Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

On était une fois, un spectacle d’Emmanuel Audibert (tout public à partir de huit ans)

 

Crédit photo : Giorgio Pupella

Crédit photo : Giorgio Pupella

Comédien, metteur en scène, acrobate et musicien, il aime déambuler dans l’univers de la marionnette, entre pantins et circuits imprimés.Il écrit, met en scène et en musique les spectacles de la compagnie 36 du mois.Expérimentateur, inventeur, constructeur et programmateur, il donne vie à ses figurines  grâce à de petits moteurs électroniques.

 Provoquer un regard critique sur l’obsession technologique contemporaine, c’était déjà l’enjeu de Qui est Monsieur Lorem Ipsum? un spectacle magnifique de 2015  (voir Le Théâtre du Blog). Les créatures animées et les techniques qui leur sont associées, font le bonheur  d’Emmanuel Audibert. Avec le temps, de sa grotte d’Ali Baba, ont surgi des «variations» ludiques, l’orchestre des On(s) et un juke-box de marionnettes,  en hommage à Eric Satie et que l’on peut admirer, avant d’entrer dans la salle.  

Ici, l’ambition poétique du marionnettiste, doublée d’une exigence technique, frappe l’œil et la conscience des spectateurs en éveil. Il y a peu de prouesses circassiennes :  M. Lorem, appelé ainsi par ses créatures: des peluches in vivo, a préalablement tout anticipé sur ordinateur : enregistrement des voix des personnages, connectées avec leurs mouvements significatifs. Mais M. Lorem est aussi accessoiriste, technicien et servant scénique….L’animation de marionnettes avec assistance par ordinateur, concerne une vingtaine de peluches, un public miniaturisé installé circulairement sur des gradins et donné en miroir, à nous spectateurs aussi installés sur des gradins : une belle mise en abyme  du théâtre…

 Nous nous voyons ainsi collectivement et singulièrement représentés sur scène et le souriceau-coryphée avoue au chœur de la cité qu’il a tendance à porter un regard critique et négatif sur les spectacles qu’on lui propose. Jamais content, il renâcle, se plaint, se moque et témoigne d’un manque cruel de compassion. Le le chien, l’oreille levée, incarne, lui, l’intellectuel sérieux et appliqué, citant les philosophes, prônant une ouverture et une sagesse existentielles.Le gorille, père d’un petit boxeur fébrile, impatient et non concentré, essaie d’une voix sépulcrale, de rassurer les sensibles et de les inciter à l’art d’attendre.Sont aussi là une chèvre anglaise accompagnée de son chevreau, positive et toujours partante pour juger magnifique, le spectacle, un poussin apeuré et tremblant, un chien, et bien d’autres peluches animales typiques… Et le loup, un frimeur qui arrive en retard, en voiture pétaradante, et qui impose sa tyrannie historique. 

 Mais quel est le spectacle, son objet et son sens réalisé par ce M. Lorem, bricoleur audacieux, esthète et ironique qui joue du piano et qui est aussi un homme-orchestre ? Sur le plateau circulaire, tel un gâteau avec ses différentes épaisseurs de crème et sucreries, l’assemblée des On(s) -de minuscules bâtonnets blancs figurant une humanité en mouvement- semble surgir de nulle part… Et le public de peluches de se moquer, surtout le souriceau que cette vision ante-biblique indispose, Mais le chien, lui, apprécie la philosophie de  cette image mythique. Sur la tranche médiane du plateau, apparaissent des personnages miniaturisés, seuls sur un banc puis deux à deux. Mais des portes claquent et il y a des conflits et  une non-communication propices à la guerre.

 De nouveau, les peluches ont saisi le message, échangeant leurs points de vue sur la nécessité de comprendre l’autre avec ses différences et sa même humanité. Enfin, sur la tranche inférieure du plateau, sorte de fondation, apparaît la dimension artistique, capable d’éclairer les hommes, à travers  la musique que jouent les On(s), interprètes minuscules d’un orchestre de jazz. Un spectacle qui réjouit l’âme et le cœur et nous sommes  témoins de ce que l’être est capable d’imaginer en humaniste responsable, tout en assurant une subtile partie technique…

 Véronique Hotte

 Spectacle vu le 21 septembre à Charleville-Mézières (Ardennes).

 

 

 


Archive pour 23 septembre, 2019

Vie et mort de mère Hollunder, de Jacques Hadjaje, mise en scène de Jean Bellorini

photo by Pascal Victor/ArtComPress

photo by Pascal Victor/ArtComPress

 

Vie et mort de mère Hollunder, de Jacques Hadjaje, mise en scène de Jean Bellorini

Une femme sans âge, ronde, debout et immobile, regarde au loin par la fenêtre. Vêtue d’habits désuets, elle semble être complètement ailleurs, ses pensées enfouies on ne sait où… Des poules, un escalier en colimaçon, une table de maquillage, deux chaises rouges, un seau à graines, un magnétophone …Sans véritablement de frontière entre extérieur et intérieur qui se confondent. Subtile idée de mise en scène pour nous faire entrer dans le monde peu tranquille de Mme Hollunder, où s’entrechoquent onirisme, humour et absurde. Ce personnage est tout droit sorti de Liliom, une pièce  (1909)  de l’auteur hongrois Ferenc Mollnár, que  Jean Bellorini mit en scène il y a six ans.

