Livres et revues: La Récolte N° I /Revue des comités de lecture de théâtre

 

Livres et revues:

La Récolte N° I / Revue des comités de lecture de théâtre

« Nos comités lisent du théâtre toute l’année. Plusieurs centaines de textes par an. Des bouillonnements. Des langues. Des poétiques nouvelles. » (…) « Nous voulons partager avec vous aujourd’hui nos appétits de lectures. » Ainsi les collectifs  A mots découverts,  Jeunes Textes en liberté, le Tarmac, Le Panta Théâtre, Le Théâtre de la Tête Noire, Le Théâtre de l’Ephémère et Troisième Bureau se sont réunis pour mettre en lumière un travail resté dans l’ombre mais pourtant essentiel à la circulation des écritures nouvelles.

 Découvreurs de pépites qui feront la scène de demain, ces collectifs fondent une revue annuelle pour présenter leurs choix communs : huit pièces inédites sous forme de larges extraits, assorties d’articles critiques et d’entretiens avec les auteurs. Ils ont invité cette année le Bureau de lecture de France-Culture à les rejoindre. Le premier numéro, illustré à bon escient par des artistes, fait la part belle aux autrices, la plupart issues de la diversité ou de la francophonie. Un pur hasard, selon Simon Grangeat, le rédacteur en chef. On n’y trouve qu’une signature masculine: François Hien  qui a écrit La Crèche, une pièce inspirée par l’affaire de la crèche Babilou.

La Québécoise Suzie Bastien aime l’idée d’une guérilla poétique de filles sur scène », dit-elle. Sucré Seize( huit filles) comporte ainsi huit monologues de dix minutes, chacun dans une langue particulière, alternant paroles crues et confidences plus réflexives, traçant un portrait composite de l’adolescente nord-américaine d’aujourd’hui. «J’ai maintenant envie de refaire le même chemin mais cette fois avec huit vieilles femmes » dit Suzie Bastien, dans un entretien où elle brosse au passage un panorama de la dramaturgie de son pays.

On retrouve avec plaisir l’écriture de Marie Dilasser dont nous avons aimé Blanche Neige, l’histoire d’un prince, mis en scène par Michel Raskine, au dernier festival d’Avignon … Dans cet inédit prometteur Montag(n)es, il y a des personnages insolites, coincés dans un pays « farci de collines », une Bretagne d’ardoises et de pierres. Un café-épicerie, des massifs  d’hortensias et, au-delà, des bois : « Je localise chaque figure dans un endroit précis de ce paysage. Je les isole pour faire émerger leur parole (…) Et puis je les accompagne dans leurs rencontre avec les autres ». Un texte étrange, des êtres âpres, à l’identité trouble, une poésie bousculée du quotidien, des images fortes composées dans une succession de tableaux … `

Venue du Havre, Eva Doumbia à Marseille où elle vit, côtoie un monde métissé, qu’elle fait vivre dans Le Jench : une plongée au cœur d’une famille africaine. Un texte politique où la jeune Ramata refuse que le silence couvre l’assassinat de son frère, tué par la police. Déconstruite en flash-back, la pièce saisit les ramifications profondes du drame et les échecs de l’intégration. « Je voulais que les jeunes gens qui me ressemblent ,puissent aller au théâtre et s’identifier à mes personnages. Témoigner peut-être. » De par ses racines paternelles africaines, Eva Doumbia réussit à trouver les mots justes et contourne habilement le naturalisme. 

Sortant de le section :écriture à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre à Lyon, Marilyn Mattei a appris la rigueur d’une dramaturgie correspondant à son propre style : « Mon écriture des dialogues s’est modifiée et j’essaye maintenant une partition très précise… » C’est le cas  avec  Et après ? deuxième volet d’un triptyque sur la radicalisation des jeunes (après L’Ennemi intérieur sur le terrorisme religieux). C’est l’histoire d’un “revenant“ (ceux qui reviennent de l’État islamique) confronté à sa famille à sa  sortie de prison.  Un attentat vient d’avoir lieu. Les parents veulent savoir, le doute et la peur planent. Style abrupt, propos laconiques : difficile de communiquer quand les mots manquent…  La mère : « Je comprends pas ce que tu dis.  Le père : « Dans quelle putain de langue, tu parles.» Un texte radical et économe pour traiter de la radicalisation…

71* ans de fragments d’Hannah Khalil fait exception dans cette moisson car l’autrice irlando- palestinienne écrit en anglais. Ronan Mancec a traduit cette œuvre éclatée qui retrace des destins croisés d’hommes, femmes et enfants palestiniens sous l’occupation israélienne entre 1948, (l’année de la création de l’État d’Israël en Palestine alors sous mandat britannique) jusqu’à aujourd’hui. Un kaléidoscope construit autour de quelques personnages récurrents et une multiplicité de situations cocasses sur fond de pays déchiré, de familles séparées… L’autrice, née au Royaume-Uni de mère irlandaise et de père cisjordanien, s’est inspirée des récits familiaux, de documents filmés et témoignages israéliens et palestiniens. La scène d’ouverture trouve sa source dans une vidéo insoutenable où des soldats de Tsahal pénètrent dans une maison en pleine nuit… Ces fragments présentent des figures palestiniennes et israéliennes et, par jeu de miroir, montrent une réalité composite, loin des images médiatiques habituelles.

Accompagnant extraits et entretiens, des articles généraux et analyses ouvrent sur les problématiques et le paysage théâtraux d’aujourd’hui… L’anthropologue Michel Agier, dans Méditerranée ce qui arrive, souligne l’urgence de dire «cette autre part de l’humanité qui prend le risque de mourir en entrant dans les flux de la migration internationale». Il s’interroge sur comment on peut rendre compte de ce «dérèglement anthropologique global». Question posée par les nombreux spectacles tire-larmes que nous voyons, dictés par une bien-pensance peu efficace en termes dramaturgiques : « Il existe de la fascination donc, et d’autres sentiments, de la peur et de la compassion (…) qui empêchent de comprendre au-delà de la représentation, le spectacle de cet autre laissé sur les bords de route. »

La Mer est ma nation d’Hala Moughanie répond parfaitement à la question posée par Michel Agier, en montrant comment des frontières visibles ou invisibles se dressent entre les individus . Un homme et une femme vivent dans une ville que les déchets ont envahie. Deux fugitives sur la route de l’exil ne seront pas les bienvenues: elles menacent en effet leur espace vital… Les personnages portent en eux une humanité complexe qui nous font vivre de l’intérieur leurs contradictions, leur peur et leur déshérence…

 « La guerre et l’exil font partie de mon bagage génétique », dit l’autrice libanaise. Maintenant, elle souhaite, dit-elle, «se coltiner avec d’autres vécus ». Sa dernière pièce, Memento Mori , lue cet été à Avignon dans le cadre de Ça va ça va le monde !, un cycle de lecture de Radio France internationale, répond formellement à une commande : travailler sur pourquoi l’Occident s’est donné la légitimité d’exploiter toutes les ressources naturelles et humaines. »  Quelque part en Afrique, un étranger vient acheter un terrain pour une firme internationale qui entend faire fortune en implantant une rizière. Une femme l’accueille et l’entraîne dans un monde qu’il ignore et dont il ressortira transformé, après un douloureux parcours initiatique. Cette fable tellurique a été créée en partie sous le titre Fissures, en 2018 au festival de Limoges (voir le Théâtre du Blog ).

