Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

©Victor Tonelli

©Victor Tonelli

 

Festival de Villerville

Anouk d’Asja Nadjar, mise en scène de Claire-Marie Daveau

 

« J’ai vingt-huit ans, et j’ai envie d’incarner cette versatilité que je vois chez des personnes qui en ont au moins cinquante de plus. » Déjà enfant, l’auteure-comédienne, était fascinée par les personnes âgées. Pour Asja Nadjar, elles ont en elles une théâtralité hors pair : « Petite, j’avais l’impression, que les vieux jouaient à être vieux, qu’ils portaient des masques. » 

Ce désir artistique, prend forme cette année au festival de Villerville. Sur la scène, telle une grande boite noire, une chaise renversée au pied d’une bibliothèque toute en hauteur identique à une colonne ou un piedestale. À son sommet est posé le buste de Frantz,un personnage testamentaire, défunt mari de Anouk âgée de cent douze ans et bien vivante. Autre élément, un sac de femme, blanc, posé par terre. Dans le silence le plus total, une atmosphère sombre règne dans le salon, tout semble s’être immobilisé d’un coup. On aperçoit un corps courbé à même le sol. Il s’est passé quelque chose…. Mais c’est mal connaître Anouk ! Et ce n’est pas cette stupide chute, en époussetant, comme chaque jour, le buste en pierre de son mari qui pourrait mettre fin à sa rage de vivre, malgré son âge canonique ! Doucement en prenant la parole, elle se redresse. Et la traversée au pays du grand âge commence ! C’est fou tout ce qui s’y passe ! La solitude, les fantômes… La vie derrière soi est loin de vous laisser tranquille et pour Anouk c’est une aubaine à surtout à saisir à bras ouverts et à mettre en scène ! Asja Nadjar réussit cela admirablement, tant son corps, et les variations de sa voix nous fascinent et nous laisse petit à petit entrer dans cet univers extravagant et si mal perçu, pour ne pas dire méprisé en notre quotidien.

Pendant cinquante minutes, elle va nous emmener en voyage. Un périple existentiel, plein de surprises et de plus en plus étrange, proche du fantastique. La poussière, le magasin d’alimentation « Vival », un gros coquillage, un poisson,  la mer, le sac contenant des bijoux… tous ces éléments vont progressivement quitter leur fonction  quotidienne pour se transfigurer en images dramatiques. Ainsi, le coquillage devient un téléphone et au bout du fil, le poisson donne rendez-vous à Anouk !  Le passage de la fin, la rencontre d’Anouk avec ce poisson insolite, et l’instant où Anouk range tous les objets du décor, et les regroupe en fond de scène,  sont de toute beauté. Progressivement, avant le bout du voyage, le lieu clos et noir laisse place à atmosphère aquatique. Et emporte notre esprit et   imaginaire ailleurs, hors temps… Est-ce l’approche de la mort ou  un retour aux origines ? Au fil des paroles, habitées par le dionysiaque, tout se mélange. Et la dimension poétique prend alors le pas sur la vie ordinaire. Soudain, on entend comme venue des lointains une chanson en allemand de Kurt Weill. Un des seuls moments musicaux mais l’émotion est là. Le public reste fasciné par Anouk et en oublie la vieillesse, subjugué par ses cent-douze ans ! Ce personnage déstabilisant, lui communique pourtant folie joyeuse, bonheur, mais aussi malaise. Des propos parfois cruels, parfois plus doux, étonnants de malice et de lucidité, se succèdent et surgissent comme à la volée !

Et si l’écriture et les situations de temps à autre peuvent paraître décousues, et entraînent des ruptures brusques, dans la structure du texte, Il y a une prouesse de perception poétique face à ce monde des « Vieux », si singulier et proche de celui de l’enfance.

Il y a dans ce spectacle une intelligence du regard sur la personne âgée, saisissante de sensibilité et de justesse. Le ridicule et le dégoût n’ont ici aucune place et on entre dans un univers où le sentiment de liberté prend place, coûte que coûte, avec insolence.

Il est curieux et merveilleux parfois, hélas pas toujours, de voir comment certaines personnes âgées, n’ont plus le souci du regard des autres, mais gardent le désir de vivre les sensations qui les traversent, et qui leur semblent vitales.  Ce qui est si justement mis en évidence dans cette création. Cette liberté d’être, de jouer la vie, plus exactement de la rejouer. Un peu à l’image des peintures de la dernière période de l’artiste Cy Twombly avant sa mort en 2011 et exposées, à la Fondation Lambert à Avignon en 2007 avec  Blooming, A Scattering of Blossoms and other Things… Véritable parade de fleurs multicolores éblouissantes. Mais exceptionnel surtout, chez ce peintre âgé, c’est précisément ce rapport existentiel et poétique à la liberté. En regardant ses toiles, le visiteur-spectateur semble voir la main du peintre et son pinceau en mouvement, entrain de faire danser les fleurs sur la toile, reflétant la joie de vivre sans plus aucune retenue et règles esthétiques, mais en toute grâce et liberté. C’est peut-être une manifestation de la sagesse ! Et c’est aussi ce que nous raconte Anouk, avec cette singularité :  la fabula, est ici écrite, jouée et mise en scène par deux jeunes artistes. On dit souvent que le monde de l’enfance et celui de la vieillesse partagent certains comportements et sentiments profonds face à la réalité.  

Pièce subtile sur le grand âge où ici le temps ne passe plus mais se mélange, se rattrape grâce au geste brillant et dramatique d’ Asja Nadjar, et de Claire-Marie Daveau. 

Pari théâtral gagné et une belle audace ! Surtout lorsqu’il s’agit d’écrire,  de mettre en scène et de jouer un personnage qui a plus du  double d’ années que soi-même.

 Elisabeth Naud

Festival de Villerville, du 29 au 1er septembre. T. : 02 31 87 77 76.  

Tournée 2019 / 2020

À Paris, unique représentation en septembre dans le cadre d’une carte blanche à Jean Joudé / compagnie Le Pari des Bestioles au Théâtre de l’Opprimé

 

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