Festival Interceltique de Lorient « Yann-Fanch Kemener : Tremen en ur ganan ( Passer en chantant)
Festival Interceltique de Lorient
Yann-Fanch Kemener : Tremen en ur ganan (Passer en chantant)
Ce chanteur traditionnel et ethno-musicologue, l’une des voix les plus célèbres en Bretagne, s’est éteint le 16 mars dernier à Trémeven (Finistère), des suites d’une longue maladie. Il avait consacré sa vie au chant et à la langue bretonne. Le documentaire que Ronan Hirrien a réalisé pour France 3, a été projeté au Cinéfil, en breton, sous-titré en français. Un film émouvant et poétique qui retrace le chemin de ce chanteur aux quarante-cinq ans de carrière, via un dialogue de grande sincérité entre le cinéaste et lui.
La proximité de la mort que Yann-Fanch Kemener assume avec lucidité, donne à son propos une force tendue, métaphorique d’une existence entière vouée à l’art. Passer le temps imparti à sa vie est le lot de tous mais sa disparition est trop tôt advenue. Il n’en finissait pas de chercher, de découvrir et créer. Mais le chanteur ne manifeste ici aucune amertume ni plainte et est heureux d’avoir pu consacrer ses instants comptés à sa passion pour la langue et le chant bretons, qu’il a contribué à faire connaître… Il regrettait même de n’avoir pas œuvré davantage.
Né en 1957 à Sainte-Tréphine (Côtes-d’Armor) en Haute-Cornouaille, au cœur du pays Fanch/Plinn, aux limites de la région de Vannes, il vit dès son plus jeune âge dans la musique traditionnelle des chants quotidiens comme la gwerz et le kan-ha-diskan. A la chapelle Saint-Trémeur de Sainte-Tréphine, il indique la présence d’une cavité que les très jeunes enfants devaient emprunter pour s’ouvrir au monde. Un rituel qu’il a dû lui-même accomplir même s’il ne s’en souvenait pas. Et depuis, il a parcouru le monde entier, dit-il, fier de sa curiosité inlassable des autres.
De langue maternelle bretonne (son père ne parlait que breton et la mère, breton et français) il est issu d’une famille modeste de chanteurs et chanteuses traditionnels, du côté maternel et de chanteurs et danseurs du côté paternel au pays de Fisel de Glomel. Pris très jeune sous l’aile d’artistes avertis, il suit le chemin d’une transmission qui s’est faite «naturellement » mais il lui a fallu ténacité et patience dans sa collecte de chants… Une jeunesse à côtoyer les anciens pour acquérir leur savoir et leur sagesse, en saisir les moindres nuances de signification, se mettre à leur écoute… Il a su prendre la peine de retranscrire airs et paroles. L’important, dit la mère au petit garçon, c’est le mot bien frappé, la note juste, l’accent à la rime : il lui plaisait ainsi de s’exprimer par dictons.
Le parcours élémentaire de formation est ici évoqué. Et le jeune homme se rendait chez les uns et les autres pour recevoir, à la source, les chansons dont ils sont porteurs. Cahier et crayon en main pour ce collecteur de paroles et mélodies, muni aussi d’un magnétophone qu’il avait réussi à s’acheter après avoir travaillé tout un été. On voit le futur artiste, cheveux longs et pantalon pattes d’éléphant des années soixante-dix, descendre d’une voiture qui le conduit chez une interprète qui chantera pour lui. L’adresse aux plus âgés est un repère existentiel pour le chanteur. Yann-Fanch Kemener évoque ainsi Albert Bolloré, Eugène Grenel… et bien d’autres.
Influencé par les voix des plus âgés, Mme Bertrand et consorts, le chanteur alterne gwerzioù et airs à danser en fest-noz, avec Marcel Guilloux, Erik Marchand… Sont évoqués dans ce film, La Ballade de Skolvan, Gousperrou ar ranned et La Grande Passion, Chants profonds de Bretagne ; le groupe Barzaz, l’album Kerzh ’Ba ’n Dañs’ avec Skolvan ; L’Héritage des Celtes de Dan ar Bras ; Didier Squiban, avec qui il enregistre trois albums de «gwerz de chambre» ; ses duos avec le violoncelliste Aldo Ripoche et ses chants à partir de Yann Ber Kalloc’h, Xavier Grall, Emile Masson, Angela Duval…
En 2016, il crée le Yann-Fanch Kemener Trio, avec Erwann Tobie et Heikki Bourgault, qui anime les fest-noz. Nous les voyons travailler chez lui à Trémeven. Reste dans les mémoires et à travers l’œuvre discographique accessible, le souvenir d’une voix absolument pure et élevée qui perce le silence. Une voix cristalline à l’écoute de la nature proche, vent, soleil et pluie. Sont ici filmés les paysages bretons poétiques de campagne et de bords de mer, roches et étendues verdoyantes, paisibles ou accidentées, avec des arbres aux lourds feuillages frémissants, ou un oiseau se posant avec délicatesse sur les croix de pierre des tombes. Et du plus loin que le chanteur-voyageur est allé, c’est à ses racines, à son bourg de Sainte-Tréphine, berceau de sa formation quand il était encore enfant, qu’il revient en songe.
On le voit chanter, invitant son corps qu’il vouvoie, à le quitter bientôt. Au-delà des cendres qui s’envoleront, perdure sa présence spirituelle. Fulgurance d’une vie trop vite suspendue dont le rayonnement brillera longtemps.;. Une figure que le documentaire de Ronan Hirrien restitue au mieux, saisissant le petit garçon, qui, comme sur un dessin d’album, chante debout sur son lit, en chemise de nuit… Sa mère est venue le réveiller pour que son oncle en visite entende le talent sûr de Yann-Fanch. Un héritage familial capté de main de maître.
Véronique Hotte
Documentaire vu le 7 août au Cinéfil, Auditorium du Cercle Saint-Louis, 11, place Anatole Le Braz, Lorient