Danser à la Lughnasa de Brian Friel, mise en scène de Gaëlle Bourgeois

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Danser à la Lughnasa, texte français d’Alain Delahaye, mis en scène de Gaëlle Bourgeois

Brian Friel (1929-2015) a eu une longue carrière d’écrivain (1929-2015). Cette pièce devenue culte,  créée à Dublin (1990)  puis à New York, puis  en France, notamment dans la mise en scène de Didier Long, il y a quelques années avec Lena Breban, Alexandre Zambeaux et Lou de Lâage…

Cela se passe à l’été 1936 à Ballybeg, un village irlandais. Il y a un narrateur Michael Evans qui se souvient -il avait sept ans- avoir passé un mois d’août dans la maison de ses tantes. Les cinq sœurs, toutes célibataires: Kate, Maggie, Agnès, Rosie et Christina Mundy habitent une grande maison à la périphérie de la petite ville.  Kate, la plus âgée, est institutrice: ce qui n’est pas rien dans ce monde rural pauvre car même sans doute peu payée, elle est la seule à rapporter  un vrai salaire à la maison. Agnès et Rose, elles, gagnent un peu d’argent en se fatiguant à tricoter des gants qui seront vendus en ville. Maggie, elle, s’occupe de la maison, mais, comme Christina qui élève seule son enfant Michael, elle ne gagne rien. De temps en temps mais rarement et sans jamais prévenir, apparaît Gerry, le père de Michael, une sorte de vagabond charmant, soi-disant spécialiste et vendeur de postes de radio, en fait un doux rêveur fauché promettant sans cesse des cadeaux qu’il ne fera jamais… Il a déjà une femme et des enfants au Pays de Galles mais pas gêné, propose le mariage à Christina et lui annonce qu’il va s’engager dans les Brigades Internationales en Espagne pour lutter contre Franco…

Il y aussi dans cette curieuse tribu féminine, l’oncle Jack, de retour en Irlande, après avoir été prêtre vingt-cinq ans en Ouganda dans une léproserie. Un peu déboussolé, il repense souvent aux habitants de ce pays devenu le sien mais il a des crises de paludisme et peine à se souvenir du prénom de ses nièces. Michael, lui, découvre que ce monde rural déjà fragile va s’écrouler, quand arrivera la révolution industrielle et que ses tantes et sa mère à la fois solides ne sont pas aimées dans ce village et qu’elles n’ont aucun espoir de trouver un jour une vie meilleure… Nourriture très chiche, aucune vie sexuelle ou sentimentale, aucune distraction que la musique d’un poste de radio un peu détraqué, mais un trésor familial… Reste la danse près du vieux poste ou mieux à la Lughnasa, la fête annuelle du village. « Danser comme si le cœur même de la vie et toutes ses espérances étaient contenus dans ces notes apaisantes et ces rythmes chuchotés, ces mouvements silencieux et hypnotiques. » Bref, elles survivent comme elles peuvent avec un courage indéniable mais Kate va perdre son poste d’enseignante: le début de la catastrophe pour cette famille et une fabrique industrielle de gants s’est ouverte: une  autre catastrophe car Agnès et Rose ne pourront plus gagner le peu d’argent qu’elles tiraient de leur tricotage… On ne verra pas la fin, juste racontée avec pudeur et tristesse, de cette époque et d’une  tribu qui, malgré la disparition des parents et les épreuves, était restée à jamais soudée. Mais Maggie et Rose finiront par quitter la maison…

On sent que Gaëlle Bourgeois a une passion pour cette formidable pièce et elle dirige bien ses acteurs qui sont tous crédibles. Mention spéciale à Emilie Chesnais, très solide et très juste dans le rôle pas facile de Maggie… Mieux vaut oublier la scénographie approximative en cercle avec des objets et outils de la vie rurale : une brouette en bois, des bassines en zinc, quelque chaises et une couche de granulés marron sans doute pour figurer la terre. Cela ne favorise en rien le déplacement des acteurs. Et le rythme gagnerait à être plus rapide mais bon, Gaëlle Bourgeois sait rendre avec intelligence et sensibilité toute la poésie de Brian Friel. Et elle peut encore améliorer les choses. En tout cas, une bonne occasion de pénétrer dans l’univers du dramaturge irlandais auquel on ne peut être insensible… Du vrai et bon théâtre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 13 octobre, Théâtre 13/Jardin, 103 A, boulevard Auguste Blanqui, Paris (XIII ème). T:  01 45 88 16 30. 
La pièce est publiée en anglais aux éditions Faber and Faber et en français à l’Avant-Scène Théâtre Editions Quatre Vents.

 

 


Archive pour septembre, 2019

L’Île des Esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

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L’Île des Esclaves de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey

Cette comédie en un acte a été créé en 1725 à l’Hôtel de Bourgogne par les Comédiens Italiens, il y a donc juste trois siècles. Sur le thème inusable de la confusion des sentiments et du renversement de rôles entre serviteurs et maîtres qui, à la fin, reprendront le pouvoir… L’expérience et la fête sont donc bien finies et ce retour à l’ordre établi, même modifié, était inéluctable, semble nous dire Marivaux. Trivelin, le chef de l’île et représentant de la Loi, donc chargé de réprimer les abus de pouvoir, a fait le travail. Rideau.

Cette fable à l’intrigue des plus simples, reprend le thème du naufrage, souvent utilisé au théâtre et celui du reversement des rôles : Iphicrate, un général athénien assez arrogant et son serviteur Arlequin ont vu leur bateau se casser contre un rocher et semblent être les seuls survivants. Iphicrate veut aller à leur recherche mais Arlequin a compris qu’ils étaient sur une île où les esclaves deviennent maîtres et les maîtres, esclaves… Il décide donc de n’être plus celui de son maître. Mais le vaniteux et coléreux Iphicrate, a du mal avec sa nouvelle identité et menace Arlequin. Trivelin, ancien esclave et gouverneur de l’île, désarme alors Iphicrate et lui ordonne comme à Arlequin, de changer de nom et donc d’identité. Arlequin s’appellera Iphicrate qui lui, deviendra Arlequin.  Et, dit Trivelin, ici, c’est la loi: quand un maître arrive ici avec son esclave, le maître devient l’esclave et l’esclave, son maître.

