide et amer, se voit exilé par la reine pour avoir séduit et abandonné l’une de ses suivantes, autant dire rien, pour ce misogyne qui use des femmes et les méprise. Condamné au mariage ! Réparer ! Un Don Salluste ne s’abaisse pas à cela et se venge. En deux mots : il va jeter la Reine dans les bras de son valet, affublé du nom de Don César. Un vrai Don César existe, cousin du méchant, noble ruiné, aventurier aussi joyeux que maltraité par le sort, un peu Cyrano, un peu d’Artagnan, qui fera quelques brillantes apparitions dans la pièce (Jean-Christophe Quenon).

Mais un valet est un valet, autant dire rien. Et le perfide banni le rappelle régulièrement à Ruy Blas : «Il m’a fait /Fermer une fenêtre… ». Entre temps, sous son nom de haute noblesse, le valet est devenu ministre de la Reine -le Roi est à la chasse : « Madame, il fait grand vent et j’ai tué six loups»… Il s’est attaqué, au nom du peuple souffrant, aux célèbres «ministres intègres » :  « Messieurs, en vingt ans, songez-y, /Le peuple, j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! /Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,/ Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,/Le peuple misérable et qu’on pressure encor,/A sué quatre cent trente millions d’or !/Et ce n’est pas assez ! »

Pour ces «Serviteurs qui pillez la maison!», inutile d’insister, la charge politique fait écho. Pour le potentiel comique de la pièce, révélé par le film La Folie des grandeurs avec Louis de Funès et Yves Montand, Yves Beaunesne le reprend à son compte, en donnant à cette histoire en accéléré un côté bande dessinée. Il a supprimé quelques personnages et concentré l’action grâce à des coupes ciselées. Il appuie le trait juste ce qu’il faut, avec la complicité des acteurs, de Jean-Daniel Vuillermoz qui a réalisé des costumes inspirés et de Cécile  Kretschmar qui a imaginé des masques inquiétants. On vous laisse la surprise quant à la robe royale et à la crinoline diabolique de la duègne…

Mais surtout il a radicalement rajeuni l’histoire d’amour entre le “ver de terre“  et l’ “étoile“. Marie de Neubourg, sorte de Sissi avant la lettre (Noémie Gantier) se débat à la cour contre un ennui furieux. Passe un jeune homme amoureux et honnête (François Deblock)… Le jeune Ruy Blas et la jeune Reine sont égaux dans le désir et l’amour : c’est le sens du mot final du drame.  Avec un  jeu centré sur la libération que représente l’amour pour cette femme enfermée, et la transgression pour ce laquais qui se sait homme. Liberté, Egalité…

Pour l’émotion, car nous ne croyons plus aux drames, demandez à la musique de Camille Rocailleux et aux cordes d’Anne-Lise Binard et d’Elsa Guiet… Pour le plaisir, demandez à toute la troupe : Thierry Bosc en Don Salluste chafouin, d’une sobriété dangereuse, Guy Pion en (très) vieil amoureux chevaleresque et jaloux, et les “grands d’Espagne“, rats quittant le navire avec ce qu’ils peuvent de butin (Théo Askolovitch, Zacharie Feron, Maximin Marchand). Et puis ces figures féminines qui entourent la reine, Fabienne Luchetti en duchesse d’Albuquerque, raide comme le protocole et riche de la puissance de toutes ses frustrations, et Marine Sylf en Casilda, à l’opposé, toute en souplesse, gaieté et liberté.

Voilà une version allégée de Ruy Blas, qui ne se joue pas contre l’auteur (cela s’est vu, hélas !) : l’humour n’est pas le sarcasme mais la vérité du jeu, le point de contact avec une réalité où chacun se reconnaît. Une “série“ haletante, avec les trois objectifs de Victor Hugo généreusement remplis : distraire, donner à penser et émouvoir, même si c’est plutôt du côté du rire. Que demande le peuple ?

Christine Friedel

Château de Grignan (Drôme), Fêtes nocturnes, jusqu’au 24 août. T. : 04 75 91 83 65.

Du 8 au 10 octobre, Théâtre d’Angoulême /Scène nationale (Charente). Du 16 au 19 octobre, Odyssud, Blagnac (Gironde).

Les 5 et 6 novembre, Théâtre Firmin Gémier-La Piscine/Scène nationale, Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Du 12 au 15 novembre, Théâtre de Liège (Belgique). Du 19 au 23 novembre, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et  le 26, Théâtre de l’Olivier, Istres (Bouches-du-Rhône)

Les 5 et 6  décembre, Théâtres de la Ville de Luxembourg (Luxembourg). Et du 16 au 20 décembre, La Manufacture, Centre Dramatique National, Nancy (Meurthe-et-Moselle).

