Orlando, d’après le roman de Virginia Woolf, mise en scène de Katie Mitchell

Orlando, d’après le roman de Virginia Woolf, adaptation d’Alice Birch, mise en scène de Katie Mitchell (en allemand, surtitré en français)

© Stephen Cummiskey

© Stephen Cummiskey

Ce roman (paru 1928, il a donc  déjà presque un siècle) avait été inspiré à l’écrivaine par son amoureuse Vita Sackville-West et on avait pu en voir en 93 sur ce même plateau une adaptation et une mise en scène de Bob Wilson, avec une seule actrice Isabelle Huppert. La britannique -et très féministe- Katie Mitchell, déjà connue en France par La Maladie de la mort de Marguerite Duras, Orphée et Eurydice d’Elfriede Jelinek ou Zauberland (Le Pays enchanté) (voir Le Théâtre du Blog) prend sur ce même plateau le relais  mais cette fois avec un dispositif scénographique d’Alex Eales et les remarquables acteurs et techniciens de la célèbre  Schaubühne de Berlin…

Cela se passe sous le règne d’Elizabeth I. et un noble anglais, Orlando, va continuer à vivre jusqu’à nous c’est à dire jusqu’en 1928 chez Virginia Wooolf et ici dans une Angleterre tout à fait contemporaine avec ses manifestations contre le Brexit. Dans ce roman tout à fait étonnant, Orlando a trente-six ans et aura donc vieilli d’une vingtaine d’années en plus de trois siècles et demi. Mais devenu femme, il garde la même identité intérieure. Sur le grand plateau de l’Odéon, une impressionnante scénographie, signée comme les costumes Sussie Juhlin-Wahlen, qui reprend celle des spectacles de Katie Mitchell:  un vrai faux studio de cinéma avec caméras et perches un peu partout, un travelling en bord de scène, quelques parois sur roues et des éléments de décor (cheminée « en pierre » grande table de château avec assiettes, pots en étain, chandeliers et bougies allumées, lits, etc. assiettes mais aussi cuisine et salle de bains contemporaines, rangées de sièges d’avion !) Le tout avec de gros moyens et dirigé avec une grande virtuosité pour servir de décor, parfois avec incrustation, aux scènes d’intérieur que l’on verra se succéder  à celles tournées en extérieur. Le tout  sur grand écran au-dessus de la scène. Au même niveau, une cabine où une actrice va dire au micro, quand il n’y a pas de dialogues, le récit de cette incroyable aventure imaginée par Virginia Woolf qui se demande, dans un geste queer absolument inédit à son époque, pourquoi les hommes ont-ils accès à la richesse et à la gloire, alors que les femmes en sont dépossédées ?

 «Orlando, dit-elle, était devenu une femme – la chose est incontestable. Mais à tout autre égard, Orlando restait exactement tel qu’il avait été. Le changement de sexe, bien qu’il altérât leur avenir, n’altéra aucunement leur identité.» (…) «Le changement semblait s’être réalisé sans peine et jusqu’à son terme et d’une manière telle qu’Orlando elle-même n’en laissait paraître aucune surprise. Bien des gens, prenant cela en considération, et tenant qu’un tel changement de sexe est contre nature, n’ont eu de cesse de prouver : 1° qu’Orlando avait toujours été une femme, 2° qu’Orlando est à cet instant un homme. Que les biologistes et les psychologues en décident. Il nous suffit de poser ce simple fait : Orlando fut un homme jusqu’à l’âge de trente ans ; moment où il devint une femme et l’est resté jusqu’à ce jour sans désemparer. »

Ici, on devine, plus qu’on ne voit vraiment, le décor en train d’être monté par les techniciens, cadreurs, habilleuses et maquilleuses avec une précision rare sur une scène française. C’est une sorte de ballet incessant où tout arrive comme par magie à se mettre en place à la seconde et à l’endroit précis. Aucune rupture de rythme dans ces changements de scènes… Sans doute le procédé n’est pas neuf et les metteurs en scène allemands maîtrisent parfaitement au théâtre cette transmission sur grand écran d’une scène en train d’être filmée. Mais ici, c’est du grand art et on assiste avec plaisir à cette mise en abyme, même si l’essentiel est donc du cinéma et se passe donc sur l’écran, puisqu’on devine plutôt qu’on ne voit ce qui se passe  sur le plateau volontairement peu éclairé. Et  le plus grand  plaisir  pour le public est bien entendu -et cela marche à tous les coups- de voir un acte artistique en train de se faire- et de savourer aussi la fabuleuse interprétation des acteurs allemands de la Schaubühne de Berlin. Il ont d’une scène à l’autre une  très rare maîtrise de l’espace et du temps… 

Seul bémols : quelques longueurs vers la fin qui arrive subitement et où la metteuse en scène ne semble pas aussi sûre d’elle et des sur-titrages en français sur l’écran pas toujours bien lisibles. Même si on n’est pas forcément attiré par la dramaturgie de cet Orlando à travers les siècles et par cette mise en abyme, ce spectacle participe d’une leçon de théâtre réussie, avec, d’une qualité exceptionnelle: le jeu, la scénographie et la mise en scène…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 septembre, Théâtre de l’Odéon, 2 rue Corneille, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40

 