Hala Moughanie a obtenu le prix R.F.I. 2015   pour Tais-toi et creuse  (voir Le Théâtre du blog) et a reçu l’aide à la création d’Artcena pour La Mer est ma nation. Cette lecture de Memento Mori a reçu un accueil chaleureux de l’auditoire. Mais ses pièces ne sont toujours pas publiées ! Comme la plupart des textes présentés dans cette revue, elles le mériteraient. Espérons que cette première Récolte porte ses fruits et permette à tous ces textes de trouver leurs lecteurs et leur public. Et qu’on les voit bientôt édités et montés.

Mireille Davidovici

Lancement de la revue le 17 juillet, à la Maison Jean Vilar en Avignon.

Rencontre le 25 novembre  à Artcena, 68 rue de la Folie Méricourt, Paris (XI ème) T. 01 55 28 10 10

 La Récolte, Editions Passage(s) 14 allée du Père Jamet, Caen (Calvados) editionspassages@gmail.com T. 06 58 29 36 80 

revue.larecolte@gmail.com

Archive pour août, 2019

Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

©Victor Tonelli

©Victor Tonelli

 

Festival de Villerville

Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

 

« J’ai vingt-huit ans, et j’ai envie d’incarner cette versatilité que je vois chez des personnes qui en ont au moins cinquante de plus. » Déjà enfant, l’auteure-comédienne, était fascinée par les personnes âgées. Pour Asja Nadjar, elles ont en elles une théâtralité hors pair : « Petite, j’avais l’impression, que les vieux jouaient à être vieux, qu’ils portaient des masques. » 

Ce désir artistique, prend forme cette année au festival de Villerville. Sur la scène, telle une grande boite noire, une chaise renversée au pied d’une bibliothèque toute en hauteur identique à une colonne ou un piedestale. À son sommet est posé le buste de Frantz,un personnage testamentaire, défunt mari de Anouk âgée de cent douze ans et bien vivante. Autre élément, un sac de femme, blanc, posé par terre. Dans le silence le plus total, une atmosphère sombre règne dans le salon, tout semble s’être immobilisé d’un coup. On aperçoit un corps courbé à même le sol. Il s’est passé quelque chose…. Mais c’est mal connaître Anouk ! Et ce n’est pas cette stupide chute, en époussetant, comme chaque jour, le buste en pierre de son mari qui pourrait mettre fin à sa rage de vivre, malgré son âge canonique ! Doucement en prenant la parole, elle se redresse. Et la traversée au pays du grand âge commence ! C’est fou tout ce qui s’y passe ! La solitude, les fantômes… La vie derrière soi est loin de vous laisser tranquille et pour Anouk c’est une aubaine à surtout à saisir à bras ouverts et à mettre en scène ! Asja Nadjar réussit cela admirablement, tant son corps, et les variations de sa voix nous fascinent et nous laisse petit à petit entrer dans cet univers extravagant et si mal perçu, pour ne pas dire méprisé en notre quotidien.

Pendant cinquante minutes, elle va nous emmener en voyage. Un périple existentiel, plein de surprises et de plus en plus étrange, proche du fantastique. La poussière, le magasin d’alimentation « Vival », un gros coquillage, un poisson,  la mer, le sac contenant des bijoux… tous ces éléments vont progressivement quitter leur fonction  quotidienne pour se transfigurer en images dramatiques. Ainsi, le coquillage devient un téléphone et au bout du fil, le poisson donne rendez-vous à Anouk !  Le passage de la fin, la rencontre d’Anouk avec ce poisson insolite, et l’instant où Anouk range tous les objets du décor, et les regroupe en fond de scène,  sont de toute beauté. Progressivement, avant le bout du voyage, le lieu clos et noir laisse place à atmosphère aquatique. Et emporte notre esprit et   imaginaire ailleurs, hors temps… Est-ce l’approche de la mort ou  un retour aux origines ? Au fil des paroles, habitées par le dionysiaque, tout se mélange. Et la dimension poétique prend alors le pas sur la vie ordinaire. Soudain, on entend comme venue des lointains une chanson en allemand de Kurt Weill. Un des seuls moments musicaux mais l’émotion est là. Le public reste fasciné par Anouk et en oublie la vieillesse, subjugué par ses cent-douze ans ! Ce personnage déstabilisant, lui communique pourtant folie joyeuse, bonheur, mais aussi malaise. Des propos parfois cruels, parfois plus doux, étonnants de malice et de lucidité, se succèdent et surgissent comme à la volée !

Et si l’écriture et les situations de temps à autre peuvent paraître décousues, et entraînent des ruptures brusques, dans la structure du texte, Il y a une prouesse de perception poétique face à ce monde des « Vieux », si singulier et proche de celui de l’enfance.

Il y a dans ce spectacle une intelligence du regard sur la personne âgée, saisissante de sensibilité et de justesse. Le ridicule et le dégoût n’ont ici aucune place et on entre dans un univers où le sentiment de liberté prend place, coûte que coûte, avec insolence.

Il est curieux et merveilleux parfois, hélas pas toujours, de voir comment certaines personnes âgées, n’ont plus le souci du regard des autres, mais gardent le désir de vivre les sensations qui les traversent, et qui leur semblent vitales.  Ce qui est si justement mis en évidence dans cette création. Cette liberté d’être, de jouer la vie, plus exactement de la rejouer. Un peu à l’image des peintures de la dernière période de l’artiste Cy Twombly avant sa mort en 2011 et exposées, à la Fondation Lambert à Avignon en 2007 avec  Blooming, A Scattering of Blossoms and other Things… Véritable parade de fleurs multicolores éblouissantes. Mais exceptionnel surtout, chez ce peintre âgé, c’est précisément ce rapport existentiel et poétique à la liberté. En regardant ses toiles, le visiteur-spectateur semble voir la main du peintre et son pinceau en mouvement, entrain de faire danser les fleurs sur la toile, reflétant la joie de vivre sans plus aucune retenue et règles esthétiques, mais en toute grâce et liberté. C’est peut-être une manifestation de la sagesse ! Et c’est aussi ce que nous raconte Anouk, avec cette singularité :  la fabula, est ici écrite, jouée et mise en scène par deux jeunes artistes. On dit souvent que le monde de l’enfance et celui de la vieillesse partagent certains comportements et sentiments profonds face à la réalité.  

