Le Cours classique, d’Yves Ravey, mise en scène de Sandrine Lanno

Le Cours classique, d’Yves Ravey, adaptation de Joël Jouanneau et Sandrine Lanno, mise en scène de Sandrine Lanno

©Giovanni Cittadini Cesi

©Giovanni Cittadini Cesi

Mauvaise affaire : il semblerait que toute la classe ait éclaté de rire à la piscine, à l’apparition de monsieur Pipota, professeur d’anglais vêtu d’un maillot de bain à l’imprimé exotique et la tête couverte du bonnet obligatoire mais pas forcément nécessaire, sur sa calvitie. Mais deux élèves, une fois que l’enseignant eut bravement sauté à l’eau, lui auraient carrément appuyé sur la tête…

Chahut poussé trop loin ou tentative de meurtre ? L’enquête se déroule, non sans phrases ni détours, avec une savoureuse satire du monde de l’Education, nationale ou pas. Yves Ravey, qui a été professeur de lettres et d’arts plastiques, connaît bien son affaire et ne ménage personne, tout en restant dans une stricte vérité, parfaitement reconnaissable sous sa fausse candeur sans indulgence.

Comme dans tous ses romans, sous une apparence simple, rôde la question du mal. Qui est vraiment responsable, si l’on creuse bien ? Les gamins ? Les parents ? Monsieur Pipota ? La navigation n’est pas aisée entre toutes les hypothèses dont l’une n’efface pas l’autre. Un professeur, tout en prétendant s’intéresser à l’enquête, se réfugie assez vite dans le «pas de vagues». Le Préfet des études, lui, au contraire, se délecte des tenants et aboutissants, des sanctions prises à titre conservatoire et levées au même titre et des échanges avec la Principale ou le Directeur (hors champ).

On comprend la tentation de Joël Jouanneau et Sandrine Lanno de faire passer cette langue au théâtre : elle parle et agit, de façon destructrice, c’est vrai, en défaisant le réel au fur et à mesure qu’elle le construit. On comprend aussi qu’il y a là quelque chose à savourer pour les comédiens. Mais il manque ici la tension qui fait la brutalité de l’écriture « blanche » d’Yves Ravey.

Entendons-nous : ce n’est pas la brutalité du roman noir -bien qu’ici, on n’en soit jamais loin-, mais le ressenti d’un danger, de cassures. La mise en scène ne prend pas vraiment en compte ce qui lui aurait donné de la force et de l’étrangeté: ses propres «trous» dans le rythme ni les heurts entre la présence des comédiens et une bande-son aléatoire. Une mise en  scène ni vraiment illustrative ni assez puissante et autonome pour leur «faire pièce».

La scénographie de Camille Rosa, nette et presque pop avec ses couleurs franches, entre portes de salle de classe et bleu piscine, a le mérite de tout dire et tout de suite, et éliminer d’emblée l’anecdote pour permettre de se concentrer sur le discours sinueux des deux, disons, personnages, locuteurs ? Bref, on rit souvent, tout en restant frustré. Peut-être une question d’adresse au public, pas toujours affirmée dans toutes ses possibilités…

 Grégoire Oestermann a l’occasion de faire glisser Conrad Bligh d’un «cours d’acquisition des connaissances» à une rêverie personnelle, mais Philippe Duclos est amené à placer son Jean-François Saint-Exupéry (on retrouve la gourmandise d’Yves Ravey pour les noms de ses personnages) en porte-à-faux entre public et partenaire, avant de pouvoir déployer une magnifique embrouille finale. Tout le reste est littérature : écrire un roman, n’est-ce pas mener une enquête dont l’issue ne peut qu’être incertaine, se compliquant de page en page, avec ses sentiers perdus et ses impasses ? À lire, donc.

Christine Friedel

Théâtre du Rond Point, 1 avenue Franklin-Roosevelt, Paris (VIII ème), jusqu’au  29 septembre. T. 01 44 95 98 21.

Du 4 au 6 décembre, Comédie de Picardie, Amiens (Somme).

Le 25 janvier, Ferme du Buisson /Scène nationale de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne);
le 28 janvier,Théâtre de Chelles et le 31 janvier, La Passerelle à Pontault-Combault (Seine-et-Marne).