Arlequin et Iphicrate vont très vite rencontrer Cléanthis et la belle Euphrosine (en grec ancien: de bonne humeur». Cette grande bourgeoise athénienne et Cléanthis, son esclave, sont dans la même situation. Arlequin propose alors à Cléanthis de tomber amoureuse d’Iphicrate dont il lui dit beaucoup de bien. Et lui, ira séduire Euphrosine mais elle s’en moque. Arlequin arrive devant Euphrosine: échec: Mais elle retournera la situation et dominera Arlequin qui ordonne à Iphicrate d’aimer Euphrosine, l’ex-Cléanthis. Mais Iphicrate essaye d’apitoyer Arlequin  qui ne se laisse pas influencer. Arlequin pardonnera à Iphicrate, renoncera à son récent et brillant statut de maître… et remettra sa livrée de domestique. Et Iphicrate, son beau costume.
Moralité amère : Arlequin a été assez malin pour voir qu’il n’était pas fait pour être maître : «Je ne te ressemble pas, moi, je n’aurais point le courage d’être heureux à tes dépens.» Iphicrate dit à Arlequin qu’il a bien compris les choses, qu’il lui en sera reconnaissant et lui demande même d’oublier qu’il a été son esclave. Arlequin invite Cléanthis à faire la  même chose. Mais Euphrosine essaye de profiter de la situation, ce qui provoque la colère de Cléanthis qui a envie de se venger : pour elle, riches et nobles avec leur argent sont méprisants et incapables de pardonner et d’ «avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison. » Il y a dans cette tirade, quelque chose du Mariage de Figaro, quelque cinquante ans avant la célèbre pièce de Beaumarchais…

Arlequin dit alors à Cléanthis que le pardon ne va pas sans générosité et que mieux vaut oublier le passé, si on veut préserver le présent. Iphicrate, lui, corrigera son orgueil et sa barbarie. Et Euphrosine avoue avoir abusé de son autorité sur Cléanthis qui lui rend alors sa liberté. Elle l’embrasse et lui propose de partager sa fortune.

Cléanthis et Arlequin ont choisi noblement le pardon, et non la vengeance, quand ils sont devenus les maîtres : «La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les Dieux font sur nous. » Trivelin annoncera ensuite au quatuor une bonne nouvelle: un bateau va bientôt les reconduire à Athènes. Il y a de la commedia delle’arte dans l’air avec le personnage traditionnel d’Arlequin très présent sur scène mais aussi avec Trivelin, gouverneur de l’île, qui a aussi été un esclave, donc bien placé pour jouer le rôle de conciliateur entre esclaves et maîtres… Jacques Vincey metteur en scène d’expérience (voir Le Théâtre du Blog) avait déjà  mis en scène La Dispute qu’il avait découverte dans la fameuse réalisation de Patrice Chéreau. Et il s’attaque à cette autre courte pièce de  Marivaux avec cinq jeunes comédiens de l’ensemble artistique du Centre National Dramatique de Tours. Blanche Adilon: Euphrosine, Thomas Christin: Arlequin, Mikaël Grédé: Iphicrate, Charlotte Ngandeu: Trivelin, Diane Pasquet : Cléanthis. Avec un prologue écrit par le metteur en scène et,  après la pièce, une sorte de petite performance conçue par les jeunes acteurs.

La pièce est une invitation à nous interroger sur le problème de l’esclavage et/ou de la domination. Dans la droite ligne de La Boétie, cette piqûre de rappel signé Marivaux n’est jamais un luxe, même à notre époque qui se veut moderne… « Avec deux mises en scène, dit Jacques Vincey, en février dernier une version foraine jouée en itinérance  dans les collèges, salles des fêtes, centres sociaux, prisons…  pour nous rapprocher des publics éloignés des théâtres. Et ici, à Tours, dans une version salle, avec une frontalité qui nous oblige à réinventer un rapport au public. »

Sur le plateau, dans un noir presque complet, la voix en off de Jacques Vincey dans un prologue où il explique -sans doute un peu trop- ses intentions. Puis apparaissent Iphicrate et Arlequin,  après le naufrage de leur bateau. On entend le bruit de la mer et ils sont engloutis par une marée blanche qui tombe des cintres. Très impressionnant: c’est juste de la bourre pour oreillers… Une formidable et belle image signée Mathieu Lorry-Dupuy mais cette marée blanche a l’inconvénient d’avoir une trop grande présence qui noie ensuite parfois le jeu des acteurs.

Jacques Vincey réussit à poser avec Marivaux une question très actuelle et socio-politique: comment accepter un autre mode d’existence… Celui que nous offrons actuellement au quotidien bon gré mal gré aux femmes et hommes arrivés en Europe qui subissent notre domination. Et si nous étions à leur place et si on inversait les rôles, comment réagirions-nous? Allez, chiche, on essaye: une énarque née dans un des « beaux » arrondissements parisiens et un ouvrier de haut-fourneau, gilet jaune de surcroît, une jeune fille de la haute bourgeoisie franco-américaine et un jeune du même âge mais issu de l’émigration comme on dit, et habitant les quartiers Nord de Marseille. C’est tout cela que dit déjà très bien, dans cette courte pièce, le grand Marivaux.

Cette Île des Esclaves a déjà été rodée et cela se voit: les jeunes comédiens, bien dirigés, n’ont aucune difficulté avec ce texte pas si commode à interpréter et leurs personnages sont encore parfois fragiles et il y a quelques longueurs. On retiendra surtout Thomas Christin en Arlequin; encore très jeune, il possède de la graine de très bon comédien et Charlotte Ngandeu en Trivelin, à la diction et à la gestuelle impeccables: en pantalon et habit queue de pie blancs, elle a vraiment une sacrée présence. La mise en scène comme la direction d’acteurs  de Jacques Vincey sont d’une honnêteté scrupuleuse et il n’y ici aucun effet facile. L’épilogue sous forme de performance et qui est l’œuvre des acteurs où chacun d’eux se présente, est souvent drôle et Charlotte Ngandeu dit simplement avec un bel humour: « J’ai assez parlé et je n’ai rien à dire!  » Mais il faudrait resserrer ce dernière séquence qui s’étire un peu…

Philippe du Vignal

Centre Dramatique National de Tours,  jusqu’au 5 octobre, et du 23 au 31 janvier.

Les 17  18 octobre, à Amboise. 

Du 5  au  9 novembre au Centre Dramatique National de Normandie-Vire. Les  13  et 14 novembre, L’Avant-Seine-Théâtre de Colombes.

