Livres et revues: La Récolte N° I /Revue des comités de lecture de théâtre

 

Livres et revues:

La Récolte N° I / Revue des comités de lecture de théâtre

« Nos comités lisent du théâtre toute l’année. Plusieurs centaines de textes par an. Des bouillonnements. Des langues. Des poétiques nouvelles. » (…) « Nous voulons partager avec vous aujourd’hui nos appétits de lectures. » Ainsi les collectifs  A mots découverts,  Jeunes Textes en liberté, le Tarmac, Le Panta Théâtre, Le Théâtre de la Tête Noire, Le Théâtre de l’Ephémère et Troisième Bureau se sont réunis pour mettre en lumière un travail resté dans l’ombre mais pourtant essentiel à la circulation des écritures nouvelles.

 Découvreurs de pépites qui feront la scène de demain, ces collectifs fondent une revue annuelle pour présenter leurs choix communs : huit pièces inédites sous forme de larges extraits, assorties d’articles critiques et d’entretiens avec les auteurs. Ils ont invité cette année le Bureau de lecture de France-Culture à les rejoindre. Le premier numéro, illustré à bon escient par des artistes, fait la part belle aux autrices, la plupart issues de la diversité ou de la francophonie. Un pur hasard, selon Simon Grangeat, le rédacteur en chef. On n’y trouve qu’une signature masculine: François Hien  qui a écrit La Crèche, une pièce inspirée par l’affaire de la crèche Babilou.

La Québécoise Suzie Bastien aime l’idée d’une guérilla poétique de filles sur scène », dit-elle. Sucré Seize( huit filles) comporte ainsi huit monologues de dix minutes, chacun dans une langue particulière, alternant paroles crues et confidences plus réflexives, traçant un portrait composite de l’adolescente nord-américaine d’aujourd’hui. «J’ai maintenant envie de refaire le même chemin mais cette fois avec huit vieilles femmes » dit Suzie Bastien, dans un entretien où elle brosse au passage un panorama de la dramaturgie de son pays.

On retrouve avec plaisir l’écriture de Marie Dilasser dont nous avons aimé Blanche Neige, l’histoire d’un prince, mis en scène par Michel Raskine, au dernier festival d’Avignon … Dans cet inédit prometteur Montag(n)es, il y a des personnages insolites, coincés dans un pays « farci de collines », une Bretagne d’ardoises et de pierres. Un café-épicerie, des massifs  d’hortensias et, au-delà, des bois : « Je localise chaque figure dans un endroit précis de ce paysage. Je les isole pour faire émerger leur parole (…) Et puis je les accompagne dans leurs rencontre avec les autres ». Un texte étrange, des êtres âpres, à l’identité trouble, une poésie bousculée du quotidien, des images fortes composées dans une succession de tableaux … `

Venue du Havre, Eva Doumbia à Marseille où elle vit, côtoie un monde métissé, qu’elle fait vivre dans Le Jench : une plongée au cœur d’une famille africaine. Un texte politique où la jeune Ramata refuse que le silence couvre l’assassinat de son frère, tué par la police. Déconstruite en flash-back, la pièce saisit les ramifications profondes du drame et les échecs de l’intégration. « Je voulais que les jeunes gens qui me ressemblent ,puissent aller au théâtre et s’identifier à mes personnages. Témoigner peut-être. » De par ses racines paternelles africaines, Eva Doumbia réussit à trouver les mots justes et contourne habilement le naturalisme. 

Sortant de le section :écriture à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre à Lyon, Marilyn Mattei a appris la rigueur d’une dramaturgie correspondant à son propre style : « Mon écriture des dialogues s’est modifiée et j’essaye maintenant une partition très précise… » C’est le cas  avec  Et après ? deuxième volet d’un triptyque sur la radicalisation des jeunes (après L’Ennemi intérieur sur le terrorisme religieux). C’est l’histoire d’un “revenant“ (ceux qui reviennent de l’État islamique) confronté à sa famille à sa  sortie de prison.  Un attentat vient d’avoir lieu. Les parents veulent savoir, le doute et la peur planent. Style abrupt, propos laconiques : difficile de communiquer quand les mots manquent…  La mère : « Je comprends pas ce que tu dis.  Le père : « Dans quelle putain de langue, tu parles.» Un texte radical et économe pour traiter de la radicalisation…

71* ans de fragments d’Hannah Khalil fait exception dans cette moisson car l’autrice irlando- palestinienne écrit en anglais. Ronan Mancec a traduit cette œuvre éclatée qui retrace des destins croisés d’hommes, femmes et enfants palestiniens sous l’occupation israélienne entre 1948, (l’année de la création de l’État d’Israël en Palestine alors sous mandat britannique) jusqu’à aujourd’hui. Un kaléidoscope construit autour de quelques personnages récurrents et une multiplicité de situations cocasses sur fond de pays déchiré, de familles séparées… L’autrice, née au Royaume-Uni de mère irlandaise et de père cisjordanien, s’est inspirée des récits familiaux, de documents filmés et témoignages israéliens et palestiniens. La scène d’ouverture trouve sa source dans une vidéo insoutenable où des soldats de Tsahal pénètrent dans une maison en pleine nuit… Ces fragments présentent des figures palestiniennes et israéliennes et, par jeu de miroir, montrent une réalité composite, loin des images médiatiques habituelles.