Pièce subtile sur le grand âge où ici le temps ne passe plus mais se mélange, se rattrape grâce au geste brillant et dramatique d’ Asja Nadjar, et de Claire-Marie Daveau. 

Pari théâtral gagné et une belle audace ! Surtout lorsqu’il s’agit d’écrire,  de mettre en scène et de jouer un personnage qui a plus du  double d’ années que soi-même.

 Elisabeth Naud

Festival de Villerville, du 29 au 1er septembre. T. : 02 31 87 77 76.  

Tournée 2019 / 2020

À Paris, unique représentation en septembre dans le cadre d’une carte blanche à Jean Joudé / compagnie Le Pari des Bestioles au Théâtre de l’Opprimé

Adieu Michel Aumont

Adieu Michel Aumont

 MICHEL_AUMONT_SEE-1200x675Il avait quatre-vingt deux ans. Sociétaire honoraire de la Comédie-Française, il avait joué de façon remarquable vingt ans Harpagon. Mais aussi Arnolphe de L’Ecole des femmes avec Isabelle Adjani mise en scène apr Jean-Paul Roussillon, Cyrano de Bergerac, Le Songe de Strindberg, et Le Roi Lear il y a quatre ans au théâtre de la Madeleine. Il adapta aussi pour la télévision L’Avare,  George Dandin et Le Médecin malgré lui. Il avait ce n’est pas si fréquent une palette de rôles impressionnante et joua avec les plus grands metteurs en scène : Roger Blin, , Antoine Vitez, Claude Régy, Jean-Pierre Vincent, Jorge Lavelli et Richard III dans la mise en scène par Terry Hands au festival d’Avignon.

Le  grand public connaissait sans doute davantage cet acteur très discret, par ses nombreux  rôles au cinéma, comme entre autres dans Un dimanche à la campagne de Bertrand Tavernier et dans Courage fuyons d’Yves Robert, ce qui lui avait valu des Césars. Mais on l’avait aussi vu comme personnage secondaire chez Claude Chabrol, Claude Lelouch, Bertrand Tavernier, Jean-Jacques Annaud,  Francis Veber…

Il avait au  théâtre comme au cinéma une élégance, un phrasé, une gourmandise du texte et comme une certaine distance qui avait fait de lui un comédien exceptionnel. 

Philippe du Vignal

 

Un festival à Villerville Théâtre, Performances, sixième édition

Un festival à Villerville théâtre, performances, sixième édition

 

©Victor Tonelli

©Victor Tonelli

Le théâtre est de retour à Villerville, charmant petit village normand en bord de mer. Avec  quatre jours de pièces et de performances contemporaines. Alain Desnot, son fondateur, veut « offrir aux compagnies un espace de création et de recherche. Dans ce lieu calme et ouvert sur la mer, on donne l’occasion au public de découvrir in situ, des propositions théâtrales, en collaboration avec les habitants. »  Crées in situ, encore en chantier mais suffisamment maîtrisées, dans un lieu a-théâtral: garage, école, château, plage, ancien casino… Avec une contrainte de temps stricte: c’est toute l’’originalité et l’exigence de ce festival.

Pendant quinze jours ou trois semaines avant, les metteurs en scène s’installent en effet pour monter un spectacle : « Nous travaillons en partenariat avec le Jeune Théâtre National. Donc avec de jeunes artistes  dont c’est parfois la première expérience et avec d’autres déjà confirmés, précise Alain Desnot, passionné de théâtre et soucieux de la transmission. C’est dans cet esprit qu’il passera l’an prochain le flambeau à Matéo Cichacki, un metteur en scène de vingt-deux ans dont on avait pu apprécier ici l’an passé Langue-Fourche de Mario Batista ( voir Le Théâtre du Blog) Il revient cette année avec Je suis le vent de Jon Fosse.

Grâce à ces six années fructueuses d’échanges et découvertes, cette manifestation poétique et artistique de haute qualité, est devenu un rendez-vous de plus en plus attendu par les habitants et les amoureux du théâtre, professionnels ou non. Et avec humilité, Alain Desnot, évoque la création de ce festival en 2013: « C’est un outil. Tout simplement. » Sans doute ! Mais qui a demandé beaucoup d’efforts et de ténacité pour voir le jour. Son attachement au théâtre d’art et ses rencontres capitales avec Michel Guy, ministre de la Culture sous  Valéry Giscard d’Estaing et créateur du Festival d’automne et Alain Crombecque, directeur du festival d’Avignon, tous les deux décédés, en sont à l’origine : « Avec Un Festival à Villerville, je rends ce que j’ai appris auprès de ces grands hommes de théâtre et de culture. »

Pour sa dernière édition, il a tenu en toute élégance à rendre hommage sous  forme de florilège, à ceux qui se sont risqués à partager cette nouvelle aventure, généreuse et osée, construite avec finesse.  Et  toujours avec ce souhait, essentiel à ses yeux: « Servir et faire émerger les jeunes compagnies, les comédiennes et comédiens connus et moins connus et autres artistes de la scène. » Encore une autre et jolie manière de transmettre ! Bravo et merci Alain Desnot et bon vent à Matéo Cichacki…

Elisabeth Naud

Un Festival à Villerville Théâtre, Performances, du 29 août au 1er septembre. T. : 02 31 87 77 76

La Mousson d’Eté à Pont-à-Mousson

La Mousson d’Eté à Pont-à-Mousson

(c) Eric Didym - couloir

(c) Eric Didym – couloir

Au cœur de la Lorraine, l’été est en pente douce et Michel Didym réunit depuis vingt-cinq ans la fine fleur des dramaturges, pour une salve réjouissante de découvertes. L’Abbaye des Prémontrés, centre culturel et monument historique du XVIII ème siècle, offre un écrin à la fois solennel et décontracté à sa joyeuse bande. On y rencontre, pendant une semaine, une jeune génération d’auteurs venus de plusieurs continents, avec leurs traducteurs. Ces univers, encore inédits pour la plupart, sont portés à la scène sous forme de lectures. Certaines s’approchent d’une mise en espace et d’autres offrent l’austérité d’une mise en voix devant pupitre.

La bande d’acteurs talentueux (certains présents depuis les premières éditions comme Catherine Matisse, Laurent Vacher, Charlie Nelson…), comprend une douzaine de recrues que l’on retrouve au gré des propositions. Ainsi réuni pour célébrer la vivacité des écritures de théâtre d’aujourd’hui, ce phalanstère animé par Michel Didym (qui signe aussi quelques directions de lecture) propose au public un programme chargé (quatre textes par jour !), heureusement conclu chaque soir par un cabaret ou un set de DJ qui permet de lâcher la bride…

Venu de toute la région, le public en redemande, malgré la touffeur qui règne dans les salles non climatisées : on doit rajouter des chaises et laisser s’asseoir sur les marches les plus obstinés des retardataires. Parfois déboule un groupe important, comme cent soixante jeunes de Sciences-Po/Nancy par exemple, et c’est alors toute une affaire de faire entrer tout le monde… Réunir plusieurs centaines de spectateurs, gratuitement certes mais dans la fidélité et la curiosité, n’est pas le moindre des talents de la Mousson d’Eté.