Le 19 novembre, Ma-Scène Nationale-Pays de Montbéliard (Doubs); le 22 novembre, L’Entracte-Scène conventionnée de Sablé( Sarthe).  Le 26 novembre, Théâtre de Chartres; le 29 novembre à L’Echalier, Saint-Agil.

Du 3 au  5 décembre, Théâtre de Thouars.  Du 17 au 20 décembre, Théâtre de Sénart-Scène Nationale.

Le 12 mars  aux 3 T-Scène conventionnée de Châtellerault; le 19 mars, Théâtre du Cloître-Scène conventionnée de Bellac (Corrèze).

Du 1er au 3 avril, Théâtre de Sénart-Scène Nationale.  Le 8 avril , Théâtre d’Orléans ( Loiret).

 Et du 4 au  5 mai, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse).

 

 

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, mise en scène de Lilo Baur

©BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE - IMAGES

©BRIGITTE ENGUERAND / DIVERGENCE – IMAGES

 

La Puce à l’oreille de Georges Feydeau, mise en scène de Lilo Baur

Cinquième réalisation à la Comédie-Française de cette metteuse en scène (voir Le Théâtre du Blog), avec cette pièce créée en 1907 qui n’y avait pas été montée depuis plus de quarante ans. Situations burlesques, quiproquos en chaîne et un formidable personnage de sosie sur lequel est fondée l’intrigue. La Puce à l’oreille n’est sans doute pas la meilleure de son auteur mais elle est bien construite et il en avait rédigé avec le plus grand soin les didascalies. Georges Feydeau insiste en particulier sur le fonctionnement du mécanisme du double lit tournant qui permet d’évacuer dans une autre chambre d’un hôtel douteux, un couple dit illégitime. Et il décrit avec soin tous les accessoires, leur disposition comme l’aurait fait le peintre qu’il aurait sans doute aimé être, et même les déplacements des acteurs  qu’il avait aussi dirigés.

Lilo Baur a ignoré ces didascalies et elle a bien fait de donner un coup de jeune au cadre, en situant l’intrigue en  1960 à la montagne, à Noël, dans le bel appartement d’un chalet à la montagne. Murs en lattes de bois, grand feu dans la cheminée en pierre claire, canapé vert cru trois places, table basse, fauteuils au design nordique, téléphone blanc à cadran, horloge coucou, etc. «J’avais envie, dit-elle, d’un intérieur bourgeois avec une grande baie vitrée à travers laquelle on voit la neige. Un contraste entre le calme à l’extérieur et l’hystérie dans l’appartement. Enfin, Noël est propice aux stimulations du bien-être de l’âme, c’est le moment de l’année où il est question de chaleur et de rapprochement. Cela correspond parfaitement à l’ambiance et à la raison d’être de l’hôtel du Minet-Galant.» Ce même décor se transforme en effet et en quelques minutes, en hôtel avec escalier, hall de réception avec grand arbre de Noël et à cour, la chambre… Une scénographie très réaliste des plus remarquables et pleine d’humour, signée Andrew D. Edwards, comme le sont aussi les tailleurs avec jupe longue très serrée et les costumes trois pièces de bonne coupe mais un peu ternes des années 60 imaginés par Agnès Falque.

L’histoire est volontairement compliquée comme toujours chez Georges Feydeau, sauf dans ses dernières petites pièces et il a un malin plaisir à rendre inextricables les situations où il a fourré ses personnages. Loin d’être idiots, ils ont le plus grand mal à gérer la situation… ingérable où ils se sont mis eux-mêmes. La Puce à l’oreille comme est fondée sur une une précision mécanique de l’intrigue, ce qui n’est pas incompatible avec le comique génial de Feydeau. Et les répliques sont souvent sublimes, du genre: «Je t’ai quitté Lucienne Vicard, je te retrouve Lucienne d’Homenidès de Histangua ; ton nom a pu s’allonger, ton cœur est resté le même. » Et il y a une phrase étonnante d’une «morale délicieuse», quand il fait dire à Raymonde Chandebise : «Je veux bien encore le tromper, lui. Mais qu’il me trompe, lui ! Ah ! non ! çà, cela me dépasse. » Pas si loin finalement de Marivaux… et comme lui, bon connaisseur de la langue française. Et il ne se prive donc pas de jouer sur les mots comme le fera ensuite Sacha Guitry : «L’amour et l’amour propre, ça ne va pas ensemble… Si même il y en un qui s’appelle propre, c’est pour le distinguer de l’autre qui ne l’est pas.”

Il y a quinze personnages dont le neveu de M. Chandebise qui a un grave défaut d’élocution : il ne peut prononcer que les voyelles dès qu’il ouvre la bouche (très bon Jean Chevalier qui joue les pas très malins avec virtuosité). Bien entendu, les malentendus et quiproquos pleuvent et nous sommes toujours en avance sur la situation: le principal fondement d’un comique qui a fait ses preuves. Raymonde (Anna Cervinka) ouvre «par mégarde, en inspectant son courrier” -tout le comique de Feydeau est déjà là- un paquet envoyé à Victor-Emmanuel Chandebise, son mari, un assureur des plus bourgeois, par la direction de l’hôtel du Minet-Galant à Montretout. Dans le paquet, une paire de bretelles et Raymonde se persuade alors qu’il la trompe… En effet, comme elle le dit à son amie d’enfance Lucienne (Pauline Clément), il n’est pas sexuellement très en forme ces derniers temps… Elle lui demande alors d’écrire une lettre donnant rendez-vous à Victor-Emmanuel dans ce même hôtel pour le piéger. Mais, écrite de la main de Lucienne, cette lettre tombe dans celles de son mari, Carlos de Homenidès de Histangua (Jérémy Lopez) qui voit rouge. Jaloux et fou de colère, il a quelque chose d’un général d’Amérique latine, comme on les caricature dans les vaudevilles et il veut aussitôt provoquer en duel Victor-Emmanuel…

Raymonde va donc essayer d’aller surprendre son mari mais tombera, dans la chambre réservée, sur Tournel, un vieil ami de son mari qui la drague depuis quelque temps et qui est très, très entreprenant… Paniquée, elle appuie alors sur un bouton d’appel mais catastrophe, la paroi du lit tourne  (Tournel/tourne: logique! ) et elle se retrouve, dans le  texte original de Feydeau, avec Baptistin. En fait ici, de rebondissement en rebondissement, tout va très vite se détraquer dans cet endroit douteux  “où il ne vient que des gens mariés,  comme le prétend Augustin Ferraillon, le directeur de l’hôtel (Thierry Hancisse). » (…) Et Georges Feydeau lui fait préciser avec humour: «Ils ne sont que davantage, puisqu’ils le sont chacun de leur côté.»  Il y a là aussi une pittoresque galerie de personnages: le docteur Finache, un ami de Victor-Emmanuel et  dragueur impénitent qui se vante d’y emmener ses nombreuses conquêtes, une bonne à tout faire mais aussi Olympe, l’épouse de M. Ferraillon et  ex-prostituée, M. Rugby, un client anglais original… Et surtout Poche, le valet alcoolo,  sosie parfait de M. Chandebise ! Ce qui va semer une suite de quiproquos et donc une belle pagaille dans ce petit monde qui se retrouve là, sur l’unique décision de l’auteur.