Accompagnant extraits et entretiens, des articles généraux et analyses ouvrent sur les problématiques et le paysage théâtraux d’aujourd’hui… L’anthropologue Michel Agier, dans Méditerranée ce qui arrive, souligne l’urgence de dire «cette autre part de l’humanité qui prend le risque de mourir en entrant dans les flux de la migration internationale». Il s’interroge sur comment on peut rendre compte de ce «dérèglement anthropologique global». Question posée par les nombreux spectacles tire-larmes que nous voyons, dictés par une bien-pensance peu efficace en termes dramaturgiques : « Il existe de la fascination donc, et d’autres sentiments, de la peur et de la compassion (…) qui empêchent de comprendre au-delà de la représentation, le spectacle de cet autre laissé sur les bords de route. »

La Mer est ma nation d’Hala Moughanie répond parfaitement à la question posée par Michel Agier, en montrant comment des frontières visibles ou invisibles se dressent entre les individus . Un homme et une femme vivent dans une ville que les déchets ont envahie. Deux fugitives sur la route de l’exil ne seront pas les bienvenues: elles menacent en effet leur espace vital… Les personnages portent en eux une humanité complexe qui nous font vivre de l’intérieur leurs contradictions, leur peur et leur déshérence…

 « La guerre et l’exil font partie de mon bagage génétique », dit l’autrice libanaise. Maintenant, elle souhaite, dit-elle, «se coltiner avec d’autres vécus ». Sa dernière pièce, Memento Mori , lue cet été à Avignon dans le cadre de Ça va ça va le monde !, un cycle de lecture de Radio France internationale, répond formellement à une commande : travailler sur pourquoi l’Occident s’est donné la légitimité d’exploiter toutes les ressources naturelles et humaines. »  Quelque part en Afrique, un étranger vient acheter un terrain pour une firme internationale qui entend faire fortune en implantant une rizière. Une femme l’accueille et l’entraîne dans un monde qu’il ignore et dont il ressortira transformé, après un douloureux parcours initiatique. Cette fable tellurique a été créée en partie sous le titre Fissures, en 2018 au festival de Limoges (voir le Théâtre du Blog ).

Hala Moughanie a obtenu le prix R.F.I. 2015   pour Tais-toi et creuse  (voir Le Théâtre du blog) et a reçu l’aide à la création d’Artcena pour La Mer est ma nation. Cette lecture de Memento Mori a reçu un accueil chaleureux de l’auditoire. Mais ses pièces ne sont toujours pas publiées ! Comme la plupart des textes présentés dans cette revue, elles le mériteraient. Espérons que cette première Récolte porte ses fruits et permette à tous ces textes de trouver leurs lecteurs et leur public. Et qu’on les voit bientôt édités et montés.

Mireille Davidovici

Lancement de la revue le 17 juillet, à la Maison Jean Vilar en Avignon.

Rencontre le 25 novembre  à Artcena, 68 rue de la Folie Méricourt, Paris (XI ème) T. 01 55 28 10 10

 La Récolte, Editions Passage(s) 14 allée du Père Jamet, Caen (Calvados) editionspassages@gmail.com T. 06 58 29 36 80 

revue.larecolte@gmail.com

Archive pour 31 août, 2019

Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

©Victor Tonelli

©Victor Tonelli

 

Festival de Villerville

Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

 

« J’ai vingt-huit ans, et j’ai envie d’incarner cette versatilité que je vois chez des personnes qui en ont au moins cinquante de plus. » Déjà enfant, l’auteure-comédienne, était fascinée par les personnes âgées. Pour Asja Nadjar, elles ont en elles une théâtralité hors pair : « Petite, j’avais l’impression, que les vieux jouaient à être vieux, qu’ils portaient des masques. » 

