Les Émigrés de Slawomir Mrozek, mise en scène d’Imer Kutllovci

© Pascal Gély

© Pascal Gély

 

Les Émigrés de Slawomir Mrozek, traduction de Gabriel Meretik, mise en scène d’Imer Kutllovci

Indémodable, la pièce de l’écrivain et caricaturiste polonais, lui-même exilé en Europe de l’Ouest dans les années soixante puis au Mexique, a été rendue célèbre par Roger Blin qui la monta en 1975 avec Laurent Terzieff et Gérard Darrieu. Elle met en présence deux émigrés réduits à vivre confinés dans une cave : l’un a fui le totalitarisme, l’autre la misère.

Rien de commun entre X. X. et A. A., sinon leur origine et leur condition précaire. Ils parlent de tout et de rien et, au fil du dialogue, leurs différences se révèlent dans un rapport de classe qui saute aux yeux: le prolétaire (X.X.) et l’intellectuel (A.A.) ne partagent pas la même vision du monde. L’un aspire à s’enrichir pour offrir le bien-être à sa famille, l’autre, épris de liberté, veut écrire un traité sur l’esclavage moderne et voit en son colocataire, un exemple idéal de l’asservissement volontaire par le travail et l’argent.

Imer Kutllovci, un Kosovar et les interprètes, l’un Bosniaque et l’autre Russe, en connaissent un rayon en matière d’exil… Mais la mise en scène ne s’appesantit pas sur la condition d’émigré : «Le titre est un titre-piège. Nous ne voulons pas résoudre le problème des émigrés, dit le metteur en scène. Ma mission est de faire disparaître le mot et les clichés qui l’accompagnent. » N’empêche… par leur accent de l’Est et leur vécu, les interprètes donnent du poids et de la crédibilité aux personnages.

Mirza Halilovic en prolétaire gouailleur et affabulateur, touchant de naïveté est d’un conformisme navrant. Grigori Manoukov lui oppose le cynisme désabusé d’un intellectuel de gauche. Au-delà, se fait jour un débat d’idées opposant le sens commun de l’un, à l’idéalisme de l’autre… Et cette pièce  dépasse les circonstances de son écriture et les idéologies de son époque. Slawomir Mrozek (1930-2013) écrit ce texte quand la Pologne vient de participer à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques et connaît dès lors un raidissement de la dictature. X.X. lui, idéalise son pays et regrette les mouches qui se collaient au papier tue-mouches sous les lampes, alors qu’ A.A. le voit comme un régime militarisé, une prison entourée de murs, comme leur sous-sol.

Le spectacle fait la part belle au jeu des acteurs dans un décor sommaire fait de matériaux de récupération : deux grabats, quelques ustensiles, une ampoule nue au plafond et une table à repasser qui accueillera un festin (une orange et une bouteille de vodka ! ) en cette nuit de la Saint-Sylvestre où se déroule l’action. L’alcool aidant, la tension monte entre X. X. et A.A. Le premier  ne pense qu’au retour au pays, à la maison qu’il va construire mais  le second lui détruit son rêve jusqu’à le pousser au suicide. Finalement A.A., dans un élan amical, le rassure : « Tout n’est pas perdu, tu peux encore rentrer, tu habiteras une maison. »  (…) et il évoque une terre où « La liberté sera la loi, et la loi la liberté». Sur cette note d’optimisme forcé, les deux hommes réconcilient leurs solitudes.

L’auteur a lui aussi retrouvé une Pologne libérée de la dictature en 1997 mais cette pièce n’a rien perdu de son actualité ni de sa teneur, grâce à l’humour féroce distillé par Slawomir Mrozek dont l’écriture précise et sensible est ici bien rendue par une mise en scène simple et directe.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 28 septembre, Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) T.  01 42 36 00 50.

 La pièce est publiée par l’Arche éditeur.

 

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