Data Mossoul, écriture et mise en scène de Joséphine Serre

© Véronique Caye

© Véronique Caye

 

Data Mossoul, écriture et mise en scène de Joséphine Serre

 « Hier. Dans la muraille à l’Est du palais de Ninive. Sur le grand taureau ailé, la tête d’homme avec sa barbe tressée, ils ont posé sur ses joues, le marteau-piqueur. La pointe de métal est entrée dans la pierre ; et les yeux, le nez, les lèvres qui avaient veillé les portes du palais depuis tant de siècles, même sous les strates de terre, même dans l’oubli du monde, se sont effacés sous l’œil de la caméra. Une plaie muette est à leur place. » De cette plaie, de ce manque pour toujours, Joséphine Serre s’empare dans une fresque historique qui saute du royaume de Ninive (l’actuelle Mossoul) sous le règne d’Assurbanipal, à la Silicon Valley en 2025.  Une pièce sous le signe du théâtre-récit, cher à Wajdi Mouawad, le directeur du Théâtre de la Colline : personnages habitant des espaces et des temps éloignés, pourtant liés par la mémoire, archivage de technologies en perpétuelle mutation, interrogations sur nos angoisses contemporaines.

Joséphine Serre n’en est ps moins préoccupée par les liens  entre nos interrogations politiques sur la disparition de données gênantes pour le pouvoir et la destruction d’œuvres d’art antiques, impies aux yeux de Daesh. Elle tisse une succession de tableaux, comme un long bas-relief que l’on pourrait lire du VIIème siècle avant J.C. à… demain.  Et elle interroge le temps, autrement dit « ce par quoi les choses persistent à être présentes» pour reprendre les mots d’Etienne Klein. Et l’intervention des hommes et des femmes sur le cours tout tracé de l’Histoire l’intéresse, autant que l’archéologie du pouvoir: là où il y a despotisme, il y a résistance. Et la société GEOLOG -on peut s’amuser de l’anagramme- possède un pouvoir  aussi effrayant que celui de Daesh. Nous partons alors, dans une série de sauts historiques, à la rencontre d’individus isolés mais obstinés et bien décidés à se mettre en travers d’une forme de terreur exercée sur la connaissance humaine : sur les pas d’une jeune archéologue pendant la bataille de Mossoul de 2014 à 2016, qui apprend par cœur et réécrit, la nuit, les tablettes d’argile que Daesh lui a prescrit de casser ; dans le laboratoire californien de haute technologie de Mila Sheg que sa compétence particulière désigne comme seule capable d’effacer les milliards de données  tenues comme superfétatoires par GEOLOG ; dans la retraite cachée d’un groupe de « hackers » qui sauvent ces mêmes milliards de données grâce à une expérience unique : en les stockant dans l’A.D.N. des plantes qu’ils cultivent. C’est le moment de grâce de ce spectacle, foisonnant mais parfois trop illustratif.

Car à trop vouloir suivre des pistes secondaires (les effets de perte de mémoire de Mila Sheg ou les combats politiques d’Assurbanipal), nous perdons le fil essentiel : là où il y a prolifération des écrits, il y a risque de désinformation et, en même temps, peur de perdre ces informations dans le trou noir du « big data ». Elle réussit pourtant à faire émerger une question centrale : où se trouve la responsabilité de chacun dans une globalisation de l’information qui nous échappe? Nous croyons qu’elles nous appartiennent mais elles peuvent disparaître, comme a disparu la fameuse grande bibliothèque d’Assurbanipal, le premier souverain à avoir rassemblé l’ensemble des tablettes d’argile de son royaume. Et, imprégnés de son sens actuel, nous sourions bien sûr, quand le mot « tablette » est prononcé. 