 

Janvier : du 8 au 18 Théâtre de la Croix Rousse, à Lyon (69). Du 22 au 26 Théâtre Montansier, Versailles (78)

 

Février : les 7 et 8 Théâtre Molière, Scène nationale de Sète (34). Le 11, Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains (74)

Du 26 février jusqu’au 15 Mars, Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis (93)

 

Mars : le 20, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (93), les 24 et 25, Théâtre Auditorium de Poitiers (86), Scène nationale

 

Ordinary People de Jana Svobodová et Wen Hui, textes collectifs en tchèque et en chinois

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Festival d’Avignon:

Ordinary People de Jana Svobodová et Wen Hui, textes collectifs en tchèque et en chinois (surtitrés en français et anglais)

L’une est tchèque, l’autre chinoise, l’une, artiste et metteuse en scène et l’autre, danseuse. Elles ont souhaité confronter leur expérience de vie dans un état totalitaire communiste et leur aspiration à la liberté. Ces démarches se ressemblent : «Raconter des histoires réelles et travailler avec de vrais gens : “des  gens ordinaires“ »

Qui sont ces gens ordinaires? Qu’ont-il à raconter? Un projet commun entre Wen Hui, et Jana Svobodová et Ondrej Hrab, le fondateur de le compagnie présent sur scène, qui dirigent respectivement le Living Dance Studio de Pékin et l’Archa Théâtre de Prague. Ils ont invité des personnes de leur entourage, artistes, musiciens et techniciens de tout  âge à s’exprimer sur les événements qui ont marqué leur vie. On les retrouve tous ici à dire leur vécu intime, inévitablement lié à l’histoire mouvementée de leur pays, Chine et République tchèque.

Cette création collective rassemble trois danseuses et un musicien chinois, trois musiciens, un scénographe et un créateur lumière tchèques et un ancien ouvrier rencontré par Jana Svobodova pendant ses vacances: « Le langage théâtral d’Ordinary People grandit à partir de l’expérience singulière de chacun. Pendant les répétitions, nous aimons mettre nos collaborateurs au défi de s’exprimer comme ils le souhaitent. »

Un prologue musical, derrière des barrières métalliques :  Vladimir Tuma, le plus âgé de la bande, né en 1942, ancien ouvrier et figurant à l’Opéra, chante en tchèque, ironique : « Je suis perdu mais c’est le plus joyeux des mondes. » enjoignant le public à reprendre le refrain en chœur : «Tralala… » Le jeune musicien Wen Luyuan, le rejoint avec des riff de guitare électrique endiablés.

Puis, sous des lumières changeantes, chacun des interprètes y va de ses souvenirs, en une succession de petits monologues. Des histoires pleines de détails personnels croisent des grands événements politiques. Les langues tchèques et chinoise s’entremêlent, donnant une dimension planétaire à ces vécus anecdotiques qui se répondent, sans vraiment se ressembler. La scénographie et les lumières accompagnent ces récits : on déplace des cartons où se cache parfois une danseuse et ils finissent par être empilés en une tour éphémère. Une petite estrade est avancée pour les parties chantées. Deux barrières métalliques s’ouvrent ou se ferment: tantôt grille de prison, tantôt frontière ou barrage policier…Jolies images.

Sont ainsi évoqués le Printemps de Prague puis son invasion par les chars russes, le soulèvement et la répression de la place Tien’Anmen. Une jeune danseuse parle de son homosexualité: une honte dans l’Empire du milieu. Une autre, de la famine qui sévit à sa naissance, les privations expliquant sa petite taille… Mais il n’y a pas de pathos dans tous ces récits et tout finit par un joyeux déchaînement, dans un rock and roll libératoire. Un des (trop) rares moments où les corps prennent le relais.

Ceux qui sont venus voir de la danse seront déçus car une vague gestuelle accompagne les paroles des uns et des autres : les metteuses en scène ne se sont pas focalisées sur le mouvement à tout prix, privilégiant des postures subtiles. La théâtralité se cherche, en pointillé avec une manipulation astucieuse du décor qui anime la scène et des effets d’éclairage qui créent de belles images-fantômes, et d’autres interactions lumineuses inventives.

