Théâtre du Peuple à Bussang La Vie est un rêve de Pedro Calderon de la barca,
Théâtre du Peuple à Bussang édition 2019
La Vie est un rêve de Pedro Calderon de la Barca, mise en scène de Simon Deletang
Directeur depuis l’an dernier du Théâtre du Peuple, il est très présent à Bussang, village des Vosges qui abrite l’historique Théâtre du Peuple construit en bois qu’avait fondé Maurice Pottecher. Rompant avec l’ancestrale et unique manifestation de l’été (période propice à l’accueil des spectateurs dans le charmant parc entourant le théâtre), le metteur en scène veut proposer une « saison » de spectacles toute l’année et inscrire davantage son travail au cœur de la population locale. Loin de Colmar ou d’Epinal, elle ne bénéficie pas en effet d’une activité culturelle de proximité. Il y a donc désormais une proposition en hiver, une autre au printemps et une autre encore en automne.
A l’occasion du programme estival, Simon Deletang a confié à Jean-Yves Ruf la création du spectacle dit d’après-midi, traditionnellement consacré à un grand texte du répertoire auquel est associée la troupe des amateurs de Bussang. En choisissant de monter dans une nouvelle traduction de la célèbre pièce de l’Espagnol Calderon, écrite en 1635, le metteur en scène a repris un travail qu’il avait déjà abordé en Corse. Il l’affiné, le poussant dans ses retranchements, jusqu’à en donner une version qui plonge le spectateur dans les rets quasi inextricables du théâtre baroque.
La pièce impose d’emblée ses points de tension : un jeune homme enchaîné depuis l’enfance dans une grotte et qui ne connaît du monde que son geôlier ; deux jeunes gens qui le découvrent, eux-mêmes venus incognito régler une affaire de vengeance ; un roi astrologue qui, pour préserver son royaume d’un fils prédit cruel et tyrannique, l’a caché aux yeux du monde…
Affaires de cour, de cœur et d’honneur : le jeu de la succession au trône est ouvert. Peut-être pour ne pas déplaire à l’Eglise catholique, le dramaturge situe l’action « en Pologne, c’est-à-dire nulle part » comme disait Alfred Jarry, car les astres règnent sur le destin de ces êtres qui n’évoquent jamais ni Dieu ni diable.
Le jeune Sigismond offre une figure typique des contes : préservé du monde, condamné à un état semi-bestial » une bête pour les hommes, un homme pour les bêtes » , il ignore son identité. Le roi, son père, devenu vieux, choisit de le sortir de sa captivité pour vérifier la prédiction. Plongé dans un profond sommeil par un élixir magique, Sigismond se réveille à la Cour, dans la soie et le brocard. Autre thème cher aux contes : le pauvre hère qui se découvre fils de roi.
Dans l’enchaînement des chagrins et des bonheurs, Sigismond n’aspire qu’à la vengeance et lorsqu’il est en position d’exercer le pouvoir, son instinct le pousse vers la plus extrême cruauté. La prédiction malheureuse est donc en passe d’être avérée.
Pourtant, au travers de rebondissements multiples, dans la succession des épreuves (il sera renvoyé à sa grotte par le Roi effrayé d’avoir libéré un tel monstre), Sigismond forgera enfin sa propre morale : « Même en rêve, on ne perd rien, à agir bien ».
Le rêve est ici le pendant de l’illusion et l’illusion, le moteur de la pensée. Rêver sa vie ? Se croire roi ? Et se croyant roi, s’autoriser tous les débordements ? Ces thèmes de l’identité mouvante, du changement de morale qu’autorise celui de statut, thèmes inspirés des contes arabo-persans, parcourent toute l’oeuvre, transportant Sigismond, comme le public, d’une réalité à une autre. En ces temps de chevalerie finissante (Don Quichotte est paru en 1616), ce sont encore les vertus de la transformation par l’épreuve qui couronnent un destin. Contredisant la prédiction, Sigismond surmonte donc les hypothèses astrologiques du Père, ce roi que chaque fils doit défier et combattre.
Servie par une distribution irriguée par les comédiens-amateurs de Bussang, la mise en scène de Jean-Yves Ruf déborde de vitalité, en particulier dans la deuxième partie où Sylvain Macia (dix-neuf ans) dans le rôle de Sigismond et Mickaël Pinelli dans celui de Claironn, donnent la plénitude de leur art. Ils nous font oublier les tours et les (longs) détours de l’action, avec des thèmes enchevêtrés : révolte politique, quête d’amour ou trahison.
Dans une scénographie d’Aurélie Thomas, qui évoque tour à tour la grotte et le palais (où l’ombre joue à merveille sa partition (éclairages de Christian Dubet), les acteurs donnent à cette pièce à la philosophie complexe (et parfois obscure), l’énergie vitale d’une percée vers la lumière. « Rêvons au bonheur et les chagrins suivront plus tard car tout le bonheur des hommes finit par passer comme un rêve ».
Marie-Agnès Sevestre
Théâtre du Peuple, Bussang ( Vosges) du jeudi au dimanche, à 15h, jusqu’au 7 septembre (représentations surtitrées en allemand, les 31 août et 1er septembre).
Le texte de la pièce est publié aux éditions des Solitaires intempestifs.