Joséphine Serre se fraye un chemin dans toutes les références et interrogations qui la hantent mais où parfois elle nous perd un peu… A se frotter à Gilgamesh, aux guerres antiques ou contemporaines, aux notions d’espaces des labyrinthes quantiques -autant de vastes pans de notre histoire humaine-  elle laisse parfois la confusion s’emparer du plateau. Notamment dans les passages moins bien écrits où la scénographie comme la direction d’acteurs s’enlise. Cette œuvre aux vastes enjeux demanderait à être resserrée et mieux vaudrait alors oublier les scènes où les derniers empereurs assyriens s’affrontent dans une pantomime naïve…

Pour autant, le théâtre a bien besoin de se faire secouer de temps à autre par de jeunes artistes pétris aussi bien de culture antique que de connaissance des algorithmes d’internet. Le spectateur y est conduit à traverser les couches superposées de sa propre mémoire  et se sent alors partie prenante d’une histoire contemporaine en train de s’écrire.

 Marie-Agnès Sevestre

 Jusqu’au 12 octobre, Théâtre de la Colline,15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 48 06 52 27.


Archive pour 21 septembre, 2019

I am Europe, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

©: Jean-Louis Fernandez

I am Europe, texte et mise en scène de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, (en français et en plusieurs langues, surtitré en français)

 L’Europe actuelle est menacée par le retour des nationalismes et des populismes : les bourgeois amateurs de théâtre  sont ici priés d’appréhender des termes politiques usés,  du genre: l’origine, la patrie, le foyer, la langue naturelle ou acquise… Le concepteur allemand a imaginé de faire une recherche sur le plateau, à la fois dramatique, musicale et chorégraphique et a  convié des jeunes gens de pays européens à réfléchir à la question de l‘Europe et à celle de l’identité. Celle que chacun se reconnaît ou bien revendique subversivement. Sur fond, entre autres, de nouvelles constellations familiales et de sexualités différentes.Les interprètes convoquent ici leur histoire personnelle, leur vision du monde et de la société mais aussi leurs passions. Une identité «queer», un désir d’émancipation ?  Mais c’est déjà du passé…

Ce travail de recherche, a été initié en 2014 et a duré quatre ans, à Venise, Paris, Berlin, Tel-Aviv avec des performeurs, comédiens et danseurs mais le groupe s’est ensuite ouvert et a changé, au gré de nouvelles rencontres. Ici, texte et corps sont intimement liés et la parole, proférée et laissée à son libre cours, s’arrête de façon régulière, pour que les corps seuls s’expriment et racontent leur intimité. Pour dessiner encore un autoportrait collectif, en allant de l’avant, malgré tout, avec la promesse d’un avenir meilleur et le dessein d’une Europe différente et solide où on éluderait peu à peu velléités réactionnaires, tentations fascistes, simplifications populistes et menaces du fanatisme religieux, du terrorisme et du repli sur soi avec ses dérives racistes : exclusion de l’autre et négation de la différence…Sur fond de passé colonialiste français et  de mouvements nationalistes actuels…

Falk Richter nous répète à l’envie, la nécessité qu’il y a pour le bien-être de l’Europe, qu’elle ne soit pas livrée aux seules commandes de l’Allemagne et de la France. Même si les petits pays sont parfois les plus marqués par la xénophobie.. L’Europe nouvelle doit, selon l’écrivain et metteur en scène, naître de la contradiction et de la polyphonie : chacun est, en même temps et alternativement, le même. Sous le regard chorégraphique de Nir de Volff, les interprètes ont une gestuelle singulière qui se coule dans celle du collectif. Lana Baric, Charline Ben Larbi, Gabriel Da Costa, Mehdi Djaadi, Khadidja El Kharraz Alami, Douglas Grauwels, Piersten Leirom, Tatjana Pessoa cassent les codes, les conventions, la bienséance, se contorsionnent et rampent sur le sol. Avec ténacité et engagement…
I am Europe laisse une impression de déjà vu, tel un inventaire un brin démagogique de lieux communs, de critiques faciles et de visions parfois caricaturales de la société, sans l’invention d’une dramaturgie réellement convaincante.

 Véronique Hotte

Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème), jusqu’au 9 octobre. Tél : 01 44 85 40 40.

 

 

 

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