Le sosie, vieux truc théâtral invraisemblable mais qui marche à tous les coups  et permet aussi  à un acteur de recevoir, cadeau royal, un double rôle où excelle Serge Bagdassarian qui réussit à passer de l’un à l’autre avec virtuosité. On vous épargnera les méandres de cette intrigue compliquée et burlesque à souhait où les personnages, tous  réunis dans l’appartement, continueront à se disputer et à s’injurier. Il y verront enfin plus clair quand; à l’extrême fin de la pièce, ils apprendront que Poche a un parfait sosie en la personne de Victor-Emmanuel Chandebise, à qui Augustin Ferraillon vient de botter sérieusement les fesses, puisqu’il le croit son valet  …

Côté mise en scène, Lilo Baur a essayé de rendre les choses simples avec un spectacle précis où l’acteur est roi. Il y a de nombreux gags faciles… et pas toujours très réussis. Avec treize comédiens et quatre élèves de l’académie de la Comédie-Française. Mais ces personnages très caricaturaux sont proches de ceux d’une bande dessinée et  Lilo Baur n’a pas vraiment réussi son coup. On est d’abord fasciné par la scénographie mais le rythme de la mise en scène est un peu lent et la distribution inégale… Les acteurs expérimentés de la troupe s’en sortent bien, les autres moins et il n’y a guère d’unité de jeu. Et la metteuse en scène semble avoir eu du mal à régler correctement le deuxième acte à l’hôtel du Minet Galant où, mises à part les scènes entre Ferraillon et Poche, le compte n’y est pas tout à fait et la direction d’acteurs reste assez approximative. En revanche, Lilo Baur maîtrise  mieux le troisième et dernier acte dans le chalet et où il y a enfin un vrai rythme et où les personnages sont plus ciselés.

Quant au public, il semblait ce soir-là partagé : près de nous, une jeune femme riait tout le temps mais un couple d’une cinquantaine d’année, pas du tout. En tout cas, il y eut de nombreux rappels. Alors à voir? Oui, si vous n’êtes pas très difficile mais on a vu Feydeau mieux traité, en particulier par Jérôme Deschamps sur ce même plateau avec Le Fil à la patte. Et que peut donner dans une salle de cinéma, une représentation filmée en direct aux dates ci-dessous?  A suivre… mais on a le droit d’être sceptique.

 Philippe du Vignal

En alternance, jusqu’au 23 février, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette, Paris (I er).
Transmission en direct, le jeudi 17 octobre à 20 h 15 et les 11 novembre et 1er décembre à 17 h; le 12 novembre à 20 h dans quelque deux cent cinémas en France. Infos et réservations :https://www.pathelive.com/programme/comedie-francaise-19-20 

Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell

Pièce d’actualité n°14 : Dévoiler, mise en scène de Richard Maxwell

Crédit photo : Willy Vainqueur.

Crédit photo : Willy Vainqueur.

 L’Ecole des Actes à Aubervilliers est un des rares endroits où des jeunes peuvent se rencontrer. Dans les quartiers de pauvreté, les immigrants cherchent de nouveaux lieux où pouvoir vivre et dormir, comme des artistes et des intellectuels. Et ces rencontres se font avec la pratique du théâtre, l’acquisition de la langue française et des échanges à partir d’expériences personnelles. Avec des hypothèses sur les questions géo et socio-politiques, Dévoile révèle des identités non exprimées et donc rentrées.

 « Au départ, il y a une douleur dans ton cœur. Tu cherches ce jour où tu pourras le dévoiler. Tu es le seul qui puisse dire cette chose, où elle se trouve, et qu’en effet elle existe. Tu arrives. Et maintenant te voilà ici.» Soit l’épreuve de tout migrant. L’Américain Richard Maxwell, avec sa compagnie New York City Players, a posé ses bagages au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Un premier travail d’exploration du territoire a débuté au printemps dernier et, dans un second temps, cet été. Avec une question initiale et stratégique posée aux habitants maghrébins et sub-sahariens d’Aubervilliers, soit presque la moitié de sa population. « Si on vous donnait les clés du Théâtre de la Commune, que feriez-vous de ce bâtiment ?» Cette même question a ensuite été posée aux  élèves de l’Ecole des Actes.

Des propositions sont explorées. Après le spectacle du 28 septembre, lors d’un «bord du plateau», un comédien migrant se fait entendre. Pour lui, le Théâtre  de la Commune pourrait être reconverti en logements pour que les sans-logis aient enfin un toit. Il ajoute en même temps que cet avis initial s’est affiné après l’expérience théâtrale. Or, en vue du spectacle, des histoires ont été racontées, en lien avec l’expérience vécue des interprètes, avec aussi de nombreux récits qui n’en ont plus fait qu’un seul.

 L’intrique de Dévoiler : l’histoire de Boulaye Dembele parti de Gao et quand il apparaît sur scène à la fin,  apportant un témoignage vivant de la sincérité du récit.Il dévoile sa satisfaction d’être arrivé ici, malgré la douleur de la séparation d’avec sa mère. Les interprètes jouent leur aventure migratoire depuis le pays natal, le Mali qui n’a pas été épargné par la guerre, jusqu’à la Lybie, puis à Lampedusa en Italie, puis en France.Abdramane Doucoure, Moussa Doukoure, Maxime Fofana, Kawou Marega, Abdel Kader Moussa Boudjema, Abou Sylla, Abubakary Tunkaba, ont à leurs côtés, pour la direction d’acteurs, la scénographie et la technique, Richard Maxwell, Nicholas Elliott et Sascha Van Riel.