Les textes assez peu travaillés traînent parfois en longueur mais la sincérité l’emporte. Il est toujours bon de se rappeler la révolte de la place Tien’ Anmen ou l’arrivée du communisme en Tchécoslovaquie, et bien d’autres dates marquantes telles que les ont vécues, “en vrai“, les gens de ce touchant et sympathique spectacle.

Mireille Davidovici

Les 17,18, 20, 21 et 23 juillet, Salle Benoît XII, rue des Teinturiers, Avignon.

Du 5 au 9 novembre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Paris; les  20 et 21 novembre, Théâtre des Louvrais-Scène nationale, Pontoise (Val- d’Oise)

Rage chorégraphie de TSAI Po-Cheng

Festival d’Avignon

 Rage, chorégraphie de Tsai Po-Cheng

©Ren Huar Liu.

©Ren Huar Liu.

Nous avions déjà apprécié Floating Flowers de ce chorégraphe taïwanais au festival d’Avignon 2016 (voir Le Théâtre du blog). Nous le retrouvons avec une pièce tout aussi esthétique, mais beaucoup plus engagée et radicale. Directeur artistique de B. Dance, une troupe de jeunes danseurs de grande qualité, il présente ses chorégraphies dans le monde entier.

 Rage est inspirée du roman du Japonais Shūichi Yoshida adapté au cinéma par Lee Sang-Il et des attentats que la France a connus en même temps, que Taïwan… Une danseuse gît au sol à l’avant-scène, dans un rayon de lumière. Peu à peu, elle s’éveille, traversé de mouvements étranges  et son regard laisse apparaître clairement une souffrance. Ses partenaires vont la rejoindre, sans pour autant arriver à la rassurer. Chaque interprète évalue sa solitude dans son propre langage. Parfois, ces trois hommes et ces quatre femmes se retrouvent ensemble, formant une chaîne humaine, criant sans bruit leur rage et leur douleur. On pense au travail choral de Crystal Pite.

Au drame exprimé par le groupe, succède celui, personnel, de la danseuse, rejetée puis violentée par son partenaire. Duos de femmes et d’hommes, alternent, tous très beaux. Des mouvements saccadés traduisent leurs émotions intérieures et les gestes sont sensuels et parfois d’une grande violence : étranglement, corps agressé par les mains jointes du partenaire.

Tsai Po-Cheng admire Wayne Mc Gregor et Hofesh Shechter : cela se lit dans cette pièce de quarante minutes. Au fil de ses créations, le Taïwanais trouve peu à peu un langage chorégraphique personnel. Un seul pas à franchir pour cette compagnie avant de rejoindre la Cour des grands. Rage mérite d’être vu par un vaste public: allez découvrir ce spectacle, vous ne serez pas déçus…

Jean Couturier

Hivernales-C.D.C.N.d’Avignon, 18 rue Guillaume Avignon. T. : 04 90 82 33 12, jusqu’au 20 juillet à 12 h 15.

 

Révolte – Revolt, she said, revolt again, de Alice Birch, mise en scène et scénographie de Sophie Langevin.

 

Révolte – Revolt, she said, revolt again, d’Alice Birch, traduction de Sarah Vermande, mise en scène de Sophie Langevin.

Crédit photo : Boshua.

Crédit photo : Boshua.

 Ce manifeste féministe de désobéissance civile, fait écho aussi au texte de Valérie Solanas SCUM, Manifesto : même révolte furieuse, sarcastique et drôle, contre l’oppression symbolique et réelle du genre féminin – corps et statut.

 Une incitation à réévaluer nos rapports privés, professionnels et politiques entre hommes et femmes, dans une société exactement contemporaine du XXI ème siècle.

 La jeune dramaturge britannique explore sans relâche les façons dont le langage, l’attitude et les comportements ont défini radicalement et réduit les rôles des sexes à des confinements obligés, prétendument naturels, mais en fait commandés.Les signes extérieurs qu’on croyait implicites mais qui restent manifestes et faussement intuitifs, sont d’autant plus révélateurs du pouvoir arrogant -et forcément illicite- des hommes sur les femmes dans une société organisée. Ici, sont des données qu’on croyait acquises à tort : rôles, sexualité, corps et modes de fonctionnement.