Ce désir artistique, prend forme cette année au festival de Villerville. Sur la scène, telle une grande boite noire, une chaise renversée au pied d’une bibliothèque toute en hauteur identique à une colonne ou un piedestale. À son sommet est posé le buste de Frantz,un personnage testamentaire, défunt mari de Anouk âgée de cent douze ans et bien vivante. Autre élément, un sac de femme, blanc, posé par terre. Dans le silence le plus total, une atmosphère sombre règne dans le salon, tout semble s’être immobilisé d’un coup. On aperçoit un corps courbé à même le sol. Il s’est passé quelque chose…. Mais c’est mal connaître Anouk ! Et ce n’est pas cette stupide chute, en époussetant, comme chaque jour, le buste en pierre de son mari qui pourrait mettre fin à sa rage de vivre, malgré son âge canonique ! Doucement en prenant la parole, elle se redresse. Et la traversée au pays du grand âge commence ! C’est fou tout ce qui s’y passe ! La solitude, les fantômes… La vie derrière soi est loin de vous laisser tranquille et pour Anouk c’est une aubaine à surtout à saisir à bras ouverts et à mettre en scène ! Asja Nadjar réussit cela admirablement, tant son corps, et les variations de sa voix nous fascinent et nous laisse petit à petit entrer dans cet univers extravagant et si mal perçu, pour ne pas dire méprisé en notre quotidien.

Pendant cinquante minutes, elle va nous emmener en voyage. Un périple existentiel, plein de surprises et de plus en plus étrange, proche du fantastique. La poussière, le magasin d’alimentation « Vival », un gros coquillage, un poisson,  la mer, le sac contenant des bijoux… tous ces éléments vont progressivement quitter leur fonction  quotidienne pour se transfigurer en images dramatiques. Ainsi, le coquillage devient un téléphone et au bout du fil, le poisson donne rendez-vous à Anouk !  Le passage de la fin, la rencontre d’Anouk avec ce poisson insolite, et l’instant où Anouk range tous les objets du décor, et les regroupe en fond de scène,  sont de toute beauté. Progressivement, avant le bout du voyage, le lieu clos et noir laisse place à atmosphère aquatique. Et emporte notre esprit et   imaginaire ailleurs, hors temps… Est-ce l’approche de la mort ou  un retour aux origines ? Au fil des paroles, habitées par le dionysiaque, tout se mélange. Et la dimension poétique prend alors le pas sur la vie ordinaire. Soudain, on entend comme venue des lointains une chanson en allemand de Kurt Weill. Un des seuls moments musicaux mais l’émotion est là. Le public reste fasciné par Anouk et en oublie la vieillesse, subjugué par ses cent-douze ans ! Ce personnage déstabilisant, lui communique pourtant folie joyeuse, bonheur, mais aussi malaise. Des propos parfois cruels, parfois plus doux, étonnants de malice et de lucidité, se succèdent et surgissent comme à la volée !

Et si l’écriture et les situations de temps à autre peuvent paraître décousues, et entraînent des ruptures brusques, dans la structure du texte, Il y a une prouesse de perception poétique face à ce monde des « Vieux », si singulier et proche de celui de l’enfance.

Il y a dans ce spectacle une intelligence du regard sur la personne âgée, saisissante de sensibilité et de justesse. Le ridicule et le dégoût n’ont ici aucune place et on entre dans un univers où le sentiment de liberté prend place, coûte que coûte, avec insolence.

Il est curieux et merveilleux parfois, hélas pas toujours, de voir comment certaines personnes âgées, n’ont plus le souci du regard des autres, mais gardent le désir de vivre les sensations qui les traversent, et qui leur semblent vitales.  Ce qui est si justement mis en évidence dans cette création. Cette liberté d’être, de jouer la vie, plus exactement de la rejouer. Un peu à l’image des peintures de la dernière période de l’artiste Cy Twombly avant sa mort en 2011 et exposées, à la Fondation Lambert à Avignon en 2007 avec  Blooming, A Scattering of Blossoms and other Things… Véritable parade de fleurs multicolores éblouissantes. Mais exceptionnel surtout, chez ce peintre âgé, c’est précisément ce rapport existentiel et poétique à la liberté. En regardant ses toiles, le visiteur-spectateur semble voir la main du peintre et son pinceau en mouvement, entrain de faire danser les fleurs sur la toile, reflétant la joie de vivre sans plus aucune retenue et règles esthétiques, mais en toute grâce et liberté. C’est peut-être une manifestation de la sagesse ! Et c’est aussi ce que nous raconte Anouk, avec cette singularité :  la fabula, est ici écrite, jouée et mise en scène par deux jeunes artistes. On dit souvent que le monde de l’enfance et celui de la vieillesse partagent certains comportements et sentiments profonds face à la réalité.  

Pièce subtile sur le grand âge où ici le temps ne passe plus mais se mélange, se rattrape grâce au geste brillant et dramatique d’ Asja Nadjar, et de Claire-Marie Daveau. 

Pari théâtral gagné et une belle audace ! Surtout lorsqu’il s’agit d’écrire,  de mettre en scène et de jouer un personnage qui a plus du  double d’ années que soi-même.

 Elisabeth Naud

Festival de Villerville, du 29 au 1er septembre. T. : 02 31 87 77 76.  

Tournée 2019 / 2020

À Paris, unique représentation en septembre dans le cadre d’une carte blanche à Jean Joudé / compagnie Le Pari des Bestioles au Théâtre de l’Opprimé

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