Juste des tentures pour évoquer successivement les intérieurs modestes de la famille de Boulaye en Afrique, des paysages marins et l’immense désert de sable. Après bien des péripéties pour aller de Gao jusqu’en Lybie où il arrive, Boulaye est forcé à travailler quelque temps, avant de  reprendre enfin la mer. La mise en scène désigne un geste politique, responsable et esthétique depuis le pays d’accueil celui de nous, public de théâtre. On sait que la bonne volonté et en même temps une certaine résistance habitent les terres d’accueil.

 Le groupe de migrants prend la mer, représentatif du parcours de Boulaye, et sans Boulaye que nous ne voyons pas encore mais qui n’en est pas moins apostrophé et présent dans son invisibilité même, debout à côté de ses camarades ou assis. Les interprètes prennent la mer: ils montent ainsi dans les gradins de la salle, traversant les rangées de sièges et avançant difficilement, comme pour grimper  à bord d’une embarcation fragile et aléatoire.

 Les voilà enfin arrivés au faîte de la salle, dévoilant une autre scène, celle d’un bateau ou d’un wagon de train avec la fin de ce long voyage. Boulaye, sans papiers, est obligé de se cacher pour ne pas  rencontrer la police des frontières.  Le public, dos tourné, suit le spectacle « à l’envers » et donc forcé de trouver la position la moins inconfortable… Une mise en abyme de la situation douloureusement éprouvée par les réfugiés  et une posture inédite pour le public auquel revient l’initiative de savoir accueillir l’autre et lui témoigner sa compassion.

 En haut derrière la salle, le squat Schaeffer où trouvent refuge dans un premier temps migrants, demandeurs d’asile et de papiers, un lieu symbolique. Cet ancien supermarché récupéré et réhabilité est toujours menacé par les autorités mais est fort d’une résistance collective efficace. Salle de sports, tables de café avec jeux de cartes…  les migrants y trouvent un peu de repos. Art et fiction sont ici au service de la réalité, Dévoiler : un théâtre politique d’un engagement rare.

Véronique Hotte

La Commune-Centre dramatique national, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers Seine-Saint-Denis, jusqu’au 6 octobre. T. : 01 48 33 16 16.

Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène de Claude Stratz

 Le Malade imaginaire de Molière, mise en scène de Claude Stratz

97E9A6D9-2BE4-455F-B3B7-868290ABFA80Disparu en 2007, Claude Stratz reste en vie avec cette très belle mise en scène qui a déjà eu cinq cent représentations notamment aux Etats-Unis et en Chine. Bien entendu depuis sa création, la distribution a changé mais elle reste toujours aussi impeccable.

Argan obsédé par ses maladies diverses, veut marier sa fille Angélique à Thomas Diafoirus, fils de son médecin pour, espère-t-il, se faire soigner sans problème. Sa femme Béline, attend sa mort avec impatience pour profiter de son héritage. Mais heureusement, son frère Béralde parviendra à dévoiler toutes les machinations ourdies contre lui et Angélique parviendra à épouser son Cléante.  Argan finira sacré lui-même médecin.

 Il est assis sur son trône blanc de malade impressionnant qui se relève en dais au dessus du plateau. Il triomphera de sa maladie imaginaire, grâce à la complicité de Toinette qui se déguisera  en médecin.  La pièce est mise en musique par Marc Olivier Dupin et chorégraphiée par Sophie Mayer. La troupe de la Comédie Française, comme l’affirme Eric Ruf, est une école d’humilité, avec une passation de rôles: de de grands spectacles exceptionnels comme celui-ci vivent bien au delà d’une exploitation normale salle Richelieu.

Spectacle joué Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00

Sartrouville, Chaville, Rueil-Malmaison, avant une reprise au Théâtre Marigny.

Jules César de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Rodolphe Dana

Crédit photo : Vincent Pontet. Coll. Comédie-Française.

©Vincent Pontet

Jules César de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Rodolphe Dana

Grand lecteur de Plutarque, Shakespeare a compris que les hommes et leurs dirigeants, à la fin de la République romaine, au temps de César et d’Auguste, étaient aussi violents, désordonnés et ténébreux, que dans l’Angleterre élisabéthaine. Et une autre lecture de Rome enseignée dans les écoles , nous apprend Yves Bonnefoy, celle qui admirait le droit romain, l’éloquence de Cicéron, la philosophie stoïcienne et qui donnait une valeur exemplaire à quelques grandes figures qui incarnaient à Rome la rigueur morale et la lucidité du jugement. Etre un Romain revenait à incarner la raison qui se serait détachée des passions, comme dit Brutus dans Jules César, tout en soupçonnant l’Empereur de dérapage.

Le metteur en scène et directeur du Centre Dramatique de Lorient a voulu représenter ces débats d’idées, duels verbaux, polémiques et controverses dans une scénographie bi-frontale. Le public est donc très proche de ces hommes politiques, volontaires et porteurs de projets mais aussi entraînés par leurs désirs personnels et quoiqu’ils disent, soumis à la vengeance, à la jalousie et âpres au gain.
César possède une intelligence aigüe dans l’élaboration de la loi, comme sur les champs de bataille, tout comme  Brutus aux grands principes césariens, mais une arrière-pensée le mine pourtant insidieusement. Il ressemble ici à un Hamlet inquiet.

Rodolphe Dana a resserré l’intrigue qui est d’une gravité austère et a conçu une  distribution à parité exacte, quel que soit le rôle. Autour d’un César à la sérénité lumineuse de Martine Chevallier, les sénateurs conspirateurs Météllus (Françoise Gillard),  Decius (Jérôme Pouly), Cinna (Christian Gonon), Nâzim Boudjenah (Brutus), Casca (Noam Morgensztern), Trébonius( Claire de la Rüe du Can), et Ligarius (Jean Joudé). Georgia Scalliet est elle, le fidèle Marc-Antoine. Tous, embarqués dans l’aventure politique, ils ne cèdent à l’adversaire nulle chance de défense ou salut. Chacun, en tyran, souhaite éradiquer le tyran et n’obéit qu’à sa seule volonté inavouée. Seul, Brutus pense loyalement à l’intérêt général et au bien public.