Le Cours classique, roman, est paru aux éditions de Minuit (1995).


Archive pour 6 septembre, 2019

L’œil et l’Oreille, d’après Federico Fellini et Nino Rota, mise en scène de Mathieu Bauer direction musicale de Sylvain Cartigny

 

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L’Oeil et l’Oreille d’après les œuvres de Federico Fellini et Nino Rota, mise en scène de Mathieu Bauer, direction musicale de Sylvain Cartigny


Pour Mathieu Bauer, théâtre, musique et cinéma ont toujours eu partie liée et guident ses mises en scène et sa programmation à la direction du Nouveau Théâtre de Montreuil. Il est l’homme de la situation, selon Bruno Boutleux, directeur général de l’ADAMI , pour orchestrer cette soirée unique qui, depuis quelques années, ouvre la saison théâtrale du Rond-Point.  Cette Société pour l’Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes créée en 1955, perçoit et répartit les droits de propriété intellectuelle des comédiens, danseurs, chanteurs, musiciens et chefs d’orchestre (environ 73. 000 artistes). Elle aide aussi des projets soit plus de 1.300 chaque année pour un montant de plus de dix-huit millions d’euros. Par des opérations ponctuelles, elle entend mettre en valeur les artistes émergeants, en organisant notamment Talents Adami Paroles d’acteurs (Voir Le Théâtre du blog). *  Ces manifestations publiques visent à  favoriser l’emploi des interprètes en musique, danse, théâtre et cinéma.  D’où cette carte blanche, donnée à un metteur en scène confirmé, pour réaliser un spectacle grand format mettant en valeur de jeunes professionnels.

Nino Rota (1911-1979) et Federico Fellini (1920-1993) étaient depuis longtemps dans le viseur de Mathieu Bauer qui avait déjà réuni des documents sur ce couple fétiche du cinéma qui travailla vingt-six ans ensemble, dans une admiration mutuelle. « La musique me rend mélancolique. « (…) « La musique me rend triste», disait le réalisateur avec sa rencontre- «coup de foudre » avec le compositeur.  Il le tient pour le plus grand de son temps, et l’apprécie pour sa légèreté, sa «miraculeuse présence-absence ».  Ce protégé d’Arturo Toscanini a signé et dirigé des opéras,  ballets et œuvres instrumentales mais aussi cent soixante-dix musiques de film! Avec lui, la bande-son est devenue un élément essentiel de l’univers fellinien, au même titre que l’image, jusqu’à la porter, comme dans Huit et demi.

Avec son vieux complice, Sylvain Cartigny, auteur des arrangements musicaux, Mathieu Bauer s’est attaché à retracer le parcours commun de ces artistes, en abordant par l’univers sonore, l’œuvre du grand cinéaste. Un narrateur (Stéphane Chivot) raconte les grandes étapes de cette filmographie impressionnante, depuis Le Cheik blanc (1952), début de leur collaboration jusqu’à Prova d’orchestra (1978), un an avant la mort de Nino Rota : « Disparu comme une fabuleuse onde sonore », regretta le réalisateur.

 Le visuel du spectacle nait des partitions, jouées à jardin par l’orchestre du Nouveau Théâtre de Montreuil avec dix-neuf interprètes et, à cour, par Mathieu Bauer à la batterie et Sylvain Cartigny, au piano. Au rythme de la musique, sur un écran en fond de scène, le graphiste Brecht Evens**, tapi dans l’ombre, lance à grands traits et petits pointillés, des dessins évocateurs, mi-naïfs, mi-abstraits. Une touche onirique, dans de légères volutes de vapeur qui flottent au-dessus du plateau…

L’orchestre, installé à une longue table garnie de victuailles, n’a rien à envier aux comédiens, tous excellents. Gianfranco Poddighe se grime en sosie de Marcello Mastroianni, l’acteur fétiche depuis la Dolce Vita ; puis devient un rocker convaincant, dans Svalutation (Dévaluation), tube d’Adriano Celentano illustrant la fièvre contestataire des années soixante-dix en Italie. Traduction : « De jour en jour l’essence coûte plus cher/ alors que la lire s’effondre /dévaluation, dévaluation ! »  A cette époque, Federico Fellini se disait contre la violence : « J’ai besoin d’ordre car je suis moi-même une transgression.»

