Festival Interceltique de Lorient: Saflikad
Festival Interceltique de Lorient
Saflikad par le groupe breton Barba Loutig
En première partie du spectacle, Loeiza Beauvir, Lina Bellard, Elsa Corre et Enora de Parscau qui travaillent à intégrer le jeu audacieux de la polyphonie. Transmission et renouvellement des traditions chantées, populaires et vivantes de Bretagne dont le répertoire des gwerzioù et autres complaintes. Ces quatre jeunes femmes dominent polyphonies, polyrythmies des tambours et tambourins et jouent avec brio des langues bretonne et française, rendant aussi hommage à la Galice, en en chantant un air.
Passionnées de chants populaires et de dialogues avec des territoires au-delà des frontières de la Bretagne comme la Hongrie, l’Albanie… elles en ont rapporté des mélodies qu’elles se réapproprient à travers les poésies populaires bretonnes ou de leur composition. Le large territoire où elles cheminent avec aisance et indiscipline est bien celui de la poésie, et elles jouent sur les mots et leur teneur : Saflikad. Avec des sourires amusés sur les résonances, sonorités, allitérations, assonances et onomatopées, le flic-floc des flaques d’eau, le tic-tac de l’horloge, le chant des oiseaux dans la campagne…
Elles en profitent pour défaire la morale souvent machiste des chansons populaires, réintroduisant une place plus digne de la femme dans le mariage, le foyer, la société.Histoire de témoigner qu’elles ne sont pas dupes du regard condescendant masculin.Une leçon charmante à travers musique et chansons éloquentes, distillées avec art.
San Salvador, chœur populaire occitan.
En seconde partie, un sextet de trois jeunes gens et trois jeunes femmes emporte rapidement la salle grâce à son énergie et son enthousiasme. Nulle référence à l’Amérique centrale, à son exotisme coloré de lointain continent, le groupe San Salvador fait référence à une terre corrézienne du sud du Massif central, le petit village de Saint-Salvador où les artistes sont des amis d’enfance. Thibault Chaumeil et Marion Lherbeil assurent les voix et le tom basse, Eva Durif et Laure Nonique Desvergnes, les voix et les mains. Sylvestre Nonique Desvergnes œuvre à la voix, aux cymbales miniatures et à la grosse caisse.
Avec eux, le compositeur Gabriel Durif, à la voix et au tom basse, mène la danse avec un bel allant commentant avec humour et distance ironique, l’histoire de telle chanson, qu’il rattache ou pas, c’est selon, dit-il, à un Limousin celtique. Il évoque la guerre et ses ravages, la colère des soldats revenant de l’horreur et assoiffés, l’éventualité de ne plus fabriquer d’armes pour éradiquer les tueries, celle aussi d’inviter les chefs propagateurs de conflits à descendre dans les tranchées. Ainsi, cet ovni musical, appellation récurrente souvent donnée au groupe, repose sur six voix, deux toms, douze mains et un tambourin, et dégage, à partir de ces outils, un concert radical somptueux de sons et rythmes.
San Salvador s’emploie à renouveler les musiques traditionnelles ou à les détourner, à travers une polyphonie aux résonances contemporaines et à l’affirmation haut et fort de chants en occitan sur des créations musicales poétiques. Les compositions chantées utilisent les motifs de la langue occitane, rugueux, amers ou fluides et délicats, les sonorités d’un véritable instrument rythmique. Et l’harmonie privilégie le contraste et l’opposition des atmosphères souvent mélancoliques ou enlevées… Une polyphonie passant de la douceur paisible à l’éclat de la colère. Lent crescendo et decrescendo puis explosion des fureurs et émotions menaçantes et cela alterne entre repos et bien-être mais aussi déstabilisation de l’auditeur, qui souvent, applaudit à contretemps, croyant à tort le morceau musical terminé.
Un mix de poésie brute, de musiques populaires et d’orchestration savante, qui nous envoûte et nous déroute à la fois, installant l’intranquillité. Un circulation entre musiques traditionnelles et modernité…Une composition originale pour voix masculines et féminines. A l’occasion de La Grande Folie, une création de San Salvador, le groupe qui se veut être l’inventeur d’une musique actuelle apatride, précise : « Ici l’acte de création est une migration dans les constellations musicales, quelles qu’elles soient, un saut de planètes en planètes. Peut-être, par peur d’avoir à choisir, ou bien parce que cette richesse nous semble en accord avec nos valeurs artistiques. »
Un moment d’entrechocs généreux, chaleureux et dansant…
Véronique Hotte
Théâtre de Lorient, le dimanche 4 août 2019, à 21h.
Le festival Interceltique de Lorient se poursuit jusqu’au 11 août.