 L’angoisse fait son chemin et des signes confus se bousculent: la lecture des astres n’est plus fiable, un orage éclate, des lions et lionnes errent à Rome et il y a dans le ciel, des visions apocalyptiques: combats militaires, incendies… Avec une impression d’irréalité quand César va rencontrer la foule, alors qu’un inconnu lui conseille de «craindre les Ides de Mars»: une menace du sort, loin d’atteindre César à qui son épouse demande de ne pas se rendre au Sénat.  Ce que l’Empereur ferra tout de même mais les conspirateurs le frapperont chacun leur tour, jusqu’à son ami Brutus. Le fameux : « Tu quoque, mi fili»,  ultime parole d’horreur et déception quand César reçoit les coups mortifères, et destinée à Brutus, le seul en qui il pouvait avoir confiance et qui l’a trahi!

La langue des conspirateurs est limpide et, pour cette tragédie, Rodolphe Dana a conçu une dramaturgie faite de poésie, symboles et réalisme politique. Comme si ne restaient que les fils à la fois ténus et acérés d’arrière-pensées stratégiques… C’est à qui sera le plus résolu à accomplir un dessein meurtrier, et au-delà du sang versé, pour un prétendu avantage de la communauté! Une conjuration qui fait froid dans le dos…

Véronique Hotte

Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème) jusqu’au 3 novembre. T.  : 01 44 39 87 00/01.

 

Electre des bas-fonds, mise en scène de Simon Abkarian

Electre des bas-fonds, texte et mise en scène de Simon Abkarian

©photo Antoine Agoudjian

©photo Antoine Agoudjian

Un spectacle du Théâtre du Soleil mais pour la première fois signé par un autre metteur en scène qu’Ariane Mnouchkine, la directrice. Simon Abkarian en a été longtemps le collaborateur.  « Il revient,dit-elle bienvenu dans nos murs qui ont vu en lui, l’acteur s’épanouir. Avec une histoire épouvantable de vengeance têtue qui aurait pu finir autrement, s’il n’y avait pas ce terrible mauvais choix qui préside à toute tragédie. grecque ou pas. Antique ou moderne. Leurs mauvais choix, ou pire, le nôtre. Venez, venez le voir, lui et ses amis. Et puis, ne dit-on pas qu’assister à une tragédie au théâtre, enseigne à éviter de la subir dans la vie ? »

Une pièce avec une importante distribution comme au Soleil: quatorze comédiennes et six acteurs-danseurs. Cela se passe dans le quartier le plus pauvre d’Argos en Grèce, le premier jour du printemps, celui où on célèbre la fête des morts. « Prostituées, serveuses, esclaves, tous se préparent pour le grand soir, dit Simon Abkarian. Les meilleurs musiciens sont là. Mais la fête va se refermer comme un piège sur Clytemnestre et son amant Egisthe. Électre des bas-fonds est conté ici comme une fable mais à l’envers et le Chœur donne sa puissance aux histoires individuelles. Rock’n’roll et blues sont les poumons du récit. La danse, elle, continue là où s’arrêtent les mots. »

 Oreste,un jeune homme déguisé en fille avec de longues tresses, revient en Argos pour venger son père Agamemnon, assassiné par Egisthe, l’amant de sa mère Clytemnestre. Elle voulait se venger,elle que le Roi ait sacrifié aux dieux sa fille Iphigénie pour déchaîner des vents favorables afin que les Grecs puissent aller en bateau  raser la ville de Troie. Mais Electre sa sœur ne reconnait pas Oreste, suivi de son fidèle Pylade;, elle fait partie d’un chœur de prostituées et d’esclaves qui dansent  somptueusement sur une musique écrite et jouée par les Howlin’cJaws…

Oreste se lamente :« J’en ai assez de me fuir moi-même. Apollon me présente une dette que je n’ai pas contractée.  » (…) « Nous nous embrasserons sur les cadavres de nos enfants. Les puissants ne tiennent jamais parole.» Malgré tout, Oreste, après un long parcours réalisera sa vengeance.
Un beau spectacle.

Edith Rappoport

Jusqu’au 3 novembre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, Vincennes (Val-de-Marne). T. : Individuels : 33 (0)1 43 74 24 08 (tous les jours de 11 h à 18h)
Collectivités : 33 (0)1 43 74 88 50 (du mardi au vendredi de 11 h à 18h)

Le texte de la pièce est publié par Actes-Sud Papiers.

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes  de Charleville-Mézières

La Green Box d’après L’Homme qui rit de Victor Hugo par Claire Dancoisne

 Cette année, l’un des fils rouges était confié à la compagnie de la Licorne, avec ce théâtre d’objets et de masques, inspiré du fameux texte de Victor Hugo. Une attraction foraine qui s’arrête, le temps d’une représentation. Avec une mise en abyme du théâtre que privilégie cette créatrice, dans une forme réduite où elle excelle, quand œuvre un ou une interprète avec un castelet. L’œuvre-matrice, L’Homme qui rit, forme scénique pour grand plateau, avec marionnettes portées, masques et objets, costumes loufoques et personnages insolites, assez caricaturale, est moins convaincante que les petites formes.

 Psaumes pour Abdel de Laura Fedida.

 Cette comédienne passée, entre autres écoles, par l’Ecole Nationale Supérieur Nationale des Arts de la Marionnette,  a son insertion professionnelle grâce à la coopération entre l’Ecole et le festival, avec un premier spectacle un peu vert et juvénile mais prometteur.   Ici, metteuse en scène et co-autrice du spectacle, avec Thaïs Beauchard De Luca et Armelle Dumoulin.

 Sur scène  Elena Josse, Chloé Sanchez et Armelle Dumoulin, musicienne et guitariste, s’échangent les rôles et alternent les postures, pour raconter l’histoire d’un amour pour  Abdel, alias Keta. Sans domicile fixe, zonant près des escaliers de l’Opéra-Bastille, poursuivi par la police pour trafics illicites dans les tunnels parisiens jusqu’à la mort… Mais cette aventure n’échappe pas aux clichés et à un imaginaire convenu et bien économe.

Mise en scène fougueuse : un espace pour installation urbaine dont on voit au lointain la trop mythique cabine téléphonique: un repère dans les allées et venues intempestives des personnages féminins. Cheveux Roses, l’amoureuse, interprétée par les trois comédiennes, est arrêtée pour avoir incendié des objets, à plusieurs reprises. Il lui faut alors rendre des comptes à la Justice, incarnée par un voile de plastique transparent que les marionnettistes manipulent en le façonnant et en lui donnant une forme de sculpture.  Avec des morceaux de bois et de petits ballons colorés et transparents, tandis que résonnent quelques beaux accords de guitare. Un premier spectacle prometteur.