 C’est donc avec la plus vive curiosité que l’on s’installe quatre fois par jour devant l’espace vide d’un plateau. Les textes ont été choisis par le Comité de lecture et l’on devine, une fois le parcours terminé, qu’il y eut des coups de cœur, des arbitrages et parfois des surestimations. Mais il y a une grande qualité dans l’essentiel des propositions et les traductions (dont plusieurs établies en partenariat avec la Maison Antoine Vitez) ont fait l’objet d’un travail approfondi.

Venues d’Argentine (Laura Cordoba et Nacho Ciatti), des Etats-Unis (George Brant), d’Australie (Tom Holloway), d’Israël (Maya Arad-Yasur), ces nouvelles écritures, dénichées grâce au réseau déjà ancien de partenariats divers, ont apporté leurs particularités, au voisinage des textes européens. La Mousson d’Eté est l’une des deux structures françaises – l’autre étant Théâtre Ouvert à Paris – partenaires du dispositif Fabulamundi. Ce programme de coopération entre théâtres, festivals et instituts culturels de seize pays d’Europe est une plate-forme de soutien à la dramaturgie contemporaine et à ses auteurs. L’exploration assidue de Michel Didym des dramaturgies européennes a permis à La Mousson de trouver sa place au cœur de ce dispositif.

(c) Eric Didym

(c) Eric Didym

Etaient accueillis cette année, grâce à Fabulamundi : Ayse Bayramoglü (Turquie), Claudia Cedo (Espagne), Valentina Diana (Italie), Jacinto Lucas Pires (Portugal), Monica Isakstuen (Norvège) et Tyrfingur Tyrrfingsson (Islande). Et plusieurs auteurs français ont contribué à cette édition : Tristan Choisel, Faustine Noguès, Blandine Bonelli, Sylvain Levey. Dans cet éventail de pièces, se dégage la présence forte de thèmes liés à l’enfance, à la filiation, à la violence familiale (Fratrie de Valentina Diana, Regarde-moi quand je te parle de Monica Isaktusen, Comme une chienne sur un terrain vague de Claudia Cedo, Bleus de Tyrfingur Tyrfingsson, F.E.N.E.T.R.E. d’Ayse Bayamoglu)… Ce programme, très divers, laisse également place au comique baroque (Pologne de Nacho Ciatti), aux drames intimes (Ciel rouge. Matin de Tom Holloway), à la comédie loufoque (Coaching littéraire de Tristan Choisel) ou à l’autofiction (Gros de Sylvain Levey)…

Au fil de ces vingt propositions, se confirme la tendance d’un théâtre fondé sur la performance, plus que sur une histoire et dont le statut des personnages, libérés des contingences spatiales et même parfois émotionnelles, ne cesse d’être questionné. Le talent des directeurs de lecture est requis pour faire jaillir le meilleur car la confusion peut s’installer lorsque l’écriture s’égare dans des artifices formels pas tout à fait maîtrisés. Là se tient justement l’audace de l’entreprise : donner à entendre les œuvres de jeunes auteurs dont de nombreuses femmes – et c’est parfois leur première pièce – et les défendre toutes, avec générosité et talent.

Surprise parti (c) Eric Didym (1)

(c) Eric Didym

La Mousson d’Eté présentait aussi le travail annuel de son atelier amateur, sous la direction d’Eric Lehembre, toujours autour de la création théâtrale contemporaine. L’atelier 2019 intégrait exceptionnellement quatre jeunes migrants, mineurs isolés, que la fréquentation de la scène aidait dans l’apprentissage de la langue française.  L’action de Défaillances de Blandine Bonelli se situe justement dans un Service de Protection de l’Enfance, dont les professionnels aguerris, mais débordés par le nombre de personnes à suivre, par la difficulté de respecter la loi tout faisant œuvre d’humanité, explosent sous nos yeux en multiples découragements, cafouillages, etc.

Les jeunes migrants ont été accueillis chaleureusement par la troupe des amateurs lorrains et, mêlés à ces partenaires français, ils jouent… leur propre rôle et celui d’autres personnages. Ils ont ensuite suivi toute la programmation de la Mousson d’Eté, s’intéressant aux auteurs, aux rencontres, à la vie du théâtre en France. Malgré la discipline dont ils ont fait preuve dans ce travail d’intégration, leur situation administrative en France est tout à fait précaire. Adama Sampegbo, Passy Missa Priso, Franck Mba, Karim Camara attendent que l’Etat français les accueille aussi généreusement que l’ont fait  les Lorrains.

 Enfin, il faut mentionner l’Université d’Eté qui accueille chaque année entre soixante et quatre-vingts stagiaires, venus de France et de Belgique. Sous la direction pédagogique  de Jean-Pierre Ryngaert, l’équipe était complétée cette année par Joseph Danan, Nathalie Fillion, Davide Carnevalli et Pascale Henry. Les stagiaires logent sur place, travaillent tous les matins sur les dramaturgies présentées à La Mousson. Pendant une semaine, tels les résidents d’une nouvelle Abbaye de Thélème, ils associent l’étude, la controverse et la convivialité. Au fil du temps, certains sont devenus les relais de propagation des écritures contemporaines et ont forgé les outils pour en explorer les mécanismes.

Surprise parti (c) Eric Didym (4)Michel Didym aime à rappeler que sa compagnie, en 1995, s’est emparée d’une mission de développement de l’écriture théâtrale contemporaine en Lorraine, en créant La Mousson d’Eté, sans commande spécifique des pouvoirs publics. «L’impulsion doit venir des artistes, nous sommes capables de nous donner des missions de démocratie culturelle et  sans que des énarques nous en donnent l’ordre ». Aujourd’hui, la manifestation est reconnue et soutenue par les collectivités territoriales et la D.R.A.C. Les scènes de la région coopèrent, elles, avec du prêt de matériel.

 La Mousson d’Eté offre une visibilité professionnelle et une potentielle notoriété à de jeunes auteurs, confrontés à la mode des spectacles nés de divers matériaux. L’opportunité qui leur est offerte de se rassembler, de se découvrir mutuellement et de discuter sur les mouvements artistiques de chaque pays, en est d’autant plus précieuse. 

Pour conclure, un bel hommage a été rendu au dramaturge Aziz Chouaki, récemment décédé : sa langue incisive, son histoire passionnelle/dépassionnée avec l’Algérie, « le charme hybride et rebelle de sa prose», dit Anaïs Héluin, ont été mis en musique par Vassia Zagar pour la soirée d’ouverture.