Artiste et poète, Jean Bellorini s’empare tel un plasticien, de la lumière et avec la complicité de Sébastien Trouvé du son, de la musique, pour tisser un paysage dramatique où le texte se met littéralement à respirer et à vibrer au plus profond de lui-même. La création-lumière transfigure ici la scénographie en un tableau.  Façon Edward Hopper ? Peut-être et de toute beauté. Où est-on au juste ?  Dans la vie de tous les jours ou déjà au-delà de la mort ? Les deux à la fois sans doute car avec  Mère Hollunder, « avec deux L, sinon comment ferait-elle pour voler »  tout repère explose !

  Cette pièce féroce, drôle, tendre aussi, est née d’un désir de l’acteur Jacques Hadjaje, « C’est parce que j’ai joué Mère Hollunder dans Liliom que j’ai eu l’envie de lui donner une autre vie. » Personnage dans l’ombre alors, l’auteur et interprète en fait ici le protagoniste de sa propre histoire, une sorte d’anti-héros. Compagnon de route de Jean Bellorini depuis une quinzaine d’années, il reprend aujourd’hui dans ce solo, les habits de ce rôle secondaire qu’il incarnait dans Liliom.

Un  public enthousiaste, pour cette Mère Hollunder, figure tragi-comique sous les feux de la rampe !  Avec le récit d’une vie  et quelle vie, celle d’un être ordinaire et magique ! Libre !  Celle d’une femme qui a eu la présence d’esprit et le courage de dire non : « T’as rien qu’un mot à savoir si tu veux avancer droit dans ta vie petite c’est non/Non /C’est ça le mot magique / Non ». Et qui connaît la grandeur de la résistance. Surtout ne pas courber le dos quel qu’en soit l’enjeu ! Et suivre la courbe du soleil, du jaune au noir, pour supporter « ces petites morts », pire que la vraie, auxquelles « tu fais pas gaffe c’est elles qui te grignotent la vie/ Comme le premier cheveu blanc / Ou l’odeur des fleurs que tu oublies dans un vase. » (….)  « Ou ces mots que tu voudrais tellement dire qui se bousculent dans ta bouche et qui sortent jamais / Ou comme ces petites tâches sur les mains. »

Jacques Hadjaje construit ce personnage en finesse, et nous offre  une histoire pleine de poésie printanière ou mélancolique, et de rire. Un hymne pas classique du tout, à la vie ! Et qui chante haut et fort: « Le destin, ça n’existe pas c’est une invention de ceux qui veulent te faire aller quelque part à toute force ». Mère Hollunder s’adresse à Julie pour qu’elle s’en sorte, à Jacob son mari défunt, aux gens ordinaires qui n’ont pas toujours les mots pour se défendre, à tous ceux qui rejettent la lâcheté. Tantôt femme, tantôt homme, ou les deux et jamais dupe : « C’est trop dur d’être une femme /On a perdu le mode d’emploi. »

Personnalité au tempérament  fort, généreux et sensible, elle ne mâche pas ses mots. Mais parfois se laisse aller, malgré elle, à l’émotion : jamais elle n’oubliera Norma un opéra vu qu’une fois au Grand théâtre de Budapest ! Magnifique moment de ce spectacle, parmi d’autres tous aussi drôles, touchants et violents parfois. Pour Mère Hollunder, les traces de la vie ne s’effacent pas, elles se mélangent, cruelles et/ou à mourir de rire ! Mère Hollunder, un clown ? Il y a chez elle, dans ses mots, ses gestes, une vitalité et un sens du comique à l’image du clown… triste souvent.
 Comme lorsqu’elle choisit, sans jamais se démonter, de s’emparer de son appareil photo ou serait-ce  celui de son époux défunt ?  Jacob était photographe. Quel merveilleux moyen pour elle de le rendre ainsi à nouveau vivant et de se sentir soutenu, à deux, ou de l’enterrer une seconde fois, qui sait!  Pour Mère Hollunder, l’objectif devient alors une arme pour lui donner chair mais aussi pour saisir l’instant de vie banal ou excitant. Et le partager avec le public, à travers ses expressions et mots directs, crus, colorés.

Cet instant, où chaque prise de vue en dit long sur l’avenir des uns et des autres, sur l’amour, l’argent…. Comme le précise la didascalie au début : « Mère Hollunder parle parfois pour elle-même, d’autres fois à Julie mais aussi à des gens qu’elle prend en photo : « Et vous n’êtes surtout pas obligée de sourire (elle s’adresse à une demoiselle) / La vie toute la vie rien que la vie/ Et la vie vous donnera de moins en moins / souvent l’occasion de sourire / Très bien cette expression mademoiselle. » Ou bien encore à ses poules. Elle n’a plus d’âge. C’est fini depuis longtemps, tout ça ». Mais pas pour le public ! Touché par l’énergie, les paroles sans détour de notre héroïne et son humour décapant, il pense et garde en mémoire : « Va savoir le cœur comme dit le poète /Le cœur, c’est peut-être bien le petit grelot du pesant collier de la vie »,  derniers mots de mère Hollunder avant d’ouvrir sa caisse et de s’allonger à l’intérieur…. Mais pas si simple de quitter la vie, même pour Mère Hollunder: « Aïe / Ils se sont gourés ces cons/Ils me l’ont faite trop petite, ma caisse ».

Avec ce spectacle, nous assistons à l’heureuse naissance d’un personnage, très actuel, haut en couleurs. Bravo à Jacques Hadjaje pour cette audacieuse création . Bel exemple de troupe, mot cher à l’esprit de Jean Bellorini, qui après six années à la tête du Théâtre Gérard Philipe à à Saint-Denis, va prendre à partir du 1er janvier,  la direction du Théâtre National Populaire à  Villeurbanne.  

Elisabeth Naud

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris (VIIIème). T. : 01 44 95 98 21. Jusqu’au 13 octobre.

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