A l’occasion, la table devient podium pour la mezzo-soprano Pauline Sikirdji, charismatique, dans La Dolce Vita (chantée à l’époque par Katyna Ranieri). La blonde Éléonore Auzou-Connes, elle aussi de la bande du Nouveau Théâtre de Montreuil, a la stature majestueuse d’une Anita Ekberg. Elle se déguise en exigeant et impitoyable maestro de Prova d’orchestra, dans un numéro bien réglé comme la plupart.

Réussies, les irruptions de Bonaventure Gacon clamant ad libitum : « Volio una dona ! » du haut d’un mât, à l’instar du vieux d’Amarcord perché sur un arbre. Ce clown imposant interrompt le spectacle au bout d’une heure et demi, en charriant une brouette brinquebalante, alors que le chaos a envahi la scène comme le terrorisme, en Italie, à la fin des années de plomb…

 Montée en cinq jours, cette soirée unique nous plonge avec justesse et émotion dans l’univers fellinien. Nostalgique, on se remémore la grande époque de Cinecitta et du septième art italien… On regrettera seulement que ce travail exceptionnel n’ait pas de suite. 

 Mireille Davidovici

 Le 3 septembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris 8ème) T. 01 44 95 98 21.

 *Talents Adami Paroles d’acteurs : Uneo uplusi eurstrage dies d’après Eschyle et Sophocle, mise en scène de Gwenaël Morin du 7 au 12 octobre, Atelier de Paris, 2 route du Champ de Manœuvre,  Cartoucherie de Vincennes. T. 01 41 74 17 07.

 ** Les livres de Brecht Evens, prix spécial du jury du Festival de la bande dessinée d’Angoulême 2019, sont édités par Actes Sud.

 

IRIS/A Space Opera, réalisation d’André Chemetoff et Armand Béraud, musique de Justice.

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IRIS /A Space Opera, réalisation d’André Chemetoff et Armand Béraud, musique de Justice.

 «Bienvenue au ciné-concert», des mots qui nous ramènent à la naissance du cinéma et à l’âge d’or des films muets, quand les salles étaient équipées d’un proscenium ou d’une fosse d’orchestre et où se croisaient musique, film et parfois théâtre et magie. Mais cette séance est d’un genre spécial et inédit. Ici, pas de système 3D ou 4D avec images en relief et autres attractions sensitives et olfactives, comme dans les parcs d’attractions. Ici, minimaliste total. Iris, une performance créée spécialement pour les salles de cinéma, est une adaptation du monumental Woman Worldwide, inspiré de la tournée 2017/2018 du groupe électro français Justice, sous les lumières de Vincent Lérisson.

Et cette séance unique, à part deux avant-premières en mars et juin, aux Etats-Unis et en France, a été diffusée le même jour et à la même heure dans une centaine de salles, comme une invitation à une messe électro célébrée par les gourous de la french touche… Gaspard Augé et Xavier de Rosnay, accompagnés de leur croix symbolique ont été révélés en 2003 avec D.A.N.C.E. et We are your friends. Le duo Justice fait maintenant partie des grandes figures de la musique électro dans le monde, comme les Daft Punk. Moins médiatisée mais tout aussi talentueuse avec des compositions aux sources du rock, la musique de Justice  mêle disco, électro, heavy metal et house…

L’album Woman Worldwide sorti l’an passé , est issu de la tournée du même nom, est un chef-d’œuvre maniériste où Justice se réinvente constamment dans un remixe hybride et hallucinatoire de leur répertoire. Un monument de maestria musicale utilisant les thèmes connus des tubes du groupe pour mettre en avant des bizarreries et pépites méconnues, comme Pleasure, Newjack, Civilization ou Heavy Metal, DVNO, avant le climax en apothéose d’Audio Video Disco.

Cela commence par un interminable documentaire de trente minutes sur les coulisses du projet Iris avec tous les réalisateurs, techniciens du film qui donnent leur point de vue souvent  plombé d’autosatisfaction. Comme si on vous expliquait le film que vous allez voir de peur que vous ne compreniez pas très bien de quoi il s’agit… Malgré la lourdeur d’interviews consensuelles, il y a quand même quelques informations intéressantes.