« BEAUCOUP DE GENS ONT DU MAL AVEC MES TEXTES PARCE QU’ILS SONT BOURRES DE GROS MOTS MAIS MOI JE LES REVENDIQUE COMME UNE LANGUE ; CELLE DU DESIR ; CONTRE LA PURIFICATION ETHNIQUE ; JE REVENDIQUE UNE LANGUE IMPURE, SEXUEE, BATARDE, MELEE COMME LE CREOLE. »

 Salut Aziz !

Marie-Agnès Sevestre

La Mousson d’Eté a eu lieu à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) du 22 au 28 août.

Festival d’Aurillac ( suite et fin)

Festival d’Aurillac (suite et fin)

Hobobo de Patrick de Valette, de la compagnie des Chiche Capon, mise en scène d’Isabelle Nanty

38FBA300-CC4E-44A7-98B5-F5787330B47DIl entre en blouse blanche où est accrochée une décoration et il tire la langue. « J’arrive, d’où venons nous, où allons nous ? »  Il se présente: « Henri O’Taguet, professeur à Toulouse, je voudrais être votre regard sur le monde. » Il se lance dans un délire scientifique, se retrouve en jupon et culotte rouge : » Je retrouve l’homme de Cromagnon qui est en moi ! » Puis il s’empare des sacs de spectateurs, fouille dedans, prétend être  Napoléon, César, un grognard de l’Armée Rouge…

Puis il fait marcher au pas un spectateur qu’il manipule dans des bruits de bombe et dans la fumée. «Tout bagage laissé sans surveillance sera détruit et tout enfant, de même! » Il chevauche un spectateur, se fait caresser, danse les fesses à l’air, fait le poirier sur un tapis et invective les spectateurs : «Levez les bras, cherchez les chakras dans le public. Il se dandine devant une fille puis avance et s’allonge sur les bras tendus des spectateurs écroulés de rire qui lui font traverser la salle. Une performance rare qui ne recule devant aucun délire… On pourra voir Hobobo au Sentier des Halles à Paris à partir du 13 octobre.

Edith Rappoport

La Beauté du monde, témoignage du troisième type,  de Gildas Puget, par la compagnie Quality Street

BA463DAA-E796-4E08-AA1E-E03D70607C21En costume cravate bleue, il  apparaît en silence et nous tourne le dos; on l’applaudit : « Je suis ravi, j’ai une information très importante à vous communiquer sur l’apparition de la vie supergalactique : des organismes croissent, des civilisations se font depuis quinze millions d’années, l’univers depuis quinze milliards d’années. »

« Je vais commencer par vous parler de moi : Mickaël célibataire, je n’ai jamais noué de relation forte, toute mon aventure a commencé au guichet. Je vais sonner chez Béatrice, je n’ai pas de fleurs, tant pis, je sonne… » (…) « Je souhaite rencontrer au plus vite le Président de la République, l’écologie, tout le monde s’en fout. J’ai besoin d’un refuge, la secrétaire nous a expliqué que l’énergie nucléaire était très propre. J’ai dû prendre les commandes de la centrale, j’ai enclenché tous les boutons… » On se laisse aller avec plaisir dans ce délire verbal maîtrisé avec un aplomb surprenant par un personnage qui prétend sauver la Terre.
Il y a une tournée impressionnante d’une soixantaine de représentations qui doit s’achever le 13 décembre à Theix Noyalo (Morbihan).

E.R.

Poser les pieds sur un petit tapis de Philippe Dorin

14344071_10154460771523563_4971497788976104846_nUne femme en robe de chambre (Nadège Helluin) est assise près d’un vieux landau avec une pancarte : Attention fragile.  Elle en sort un petit tabouret, une bouteille et une tasse qu’elle essuie avec son jupon. Elle se verse de l’eau, mange des biscuits puis tend la main aux spectateurs qui se présentent : «Enchantée, comment tu t’appelles ? Elle sort une poupée du landau : « Je préfère ne pas me souvenir !» Puis elle manipule  d’autres  poupées au-dessus de son épaule qui lui sert de castelet : »La petite fille, elle est toute seule à la recherche d’un mot qui pourrait faire revenir quelqu’un à qui causer. Si au moins, j’avais un chat… »

Elle prend un tissu, y installe des personnages, un gros chien, la guerre. « Poser nos pieds sur un petit tapis, il ne faut plus y penser, quand il n’y a plus d’oiseaux, il n’y a plus d’air… ». Elle ramasse une marionnette indienne : « Le berger laisse ses moutons, il part en ville dîner avec une jolie pépée. Il s’est jeté de la montagne dans le ciel. C’est depuis ce jour-là, qu’il y a des étoiles. » « Un mot pour vivre, merci » et elle tend des papiers aux spectateurs qui  lui écrivent des messages.

Un spectacle énigmatique sur la folie d’une vieille femme et curieusement attachant.

E.R.

Entretien avec moi-même sur le festival d’Aurillac par Jacques Livchine

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Entretien avec moi-même sur le festival d’Aurillac par Jacques Livchine

- Vous avez dit que vous étiez en sur-dose et vous êtes pourtant revenu le cinquième  jour… Pourquoi?

-En fait, tout est déjà dans le bouquin de Pierre Prévost: Que personne ne meure. Il signe Pierprevo, c’est ridicule de signer comme ça. Pierre, il est Pierre et je ne fais que répéter ce qu’il dit. Cette année, un spectacle du In m’a détruit et cela m’est tragiquement nuisible quand c’est trop raté. Je me mets alors à ne plus croire du tout au théâtre. Cela me fâche, me démoralise et je m’interroge : suis-je aussi mauvais qu’eux ? Ici, les gens applaudissent et semblent contents. Alors, je me sens en dehors, je doute, je me mets en jachère et fais une pause dans mes sorties, le temps de me reconstituer.  Je suis revenu aujourd’hui samedi parce que j’accompagnais Edith Rappoport (voir ses articles dans Le Théâtre du Blog).

- Qu’est ce qui vous a le plus marqué cette année ?

- En fait, je ne suis quasiment jamais allé à Aurillac comme spectateur, sauf en 2003, l’année de la grève… Quand on joue, on est dans une autre dynamique et on n’a pas envie de traîner. Cette année, je découvrais quasiment le fait d’être un spectateur de théâtre de rue. Ce qui m’a vraiment marqué? L‘appétit et la passion du public qui envahit les aires de jeu plus d’une heure avant le début, dans un état de désir pas possible…
J’avais l’impression que, par exemple, dans la cour de l’école Tivoli, en attendant Chtou, que Johnny Hallyday allait entrer: le spectacle devait commencer à 14 h 50, il était 14 h 56 et la fébrilité montait. Il y avait environ huit cent personnes dont le tiers en plein soleil. Et on n’imagine pas les gens après la représentation avec des remerciements à n’en plus finir et des phrases du style : « J’ai eu des frissons, mes poils se levaient. » Et Chtou flegmatique disant  » Merci, merci. » Pour certains, c’est comme une idole vivante. Cela fait vingt-trois ans qu’il revient dans cette cour, alors, il est très connu.  Dans la cour des Alouettes, pareil pour Les Chiche Capon, un trio de clowns: Patrick de Valette, Frédéric Blin et Matthieu Pillard. Une heure d’attente en plein soleil et à la fin, des accolades jusqu’à  plus soif. Mais évidemment, les compagnies qui ne sont pas dans les cours, ont plus de problèmes et rament un peu.
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-Voyez- vous quelque chose de changé  depuis votre première année ici en 1986 ?

