Festival de Bussang
Suzy Storck de Magali Mougel, mise en scène de Simon Deletang
Crédit Photo : Jean-Louis Fernandez.
Séduit par l’écriture de cette auteure qui réside désormais à Epinal, Simon Deletang présente sa mise en scène pour le spectacle dit « de soirée » qui, porté par des acteurs professionnels, s’attache à une écriture contemporaine. Créée d’abord en anglais par Jean-Pierre Baro au Gate Theater de Londres, la pièce connaît ici sa première en français, avec le soutien du Centre Dramatique National de Besançon.
L’univers de Magali Mougel, dont on a pu suivre la production littéraire depuis une dizaine d’années, explore les réalités cinglantes de personnages culturellement démunis, soumis à l’offre et à la demande du marché du travail. Où les femmes sont confrontées à de multiples formes d’oppression sexuelle et sociale… Ici, l’auteure place Suzy Storck, le personnage féminin, au centre d’un mécanisme qui se détraque et dont elle a conscience mais qu’elle ne peut enrayer.
« Chacun sa croix, c’est l’arrangement » : cela pourrait résumer la vie de Suzy Storck, au moins avant que tout ne déraille. Construit comme une spirale, remontant à ce jour fatal du 17 juin, le récit circulaire donne la parole à une jeune fille qui a eu le choix « entre le poulet, les couches et les tétines », produits fabriqués par trois usines de sa région qui emploient puis licencient tour à tour… Elle a donc « fait dans le poulet » puis se présente à un entretien d’embauche dans un magasin de puériculture. Vrai moment de bravoure dans l’écriture, que la comédienne Marion Couzinié porte à un niveau de cruauté sociale délirante.
Faute d’emploi, le mariage peut devenir la solution dans ce milieu sans avenir. Mais l’enchaînement des grossesses non désirées enlaidit la vie. Les injonctions brutales de la Mère à supporter son sort (excellente Françoise Lévy) et les colères maritales devant une maison qui part à vau-l’eau, usent les petites résistances de la ménagère qui mécanise peu à peu ses gestes et part dans ses rêves.
Très inspirée par Heiner Müller, Magali Mougel retraverse certains thèmes d’Hamlet-Machine : «Je déterre de ma poitrine, l’horloge qui fut mon cœur. » Le drame est déjà arrivé quand commence le spectacle. Simon Deletang, tel un chroniqueur social à la télé, assis sur une machine à laver dont l’œil rond nous regarde, introduit et commente au micro les différents tableaux. Seul objet réaliste, ménager, il concentre sur l’actrice le poids du dérèglement.
L’écriture présente une fine approche de ce que peut vivre une jeune femme de milieu modeste qui subit des rapports sexuels sans désir et qui s’enlise dans une vie sans amour à donner. Mais on peut regretter le traitement à gros traits du personnage masculin qui ne laisse guère à Charles-Antoine Sanchez qu’une partition monocolore de mâle sans finesse. Le drame est celui de Suzy Storck mais on ne saura jamais ce que traverse son homme.
La mise en scène est d’un brutalisme assez déconcertant : néons aveuglants, intermèdes sonores assourdissants et direction d’acteurs, en particulier de la comédienne, orientée vers le hurlement. On reste d’un trait dans le même tempo et Simon Deletang abandonne l’intimité du sujet. On peut accepter qu’il souhaite donner un cadre imposant à l’écriture contemporaine (ce qui n’est guère l’usage, puisqu’elle est souvent cantonnée dans les petites salles de nos institutions). Mais on frôle ici, dans un très grand espace, le surclassement. L’écriture, qui joue finement sur la cruauté des rapports sociaux, sur la consternation devant le réel, sur la mise en absence de soi-même, aurait mérité un traitement plus acéré et peut-être plus humble.
Texte publié aux Editions 34
Marie-Agnès Sevestre
Théâtre du Peuple à Bussang ( Vosges) du mercredi au samedi à 20h, jusqu’au 7 septembre.