Vie et Mort d’un chien- texte et mise en scène de de Jean Bechetoille

Vie et Mort d’un chien-traduit du danois par Niels Nielsen, texte et mise en scène de de Jean Bechetoille

 08F50FCE-916C-4DEA-AB51-8375FB244A59«Une fiction documentée qui explore le deuil familial, le traumatisme et les difficultés à accepter le suicide, dit l’auteur et metteur en scène. C’est sa seconde création après Comment Igor a disparu qui avait obtenu le prix du jury au concours 2017 du Théâtre 13.  Il a bâti cette comédie dramatique pour la même équipe de comédiens.

 Dans la famille Nielsen, ça ne tourne pas rond : les parents ne peuvent gérer les colères violentes de leur fils, Vincent, qui empoisonne leur quotidien : le père, démissionnaire, joue du piano et adule son chien, la mère n’a d’yeux que pour Markus, son deuxième fils et sa fille, Bénédikte, elle pour Vincent. Jean Bechetoille puise son écriture dans sa propre expérience : «En 2015, mon frère s’est fait renverser par une voiture sur une autoroute, en hiver. Sa mort, à priori un suicide, reste mystérieuse.» Pour introduire de la distance, il situe l’action à Elseneur avec un détour par Hamlet où il fait apparaître le spectre du frère mort affublé d’une tête de chien.

 Sur le plateau nu, flanqué à cour d’un vieux piano droit,  Markus apprend, de but en blanc, la mort de Vincent. Un choc terrible ! La suite du drame oscille entre une série de  flash back qui mettent en lumière les névroses à l’œuvre dans le cercle de famille et des scènes montrant les conséquences de cette mort. On suit ainsi le cheminement de Markus pour surmonter son traumatisme. Un parcours qui le mène en France, à une psychothérapie de groupe où se rejouent de manière caricaturale ses relations avec son père, sa mère, sa sœur et son frère.

 Cette incise burlesque, élaborée en cours de répétition à partir d’improvisations, détend l’atmosphère mais, trop démonstrative, alourdit considérablement la pièce. Toujours dans la dérision mais mieux intégré dans l’économie dramaturgique,   le personnage du chien. Témoins de cette histoire, les toutous successifs des Nielsen, interprétés par Romain Francisco avec une grâce toute canine, remuants, affectueux ou foutraques, s’avèrent philosophes et poètes à leur heure. Il ne manque que la parole à ces amis de l‘homme, aussi Jean Bechetoille la leur donne. Il s’est entouré d’une équipe de talent : face à Nadine Marcovici, en mère maniaque, angoissée et frustrée, le père (Laurent Lévy) se fait tout petit, derrière son piano et joue la Sonate n°17 de Beethoven, dite La Tempête, leitmotiv du spectacle. Le rôle de Marcus va comme un gant à William Lebghil et Guarani Feitosa est un Vincent rageur et massif, protégé par sa petite sœur (Alice Allwright). La scénographie simple et efficace, figure les différents lieux et temps de l’action par un grand châssis mobile et des inscriptions au sol. Tout concourt à capter le public pendant une bonne heure. Malheureusement, le texte s’égare dans des facilités et détours et aurait gagné à être plus concis. Dommage…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 20 octobre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre, Paris 12e T. : 01 43 28 36 36.


Archive pour 22 septembre, 2019

L’Animal imaginaire, texte, mise en scène et peintures de Valère Novarina, musique de Christian Paccoud

L’Animal imaginaire, texte, mise en scène et peintures  de Valère Novarina, musique de Christian Paccoud

Photo de répétition-Crédits Tuong-Vi Nguyen

Photo de répétition-Crédits Tuong-Vi Nguyen

«Entendre jusqu’aux premières voix des animaux : inquiétantes, hilarantes, enfantines. Chercher à creuser toutes les cavernes du langage. Ouvrir des galeries autres – dans le corps des langues. Se souvenir que par la parole, nous sommes des animaux à intérieur ouvert. Un puits est toujours là, qui parle encore. Descendre au langage comme dans un corps. Les langues vivent et pensent, secrètement, dans le fond d’elles-mêmes, comme un mystérieux cerveau sans nom, un savoir des ancêtres » dit Valère Novarina dans Voie négative. « 

Après la création ici de L’Origine rouge, L’Acte inconnu, La Scène et L’homme hors de lui (2017), il est encore bien entendu question d’écriture. Sur le grand plateau, un carré de sol blanc avec deux châssis verticaux de peinture non figurative de l’auteur (scénographie de Jean-Baptiste Née), éclairé par les lumières de Joël Hourbeigt.
Il y a Edouard Baptiste, Julie Kpéré, René Turquois, Bedfod Valès, Dominique Parent, Valérie Vinci et Manuel Le Lièvre, Agnès Sourdillon, Nicolas Struve, trois acteurs «novariniens» de longue date. Les costumes surtout en noir et blanc et pleins d’humour sont signés Charlotte Villermet.
De temps à autre, Christian Paccoud, à l’accordéon, accompagne les chansons et Mathias Lévy joue un solo de violon. Et il y aussi pendant un trop court moment, une belle participation d’un chœur d’amateurs, ce soir de première et les samedi et dimanche, qui vient apporter une fraîche et bienvenue bouffée musicale.