-Oui, on est passé de quelque  mille spectateurs à 120.000, de cinq lieux de spectacle  à cent quatorze, de dix compagnies dites invitées  à  sept cent! Mais la  vraie mutation profonde: on est passé du théâtre dans la rue, au théâtre dans les  cours. Tout  le festival ou presque s’y joue en effet et chacune est autogérée avec bar, cuisine… Les spectacles s’enchaînent de 11 h du matin à minuit. Pas de tickets, pas de réservations, pas de: « C’est complet,  il n’y a plus de place, repassez demain ». Soit on arrive assez tôt, soit on est derrière et donc on ne voit rien et on s’en va… Le  problème des sur- jauges n’existe pas et il y a une régulation naturelle des flux. C’est génial.

Je rêve qu’on applique la même règle pour l’accueil des migrants: tant qu’il y a de la place, ils entrent et un jour, quand tous les villages abandonnés de Lozère, de la Creuse, du Gers seront occupés, on n’aura pas besoin de les expulser, ils iront voir ailleurs… Ça fait un bout de temps que l’on vit dans l’illusion, le théâtre de rue de papa est bien mort… Et le théâtre du Globe de Shakespeare, c’était aussi dans une cour à ciel ouvert. Il reste bien quelques espèces de l’ancien temps… mais en voie de disparition.  Et dans dix ans, on abritera ces cours comme les aires de tennis à Roland Garros. C’est l’évolution. Et le cycle recommencera, avec des places payantes numérotées. Jusqu’à ce que des fous disent vers 2.070 : envahissons l’espace public, etc.

-Avez vous vu des spectacles exceptionnels ?

-Les paramètres ont changé. On est dans les solos ou dans de petites distributions. Longtemps, j’ai dit : le théâtre, à part Philippe Caubère, ce n’est pas des solos. Je suis obligé de réviser mes positions et il y en a de bons. Un spectacle exceptionnel, c’est tous les vingt ou  cinquante ans! Comme la plupart de ceux du T.N.P.  de Jean Vilar qui avait fait une  vraie révolution dans les années cinquante. Ou ceux de Pina Bausch, de Tadeusz Kantor découverts à Nancy, ou de Maurice Béjart à la Cour d’honneur à Avignon… Puis très fameux, Le Regard du Sourd de Bob Wilson au Théâtre de la Gaité-Lyrique et le fameux Orlando Furioso de Luca  Ronconi avec  ses chariots lancés parmi le public.
Pour le théâtre dit de rue, c’est Histoire de France par Le Royal de Luxe et Carabosse, je ne sais  même pas s’ils sont passés à Aurillac, puis les grues de Transexpress, Generik vapeur, Ilotopie, etc. Et notre Célébration de la guillotine, place de l’Hôtel de Ville à Aurillac, je le revendique: c’était énorme.

En 2019, nous sommes sur un faux plat et il n’y a plus d’actes poétiques radicaux extraordinaires. C’est du théâtre de survie: il faut entrer dans la boucle du marché: à moins de 2.000  € la représentation. Et les formats à 8.000 € ou plus, avec zéro recette derrière, il n’y a  plus que les idiots qui font ça et ils se prennent pour des  résistants!  Je ne vois rien de nouveau à l’horizon, sauf Burning Man, ce festival génial qui a lieu chaque année en août dans le désert de Black Rock, au Nevada, durant sept jours et avec plus de 50. 000 personnes. Règle d’or: on ne doit laisser aucune trace de ce festival fondé sur l’écologie et toutes les créations sont en partie faites avec des matériaux de récupération.

-Avez vous repéré une dominante cette année ?

- Oui, il y a une sensibilité et une réactivité incroyables au monde qui nous entoure. La Terre, notre planète, la naissance de la vie… Tout est sauvé par l’humour dans les spectacles que j’ai vus,  sauf  la fois où je suis sorti déprimé: cela aurait pu être un vrai meeting théâtral démontant vraiment le monde de  l’argent…

-Et le public ?

- Prévost en parle très bien. Rien à rajouter. Age moyen: trente ans, des familles et beaucoup de gens qui y vont en bande. Il y a aussi des badauds qui viennent boire un coup mais ils ne regardent pas les programmes et forment un cercle quand il se passe quelque chose sur leur  chemin. Et puis il a les chiens, toujours les chiens, bien sûr…

-Un mot à dire aux compagnies?

-Oui mais je l’ai déjà consigné dans mon livre: il y a toujours quelqu’un qui vient vous féliciter chaleureusement mais il faut plutôt s’intéresser à ceux qui partent sans dire un mot. Plaire au public est un objectif insuffisant; notre cote à nous autres: bien sûr être attractif. Mais il faut aussi que nos pairs et les pros nous apprécient. Et là, c’est très difficile…

-Y a t-il quelque chose qui vous  choque ?

- Oui, le système. Ceux qui sont payés, et ceux qui ne le sont pas, à qualité égale. Mais  comme le capitalisme, on est contre, mais quand on dit qu’il faut le remplacer par un éjaculat communiste, nous devenons très réticents… A la base de tout, il y a une envie de jouer, de se montrer: un problème de survie. Si pas un pro ne nous voit, ce ne sont pas des coups de téléphone aux structures qui vont déclencher quoi que ce soit. Du public pour le théâtre de rue, hors festival, il n’y en a quasiment pas. Les hypermarchés aspirent la clientèle et les rues des centres-ville sont désespérément vides. Mais jouer devant un Géant Casino, c’est l’échec assuré.
Alors on a les festivals de Chalon, Aurillac etc.  pour remplir le calendrier de l’année.  Mais c’est le marché aux bestiaux. Et je me demande même si nos meilleurs acheteurs potentiels, les Centres Nationaux des Arts de la rue, étaient présents? A mon avis, ils paient des repéreurs. Et puis j’ai  fait le calcul dix fois: il y a une création en France toutes les deux heures  (mes chiffres sont faux!). Mais dans le théâtre de rue, on dit qu’il y  a 2.000 compagnies qui voudraient bien faire chacune quarante dates. Soit 80.000 représentations à caser! Mais il n’y a que 400 lieux d’accueil: chacun, en achète  soixante par an soit au total: 24.000. Moralité: 56.000 représentations moisissent dans nos entrepôts de décors…

Pour montrer notre Nuit Unique, on a perdu 20.000 € au festival d’Avignon et pour ne  pas faire faillite,  nous avons diminué le salaire d’Hervée de Lafond et le mien, de 1.000 € par mois. (là, c’est un vrai chiffre).
Elle est géniale cette Nuit, oui, tout le monde nous le dit. Mais nous avons seulement six dates à venir dans notre calendrier! Le compteur est actuellement à vingt-sept représentations jouées…

-Que pensez vous des choix du In ?

