La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, texte français d’Eloi Recoing, mise en scène de Claudia Stavisky
La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, texte français d’Eloi Recoing, mise en scène de Claudia Stavisky.
Pour Claudia Stavisky, La Vie de Galilée raconte le vertige d’un monde dont l’ordre se désagrège. Une vision révolutionnaire : l’homme tourne autour des choses, alors que la philosophie aristotélicienne, selon une conception médiévale, installe l’homme et Dieu au centre du monde, la terre étant soumise au ciel et à son Dieu. Mais pour l’homme du peuple, selon Brecht, l’histoire ne débute qu’au jour où il aura conquis sa liberté, une histoire qui ne fraye pas forcément avec l’élan héroïque.
C’est une pièce représentative du théâtre épique, sans véritable progression dramatique, si ce n’est par le déroulement de la vie même du savant mathématicien. Philippe Torreton est convaincant, avec une présence ouverte à l’autre et proche du peuple, sans démagogie qui le situé d’emblée du côté de la vérité et du bien de l’être. Enseignant, il prend plaisir à expliquer le monde et à persuader ses amis et tout le monde du bien-fondé de ses propositions à la logique raisonnante imparable : « L’univers a perdu son centre. Il a suffi d’une nuit pour qu’il s’en découvre un nombre infini. Chacun de nous est devenu le centre, chacun et personne. »
Pour Galilée, tout change, le monde et l’homme qui l’observe, découvrant l’espace et le doute, en se distançant du monde pour mieux le connaître et le comprendre, une démarche scientifique mature, propice au disciple Andrea Sarti,patiemment initié patiemment. Venise accueille les savants mais les rétribue mal, et Florence censure leurs écrits mais leur offre l’aisance. Entre ces deux options et leurs contraintes, le physicien choisit de travailler à la cour de Florence, la seule liberté étant celle de produire. Entouré de ses humbles compagnons de travail – verrier, fondeur, et de Madame Sarti qui l’encouragent de leur bon sens, jusqu’à sa rétractation finale. Si les astres investissent le ciel, où se trouve Dieu ? demande l’ami Sagredo. «En nous, ou nulle part » : le maître reste confiant en l’homme dont Dieu est la raison, une lumière qui aide à le sortir des ténèbres et une morale du moindre mal.
Pour illustrer des propos à la fois humanistes et scientifiques de l’inventeur, la création vidéo de Michaël Dusautoy fait apparaître au lointain la catastrophe écologique dont la planète est victime et a fortiori l’humanité qui l’habite, du fait de notre activité non raisonnée et irresponsable. La banquise se désagrège en morceaux de glace voués à une dérive incertaine, et la Terre des hommes va mal…
Philippe Torreton est accompagné par des acteurs investis : Benjamin Jungers (Andrea adulte), Michel Hermon (le méchant Inquisiteur et le plus tranquille Curateur, Gabin Bastard, Frédéric Borie, Alexandre Carrière, Maxime Coggio, Guy-Pierre Couleau en artisan proche de Galilée et Matthias Distefano. Marie Torreton joue la fille du mathématicien et Nanou Garcia, Madame Sarti. Elles donnent, face à l’ampleur masculine des personnages, toute la sensibilité attendue. Une Vie de Galilée pleine de chaleur, d’espérance et de croyance humanistes.
Véronique Hotte
Un autre point de vue…
La directrice du théâtre des Célestins à Lyon, a été l’élève d’Antoine Vitez au Conservatoire National et connait donc la version scénique à la Comédie Française d’Antoine Vitez où Philippe Torreton jouait déjà Le Petit moine. Cette fois dans le rôle-titre, le comédien au talent hors norme, est aussi sensible que puissant.
Il ne s’agit pas d’une reconstitution historique et la metteuse en scène n’oppose pas frontalement le religieux et le laïque. Mais elle amène le politique, l’intime et l’historique à se croiser. Et par le prisme de la lunette astronomique qui relie la scène aux spectateurs et au monde et qui montre l’alignement des planètes et des étoiles, Bertolt Brecht veut montrer que le vieux monde est ébranlé et que s’amorce la pensée d’une nouvelle société.
Comment et pourquoi préfère-t-on nier une réalité pourtant criante? Nier pour garder le pouvoir et ses privilèges? Une question de lutte des classes toujours d’actualité et omniprésente ici: la remise en cause de l’ordre social, bien plus que de l’ordre scientifique est la cause de cette censure et la découverte de Galilée bouscule l’ancien monde sur tous les plans.
Mais la responsabilité du savant, brûlante dans la bouche de Galilée, n’est pas pour autant éludée… Ici, la Philosophie dont il est souvent question dans la pièce, est inséparable à cette époque de la Science. Et l’on peut se demander comment et pourquoi elles se sont scindées… Et certains scientifiques-philosophes actuels tentent de les réconcilier. Galilée ne lutte pas contre l’Inquisition : il sait qu’il ne fait pas le poids mais il continue d’écrire sous le manteau son œuvre majeure : Les Discorsi. Il aura finalement sauvé sa peau et donc sa pensée.
Par petites touches, comme l’irruption d’un costume allemand par exemple, la metteuse en scène nous montre le contexte historique: par exemple, la lutte du duché de Venise contre l’Allemagne. Et quand Galilée part pour Rome, le texte produit est celui de L’Enfer de Dante. Dans la première scène, Le 10 janvier 1609 : ciel aboli, on le voit dans son chiche appartement où affluent des élèves choisis et motivés. Les scènes quelque peu cinématographiques défilent, avec commentaires projetés… Créativité, culture et intelligence : une mise en scène qui, grâce au jeu très fin des comédiens, nous enrichit et nous invite à penser car réfléchir est aussi un plaisir. Dans une connivence avec le public. Une belle réussite et un spectacle à ne surtout pas manquer…
Simone Endewelt
La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème), jusqu’au 9 octobre. T. : 01 40 03 44 30.
Le Liberté-Scène nationale de Toulon (Var), les 17 et 18 octobre.
Célestins, Théâtre de Lyon, du 15 novembre au 1er décembre. Anthea/Théâtre d’Antibes (Alpes-Maritimes) du 7 du 18 décembre.
La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national, du 8 au 10 janvier.Maison de la Culture de Nevers ( Nièvre) le 17 janvier. Le Quai, Centre Dramatique National Angers-Pays de la Loire, du 23 au 25 janvier.
La pièce est publiée chez L’Arche éditeur