Il y a un texte d’une invention poétique souvent remarquable où, comme d’habitude chez Valère Novarina. On sent l’influence de la philologie qu’il étudia autrefois en Sorbonne comme de Dante qui mena une réflexion permanente sur la langue. On a parfois l’impression de déjà exprimé dans ses autres pièces. Ce qu’il ne renie pas: «Je revisite des textes anciens parce qu’il y a toujours des leitmotivs, comme ces rivières de noms de personnages, ces litanies qui coulent, s’écoulent, serpentent, traversent chacun des spectacles. »

La distribution est sans doute inégale mais aux meilleurs moments, c’est un véritable régal d’images et de mots, quand le texte est porté par le comique gestuel et verbal fabuleux de Manuel Le Lièvre, le détachement de Nicolas Struve et l’espièglerie et le ton acidulé d’Agnès Sourdillon. Ils savent donner le ton à cet ensemble poétique aux nombreux jeux sur le langage et aux facéties verbales… Et on comprend que Valère Novarina cite Antonin Artaud: «Tout vrai langage est incompréhensible» et Saint-Augustin: «Les paroles s’entendent mais la pensée se voit. » 

Il a entre autres dans ce spectacle un Hymne à Bescherelle, le grand lexicographe et grammairien (1802-1883). «Si vous ne crûtes pas/Que le printemps éclût/L’hiver vous reclouera/Sans que vous pûtes éclore/Plût aux cieux qu’ils nous cousent/Sans que nous le sussions/Et qu’ils nous déclouassent/Pour qu’enfin nous croissions.»  Ou cette étonnante déclaration d’un personnage nommé Raymond de la Matière: «Donne-moi maintenant très vite, Andréa, le retour lexical fulgurant le renversement par le genre de onze mots, pris au hasard dans le sac des mots ». S’ensuivra un échange  de répliques : «tourtereau/tourteresse, le lapereau…l’apercevreau/la laperelle. (…) «la demoiselle,/le mademoiseau, le locuteur/la locuteuse, la locutressse, la parlatrice, la monofictionneuse. »

 Il y a aussi, dans ce texte, une savoureuse kyrielle de temps grammaticaux par dizaines: «l’injonctif, le listal, le solvant, le finiratil, l’inhumatif, le lamentaire, le dévastetemps, le stationnaire (…) le présent répandu, l’advenul, le finaliste, le thanatal, le dévastatif, le usant, le plus que perdu. Et cette litanie finit par cette belle et courte demande  philosophique: «Ô temps, achève-nous. Arrête de te battre en nous-mêmes.» Et par une citation du Cid de Corneille, revue et corrigée: «Le passé m’a trompé ; le présent me tourmente ; l’avenir m’épouvante. »

On retrouve ici cet amour de l’auteur pour les listes, comme celle de soi-disant métiers disparus, à des adresses dont les noms inventés sentent bon le terroir français: «agent de limpidité à Ruc-sur-Burette; lanili-stabuli-zatriste, rue de la Passementerie-Générale à Ivraie, décoratrice de liquides burlesques à Contre-voyage ; assistante bloc B chez Pôle attente, dédoubleure tous risques à Jonction-la Ponction-sur Sorace (…) commercial chez Borghino, puis espoir commercial, puis espoir-conseil, puis pour finir espoir commercial-conseil, puis espoir-cercueil. »

Ou encore cette énumération de gens qui se clôt par une étonnante «prière pour tous les hommes ayant existé et prière pour tous les hommes ayant oublié d’exister». Valère Novarina dit conserver «dans sa cave, un vivier de 6.317 noms» qui peuvent éventuellement être incarnés sur un plateau… Depuis quelques décennies maintenant, il a su acquérir une rare maîtrise du maniement des mots et de la grammaire au vrai sens du terme, pour en faire surgir une singulière poésie. A commencer déjà par le titre de la pièce dont le deuxième mot reprend : ima, trois lettres du premier… Bien entendu, il y faut des acteurs capables de mémoriser ce texte difficile et qui sachent en plus lier  leur«corps à l’espace», comme Valès Bedfod et Edouard Baptiste, des acteurs haïtiens à la remarquable gestuelle. Un exercice de haute volée…

On retrouve ici toute la poésie de l’auteur mais restait à mettre en scène cette avalanche de mots dans un espace et un temps précis. Et là, malheureusement, Valère Novarina n’en a pas la maîtrise. On sent dès le début que ces presque trois heures vont vite devenir estouffadou et qu’on aurait mieux apprécié le texte s’il en avait duré à peine la moitié seulement. Les acteurs réussissent mais pas toujours, à donner le rythme indispensable… L’intervention de la chorale aurait du marquer un point d’orgue final mais la pièce repart ensuite difficilement… «Le théâtre est un art lapidaire, une concentration des énergies» dit Valère Novarina pour lequel «les spectateurs viennent aussi réentendre leur langue autrement, redécouvrir toute l’étendue de la palette sonore du français.» Oui, mais ici on a la triste impression d’un :«faites ce que je dis, mais pas ce que je fais »

Dans ces conditions-limite, la dramaturgie a bien du mal à fonctionner et il aurait mieux valu qu’il fasse appel à un autre metteur en scène que lui-même… Valère Novarina fait  circuler, dans un ballet incessant, nombre d’objets et d’accessoires dont la présence scénique ne se justifie pas. Beaux et bien conçus: caisses en bois, grand couteau, pelle, etc. et à la fin, petite fontaine de sang émergeant du sol pourraient modifier notre perception du langage… Comme ces quelque dix châssis peints, pas très réussis, qui circulent trop souvent sans raison apparente mais qui semblent faire ici de la figuration intelligente… Rien à faire, à cause de ce manque de maîtrise du temps et de l’espace, l’ensemble de cette mise en scène ne fonctionne pas. Dommage…

On sort donc de là un peu anesthésié malgré encore une fois, l’incontestable beauté de la langue. Et le spectacle, très construit maintenant, n’évoluera plus. Vous voilà prévenus : cet Animal imaginaire, trop long et mal mis en scène, est plutôt à conseiller aux seuls inconditionnels de Valère Novarina. Les autres risquent fort de ne pas y trouver leur compte…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 octobre, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.

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