-Un peu riquiqui… Il faudrait de l’international. J’avais vu à il y a quarante ans à Saint- Jean-de-Bray (Loiret)  un festival de rue avec des quatuors classiques en pleine  nature: désaltérant… Et côté arts plastiques  monumentaux, il y avait à Aurillac cette Baraque volante, mais on ne savait pas pas où elle était située!  Une  rue  couverte de parapluies multicolores dans le vieil Aurillac cette année,  c’est déjà un effort mais ça manque de visuel un peu partout. Frédéric Rémy, venez à Bâle (Suisse) le 31 décembre vus faire une idée, (voir Le Théâtre du Blog) … J’aime bien l’idée que l’on ne rompe pas avec l’autre monde du théâtre et qu’il y ait quelque chose au théâtre d’Aurillac ou au cinéma Le Cristal, cela ne me gêne pas. C’est aussi dire aux compagnies: on vous prend dans nos festivals, alors faites l’effort de diversifier vos programmations.  Le théâtre de rue, c’est, quand même et avant tout, du théâtre.

-Quelque chose à rajouter ?

-Trop tard! Mais j’ai trouvé un moyen d’entrer dans le festival sans être fouillé… Par la rue Caylus. Il fallait  juste pousser une tôle. Très agréable… La sécurité, on prend ça dans la gueule pour vingt ans mais le public en général ne bronche pas et est même satisfait de voir des plots en béton installés à l’entrée des rues principales d’Aurillac et des consignes pour les bagages, etc. Nous gens du théâtre de rue, nous devons savoir détourner les contraintes. Quand notre Théâtre de l’Unité joue Macbeth  dans une forêt profonde, personne ne vient m’emmerder sur la sécurité! Mais par ailleurs, la ville d’Aurillac qui a deux millions d’euros de retombées avec ce festival, est incapable de régler le problème des sanitaires qui sont d’une saleté repoussante (on confirme. C’est l’incompétence maximale! Quand le Pape vient parler dans une prairie à 100.000 personnes, il y a 5.000 sanitaires. Bref, moins de sécurité, plus de sanitaires !

-Jacques, vous nous emmerdez avec votre littérature, dites-nous plutôt ce que vous avez aimé, on peut savoir ?

-Non: je ne suis pas un spectateur normal ni un inspecteur. Je viens pour  trouver un élan supplémentaire, de nouvelles pistes, j’aime voler aux autres. Je veux être étonné et surpris et je peux apprécier un spectacle raté mais quand il m’ouvre l’appétit. Cette année, j’ai  surtout vu des spectacles de compagnies qui ont un peu mûri  dans notre Théâtre de l’Unité à Audincourt et je voulais  juste voir si on servait à quelque chose. J’ai noté que viennent chez nous, celles qui ont quelque chose à dire et cela s’est confirmé à Aurillac ( voir les articles d’Edith Rappoport, Philippe du Vignal et Joséphine Yvon sur le festival dans Le Théâtre du Blog).

-Et comme d’habitude, votre phrase de fin?

-Je ne suis pas toujours de mon avis. On l’aura remarqué, j’espère… Soixante-seize ans  de vie, soixante-dix créations et cinquante-et-un ans de théâtre. L’Unité,  c’est toujours autre chose…

Jacques Livchine, metteur en songe.

 

Festival d’Aurillac: suite

Festival d’Aurillac

Les 3 Tess, chorale loufoque (tout public, à partir de cinq ans)

E1FBBFD6-7906-442E-AFEB-93B435D1D7E1Cécile Dallier, Amandine Rubio et Jacques Toinard: un  trio vocal et loufoque, très B.C.B.G. chante le soleil qui a chassé la pluie. « Le Pape est mort, il ne grandira plus ! » « Les oiseaux sont sur les arbres ». Un acteur va danser dans le public, se réfugie dans les bras d’un spectateur en chantant cuicui et Alouette, gentille alouette.

Les deux autres se déchaînent : « Une bonne fête à toutes les Rose et Roseline. Puis on a droit à un concert de grimaces et à Ne pleure pas Jeannette… On nous présente ensuite Miss ADN, Miss Urdupoix et Monsieur Tituel. «Nous faisons partie des grandes clefs vocales de France, nous allons pratiquer un canon vocal tous ensemble ! »
Un rire nous échappe parfois mais ce spectacle nous a laissé sans grand enthousiasme.

Edith Rappoport

 Emotion par la compagnie Monsieur Cheval & Associés

69E2BC6E-433E-467C-B830-10B62EEE55C1Théodore Carriqui et Vincent Portal revêtent des justaucorps couleur chair… On entend un roulement de tambour : « Nous allons commencer par un cycle émotionnel de trente minutes ! » Les acteurs se tordent de rire,  jouent des scènes du quotidien, boivent un verre, chantent de façon ridicule puis s’asseyent pour manger une pomme.
L’un d’eux se frotte les yeux, récite  des poèmes d’Apollinaire et d’autres écrivains et du Corneille, tout en mangeant : »Une émotion peut se placer sur une échelle de un à dix. Niveau 1 : joie, colère, peur, tristesse. On explore les autres niveaux sur l’articulation émotionnelle…Ils enfilent de fausses lèvres pour exprimer la peur : « Celui qui ne sait pas partager, est infirme des émotions ! » Ils parlent ensuite d’émotion et motricité, se présentent: Théodore et Vincent. L’un d’eux se scotche le visage, évoque Albert Einstein et parle d’une armure de joie. L’autre le frappe avec un boudin, il proteste. C’est absurde, parfois drôle mais malheureusement un peu vain…Tant pis

E.R.

Doppelganger, écriture  et mise en scène de Brice Maire

ED32D1A4-4975-40A4-935A-34F53B422D84On entend un bourdonnement dans le noir sur fond de musiques envahissantes venues d’autres spectacles dans des cours proches, puis on perçoit, dans la pénombre, le corps d’un adolescent nu (Sébastien Dénigues); il raconte sa descente aux enfers de la drogue et la jouissance qu’il procure à d’autres comme esclave sexuel. L’héroïne a fait de lui un objet et il tente de s’en débarrasser mais c’est peine perdue et il ne peut y échapper malgré de multiples cures de désintoxication.

Fascinant et paradoxalement pudique dans sa nudité aussi physique que mentale, cette autobiographie est-elle rêvée ou vécue ? En tout cas, le public de cette petite cour accueillante retient son haleine.