 Biographie par Alexey Leliavski

 Une jeune compagnie russe raconte une histoire intime sur la valeur de la vie humaine, dans un spectacle inspiré du Petit Canard d’Andersen, que nous avons tous ont entendu un jour. Une quête existentielle  recréée ici par trois jeunes comédiens-marionnettistes, diseurs mélancoliques de poésie russe. Ils manipulent aussi  des objets dont des triangles en plexiglass ressemblant à des canards. Ici, le petit canard d’Andersen ne se transforme pas en cygne et le spectacle a pour thème l’altérité et le rejet par la société, ce que les biographies des poètes russes révèlent souvent. Un voyage dans les rêves de poètes insatisfaits et décidés.

 Leyli & Majnun du Théâtre de Marionnettes de Baku

 Cette compagnie dAzerbaïdjan nous a offert un petit trésor de théâtre des plus précieux et raffinés, avec marionnettes à fil et à tringles.Désigner, éditeur, calligraphe, Tarlan Gorchu est aussi un metteur en scène de spectacle traditionnel, formé à Baku, mais aussi à Moscou, Tbilissi et Varsovie.Il fonda le Théâtre de Marionnettes à Baku, dans les années 1980, pour adapter les œuvres d’un des plus grands compositeurs d’Azerbaïdjan, Uzeyir Hajibeyli. Son premier opéra d’après un livret inspiré du poème de Muhammad Fuzuli (1494-1556), mêle traditions orientales et influences européennes, et raconte l’amour tragique et mythique de jeunes amants.

Un spectacle au grand raffinement visuel : les marionnettes à fils, de trente centimètres, magnifiquement travaillées, jouent devant des paravents décorés. Les manipulateurs font preuve d’une réserve et d’un remarquable engagement pour leurs marionnettes qui chantent au rythme des bras levés, avec des gestes ritualisés exprimant l’émotion et la douleur de la séparation.

Famous Puppet Death Scenes par Old Trout Puppet Workshop.

Cette compagnie  canadienne présente un spectacle à la fois macabre et particulièrement amusant, à partir de la mise en scène – version originale- de Tim Sutherland, et que recréent les marionnettistes et interprètes Pete Balkwill, Pityu Kenderes et Judd Palmer. Fondée en 1999, dans un ranch du sud de l’Alberta par une bande de copains, la compagnie a appris à créer des marionnettes. En trente ans, l’équipe s’est professionnalisée et a choisi Calgary pour demeure, réalisant aussi des sculptures, films, peintures et livres pour enfants.

Ici avec un florilège de morts de marionnettes, le spectacle  traite avec humour de notre humble condition humaine. Avec un maître de cérémonie, moitié homme-moitié marionnette…Personnages loufoques et cocasses, musiques d’opérettes espagnoles ou sud-américaines,  pour un théâtre festif et convivial. Régulièrement, un petit homme reçoit sur sa grosse tête un coup de poing des plus cruels. Les masques surréalistes sont à la fois grotesques et inquiétants. Comment échapper à la mort ? Comment éviter le coup fatal ? L’humour et le rire sont au rendez-vous de ces morts diverses dont on sourit. Un spectacle à la fois distancié et ironique, inventif et ludique.

Le Rêve d’une ombre librement inspiré de L’Ombre d’Hans Christian Andersen, sur un texte d’Achille Saulouppar la compagnie de la Main d’œuvre

 le-reve-d-une-ombre-1 - copieUn autre spectacle d’ombres et objets, écrit et joué par Katerini Antonakaki, formée à l’E.S.N.A.M. et par Sébastien Dault, formé, lui, au Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en-Champagne.  Un travail qui participe des arts plastiques, du mouvement et de  la musique. C’est un théâtre visuel avec de petits objets projetés sur un écran de tulle et des ombres oniriques.

 Le jeu entre l’interprète et un imperméable sur cintre désignant son ombre est judicieux. Laissant peu à peu le rapport de pouvoir s’inverser, l’Ombre prend d’assaut un corps qui n’existe presque plus, soumis à la tyrannie de cette Ombre. Le public est très attentif devant ce spectacle délicat et poétique. Mais le texte qui pourrait être réduit, est proféré au micro par son auteur d’une voix  trop forte, ce qui nuit à ce rêve délicatement installé. Dommage…

 Véronique Hotte

 Spectacles vus à Charleville-Mézières (Ardennes)

Marionnettes – Festival international à Neuchâtel (Suisse) le  8 novembre.
Week end TJP – Saison TJP CDN Strasbourg, les 23 et 24 et 25 janvier. 
 Festival Imaginale – Stuttgart Allemagne, Théâtre JES, le 1er février.
 Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris, du 21 au 30 avril.

 

Festival Cergy soit

2013-cergySoit-parc-francois-mitterrand-photo-Dominique-Chauvin

Festival Cergy, Soit!


Créé en 1998 à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), ce festival annuel des arts de la rue et du cirque dirigé par Nathalie Cixous, est implanté en plein cœur du quartier Grand-Centre. Il rassemble pendant trois jours de septembre, plus de 40.000 spectateurs et accueille quelque cinquante compagnies pour une centaine de représentations. Cergy, Soit ! est un rendez-vous populaire mais intransigeant quant à l’excellence artistique. L’entrée aux spectacles est gratuite pour favoriser la mixité du public, avec une programmation très variée:  théâtre, cirque, marionnettes, danse, musique… Un festival de dialogue entre les formes artistiques élaborées par de jeunes compagnies et par d’autres confirmées.
Etat des lieux avec six spectacles, dont L’Homme Debout sur le thème de l’exil…

Vol d’usage par la  Compagnie Quotidienne

Deux acrobates à vélo tournent en rond autour de la piste, le vélo tombe.  Ils dévisagent le public, l’un d’eux remonte sur le vélo, l’autre fait du stop… Pris par son compagnon, il monte sur le guidon, pédale avec une jambe puis éjecte le conducteur. Des sangles descendent, l’engin tombe mais il parvient à les enfiler et redescend en grand écart, tourbillonne. «Tous les matins, je prends mon vélo pour aller au boulot !» Un spectacle brillant avec une série d’équilibres périlleux, voltiges, galopades, sauts à l’envers et autres acrobaties tout à fait étonnantes…

Slash ou l’Homme D par le Slash Frichti Concept de Brendan Le Delliou

Il décide de jouer sa vie aux cartes et répond à un coup de fil : «A l’heure pile, je dois être à l’heure pile !» Il se lève, virevolte, s’assied,  danse, tombe…Il enlève sa veste, sort une pomme de son sac : «Pile, je la mange et face,  je la range ! « (…) « Je vais me reposer et faire tout et n’importe quoi ! Moi, je ne supporte plus les cadres, assis, je suis déjà assis… Je m’en vais, je glisse, je continue mon chemin, ni à droite, ni à gauche, nulle part. On va dans le mur.»