Comment se démarquer de l’éternelle captation des concerts avec plans de la scène et du public et arriver à un résultat esthétique satisfaisant ? Justice s’est ici inspiré des Pink Floyd et de leur mythique concert à Pompéi (1972) filmé sans public. Occulter cet élément indispensable à la réussite d’un concert où l’énergie dégagée et le partage sont au cœur de l’expérience, était un pari ambitieux….

L’équipe de Justice a essayé d’atteindre « la précision des documentaires de la NASA, avec de très longs et lents plans ». Présenté comme un « vortex musical et visuel » par les deux musiciens, le film se veut « une immersion, une nouvelle manière d’explorer l’univers musical ». Arrive enfin le concert tant attendu ! Soit une heure d’un voyage spatial-musical fascinant : cet objet sonore et visuel non identifié se réfère aux films de science-fiction comme entre autres Star Wars, Alien, Blade Runner et 2001, l’Odyssée de l’espace.

Sur le plateau, un énorme vaisseau spatial à propulsion analogique dont le tableau de bord a été remplacé par des synthétiseurs et tables de mixage…. Une machine hybride pour découvrir d’autres constellations et conquérir la galaxie. Autour de la cabine de pilotage, une structure flottante composée de treize cadres mobiles indépendants avec chacun, quatre panneaux rotatifs à LED, miroirs et lumières chaudes aux combinaisons infinies.

Une vraie prouesse : Justice propose avec chaque morceau, des univers différents grâce à une structure en constante évolution, avec de nouveaux paysages visuels et… sans aucun recours à la technologie. Le film est ponctué de quelques séquences en images numériques qui se fondent parfaitement dans l’esthétique de cette installation. Des envolées lyriques et cosmiques très bien conçues.

Dans une séquence saisissante, la croix de Justice se détache d’une planète pour flotter dans l’espace, tel un symbole christique universel et mystique rappelant le monolithe kubrickien dans 2001. A un autre moment magnifique, on voit la Terre éclipser le soleil et former un iris ; cosmique et organique sont ici réunis et la rétine fusionne avec l’image, dans une sorte de boucle vertigineuse.  Fascinant : nous sommes emportés dans un tourbillon spatio-temporel….

Dans une très belle transition, un rayon de lumière se transforme en une étoile filante et va dessiner dans l’espace des constellations représentant les différents signes du Zodiaque, jusqu’à se focaliser sur celui de la balance, symbole de la Justice ! Le plus fascinant dans le film : une porosité constante entre Terre et espace, univers macro et micro, et infini. Ici, la musique va plus vite que l’image contemplative filmée au ralenti. Et de longs travellings ou plans-séquences laissent place à l’intensité musicale et à la pulsation lumineuse.

Une caméra en apesanteur et toujours en mouvement nous fait voyager dans l’espace de Justice avec des lumières imposantes réfléchies par un sol satiné. Et l’image ici se transforme en un kaléidoscope géant aux compositions à la symétrie parfaite. Mais pourquoi ne pas avoir filmé cette expérience sans les musiciens, alors que l’installation se suffit à elle-même ? C’est la grande intelligence du groupe Justice qui a imaginé ce théâtre d’ombres aux silhouettes presque inanimées, bougeant au ralenti…

Véritable expérience immersive et sensorielle, Iris est un ovni à la croisée de la musique, du cinéma, de la scénographie et de l’installation plastique. Avec ce coup de maître, Justice réalise un superbe écrin visuel pour accueillir une sélection de morceaux de son formidable dernier album. Fonctionnant comme un voyage hypnotique et contemplatif, les sons et images se fondent dans un maelstrom expérimental où l’émotion des spectateurs est au cœur du processus. Filmée sans public dans un entrepôt suréquipé d’une machinerie infernale pour nous mettre au centre d’un dispositif hallucinatoire, Iris est une étape importante dans la manière de concevoir la musique et la captation des concerts…

 

Sébastien Bazou

Cinéma Olympia, Dijon (Côte-d’Or), le 29 août.

 

 

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