 Manifeste de rébellion et d’opposition assumées, ce texte ne doit pas être  sage selon l’adjectif qualificatif consacré, qui caractérise le comportement féminin global et auquel on pourrait tout autant substituer celui d’opprimée.Dans le monde professionnel, qui pourrait concerner de même la vie de couple, l’employée dit à l’employeur : «Je ne veux plus faire ça. Je ne veux plus cuisiner pendant des heures. Je ne veux plus inviter des gens à dîner parce que je veux dormir plus et je veux promener plus souvent mes chiens dans les bois. »

 L’homme lui répond, étonné, qu’on a installé des distributeurs dans les couloirs, et qu’on est en train de construire une salle de sports au sous-sol. La femme lui répond que ces beaux aménagements ne correspondent pas à ce qu’elle désire réellement.Et le patron, généreux, insiste, tentant de mieux cerner ses requêtes. Attend-elle un enfant ? Veut-elle accéder à une formation ou bien encore aller plus loin dans ses études ? Pense-t-elle à sa carrière avant tout ? Est-elle enceinte ? « Les femmes veulent ça, tu as le droit », ajoute l’homme, adepte des distinguos.

 Autre situation : un couple sort d’un dîner entre amis et l’homme avoue à sa femme qu’il n’a cessé de la désirer tout le long de la soirée. Elle, choquée, ne comprend pas : «  Comment as-tu pu ainsi jouer double jeu, alors que nous étions tous pendus à tes propos sincères sur la situation désastreuse des réfugiés ?Vêtus de blanc -tenue anti-amiante, panoplie de cosmonaute ou uniforme infirmier – les comédiens évoluent sur la scène comme s’ils étaient sur une table de dissection, placés, tels des insectes accrochés sur un plan de laboratoire.

Agnès Guignard, Denis Jousselin, Francesco Mormino et Leila Schaus jouent l’homme et la femme: soit autant de probabilités de couples qui alternent régulièrement, selon les tableaux. Quand l’un est sur le plateau, l’autre observe assis, à vue en coulisses. Les comédiens sont investis d’une mission à la fois morale et artistique – celle de donner à voir les comportements caricaturaux et grotesques des uns et des autres -, sont engagés sur la scène, comme le feraient des militants organisés, sûrs du matériau de leur démonstration et des témoignages accordés.

 Un spectacle dynamique, enlevé et rafraîchissant.

 Véronique Hotte

 La Caserne, 116 rue de la Carreterie à Avignon. T. : 04 90 39 57 63, jusqu’au 22 juillet à 13 h 15.

Joie, conception, texte et jeu de Anna Bouguereau, mise en scène de Jean-Baptiste Tur.

Crédit photo : Karim

Crédit photo : Karim

 Joie, conception, texte et jeu d’ Anna Bouguereau, mise en scène de Jean-Baptiste Tur

 On a tous, hélas et heureusement, des souvenirs d’enterrement de proches… Ces disparus, alors bien vivants et éloignés de perspectives les plus sombres, nous hantent à jamais.

Des images fiévreuses de conversations infinies, auréolées de silences paisibles. Un paysage de paix en effet, une sérénité existentielle où les conflits ne semblent pas avoir leur place, sauf quand surgit la mort. Anna Bouguereau, l’auteure et interprète, a voulu évoquer les états d’âme et sentiments de ceux qui restent, quand les êtres chers les  quittent.

 Une manière bien personnelle de lutter contre une société où la peur de la mort a remplacé le bonheur tangible et sensible d’exister. Pour Anne Bouguereau, combattre la mort, c’est déjà la regarder en face, puis apprendre à vivre après. La faille viendrait de de nos sociétés industrialisées, vidées de leur sens, de leurs rêves et croyances. Mais il y a aussi l’absence de vrais rites mortuaires consentis, au profit d’une fuite en avant  et sans se retourner sur son passé et sur soi.

Respecter la mort, quand on en parle librement et non de façon honteuse, sans la masquer, revient alors à faire l’éloge de la vie. Et paradoxalement, se sentir exister dans l’œil de la tempête des événements tragiques qui jalonnent notre présence au monde. La locutrice assiste donc aux obsèques de sa tante Catherine qu’elle aime toujours en nièce affectueuse, reconnaissant sa belle capacité humaine. «Jean-Michel a fait un discours, Jean-Michel, c’est le mari de ma tante Catherine et c’était déchirant parce qu’il pleurait pas du tout. Il était digne. C’est nul comme mot, mais c’est ça, il était digne, ça m’a donné envie d’être digne… Et il avait toujours un petit sourire intérieur derrière ses mots, l’air de dire, oui, c’est terrible, mais non, c’est pas triste, c’est beau, je vous regarde, vous êtes tous là, vous êtes vivants. »

 Celle qui s’exprime, un peu coincée au départ, comme bridée par la situation pathétique quand on met le cercueil en terre, se laisse aller peu à peu à l’évocation des rêves enfouis qui l’habitent: le désir d’aimer et d’être aimée, le souvenir d’une chanson écoutée, du premier slow dansé avec un garçon qu’elle avait elle-même sollicité. Son cousin pour lequel elle éprouve un attachement peu avouable, la reconduira en voiture à la gare mais elle ne lui en dira jamais davantage, consciente de sa folie. Au-delà d’un fort sentiment de solitude, elle prend progressivement conscience de cette vie pleine qui l’envahit malgré elle et avec joie.