Archive pour 27 septembre, 2019

Orlando, d’après le roman de Virginia Woolf, mise en scène de Katie Mitchell

Orlando, d’après le roman de Virginia Woolf, adaptation d’Alice Birch, mise en scène de Katie Mitchell (en allemand, surtitré en français)

© Stephen Cummiskey

© Stephen Cummiskey

Ce roman (paru 1928, il a donc  déjà presque un siècle) avait été inspiré à l’écrivaine par son amoureuse Vita Sackville-West et on avait pu en voir en 93 sur ce même plateau une adaptation et une mise en scène de Bob Wilson, avec une seule actrice Isabelle Huppert. La britannique -et très féministe- Katie Mitchell, déjà connue en France par La Maladie de la mort de Marguerite Duras, Orphée et Eurydice d’Elfriede Jelinek ou Zauberland (Le Pays enchanté) (voir Le Théâtre du Blog) prend sur ce même plateau le relais  mais cette fois avec un dispositif scénographique d’Alex Eales et les remarquables acteurs et techniciens de la célèbre  Schaubühne de Berlin…

Cela se passe sous le règne d’Elizabeth I. et un noble anglais, Orlando, va continuer à vivre jusqu’à nous c’est à dire jusqu’en 1928 chez Virginia Wooolf et ici dans une Angleterre tout à fait contemporaine avec ses manifestations contre le Brexit. Dans ce roman tout à fait étonnant, Orlando a trente-six ans et aura donc vieilli d’une vingtaine d’années en plus de trois siècles et demi. Mais devenu femme, il garde la même identité intérieure. Sur le grand plateau de l’Odéon, une impressionnante scénographie, signée comme les costumes Sussie Juhlin-Wahlen, qui reprend celle des spectacles de Katie Mitchell:  un vrai faux studio de cinéma avec caméras et perches un peu partout, un travelling en bord de scène, quelques parois sur roues et des éléments de décor (cheminée « en pierre » grande table de château avec assiettes, pots en étain, chandeliers et bougies allumées, lits, etc. assiettes mais aussi cuisine et salle de bains contemporaines, rangées de sièges d’avion !) Le tout avec de gros moyens et dirigé avec une grande virtuosité pour servir de décor, parfois avec incrustation, aux scènes d’intérieur que l’on verra se succéder  à celles tournées en extérieur. Le tout  sur grand écran au-dessus de la scène. Au même niveau, une cabine où une actrice va dire au micro, quand il n’y a pas de dialogues, le récit de cette incroyable aventure imaginée par Virginia Woolf qui se demande, dans un geste queer absolument inédit à son époque, pourquoi les hommes ont-ils accès à la richesse et à la gloire, alors que les femmes en sont dépossédées ?

 «Orlando, dit-elle, était devenu une femme – la chose est incontestable. Mais à tout autre égard, Orlando restait exactement tel qu’il avait été. Le changement de sexe, bien qu’il altérât leur avenir, n’altéra aucunement leur identité.» (…) «Le changement semblait s’être réalisé sans peine et jusqu’à son terme et d’une manière telle qu’Orlando elle-même n’en laissait paraître aucune surprise. Bien des gens, prenant cela en considération, et tenant qu’un tel changement de sexe est contre nature, n’ont eu de cesse de prouver : 1° qu’Orlando avait toujours été une femme, 2° qu’Orlando est à cet instant un homme. Que les biologistes et les psychologues en décident. Il nous suffit de poser ce simple fait : Orlando fut un homme jusqu’à l’âge de trente ans ; moment où il devint une femme et l’est resté jusqu’à ce jour sans désemparer. »

Ici, on devine, plus qu’on ne voit vraiment, le décor en train d’être monté par les techniciens, cadreurs, habilleuses et maquilleuses avec une précision rare sur une scène française. C’est une sorte de ballet incessant où tout arrive comme par magie à se mettre en place à la seconde et à l’endroit précis. Aucune rupture de rythme dans ces changements de scènes… Sans doute le procédé n’est pas neuf et les metteurs en scène allemands maîtrisent parfaitement au théâtre cette transmission sur grand écran d’une scène en train d’être filmée. Mais ici, c’est du grand art et on assiste avec plaisir à cette mise en abyme, même si l’essentiel est donc du cinéma et se passe donc sur l’écran, puisqu’on devine plutôt qu’on ne voit ce qui se passe  sur le plateau volontairement peu éclairé. Et  le plus grand  plaisir  pour le public est bien entendu -et cela marche à tous les coups- de voir un acte artistique en train de se faire- et de savourer aussi la fabuleuse interprétation des acteurs allemands de la Schaubühne de Berlin. Il ont d’une scène à l’autre une  très rare maîtrise de l’espace et du temps… 

Seul bémols : quelques longueurs vers la fin qui arrive subitement et où la metteuse en scène ne semble pas aussi sûre d’elle et des sur-titrages en français sur l’écran pas toujours bien lisibles. Même si on n’est pas forcément attiré par la dramaturgie de cet Orlando à travers les siècles et par cette mise en abyme, ce spectacle participe d’une leçon de théâtre réussie, avec, d’une qualité exceptionnelle: le jeu, la scénographie et la mise en scène…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 septembre, Théâtre de l’Odéon, 2 rue Corneille, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40

 

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