The Way She Dies, texte de Tiago Rodrigues, librement inspiré d’Anna Karénine de Léon Tolstoï

The Way She Dies, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, librement inspiré d’Anna Karénine de Léon Tolstoï (en français, et en portugais et néerlandais surtitrés en français)

 

Crédit photo : Filipe Ferreira.

Crédit photo : Filipe Ferreira.

Compagnons de route depuis une vingtaine d’années, le collectif tg STAN et l’auteur et metteur en scène directeur du Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne, apprécient les mêmes textes et la même liberté scénique. Ils revisitent ici l’histoire mythique d’Anna Karénine, héroïne passionnée et se demandent si un livre peut transformer une vie.Un beau questionnement sur les pouvoirs quotidiens de la littérature, comme sur la passion amoureuse, à travers non plus un roman qui représenterait la vie mais qui est bien la vie intérieure de l’âme et du cœur… Ne serait-ce qu’à travers les sensations répertoriées par Jolente de Keersmaeker qui déroule par la négative les états de celle dont l’amour s’est érodé au fil des ans, auprès de celui qu’elle a certes aimé mais qu’elle n’aime plus.

 Disparition des battements de cœur, des sensations de peur et plaisir, d’attente lancinante, de crainte d’être oubliée et abandonnée. Palpitations et frémissements, le sang circule dans un corps à vif. L’homme autrefois aimé (Frank Vercruyssen) paisible,  ne dit mot et répète n’avoir rien à dire. En échange, il lit patiemment Anna Karénine, le livre de sa défunte mère : « Le seul héritage que tu m’as laissé a été ce livre. La seule chose qui m’appartient véritablement, pèse 490 grammes. Le reste ne m’appartient pas… Les autres livres sont sur l’étagère comme des briques dans un mur. Ce sont des choses. Ce livre n’est pas une chose. C’est quelqu’un. »

 Paru en 1877 en feuilleton dans Le Messager russe, le roman pénètre les mystères féminins de l’amour et Léon Tostoi sonde les profondeurs du cœur, analysant le mécanisme  et le jeu des passions qui provoquent l’égarement de l’amoureuse  qui pourtant, ne cesse, à sa façon, de réfléchir dans la souffrance à un avenir, à une survie avec changement de cap et risques encourus. «Toutes les familles heureuses se ressemblent mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon», répète l’élégante Isabel Abreu, l’héroïne, non plus russe ni anversoise, mais lisboète. Elle apprend le français avec ce roman russe, comme le remarque ironiquement l’époux jadis aimé (Pedro Gil à la fougue juvénile).

 L’invention dramaturgique de The Way She Dies tient à ce que les couples anversois et lisboètes se désarticulent pour se croiser et se rencontrer. Et les Anna anversoise et lisboète choisissent pour amant… l’époux de l’autre. Frank Vercruyssen se retrouve-t-il ainsi l’amoureux empressé de la Karénine de Lisbonne  et Pedro Gil devient l’amant décidé de Jolente de Keersmaeker, joliment ardente, questionnant toujours les possibilités d’ouverture et d’avenir.

 Un joli chassé-croisé astucieux et séducteur entre rôles, langues d’origine et langues acquises: portugais, flamand, français, alors que des couples se désunissent puis que d’autres se composent à la scène suivante… Les acteurs s’habillent à vue sur une musique de jazz qui entretient au loin la chaleur implicite des sentiments. Sincères, libres, ils ont confiance dans les mots et dans l’être-là  et à la fois à l’art et au monde.

Une machine en bois à souffler vent et flocons de neige restitue la belle Russie, qu’on soit dans le froid de l’hiver de la gare à Moscou ou dans les grands espaces. Passion coupable: Anna fait l’expérience des humiliations et des déboires mais l’éveil à sa conscience existentielle n’en est que plus vif. Après s’être jetée sous la roue du deuxième wagon, elle est tombée sur les  genoux… Elle veut se relever et un éclair la submerge, au-delà des misères, tromperies, souffrances et douleurs : «Et la lumière qui éclairait Anna … brilla d’un éclat plus vif que jamais, illumina tout ce qui auparavant, n’était que ténèbres, puis commença à faiblir et s’éteignit pour toujours. » Un moment de théâtre aux beaux éclairs éloquents.