Anna Bouguereau  est là, sur un plateau envahi d’ombre que, seule, éclaire une longue table lumineuse à nappe blanche avec de multiples bouquets de fleurs colorées. Métaphore d’une convivialité festive déjà vécue et à revivre encore, métaphore de la tombe au cimetière, de l’habitacle fermé de la voiture du cousin mais aussi de son bureau où elle écrit une lettre au mari de la défunte. La jeune femme éplorée lutte contre sa peine et sa tristesse intérieure, signifiant en échange les désirs qui l’assaillent et qui la font tenir debout, radieuse de vie et sourire aux lèvres, quand elle s’adresse au public proche d’elle…

 Véronique Hotte

Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Sain, Avignon, T. : 04 90 82 39 06, jusqu’au 24 juillet à 16 h 40.

 

Vilain !, conception, écriture et mise en scène de Alexis Armengol

Vilain! conception, écriture et mise en scène d’Alexis Armengol (spectacle tout public à partir de neuf ans)

©Florian Jarrigeon

©Florian Jarrigeon

Zoé est orpheline, abandonnée de tous, et Le vilain petit Canard, ce conte d’Andersen si prisé des enfants,  semble lui plaire. Aussi s’y jette-t-elle et s’associe  à la destinée houleuse du caneton si controversé. Zoé se sent aspirée par une bourrasque. La lecture de l’ouvrage de Boris Cyrulnik consacré à la résilience donne le ton. La fille marche, tourne, erre, tergiverse, isolée et esseulée, citoyenne volontaire en pleine terre de solitude et surdité revendiquée.

Nelly Pulicani  performeuse hors-pair, déclame, vocifère, argumente auprès du public qu’elle regarde droit dans les yeux. Dansant, courant en rond sur le plateau, sans se lasser.

Toujours d’attaque, toujours partante, enfant turbulente et attachante qu’on peine à cadrer et à lui faire accepter codes et règles, elle impulse ici une vigueur et une énergie rares,  Au cours de cette épopée personnelle, elle fait une halte dans une cabane en forêt ou une tente de Z.A.D.,  un squat à vocation politique, antre d’un musicien qui sait raison garder et qui propose un refuge à la belle égarée. Cet ami va jusqu’à préparer des goûters d’anniversaire pour celle qu’on n’a jamais fêtée, ignorante des us et coutumes des petits bourgeois ou bobos de nos temps.

Dans le rôle de l’artiste, conscient de sa mission pédagogique et citoyenne, Romain Tiriakian est excellent. Musicien talentueux, compositeur de chansons mais aussi  comédien accompli, il a ici une belle sérénité. A partir de ce hasard heureux, Zoé est invitée à grandir et à ne pas s’appesantir outre-mesure dans l’abri de ce nouvel et véritable ami Apte à renaître, elle le sait, le sent, se bat encore et se retrouvera elle-même avec sa voix, et dans sa voie…

La métamorphose de l’enfant à renaître s’accomplit à travers la rencontre des êtres et des arts. Shih Han Shaw réalise des dessins avec ses doigts de fée et il y a aussi des bribes d’un film d’animation réalisé avec Félix Blondel. La soi-disant laideur du canard n’était que la beauté non encore éclose du cygne. Les moqueries se trompaient de cible; pas l’exclusion mais la reconnaissance. Rebondir et se réinventer, l’enjeu artistique et philosophique est tendu. Tapissant le plateau, des lais de papier que l’interprète froisse, déchire et réutilisera, transformant sans fin l’accessoire en possibilités multiples. Cassures, heurts… Des dissonances finalement harmonieuses : les chuchotis et sifflements de Romain Tiriakian et Camille Trophème éveillent chez le public une jolie attention.

Un spectacle-performance, une prouesse tient aussi à son cadrage.

Véronique Hotte

Le 11. Gilgamesh-Belleville, 11 boulevard Raspail, Avignon. T. : 04 90 89 82 63, jusqu’au 23 juillet à 10 h 15, (relâche, le 17 juillet)

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