Il lance alors un gros dé, se déshabille, puis danse avec ce dé. « Partir en vacances ou à l’hôpital, je prends les armes, je veux pouvoir leur faire peur et mourir, sauver le monde en superstar ! »  Il y a ensuite  un gros dé qui s’ouvre avec de petits dés à l’intérieur. Il danse sur ce gros dé puis répond à un coup de fil, prend une pomme et la mange. Un spectacle insolite, virevoltant et plein d’humour…

Respire, une traversée funambule par  Les Filles du Renard pâle

Une funambule au-dessus de la piscine. Elle s’allonge sur le ventre avec sa perche, se pend par les bras, fait le cochon pendu puis s’accroupit et s’allonge sur le fil. Une brillante prestation mais d’autres spectacles  nous appellent!

Gromic The magic Show 

Un clown en pardessus avec chapeau et mitaines arrive sur une musique de jazz. Il sort des tissus plastiques blancs de sa bouche et de ses oreilles, les mange, puis enlève son pardessus. Sur une musique de film, il se met à boxer, fait semblant de se couper le pouce qu’il mange. Puis il choisit dans le public une enfant qui doit l’imiter mais elle ne le fait pas. Il s’en sert alors comme d’une marionnette. A la fin de ce spectacle silencieux, éclate la musique d’YMCA du groupe Village People. Puis ce clown belge propose des câlins gratuits….

Mo et le Ruban rouge  par L’Homme Debout

Fondée à Poitiers il y a huit ans par Benoît Mousserion, la compagnie crée des marionnettes géantes en osier, en collaboration avec les habitants  et travaille autour du thème  de l’exil et des migrations… Une marionnette blottie sur elle-même avec un gilet de sauvetage orange: un enfant séparé des siens et qui dort… On vient lui apporter un cadeau dans une boîte au ruban rouge mais il n’arrive pas à l’ouvrir. Il se réveille, seul et lentement se lève. Commence alors une série d’épreuves et nous le suivons dans les allées du parc, jusqu’à une place centrale entourée de piquets. Des aides vont enfermer l’homme debout avec des rouleaux de papier collant, jusqu’à ce qu’on ne distingue plus que le sommet de son crâne.

On finira par mettre le feu à cette barrière qui s’effondre. Mais le cadeau refuse de révéler  à celui qui cherchait à découvrir ce qu’il contenait et qui ne l’a toujours pas trouvé. Une étonnante recherche sur les buts de la migration que nous refusons, nous, égoïstes pays riches. Une belle émotion devant ce spectacle insolite et ludique réalisé avec l’aide de nombreux bénévoles. Malgré la gravité du thème, un travail en cours qui aura plusieurs chapitres… Donc à suivre.

Edith Rappoport

Spectacles vus à Cergy-Pontoise ( Val-d’Oise) le 22 septembre.

Projection du film : Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d’Antoine Vitez

Ludmila Mikael et Robin Renucci durant une répétition de la pièce “Le Soulier de satin” de Claudel, mise en scène Antoine Vitez, 1987, Avignon .• Crédits : Gérard Fouet - AFP

Projection du film : Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d’Antoine Vitez

 Antoine Vitez  recréa Le Soulier de Satin pour le festival d’Avignon 1987. Le grand Alain Crombecque -hélas disparu il y a quelques années- étant directeur. Avec une distribution exceptionelle avec entre autres, Gilles David, Valérie Dréville, Philippe Girard, Jany Gastaldi, Ludmila Mikael, Serge Maggiani, Daniel Martin, Redjep Mitrovitsa, Alexis Nitzer, Robin Renucci, Didier Sandre, Dominique Valadié, Pierre Vial, Gilbert Vilhon, Antoine et Jeanne Vitez, Jean-Marie Winling,… Dans la scénographie et les costumes  de Yannis Kokkos, la musique de Georges Aperghis et les lumières de Patrice Trottier…

  »Quand tout sera passé, disait-il en 1985, on regardera ce temps-ci, ces trente ou quarante années, comme un âge d’or du théâtre en France. Rarement, on aura vu naître tant d’expériences et s’affronter tant d’idées sur ce que doit être la scène, et sur ses pouvoirs. Illusion ou allusion, culte du sens ou détournement, relecture ou dépoussiérage des classiques, vertu révolutionnaire ou dérisoire innocuité, fiefs et baronnies de théâtre, légendes des grands hommes, publics sans théâtre, théâtre sans public, tout cela mêlé dans la confusion. »

La représentation au festival d’Avignon commençait à 21h et finissait 9 à h du matin avec quelques entractes. Il nous souvient que le jour de la première -sans doute une étudiante- avait réussi pour ne pas payer sa place, à s’introduire en lousdé dans la Cour d’Honneur (heureux temps!). Elle eut affaire à deux flics dépêchés par les ouvreurs mais refusa catégoriquement de quitter son siège; de guerre lasse, la représentation, devant absolument commencer,  les flics renoncèrent… Elle avait gagné et put rester  jusqu’au bout pour voir la mise en scène mythique de cette pièce écrite il y a déjà un siècle et publiée en 1929. Et seulement montée jusque-là par Jean-Louis Barrault à la Comédie-Française en 1943. Sur le thème de l’amour impossible comme dans ses pièces précédentes Partage de midi et L’Annonce faite à Marie.

Dans le cadre de la Nuit Blanche le 5 octobre mais  de 9h 30 à 21h 30,   le film du Soulier de satin sera projeté le 5 octobre au Conservatoire Paul Dukas,  51 rue Jorge Semprun,  (donnant dans la rue du Charolais), Paris XII ème : ATTENTION: Réservation obligatoire :  https://www.weezevent.com/le-soulier-de-satin

Philippe du Vignal

 

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