Le Gorille d’après Franz Kafka, texte et mise en scène d’Alejandro Jodorowsky

© Adrien Leouturier

© Adrien Leouturier

 

Le Gorille d’après Franz Kafka, texte et mise en scène d’Alejandro Jodorowsky

 «Éminents Académiciens, vous me faites l’honneur de me demander de fournir à l’Académie un rapport sur ma vie antérieure de singe. Telle que vous la formulez, je ne puis malheureusement déférer à votre invitation. Près de cinq années me séparent de l’état de singe, un temps peut-être court pour le calendrier, mais infiniment long quand on le traverse au galop  comme j’ai fait. » Ainsi débute Rapport pour une Académie ( Ein Bericht für eine Akademie) de Franz Kafka. Écrit en 1917, ce récit fait pendant à La Métamorphose (1915) et rejoint le bestiaire kafkaïen pour évoquer la condition humaine avec une drôlerie cynique.

 Alejandro Jodorowsky insuffle à la nouvelle, sa propre expérience de fils d’émigrants juifs russes; considéré tout jeune dans son Chili natal, comme différent, voire dangereux, il s’exila définitivement en France.  «L’effort de s’intégrer à un monde qui nous tolère mais nous méprise est terrible. Cette histoire me touchait de si près que je n’ai pu la confier qu’à mon fils Brontis : bien que français par sa mère, il est un éternel émigrant par son père… », avoue le dramaturge, metteur en scène de théâtre, mime et marionnettiste, romancier, scénariste de bandes dessinées et réalisateur de cinéma.

Brontis Jodorowsky a assuré la traduction en français depuis l’espagnol : «Soixante pour cent des mots appartiennent à Kafka, quarante pour cent à Alejandro. »  La pièce, créée en 2008, a fait le tour de l’hexagone et du monde  (plus de cinq cents représentations). L’acteur la reprend une décennie plus tard, à la demande de Benoît Lavigne, actuel directeur du Lucernaire qui, pour les cinquante ans du théâtre, souhaite en présenter les spectacles les plus emblématiques: « Le Gorille fut l’un de nos plus beaux et grands succès de ces dix dernières années.»

 Brontis Jodorowsky n’en est pas à sa première collaboration avec son père depuis El Topo (1970), La Montagne sacrée (1973) au cinéma, et, au théâtre, Opéra panique (2.000), et Un rêve sans fin (2.007). On l’a vu récemment comme acteur sur les écrans dans La Danza de la realidad  et  Poesia sin fin  (Voir Le Théâtre du blog).Formé à l’école du Polonais Ryszard Cieślak (1937-1990), figure centrale du Théâtre-Laboratoire de Jerzy Grotowski, ainsi qu’au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, il a été dirigé avec une rigueur de métronome par son père Alejandro, élève du mime Marcel Marceau.

De prime abord, plus simiesque qu’humain, puis se redressant progressivement, le gorille nous conte ses premiers pas parmi notre espèce. Sa capture, son voyage en fond de cale et son séjour derrière les barreaux d’un parc zoologique. De bête de foire en singe savant, la parole aidant, il devient artiste de music-hall, puis dresseur et impresario. Fortune faite, reçu par l’Académie, aurait-t-il trouvé le chemin de la liberté dans la jungle des hommes ? Leur condition est-elle plus enviable que celle de singes ? « Plus j’apprends à parler, moins j’ai de choses à dire », ironise-t-il.

 La figure du singe traverse l’histoire de la littérature : d’Esope à Pierre Boulle (La Planète des singes, 1963) en passant par La Fontaine… Mais Kafka a su donner à sa fable une profondeur philosophique dénuée de pesanteur moraliste. Devant un aréopage de savants chenus et barbus (dont Charles Darwin !) ici en photos gigantesques derrière la tribune d’où il délivre son discours, Brontis Jodorowsky expose avec une puissance tragique et une fantaisie farcesque, le douloureux apprentissage, les coûteux renoncements et le terrible manque de liberté qu’il éprouve parmi nous.

Tantôt créature aux tics simiesques, tantôt bête caricaturant les travers humains :  ivrognerie, vantardise, cruauté… Drôle et émouvant, l’acteur qui a gagné en maturité, crée avec une gestuelle précise, un être hybride qui ne trouve place ni dans le monde qu’il a quitté et qu’il regrette, ni dans celui qu’il a adopté et qu’il juge sévèrement. Mais il lui faut aller de l’avant, il n’a pas le choix… Eternel exilé, tel Franz Kafka et bien d’autres, en tout temps.

 « Quand, dans les derniers jours de répétitions, nous avons créé la scène où le singe se révolte enfin, nous nous sommes pris dans les bras pour pleurer en pensant à nos ancêtres, cette longue lignée de tristes mais vaillants gorilles », avouait son père lors de la création. En une heure dix, l’univers de Kafka croise celui d’Alexandro Jodorowsky et de son fils,  sans avoir pris une ride. 

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 3 novembre, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VI ème) T. : 01 45 44 57 34.

 

 

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