Festival de Bussang: Moi, Bernard

Festival de Bussang (suite) :


image (1)Moi, Bernard

Chaque dimanche, le comédien et metteur en scène Jean de Pange propose une exploration de la correspondance de Bernard-Marie Koltès, à partir de Lettres (2009)  parues aux éditions de Minuit.  François Koltès, frère et ayant-droit de Bernard-Marie, a fait un choix parmi cette vaste correspondance (heureux temps qui ne connaissait pas encore Internet et où on pouvait suivre la trace d’une vie, d’une pensée…)

Jean de Pange porte, de sa seule voix, cette invitation à voyager dans l’œuvre et la biographie de Koltès, au milieu des livres, sur une petite estrade de la salle des fêtes. Nous découvrons les débuts dans l’écriture du jeune Bernard, avec une carte de vœux écrite en 1955 à ses parents. Un clin d’œil qui place d’emblée ce parcours dans l’intimité familiale, amicale mais Jean de Pange garde une totale pudeur sur les destinataires dont peu sont mentionnés. Ce n’est donc pas le répertoire mondain, théâtral ou littéraire des relations de l’auteur que nous suivons, mais bien plus le contenu de sa pensée, de ses inquiétudes, de ses espoirs…

Et d’espoirs, Bernard-Marie Koltès en est plein, alors qu’il commence en 1968 à se lancer : «Je risque mon âme » en créant une compagnie de théâtre aujourd’hui oubliée : Le Quai, à Strasbourg, pour laquelle il écrit Les Amertumes, Procès ivre puis Héritage. Nous suivons les débats sur le formalisme avec Hubert Gignoux qui l’accompagnera de ses encouragements. Vient le début de la reconnaissance avec l’enregistrement pour France-Culture, grâce à Lucien Attoun, de la version radiophonique d’Héritage (1972). Et la révélation à Avignon avec La Nuit juste avant les forêts en 1977.

Cette période nous est la plus précieuse: nous lisons dans ses lettres la rage d’écrire autrement, de dire un ailleurs qu’on ne voyait pas sur les scènes. Tissée de ses multiples voyages (il se voulait imprégné d’autres réalités, d’autres rencontres, d’autres extases, alors que le milieu parisien du théâtre lui sortait par les yeux), cette correspondance dessine la carte de ses lieux privilégiés: New-York, le Nicaragua, différents pays d’Afrique, Riode Janeiro, qui en font un « errant des villes « .

Jean de Pange saute d’un extrait à l’autre et parfois nous livre visuellement le contenu d’une lettre. Sans doute est-ce à la fois le charme et la fragilité de cette proposition : on sautille dans le temps, on se plaît à reconnaître tel ou tel interlocuteur, à se souvenir de telle mise en scène: nous avons l’âge d’avoir vu les créations de Combat de nègres et de chiens, Quai Ouest, Dans la Solitude des champs de coton, Roberto Zucco ou encore Retour au désert

Mais rien de la correspondance avec Patrice Chéreau. Et on se demande à quel moment le sida y prendra sa place de personnage principal… Et ce sont donc les années de jeunesse qui font l’intérêt majeur de Moi, Bernard. Mi-conférence, mi-confidence. Ces soixante-quinze minutes filent, au rythme des petites saillies de l’acteur qui cherche encore, manifestement, la colonne vertébrale de son projet. Mais on ne boude pas son plaisir: passer une heure avec Koltès, c’est quand même passer un moment d’intelligence et de non-conformisme. Et nous sortons assez perplexes quand deux jeunes filles disent à la sortie : – «Tu sais qui c’est toi, Koltès ? » – «Non, aucune idée, jamais entendu parler. » Peut-être auront-elles envie de le découvrir ?

 Marie-Agnès Sevestre

Prochaine représentation: le 1er septembre, à 19 h, salle des fêtes de Bussang.

 

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