Edith Rappoport

 

Festival d’Aurillac (suite) Rituel de désenvoûtement de la finance Occupy

Festival d’Aurillac (suite)

Rituel de désenvoûtement de la finance Occupy par la compagnie Loop-s

Une occupation temporaire de l’espace public avec de nouveaux rites collectifs  pour contribuer à la transformation de notre système économique. Avec partage et expérimentations de pratiques artistiques et sorcières. « Un lieu où l’on est invité à couper symboliquement le lien, l’emprise de la finance sur nos vies et celle de la production agricole, afin de retrouver, ici et maintenant, dans notre quotidien, de la puissance pour imaginer et fabriquer de nouveaux mondes. La finance donne un prix aux céréales, au lait, à la viande, aux semences, à la terre ; elle façonne les terres agricoles et leur usage, elle détermine notre façon d’accéder à l’alimentation. La finance est partout, l’argent déborde. »

C’est une création -très collective!- de cette compagnie belge par Julien Celdran, Luce Goutelle, Emmanuelle Nizou, Camille Lamy, Maxime Lacôme, Aline Fares, Fabrice Sabatier, Stéphane Verlet-Bottéro, Ilaria Boscia, Dimitri Tuttle, Yohan Dumas, Aude Schmitter, Alix Denambride, Zelda Soussan, Arthur Lacomme, Amandine Faugère, Vincent Matyn, Suzie Suptille, Grégory Edelein, Alice Conquand, Émilie Siaut, Martin Pigeon, Gabriel Nahoum, Grégory Rivoux, Lora Verheecke et Jean-Baptiste Molina. Ici, trente participants rassemblés autour d’une construction pyramidale figurant le Veau d’Or, édifiée place des Carmes. Des feux brûlent tout autour, des cravates accrochées à un fil, flottent au vent et les propositions d’Euro Next sont affichées. On entend les réactions du marché en plusieurs langues et des agents torse nu s’enlacent.

Mais, panique dans les salles de marché: il faut désenvoûter les cartes bancaires. «Tenons-nous les uns, les autres, par la carte bancaire, la finance est partout, la finance est nourrie de nos dettes abyssales qui nous soufflent aux oreilles. » (…) « Il faut briser quelque chose, de l’ordre de l’envoûtement. Laisser les questions économiques et financières aux mains des experts n’est plus envisageable! » Tous les spectateurs obéissent, sauf nous, prennent leur carte bancaire et se tiennent les uns les autres

On perçoit un message publicitaire de Monsanto/Bayer quand on présente les profits. Mais tout s’écroule: les participants tournent autour du Veau d’or puis libèrent la place. Ce deuxième « rituel de désenvoûtement, celui du Marché des semences a laissé la place à 23 h 23 à celui du Marché des céréales. Mais, lassés et déçus, nous avons renoncé…

Edith Rappoport

Jusqu’au 24 août, place des Carmes, Aurillac. Des ateliers participatifs ont eu lieu le 24 août à 11 h 11 et à 13 h 13.

Terra Lingua, chantier de paroles, texte d’Olivier Comte, mise en scène d’Olivier Comte et Julia Lopez

Terra Lingua, chantier de paroles, texte d’Olivier Comte, mise en scène d’Olivier Comte et Julia Lopez

904E80E4-EBE2-4CD5-AF1A-6967A9C13686Une création issue d’une résidence de la compagnie des Souffleurs poétiques au Parapluie, la grande et belle salle située en dehors d’Aurillac. « C’est, nous dit la note d’intention, le voyage du silence de l’Homme vers sa parole, qu’il ne lâchera plus. À travers une parole qui cherche son nom, Babel se dresse puis s’évanouit, célébrant ainsi le génie de l’être humain à réinventer sans cesse le monde dans chacun de ses mots. Une langue ne sert pas seulement à parler, elle sert à penser le monde. (…) « Le chemin de l’être humain, du silence à la parole, puis de la parole à l’écriture, la voilà, le véritable monument, la tour du silence. »

Cela se passe sur la très grande place Michel Crespin devant la façade d’une ancienne caserne rénovée aux quelque soixante fenêtres. Un carré fermé par des tôles grises d’où émerge une longue perche dotée d’un micro placé au-dessus de l’espace scénique. Les comédiens se font face, vêtus d’épais manteaux en fourrure synthétique, ce qui, par la chaleur actuelle, représente une performance… Manteaux qu’ils enlèveront rapidement  pour se retrouver en collant noir et T. shirt rouge. Pas de paroles et très vite Nicolas Bilder, Christophe Bonzom, Olivier Comte, Virginie Deville, Thomas Laroppe, Irène Le Goué, Julia Loyez, Axel Petersen, Kevin Rouxel et Vincent Comte vont monter soigneusement et avec un évident savoir-faire, une tour-échafaudage en tubes de métal d’environ huit mètres de hauteur et se placeront aux différents niveaux.

Et tout en haut, plusieurs d’entre eux diront alors un texte sur une musique de basses très rythmée. Mais mauvaise balance: on les entend mal. “ Je n’ai pas de nom, personne n’a pris soin de me nommer. Est-ce que j’existe si je n’ai pas de nom.” Suivent un texte interminable sur le thème du nom qui continue à être noyé sous les basses. A la fin, il y a un clown blanc au petit chapeau conique et un acteur avec une longue coiffe d’Indien… Comprenne qui pourra!
Puis on entend la fameuse chanson Les Feuilles mortes autrefois interprétée  par Yves Montand. Enfin un vrai petit moment de poésie dans ce tunnel d’ennui, même si on en en voit mal la relation avec le spectacle : « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes/ Des jours heureux où nous étions amis/ En ce temps-là la vie était plus belle/Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. /Les feuilles mortes se ramassent à la pelle/ Tu vois, je n’ai pas oublié/ Les feuilles mortes se ramassent à la pelle/Les souvenirs et les regrets aussi. »

 « Les Souffleurs s’inscrivent dans l’évidence du clignotement général du monde, ( sic!!!!) usent de la nécessité vitale du droit d’irruption poétique. Dans ces temps de grandes incertitudes et de repli identitaire, ils nous rappellent que les incroyables vitalité et diversité des pensées du monde à travers nos langues sont une chance inouïe pour tous. »

 On veut bien mais ce sabir et ces lapalissades sur les langues font long feu et le texte n’a rien de très convaincant! Bref, on voit mal où ces Souffleurs poétiques, entre acrobaties et  essai philosophico-littéraire, veulent nous emmener… Ces soixante-cinq minutes nous ont paru une éternité et les quelque trois cent spectateurs de ce spectacle -dit en accès libre: c’est à dire gratuit- n’a guère applaudi et est très vite parti ou avait déjà déserté… Encore un travail assez prétentieux qui n’avait pas sa place dans ce festival ! Et on comprend mal qu’il ait pu être choisi… Et le pauvre Michel Crespin, l’ancien directeur du festival, aujourd’hui dans le ciel des artistes, doit en être tout étonné…

Philippe du Vignal

Spectacle joué du  21 au 23 août,  Place Michel Crespin, Aurillac.

 

 

 

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