 Véronique Hotte

Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème), jusqu’au 6 octobre. T. : 01 43 57 42 14.

 


Archive pour 16 septembre, 2019

Les Émigrés de Slawomir Mrozek, mise en scène d’Imer Kutllovci

© Pascal Gély

© Pascal Gély

 

Les Émigrés de Slawomir Mrozek, traduction de Gabriel Meretik, mise en scène d’Imer Kutllovci

Indémodable, la pièce de l’écrivain et caricaturiste polonais, lui-même exilé en Europe de l’Ouest dans les années soixante puis au Mexique, a été rendue célèbre par Roger Blin qui la monta en 1975 avec Laurent Terzieff et Gérard Darrieu. Elle met en présence deux émigrés réduits à vivre confinés dans une cave : l’un a fui le totalitarisme, l’autre la misère.

Rien de commun entre X. X. et A. A., sinon leur origine et leur condition précaire. Ils parlent de tout et de rien et, au fil du dialogue, leurs différences se révèlent dans un rapport de classe qui saute aux yeux: le prolétaire (X.X.) et l’intellectuel (A.A.) ne partagent pas la même vision du monde. L’un aspire à s’enrichir pour offrir le bien-être à sa famille, l’autre, épris de liberté, veut écrire un traité sur l’esclavage moderne et voit en son colocataire, un exemple idéal de l’asservissement volontaire par le travail et l’argent.

Imer Kutllovci, un Kosovar et les interprètes, l’un Bosniaque et l’autre Russe, en connaissent un rayon en matière d’exil… Mais la mise en scène ne s’appesantit pas sur la condition d’émigré : «Le titre est un titre-piège. Nous ne voulons pas résoudre le problème des émigrés, dit le metteur en scène. Ma mission est de faire disparaître le mot et les clichés qui l’accompagnent. » N’empêche… par leur accent de l’Est et leur vécu, les interprètes donnent du poids et de la crédibilité aux personnages.

Mirza Halilovic en prolétaire gouailleur et affabulateur, touchant de naïveté est d’un conformisme navrant. Grigori Manoukov lui oppose le cynisme désabusé d’un intellectuel de gauche. Au-delà, se fait jour un débat d’idées opposant le sens commun de l’un, à l’idéalisme de l’autre… Et cette pièce  dépasse les circonstances de son écriture et les idéologies de son époque. Slawomir Mrozek (1930-2013) écrit ce texte quand la Pologne vient de participer à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques et connaît dès lors un raidissement de la dictature. X.X. lui, idéalise son pays et regrette les mouches qui se collaient au papier tue-mouches sous les lampes, alors qu’ A.A. le voit comme un régime militarisé, une prison entourée de murs, comme leur sous-sol.

Le spectacle fait la part belle au jeu des acteurs dans un décor sommaire fait de matériaux de récupération : deux grabats, quelques ustensiles, une ampoule nue au plafond et une table à repasser qui accueillera un festin (une orange et une bouteille de vodka ! ) en cette nuit de la Saint-Sylvestre où se déroule l’action. L’alcool aidant, la tension monte entre X. X. et A.A. Le premier  ne pense qu’au retour au pays, à la maison qu’il va construire mais  le second lui détruit son rêve jusqu’à le pousser au suicide. Finalement A.A., dans un élan amical, le rassure : « Tout n’est pas perdu, tu peux encore rentrer, tu habiteras une maison. »  (…) et il évoque une terre où « La liberté sera la loi, et la loi la liberté». Sur cette note d’optimisme forcé, les deux hommes réconcilient leurs solitudes.

L’auteur a lui aussi retrouvé une Pologne libérée de la dictature en 1997 mais cette pièce n’a rien perdu de son actualité ni de sa teneur, grâce à l’humour féroce distillé par Slawomir Mrozek dont l’écriture précise et sensible est ici bien rendue par une mise en scène simple et directe.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 28 septembre, Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) T.  01 42 36 00 50.

 La pièce est publiée par l’Arche éditeur.

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